B. DES MESURES SUPPLÉMENTAIRES SONT INDISPENSABLES POUR MENER UNE LUTTE EFFECTIVE CONTRE LE NON-RECOURS ET SIMPLIFIER LES DÉMARCHES DES BÉNÉFICIAIRES

1. Les politiques d'accès aux droits doivent être rénovées
a) Évaluer plus systématiquement l'éligibilité des allocataires aux prestations

De premières initiatives ont d'ores et déjà été menées par les Caf en vue de systématiser l'évaluation d'ensemble des droits des demandeurs et allocataires des prestations de solidarité.

Ainsi, depuis 2014, des « rendez-vous des droits » permettent d'examiner, au cours d'un entretien prévu dans le cadre des parcours allocataires, la situation globale de l'allocataire afin de lui proposer de recourir aux aides et aux services auxquels il a droit. 387 344 rendez-vous ont été réalisés en 2021, avec un taux d'ouverture moyen de 24 %.

Après l'automatisation des déclarations de ressources, l'étape suivante pourrait consister en l'instauration de la demande unique de prestations, qui inclurait, dans un premier temps, les aides au logement, la prime d'activité et le RSA, puis, à terme, l'ensemble des prestations quérables de la branche famille.

Concrètement, il s'agirait de détecter systématiquement, tant pour un allocataire changeant de situation que pour un primo-demandeur, l'ensemble des droits et services auxquels il est éligible à partir, notamment, des données du DRM, en ne lui demandant de faire qu'une seule démarche.

Les rapporteurs sont particulièrement favorables au développement de cette offre de service, traduction concrète du principe « Dites-le nous une fois », que la Cnaf semble envisager avec intérêt.

Proposition n° 10 : Instaurer dans les Caf et les caisses de MSA la demande unique de prestations et de services.

b) Exploiter les potentialités du DRM en vue de lutter contre le non-recours et la fraude sociale
(1) Les actions de ciblage des non-recourants doivent viser le public le plus large possible

Dès 2023, le DRM devrait donc être utilisé pour assurer le ciblage des non-recourants à la prime d'activité, puis au RSA, d'abord parmi les allocataires des aides au logement, avant de s'étendre à l'ensemble des allocataires de la branche famille (voir supra). Cette dernière touchant près de la moitié de la population, et principalement les plus fragiles, la probabilité de viser ainsi la plupart des bénéficiaires potentiels des prestations de solidarité est grande.

Les rapporteurs jugent nécessaire de faire de ce type d'action l'une des priorités des Caf et des caisses de MSA au cours des mois et des années à venir et de maintenir l'objectif d'extension du ciblage aux non-recourants à d'autres prestations, en particulier aux aides au logement, et aux bénéficiaires potentiels des principales prestations de solidarité qui ne perçoivent aucune prestation.

Selon toute vraisemblance, ces démarches s'avèreront difficile. Dans le cas des aides au logement, par exemple, la seule connaissance des ressources du ménage n'est pas suffisante pour déterminer son éligibilité, celle de son statut d'occupation étant également essentielle. L'absence de données relatives aux revenus du patrimoine au sein du DRM ne contribue pas à simplifier la tâche qui incombera aux caisses.

Les rapporteurs appellent donc de leurs voeux de nouveaux développements des échanges de données entre les services de l'État et les organismes de sécurité sociale dans une optique de renforcement des moyens de la lutte contre le non-recours aux droits. Les données de la branche maladie, en particulier, pourraient être particulièrement utiles à cet effet, dans la mesure où la quasi-totalité des Français en sont bénéficiaires.

Proposition n° 11 : Utiliser les données issues du DRM pour détecter les potentiels non-recourants au RSA, à la prime d'activité et aux aides au logement parmi les ménages qui ne bénéficient d'aucune prestation.

(2) Le DRM doit constituer un instrument privilégié de lutte contre la fraude sociale

La Cour des comptes recommandait l'an dernier de recourir au DRM pour contrôler a posteriori la situation des allocataires, que leurs prestations aient été ou non liquidées avec le concours du DRM, en comparant les données déclarées par eux et celles du DRM96(*). Étaient notamment évoqués le cas des pensions de réversion, avec pour objectif de détecter les changements de situation justifiant une révision de leur montant, et celui des indemnités journalières, dans la perspective du recouvrement d'indus découverts grâce à la constatation du versement de salaires complets au titre de mois d'arrêt de travail indemnisés.

