EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mercredi 5 juillet 2023, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission examine le rapport d'information de M. René-Paul Savary et Mme Raymonde Poncet Monge sur la mise en oeuvre de la « solidarité à la source » dans le cadre de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss).

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous allons entendre à présent la communication de René-Paul Savary et Raymonde Poncet Monge qui interviennent à l'issue des travaux de la mission d'information qu'ils ont conduite, au nom de la Mecss, dont René-Paul Savary est le président, sur la solidarité à la source. Je vous rappelle que nos travaux s'inscrivent dans le cadre du programme de contrôle de la Mecss au titre de la session 2022-2023. Le bureau de la commission a pris acte, en fin d'année dernière, de ce programme. Je cède donc la parole aux rapporteurs.

M. René-Paul Savary, rapporteur. - Madame la présidente, mes chers collègues, la solidarité à la source suscite bien des interrogations depuis que le Président de la République, Emmanuel Macron, en a fait l'une des principales (et rares) propositions de sa dernière campagne présidentielle, sans jamais l'expliquer. Son intitulé suggère qu'il s'agirait de l'opposé du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu. Le ministre Jean-Christophe Combe a déjà eu l'occasion de venir lever les ambiguïtés initiales en nous précisant qu'il ne s'agit pas d'un projet d'automatisation du versement des prestations sociales à toutes les personnes éligibles, mais d'un projet d'interconnexion des bases de données sociales visant à lutter tout à la fois contre le non-recours aux prestations, les indus et la fraude. Du fait de contraintes pratiques et, sans doute, de préoccupations d'ordre financier, les ambitions gouvernementales ont été largement revues à la baisse depuis le précédent quinquennat. Il nous a donc paru opportun de conduire des travaux à ce sujet dans le cadre de la Mecss afin de vous apporter, ainsi qu'à nos concitoyens, les éclaircissements nécessaires à la compréhension de cette réforme, dont les prémices remontent à 2020.

Raymonde Poncet Monge, rapporteure. - Au préalable, il convient de rappeler dans quel contexte s'inscrit ce projet de réforme. Le paysage des prestations versées sous conditions de ressources, vaste et hétérogène, est le produit de la sédimentation de dispositifs visant des publics plus ou moins spécifiques et conçus pour répondre à une grande variété d'objectifs. Au sein de ce paysage se distinguent les prestations de solidarité : des prestations de nature monétaire visant à soutenir le revenu de ménages modestes, soumises à conditions de ressources et dégressives à partir d'un certain montant de revenus jusqu'à s'éteindre au-delà d'un seuil prédéfini. Elles incluent les minima sociaux mais aussi d'autres aides financées et gérées par des acteurs variés. Trois de ces prestations, versées par les caisses d'allocations familiales (CAF) ou les caisses de mutualité sociale agricole (MSA), concernent neuf personnes sur dix parmi la population aujourd'hui soutenue par des aides sociales : le revenu de solidarité active (RSA), la prime d'activité et les aides personnelles au logement. Le total des dépenses au titre de ces trois prestations avoisine 40 milliards d'euros.

S'il contribue effectivement à réduire le taux de pauvreté et les inégalités en France, le système de prestations de solidarité est devenu illisible, notamment parce qu'il compte autant de « bases ressources », c'est-à-dire de façons de mesurer les différentes catégories de revenus, qu'il y a de prestations. De plus, le système de solidarité ayant été construit sans jamais avoir été pensé dans sa globalité, les prestations interagissent les unes avec les autres d'une façon qui n'est pas toujours cohérente. S'ajoutent à cette illisibilité les complexités propres à certaines prestations. Par exemple, la définition du salaire prise en compte pour le calcul des droits au RSA et à la prime d'activité est le « revenu net perçu », une notion qui n'est définie par aucun texte et qui s'avère d'une très grande opacité pour les allocataires car elle ne correspond à aucun des agrégats affichés sur le bulletin de paie. Cette complexité et cette illisibilité sont une cause majeure du non-recours aux prestations par une partie des personnes qui pourraient y prétendre, un phénomène qui entraîne des risques accrus de pauvreté et d'exclusion. La mesure du non-recours est un exercice complexe qui a longtemps été réalisé partiellement. Un nouveau dispositif, qui a été construit par la Drees à partir de l'enquête « EFRS » de l'Insee, a permis d'estimer le taux de non-recours au RSA à 34 % en moyenne par trimestre et à 20 % de façon pérenne pour 2018. Ainsi, près de 3 milliards d'euros de RSA par an ne seraient pas versés du fait du non-recours.

