II. APRÈS UNE PÉRIODE D'ISOLEMENT SOUS LA PRÉSIDENCE BOLSONARO, UN LEADERSHIP RÉGIONAL RETROUVÉ ?

A. À PARTIR DES ANNÉES 2000, LE BRÉSIL S'EST IMPOSÉ COMME LE FER DE LANCE DE L'INTÉGRATION RÉGIONALE

Au niveau régional, les premiers mandats du Président Lula ont été marqués par l'affirmation progressive d'une « hégémonie consensuelle » brésilienne17(*) sur le sous-continent, selon les termes de Bruno Muxagato18(*).

Dès son discours d'investiture en janvier 2003, Lula fixe comme priorité en matière de politique étrangère un approfondissement de l'intégration régionale, privilégiant cependant une approche restreinte à l'Amérique du Sud plutôt qu'élargie à l'ensemble de l'Amérique latine.

Cette recherche d'un leadership brésilien en Amérique du Sud poursuivait un double objectif : d'une part, renforcer les relations économiques entre États de la zone pour accroître la prospérité du pays et de son environnement régional et, d'autre part, assurer au Brésil une assise continentale appuyant ses ambitions sur la scène internationale, l'Amérique du Sud étant « dès lors considérée comme une “ vitrine diplomatique ” pour les aspirations mondiales brésiliennes »19(*).

Cette stratégie régionale du Brésil s'est déclinée en deux volets : un volet économique, via un appui à l'élargissement et à l'approfondissement du Mercosur (marché commun du Sud), et un volet politique avec la création et le renforcement de l'Unasur (Union des nations sud-américaines).

1. Le Brésil a joué un rôle actif dans l'élargissement et l'approfondissement du Mercosur

Le Marché commun du Sud (Mercosur)

Le 26 mars 1991, le traité d'Asunción crée l'accord du Mercosur (Marché commun du Sud).

L'alliance Mercosur est constituée de membres permanents : l'Argentine, le Brésil, l'Uruguay et le Paraguay (le Venezuela a été suspendu en 2017). D'autres États sont membres associés : Chili, Bolivie, Colombie, Équateur, Guyana, Pérou et Suriname.

Le Mercosur est une alliance économique qui repose sur :

- la libre circulation des biens et des services ;

- l'établissement d'un tarif extérieur commun et l'adoption d'une politique commerciale commune vis-à-vis des États tiers ou de groupe d'États tiers ;

- la coordination des politiques macroéconomiques et sectorielles entre les États parties dans les domaines du commerce extérieur, commerce agricole, industriel.

Source : https://www.vie-publique.fr/questions-reponses/289981-laccord-commercial-ue-mercosur-en-cinq-questions

Selon Bruno Muxagato, « la période 2003-2010 correspond à une évolution du Marché commun du Sud vers une plus grande maturité intégrationniste »20(*). Pour le chercheur, « la question qui se posait était celle de savoir si la consolidation de cette organisation était utile ou non à l'insertion internationale du pays. Brasilia a répondu par l'affirmative et a fait le choix d'assumer en partie les coûts de l'intégration en accentuant son rôle de paymaster, tout en se fiant aux principes intégrationnistes à travers le développement (même minimaliste) du bloc ».

Comme le relève Olivier Dabène, la mise en oeuvre de l'agenda régional brésilien a par ailleurs été favorisée par une vague d'alternances en Amérique latine : « l'arrivée au pouvoir de Lula en 2002, suivie de celle de Nestor Kirchner en Argentine puis de Tabaré Vázquez en Uruguay facilite le sauvetage du MERCOSUR. Le virage à gauche de la région se traduit par le lancement d'une réforme institutionnelle volontariste et l'adoption d'un nouvel agenda d'intégration »21(*).

Au cours de cette période, plusieurs institutions et instruments, à l'instar du Parlement et du fonds de convergence structurelle (Focem), en grande partie financé par le Brésil, sont ainsi créés au sein du Mercosur, le premier visant à renforcer la dimension politique de l'organisation et le second à doter la région d'un instrument financier permettant de réduire les asymétries régionales, sur le modèle des fonds structurels européens.