Il doit donc être prochainement permis à la Cnaf et à la CCMSA d'utiliser, jusqu'au 30 juin 2024, les données du DRM pour améliorer la méthode de profilage des allocataires visant à identifier les situations justifiant la mise en oeuvre prioritaire d'un contrôle97(*).

Un bilan de ces améliorations devra être réalisé par les caisses, en lien avec les services de l'État, au terme de cette période. D'après le projet de décret communiqué aux rapporteurs, l'usage du DRM à cet effet serait rigoureusement encadré :

· Les données utilisées dans le cadre de cette démarche devront se rapporter à une population d'allocataires, choisis aléatoirement, dont les données d'identification auront été pseudonymisées et dont le nombre ne pourra excéder 12 000 ;

· Seules pourront être destinataires de ces données les personnes affectées à un service maniant à titre habituel des outils statistiques et dûment habilitées par le responsable du traitement, ce service pouvant conserver ces données jusqu'au 30 juin 2024 ;

· Les personnes concernées par ce traitement devront être informées de son existence, de ses caractéristiques et des droits qu'elles pourront exercer en application des dispositions du RGPD, sans pour autant que le droit d'opposition ne s'applique.

Il est souhaitable que les caisses se saisissent pleinement de cette faculté et que ce type d'usage du DRM soit pérennisé au-delà de la période prévue à cet effet dans le cas où des résultats positifs seraient constatés.

Notons, en outre, que le seul pré-remplissage des déclarations de ressources des demandeurs permettra de limiter les cas d'omissions, tant volontaires qu'involontaires.

(3) D'autres usages pourront être envisagés dès lors que la fiabilité du DRM aura été constatée et son exhaustivité renforcée

Le recours au DRM est enfin appelé à se développer à de multiples autres fins. Au cours des mois à venir98(*), devraient ainsi être habilités à l'utiliser :

· les Caf et les caisses de MSA pour déterminer le maintien ou la clôture de la situation, pour un parent débiteur de pension alimentaire, d'être hors d'état de faire face à ses obligations d'entretien ou de versement d'une pension alimentaire mise à leur charge par décision de justice ou d'une contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant fixée par un acte ou un accord ;

· ces mêmes organismes pour déterminer les revenus d'un parent débiteur de pension alimentaire, en tant que leur niveau ou leur composition est susceptible d'avoir une incidence sur l'aide au recouvrement des créances dues au titre de l'entretien d'enfants99(*), le versement et la récupération de l'allocation de soutien familial100(*) et le calcul de la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant101(*) ;

· les organismes chargés de la gestion d'un régime de retraite pour déterminer les montants de prestations sociales et, le cas échéant, de salaires pour l'appréciation des conditions d'écrêtement du MiCo102(*) ;

· les agents chargés des statistiques, de la prospective et de la recherche à la Cnav pour améliorer, sur la base de la pseudonymisation des données du DRM, la qualité des prévisions, évaluations, simulations et projections dont la Cnav est responsable ;

· ces mêmes agents pour communiquer aux agents chargés du contrôle des prestations au sein des organismes chargés de la gestion d'un régime de retraite l'identité d'assurés ou d'allocataires présentant un haut profil de risque au regard de la probabilité de la survenance d'anomalies dans leur dossier.

Du reste, Stéphane Seiller a indiqué aux rapporteurs que l'utilisation des données du DRM était envisagée pour assurer le pré-remplissage des déclarations de ressources dans le cadre des demandes de pension d'invalidité et d'allocation supplémentaire d'invalidité (ASI) d'ici à la mi-2024, d'Aspa à compter de 2025 et même de logement social à terme : « Régulièrement, la mission [interministérielle « données sociales »] est sollicitée par des directions d'administration centrale ou des caisses de sécurité sociale pour utiliser le DRM pour des nouveaux projets ».