En revanche, l'EFRS ne permet pas d'estimer de manière fiable le non-recours à la prime d'activité, notamment en raison de la fréquence très insuffisante des données disponibles. Une solution identifiée est l'utilisation du dispositif des ressources mensuelles, nous y reviendrons ; elle doit être mise en oeuvre afin de permettre notamment une mesure régulière et comparable dans le temps du non-recours à cette prestation. De même, il n'existe pas d'évaluation fiable du non-recours aux aides au logement. On estime cependant que le taux de non-recours est plus faible pour ces dernières.

Alors que la lutte contre le non-recours est inscrite depuis plusieurs années à l'agenda des politiques sociales et qu'elle figure parmi les objectifs des organismes de sécurité sociale, le phénomène persiste à un niveau élevé et pourrait même s'être aggravé pour les publics les plus vulnérables, comme le suggèrent les études de terrain qui ont été réalisées par diverses associations. Nous ne pouvons certainement pas nous satisfaire de cette situation. L'accès aux droits et la lutte contre le non-recours, qui participent de l'objectif de délivrer le juste droit, devraient faire l'objet d'une politique publique résolue.

À l'inverse, les obligations déclaratives lourdes et complexes à la charge des bénéficiaires entraînent de nombreux versements indus du fait d'erreurs. Ce phénomène semble s'être aggravé au cours des dernières années. Dans son rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale de 2022, la Cour des comptes estimait qu'un euro sur six de RSA et un euro sur cinq de prime d'activité seraient versés à tort à titre définitif. Le niveau élevé des indus imputables à des erreurs déclaratives non corrigées est un des principaux motifs qui fondent le refus de la Cour des comptes de certifier les comptes de la branche famille et de la Cnaf pour l'exercice 2022. Selon la Cour, le RSA, la prime d'activité et les aides au logement sont à l'origine de 82 % du montant estimé des indus et des rappels non détectés. Au total, le système actuel reste donc loin de garantir le paiement à bon droit des prestations, ce qui doit suffire à justifier la nécessité d'une réforme. Le Gouvernement prévoyait, dans le cadre de la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté (2018-2022), une rénovation en profondeur du système de minima sociaux et de prestations sous conditions de ressources, notamment au travers de la création d'un revenu universel d'activité, le RUA. La proposition centrale du rapport de préfiguration de Fabrice Lenglart, qui n'a pas été rendu public mais que nous avons consulté, est d'instaurer un « revenu social de référence », c'est-à-dire d'harmoniser les bases ressources utilisées pour calculer le montant des différentes aides. Cette harmonisation devra permettre d'assurer une meilleure articulation des prestations de solidarité les unes avec les autres et favoriserait un calcul du droit plus juste. L'inscription des diverses prestations de solidarité dans un système unifié aurait permis, selon le rapport Lenglart, d'assurer à la fois un meilleur recours aux droits et une plus grande continuité des droits. Une telle réforme aurait toutefois requis des arbitrages complexes, notamment sur le périmètre des prestations concernées, la définition exacte des ressources qui sont comptabilisées au titre du revenu social de référence ou encore le barème à retenir pour les aides au logement, dont les bases de calcul diffèrent de celles du RSA. Cette complexité, et les coûts qu'elle induisait, explique sans doute que le Gouvernement ait renoncé au RUA pour y substituer le projet de « solidarité à la source ». Derrière cet intitulé conquérant s'est ainsi dessinée l'automatisation du remplissage des déclarations de ressources des demandeurs et allocataires de prestations sociales soumises à conditions de ressources.