2. Le leadership du Brésil au sein de l'Unasur

Pour Bruno Muxagato, « il était essentiel pour Brasilia de redynamiser le processus de régionalisation en regardant au-delà du système mercosulien. C'est précisément ce que les autorités brésiliennes ont cherché à faire avec l'initiative ambitieuse de l'Union des nations sud-américaines ».

L'Union des nations sud-américaines (Unasur)

L'Union des nations sud-américaines (Unasur) a été créée le 23 mai 2008 lors du sommet de Brasilia et est entrée en vigueur le 11 mars 2012. Elle rassemblait à l'origine 12 États membres : l'Argentine, la Bolivie, le Chili, l'Équateur, le Guyana, le Pérou, le Suriname, le Venezuela, l'Uruguay, le Brésil, la Colombie et le Paraguay.

L'Unasur est dotée de plusieurs institutions, dont le Conseil des chefs d'État et de Gouvernement, le Conseil des ministres des relations extérieures, le Conseil des délégués et le Secrétariat général. Elle compte également des conseils ministériels sectoriels dans des domaines tels que l'énergie, la santé, la défense, le développement social, la lutte contre les drogues, l'infrastructure, l'éducation, la culture, la science, la technologie et l'innovation.

L'organisation a connu plusieurs succès notables, notamment la Déclaration de la Moneda en septembre 2008, qui a permis d'éviter un coup d'État en Bolivie en condamnant les actes de violence et en exprimant son soutien au Président Evo Morales. La Déclaration de la Bariloche en août 2009 a également joué un rôle crucial dans la résolution de la crise liée à l'installation de bases militaires américaines en Colombie. D'autres déclarations, telles que celle de Buenos Aires en octobre 2010, ont également condamné les tentatives de coup d'État et soutenu les gouvernements en place.

En dépit de ces succès, l'Unasur a été confrontée à des défis internes. En avril 2018, l'Argentine, le Brésil, le Chili, la Colombie, le Paraguay et le Pérou ont ainsi suspendu leur participation à l'organisation en raison du manque de résultats concrets garantissant le bon fonctionnement de l'organisation. Trois pays, la Colombie, l'Équateur et l'Argentine ont en outre annoncé leur retrait définitif de l'organisation.

Le Brésil, à l'initiative de la création de l'Unasur, y a exercé un rôle de leadership jusqu'au milieu des années 2010. Brasilia a notamment « cherché, avec l'aide de la BNDES [Banque brésilienne de développement - Banco Nacional de Desenvolvimento Economico e Social], à définir les priorités et à dégager les ressources financières permettant d'entamer les grands travaux nécessaires à la concrétisation d'un système d'intégration physique du sous-continent. Ne serait-ce qu'en 2014, l'Initiative pour l'intégration de l'infrastructure régionale sud-américaine (IIRSA) a géré 579 projets pour un investissement total estimé à 163 milliards de dollars »22(*).

Par ailleurs, à l'initiative du Brésil, un Conseil de défense sud-américain de l'Unasur a été créé, lequel « obéissait à l'objectif stratégique du Brésil de Lula de créer une structure de dialogue dans ces domaines sensibles, afin de consolider l'intégration régionale et le leadership brésilien tout en écartant l'Amérique du Sud de l'influence nord-américaine »23(*).


* 17 Ce concept renvoie à la volonté des « Brésiliens de persuader les voisins sud-américains qu'il existe un bénéfice à tirer de l'adhésion à leur projet régionaliste ».

* 18 Bruno Muxagato, Leadership du Brésil en Amérique du sud ; de la contestation à l'émergence d'une hégémonie consensuelle, 2015.

* 19 Ibid.

* 20 Ibid.

* 21 Olivier Dabène, 1991. Les 20 ans du MERCOSUR Au-delà du clivage droite/gauche, un bilan décevant. Les Études du CERI, 2011.

* 22 Bruno Muxagato, « Intégration et leadership en Amérique du Sud : la difficile émergence du Brésil comme puissance régionale », Critique internationale, vol. 71, no. 2, 2016.

* 23 Bruno Muxagato, Leadership du Brésil en Amérique du sud ; de la contestation à l'émergence d'une hégémonie consensuelle, 2015, op. cit.