Pour les rapporteurs, ces perspectives, bien qu'intéressantes, ne doivent pas occulter la nécessité d'assurer la fiabilité des données du DRM et le renforcement de son exhaustivité avant de multiplier ses finalités.

2. Le développement des politiques d' « aller vers » doit être soutenu
a) Former les travailleurs sociaux aux démarches d'aller-vers

Si elle est prometteuse dans une perspective de détection des bénéficiaires potentiels de prestations, l'exploitation numérique des données sociales ne saurait enrayer les ressorts profonds du non-recours aux droits.

Le rapport du Secours catholique sur le phénomène du non-recours montre qu'il faut souvent un « déclic », qui peut passer par la rencontre avec un professionnel ou avec un « pair aidant », pour sortir du non-recours et formuler une demande d'aide103(*).

Les démarches d'« aller-vers » désignent le fait de sortir d'une logique de guichet pour aller au-devant des personnes. Cette notion renvoie à des modes d'intervention « hors les murs », amenant les travailleurs sociaux à sortir à la rencontre des populations dans leurs milieux de vie, que ce soit physiquement, au domicile, dans l'espace public ou dans les lieux tels que les squats ou les bidonvilles, ou de manière virtuelle, par téléphone ou via les réseaux sociaux en ligne.

Bien qu'elle ne soit pas nouvelle, cette approche du travail social trouve tout son sens avec la prise en compte actuelle de l'objectif de lutte contre le non-recours. Le renforcement des actions et démarches d'aller-vers en direction des publics les plus éloignés de leurs droits et l'intégration de l'aller-vers et du travail partenarial dans les pratiques des professionnels constituent ainsi des axes de l'expérimentation « Territoires zéro non-recours » (voir supra).

Cette approche ne va cependant pas de soi et nécessite souvent un changement de posture de la part des travailleurs sociaux, qui doivent eux-mêmes être accompagnés dans cette voie.

La stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté 2018-2022 comprenait un plan de « transformation de la formation » des travailleurs sociaux pour « favoriser les pratiques d'action collective, de médiation sociale, s'adapter aux besoins et intervenir au plus près des ruptures de vie qui conduisent à l'exclusion »104(*).

« Un travail social rénové sur tout le territoire : la formation
des travailleurs sociaux et le développement des référents de parcours »
(mesure 5.5 de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté

Cette mesure comprenait deux volets : la mise en oeuvre d'un plan de formation des travailleurs sociaux et le déploiement de « référents de parcours » afin de proposer un accompagnement renforcé aux personnes en grande difficulté sociale.

Afin de mettre en oeuvre le plan de formation des travailleurs sociaux, la déléguée interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté et les acteurs de la formation - le centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), l'opérateur de compétences (OPCO) Santé, l'Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier (ANFH) et l'OPCO Uniformation - ont signé, le 7 décembre 2020, un accord-cadre national.

Le plan de formation couvrait six thématiques, identifiées avec les acteurs et en lien avec le Haut Conseil du travail social :

- participation des personnes accompagnées ;

- développement social et travail social collectif ;

- travail social et numérique ;

- aller-vers ;

- travail social et territoires ;

- travail social et insertion socioprofessionnelle.

La mise en oeuvre de cette mesure n'a pas débuté avant 2021. Alors qu'un objectif de 700 000 professionnels formés - correspondant à la population totale des travailleurs sociaux - avait initialement été annoncé, la cible a été révisée à 50 000 personnes formées par an pour 2021 et 2022. Le budget alloué au plan de formation était de 30 millions d'euros sur trois ans, dont 80 % avaient vocation à être versés aux départements dans le cadre de la contractualisation avec l'État.

Comme le révèle le troisième rapport du comité d'évaluation de la stratégie pauvreté, les résultats ont été loin du niveau attendu. Au total, selon les retours des opérateurs, 2 773 personnes ont été formées en 2021 sur le volet national, soit 5,5 % de l'objectif révisé. Selon les départements, en octobre 2021, 13 600 formations supplémentaires auraient été effectuées ; le nombre de personnes formées correspondant n'est toutefois pas connu. Au total, seul 16,4 % de l'objectif révisé aura été atteint au maximum. 10 millions d'euros ont été dépensés en 2020 et 6,5 millions d'euros en 2021105(*).