En réalité, il ne s'agit là que du prolongement de la réforme des APL, qui est intervenue en 2021. Pour rappel, celle-ci se décomposait en deux évolutions concomitantes. D'une part, leur contemporanéisation, c'est-à-dire l'utilisation, comme base de calcul, des ressources des douze derniers mois glissants, et non plus celles de l'avant-dernière année, et le réexamen du droit chaque trimestre au lieu de tous les ans. D'autre part, le pré-remplissage des déclarations de ressources à partir d'une base de données, le dispositif de ressources mensuelles ou DRM. Cet instrument agrège les données de salaires issues de la déclaration sociale nominative et les informations relatives aux revenus de remplacement, véhiculées par la déclaration « prélèvement à la source et revenus autres » ou PASRAU, qui peuvent être consultées par les CAF et les caisses de MSA via un service de restitution. La mise en oeuvre de la réforme, reportée d'un an du fait de la crise sanitaire, n'a pas été simple et a suscité bien des difficultés. En premier lieu, seuls 80 % des revenus des allocataires sont sécurisés par le DRM, les 20 % restants devant faire l'objet de déclarations psécifiques. En outre, alors que les revenus de l'avant-dernière année étaient jusqu'alors communiqués directement aux CAF et aux caisses de MSA par l'administration fiscale chaque année, sans que les allocataires aient à accomplir une quelconque démarche, les ressources non véhiculées par le DRM doivent désormais faire l'objet d'une déclaration. Il en a résulté de la complexité pour les demandeurs, qui s'ajoute à l'instabilité du montant des APL induite par leur contemporanéisation. D'après la Cour des comptes, 17 % des allocataires ont dû procéder à une déclaration de ressources en 2022, contre 9 % en 2019-2020. En outre, il est impossible aux allocataires de corriger a priori les éventuelles anomalies affectant les données du DRM. Dans ce cas, la prestation est calculée sur une base erronée, ce qui est effectivement le cas dans 50 % des signalements, avant que l'anomalie signalée ne fasse l'objet d'un traitement par une cellule dédiée au sein de la Cnav et que l'erreur ne soit corrigée par l'employeur. La Cnaf et la MSA ont donc été contraintes de mettre au point des procédures de forçage permettant de corriger le montant des ressources prises en compte, ce qui n'est pas satisfaisant. Nous proposons dès lors de permettre aux allocataires de procéder à une correction ex ante lorsqu'ils pensent déceler une anomalie, après quoi il serait procédé à une vérification et au recouvrement des éventuelles sommes indûment versées.

Au total, la réforme a généré un recul de près de 9 % du nombre d'allocataires des APL entre 2020 et 2021 et a permis la réalisation d'une économie significative, estimée à 1,1 milliard d'euros en 2021 et à 1,3 milliard en 2022. Pour autant, il est incontestable que le pré-remplissage des déclarations a permis de réduire le nombre de cas d'erreurs et d'omissions éventuellement frauduleuses, et de simplifier les démarches des allocataires : ainsi, l'automatisation du remplissage des déclarations de ressources des demandeurs de la complémentaire santé solidaire, la C2S, aurait contribué à accroître les effectifs de bénéficiaires de 300 000 personnes de 2021 à 2022. Le Gouvernement souhaite désormais autoriser le recours au DRM pour le pré-remplissage des déclarations des demandeurs et allocataires du RSA et de la prime d'activité, qui sont d'ores et déjà recalculées tous les trimestres, mais sur la base des revenus des trois derniers mois glissants et non des douze derniers comme les APL. C'est dans cette perspective que des tests « à blanc » visant à vérifier la fiabilité du DRM sont menés par les CAF depuis l'an dernier. L'objectif est de mettre en oeuvre cette réforme sur certains territoires dès le mois de juillet 2024 et de la généraliser en 2025. Dans le même temps, la base de calcul de ces prestations serait modifiée. Actuellement, le revenu net perçu doit être reconstitué par l'allocataire, en intégrant les sommes qu'il ne perçoit pas, alors qu'elles constituent un revenu, comme la part salariale des chèques vacances, et en excluant les sommes perçues sans constituer pour autant un revenu, par exemple les remboursements de frais professionnels. Un nouvel agrégat, dénommé montant net social et défini par arrêté, figure obligatoirement sur les bulletins de paie depuis le 1er juillet. Les allocataires n'auront donc plus qu'à reporter ce montant sur leurs déclarations de ressources dans l'attente de la mise en oeuvre du pré-remplissage.

Malgré nos multiples demandes, ni la Cnaf ni le Gouvernement n'ont daigné nous communiquer les estimations de l'incidence financière de la réforme, dont ils semblent pourtant disposer. Tout au plus, le directeur de la Cnaf a-t-il admis qu'elle pourra permettre de générer « plusieurs centaines de millions d'euros » d'économies du fait de la réduction du nombre d'erreurs et de cas de fraude.

À côté de l'automatisation des déclarations de ressources, le deuxième axe du projet de solidarité à la source consiste en des mesures actives de lutte contre le non-recours. Il s'agit notamment de l'expérimentation « Territoires zéro non-recours », qui devrait être lancée ce mois-ci après la sélection de dix territoires devant expérimenter sur le terrain des pratiques visant à favoriser le recours aux droits sociaux. Par ailleurs, le DRM pourra être utilisé dès cette année dans l'objectif de conduire des campagnes de ciblage du non-recours, à la prime d'activité dans un premier temps, puis au RSA, d'abord parmi les allocataires des APL. À nos yeux, il est impératif que les économies qui résulteront de la « DRMisation » du RSA et de la prime d'activité soient consacrées au financement de la lutte contre le non-recours.

M. René-Paul Savary, rapporteur. - Qui dit utilisation des données de la paie pour calculer les droits sociaux dit fiabilisation des données pour assurer le paiement à bon droit des prestations, dans un sens comme dans l'autre. Or, comme j'avais déjà eu l'occasion de l'évoquer devant vous l'an dernier avec notre collègue Cathy Apourceau-Poly, les Urssaf ont, en la matière, pris du retard sur l'Agirc-Arrco, qui contrôle les DSN à la maille nominative, salarié par salarié. Si les Urssaf recouvrent traditionnellement à la maille agrégée, c'est-à-dire à l'échelle de l'entreprise, elles développent toutefois des capacités de fiabilisation des données individuelles. Une nouvelle cinématique déclarative permettant leur contrôle au fil de l'eau a ainsi été généralisée en janvier dernier et le champ des contrôles réalisés est appelé à s'étoffer progressivement. Ces progrès sont urgents compte tenu des enjeux. Je rappelle que la Cnaf estimait l'an dernier à 2 % le taux d'erreur affectant le flux DSN qui alimente le DRM, ce qui est tout sauf insignifiant eu égard aux conséquences sur les droits sociaux des salariés. Du reste, en l'état des tests réalisés par les CAF en vue de la « DRMisation » du RSA et de la prime d'activité, les déclarations des allocataires et celles qui sont préremplies à partir du DRM ne sont identiques que dans 30 % des cas sur une base mensuelle. En effet, pour 20 % des foyers bénéficiaires du RSA et la moitié des foyers bénéficiaires de la prime d'activité, des salaires ne figurent pas encore dans le DRM au moment du test de calcul de la prestation. Les délais impartis pour la prise en compte du salaire du dernier mois pour le calcul des prestations sont en effet trop courts pour assurer la transmission de la DSN, sa fiabilisation et son éventuelle correction à temps.

Le Gouvernement a donc décidé de « vieillir » la période de référence retenue pour calculer les droits au RSA et à la prime d'activité, passant de M-3 jusqu'à M-1 à M-4 jusqu'à M-2. Il en va de même des APL, qui sont calculées sur la base des revenus de M-13 à M-2. En outre, contrairement aux APL, les allocataires du RSA et de la prime d'activité seront en mesure de corriger toute éventuelle anomalie a priori, ce dont nous nous réjouissons. Nous formulons toutefois un certain nombre de préconisations pour renforcer encore davantage la fiabilité du DRM. Il nous paraît d'abord indispensable de sécuriser les DSN dès leur émission, en instaurant une labellisation des logiciels de paie, ceci afin de garantir le respect des exigences minimales en matière de fiabilité. Il faut aussi veiller à stabiliser l'architecture de la DSN, à laquelle sont régulièrement ajoutées des catégories de données, parfois interprétées différemment selon les organismes sociaux et les entreprises, ce qui accroît le risque d'erreurs déclaratives. Les Urssaf, quant à elles, doivent poursuivre leurs efforts en matière de fiabilisation à la maille nominative, en s'appuyant sur l'expertise de l'Agirc-Arrco, dans le but d'abandonner, à terme, la maille agrégée. La « DSN de substitution », qui doit permettre aux Urssaf de corriger les erreurs déclaratives détectées lorsque l'employeur ne peut ou ne veut pas le faire, n'est toujours pas opérationnelle à défaut de textes d'application. Nous souhaitons qu'elle puisse être émise au plus vite. Enfin, le montant net social devant désormais être calculé par les employeurs, ce qui fait peser sur eux une charge nouvelle, il est nécessaire d'assurer sa fiabilité. Pour l'heure, seuls des contrôles de cohérence avec les données du DRM doivent être réalisés par les Urssaf. Il paraît important que ces dernières puissent procéder au recalcul, salarié par salarié, du montant déclaré.

Au-delà de la question de la fiabilité du DRM se pose celle de son exhaustivité. Comme vous l'a indiqué Raymonde Poncet Monge, plusieurs catégories de ressources, par exemple les revenus des travailleurs indépendants et les pensions alimentaires, n'y figurent pas pour l'heure en raison de leurs spécificités. Il apparaît pourtant, au terme de nos auditions, que des solutions peuvent être trouvées pour permettre l'intégration d'autant de catégories de revenus que possible au sein du DRM. Par exemple, les revenus des micro-entrepreneurs pourraient être inclus sur la base de leur chiffre d'affaires, qui est déjà déclaré mensuellement ou trimestriellement et auquel est appliqué un abattement variant selon la nature de leur activité. Idem pour les pensions alimentaires nouvellement fixées, qui sont désormais versées par le biais des CAF au titre de leur mission d'intermédiation financière et dont celles-ci connaissent le montant. Si certains revenus sont par nature difficilement déclarables, que ce soit mensuellement ou trimestriellement, nous pensons qu'il est souhaitable d'alimenter le DRM avec chaque catégorie ou sous-catégorie de revenus qui pourra y être intégrée afin de simplifier au maximum les démarches des allocataires, tout en limitant les risques d'erreur ou d'omission.

À côté de ces indispensables améliorations du dispositif de pré-remplissage des déclarations de ressources, il faut aussi amplifier l'effort de lutte active contre le non-recours. Cela passe d'abord à nos yeux par l'instauration dans les CAF et les caisses de MSA de la demande unique de prestations, qui devrait permettre d'examiner en une seule démarche la situation du demandeur, et de lui proposer l'ensemble des prestations et services auquel il a droit. Les campagnes de ciblage des non-recourants parmi les allocataires de la branche famille menées à partir du DRM pourraient en parallèle être étendues aux non-allocataires au travers d'une coopération avec la branche maladie, qui dispose de données sur la quasi-totalité des Français. Dans le même temps, au-delà du seul examen des droits aux prestations, le DRM devrait être utilisé pour mener des actions de contrôle a posteriori dans une logique de lutte contre la fraude.

Pour prometteuse qu'elle soit, l'exploitation numérique des données sociales ne saurait enrayer les ressorts profonds du non-recours aux droits. Dans cette perspective, les démarches d'« aller vers », qui désignent le fait de sortir d'une logique de guichet pour aller au-devant des personnes, sont l'indispensable complément de l'industrialisation des prestations. Elles constituent d'ailleurs un axe de l'expérimentation « Territoires zéro non-recours ». Cette approche du travail social nécessite souvent un changement de posture de la part des accompagnants, qui doivent eux-mêmes être accompagnés dans cette voie. La stratégie pauvreté 2018-2022 prévoyait la transformation de la formation des travailleurs sociaux qui comprenait notamment un volet relatif à l'« aller vers ». Cette mesure n'ayant été que très partiellement mise en oeuvre, nous préconisons de mener à bien un vaste plan de formation. Sur le plan méthodologique, il importe d'associer les personnes concernées, ainsi que les associations qui les accompagnent, aux expérimentations et à l'évaluation de la réforme.

Par ailleurs, la « DRMisation » n'épuise pas davantage la question de la simplification de l'attribution des prestations. Un premier axe de simplification ambitionne de veiller à l'harmonisation des périodes de référence pour la prise en compte des ressources et de la fréquence d'actualisation de la base de ressources. Là encore, il existe presque autant de modèles qu'il y a de prestations. Dans le but d'amorcer une harmonisation entre les périodes de référence des principales prestations de solidarité et de garantir à la fois une prévisibilité suffisante du niveau des aides et un montant « équitable » au regard de la situation des allocataires, nous proposons d'aligner le RSA, la prime d'activité et les aides au logement sur une période de référence de six mois glissants, avec une actualisation tous les trois mois. Compte tenu du « vieillissement » que nous avons évoqué, la période de référence s'étendrait ainsi du mois M-7 au mois M-2.

À ce stade, le projet de réforme laisse toutefois de côté la problématique qui était au coeur du chantier du RUA : celle de l'harmonisation des bases ressources. Sur la base des préconisations du Conseil d'État, des ajustements ponctuels semblent être d'ores et déjà envisageables. Ainsi, il paraît possible de simplifier la prise en compte des revenus du patrimoine en fixant notamment un seuil de prise en compte des revenus de l'épargne liquide de manière à exonérer la petite épargne. La question du maintien de la prise en compte de ressources qui, par nature, ne peuvent pas être intégrées au DRM et dont l'importance n'est pas déterminante, comme les dons et libéralités, peut également se poser. Un rapprochement plus ambitieux des bases ressources passerait par une harmonisation de la prise en compte des revenus professionnels, notamment pour les trois prestations au coeur de la solidarité à la source. Or, rapprocher la base ressources des aides au logement de celle du RSA et de la prime d'activité aurait un impact considérable sur le montant des aides et supposerait d'en réviser profondément les barèmes. Cependant, nous sommes convaincus que seule une telle harmonisation permettrait de rendre notre système de solidarité plus lisible, plus équitable et plus incitatif à l'emploi, et d'en permettre à terme un meilleur pilotage.

En guise de conclusion à mon propos, les objectifs initiaux de la réforme du RUA, solidarité, lisibilité, équité et gain au travail, restent pertinents et doivent guider les réformes à venir du système de solidarité, de même que l'ambition d'en faire, à terme, un tout articulé et cohérent. Nous vous remercions.

Mme Michelle Meunier. - Je remercie sincèrement nos collègues pour leurs préconisations, dont la mise en oeuvre est cependant conditionnée à la mobilisation de moyens supplémentaires, en particulier sur le plan humain. Mes réserves sur ce point ne m'empêchent pas de soutenir vos propositions.

M. René-Paul Savary, rapporteur. - Effectivement, des moyens supplémentaires devront être déployés, dans un premier temps pour renforcer l'effort de fiabilisation des données individuelles engagé par les Urssaf. Cette intensification est prévue par la convention d'objectifs et de gestion (COG) 2023-2027 des Urssaf.

Mme Chantal Deseyne. - Le rapport qui nous a été restitué ce matin présente des propositions qui sont tout à fait pertinentes, en particulier celle relative à la création d'une demande unique de prestations. Les allocataires et les éventuels bénéficiaires des prestations sociales sont perdus quand ils sont confrontés au maquis des dispositifs.

M. René-Paul Savary, rapporteur. - Certains pourront juger certaines de nos propositions « utopiques ». Cela dit, le préalable est la fiabilité des données de salaires, véhiculées par la DSN. C'est notamment pour cela que nous appelons de nos voeux la certification des logiciels de paie, qui doit garantir le respect de standards techniques en matière de fiabilité des données, alors que certaines fonctionnalisations ne sont aujourd'hui accessibles que par le biais des versions premium des logiciels concernés.

Mme Raymonde Poncet Monge, rapporteure. - La COG 2023-2027 des Urssaf prévoit d'ailleurs l'examen des conditions de mise en oeuvre de la labellisation des logiciels de paie.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Je vous remercie. Il me revient à présent de consulter notre commission sur la publication du rapport d'information de nos collègues.

Les recommandations sont adoptées.

À l'unanimité des membres présents, la commission des affaires sociales adopte le rapport d'information sur la mise en oeuvre de la solidarité à la source et en autorise la publication.

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