Les rapporteurs considèrent que les travailleurs sociaux sont des acteurs essentiels de la lutte contre le non-recours et qu'il est indispensable de les former massivement aux démarches d'aller-vers. Le plan de formation esquissé lors du quinquennat précédent doit donc être reconduit dans le cadre du « Pacte des solidarités » et effectivement mis en oeuvre.

Proposition n° 12 : Mener à bien un large plan de formation des travailleurs sociaux.

b) Associer les personnes concernées

Sur le plan méthodologique, il importe d'associer les personnes concernées aux expérimentations et à l'évaluation de la réforme.

Dans le cadre de la mise en oeuvre de la solidarité à la source, le Secours catholique propose ainsi d'organiser une participation des personnes concernées ainsi que des associations dans la préparation de la réforme, car « les choix techniques sont aussi des choix politiques » et ont des conséquences importantes sur les personnes concernées.

Cette participation pourrait passer par la consultation du 5e collège du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE), composé de 32 « personnes concernées ». Une véritable concertation avec les associations au sein du comité de coordination pour l'accès aux droits (Cocoad) permettrait également de donner corps à ce principe de participation.

3. Une harmonisation souhaitable du paysage des prestations de solidarité
a) L'harmonisation des périodes de référence et des périodicités d'actualisation

Le constat selon lequel les règles actuelles sont inéquitables, illisibles et génératrices de non-recours est très largement partagé. Or, le déploiement du DRM n'épuise pas le sujet de la simplification de l'attribution des prestations.

(1) L'hétérogénéité des règles actuelles

La période de référence pour la prise en compte des ressources et la fréquence d'actualisation de la base ressources varient d'une prestation à l'autre. Parmi les prestations formant le coeur de la solidarité à la source, on distingue deux modèles de période de référence :

celui des aides au logement, qui, depuis la réforme de la contemporanéisation, sont calculées sur la base des revenus pris en compte sur douze mois glissants, des mois M-13 à M-2 ;

celui du RSA et de la prime d'activité, qui sont calculées sur la base des revenus du trimestre écoulé.

La fréquence de réexamen des ressources est trimestrielle pour ces trois prestations.

Plus généralement, il existe presque autant de modèles que de prestations.

Période de référence et fréquence d'actualisation des prestations

Prestations

Période de référence

Réexamen des ressources

AAH (sans activité ou activité en milieu protégé), bourses

Année N-2

Annuel

Aides au logement

Douze mois glissants
(M-13 à M-2)

Trimestriel

ASS

Douze derniers mois précédant la demande

Tous les six mois

ASPA, ASI

Trois derniers mois précédant la demande (douze derniers mois en cas de dépassement du plafond de ressources)

Six mois après le premier paiement, puis tous les trois ans (sauf ASI adossée à une pension d'invalidité : trimestriel)

Allocation veuvage

Trois derniers mois précédant le décès ou la demande

Tous les six mois

RSA, prime d'activité, AAH (milieu ordinaire)

Trois derniers mois précédant la demande

Trimestriel

Allocation CEJ106(*)

Mois précédant la demande

Mensuel

Source : F. Lenglart, Préfiguration du revenu universel d'activité - Annexe 5

Le RSA et la prime d'activité font l'objet d'un mécanisme d'« effet figé » qui garantit la stabilité du montant de la prestation servie pendant trois mois. Ce mécanisme consiste à reporter au trimestre suivant l'impact sur le montant du droit des changements de situation intervenus au cours du trimestre.

Concrètement, pour le RSA, un montant intermédiaire est calculé sur chaque mois du trimestre de référence en fonction de la situation au cours de ce mois. Le RSA dû est égal à la moyenne mensuelle de ces montants. En revanche, pour la prime d'activité, il n'est pas calculé de montant intermédiaire de la prestation : les revenus sont pris en compte sur la base de leur moyenne mensuelle sur l'ensemble du trimestre de référence.

Il existe toutefois des exceptions qui autorisent à tenir compte immédiatement d'un événement affectant négativement les ressources : une séparation, la perte d'un emploi ou une fin de droits à allocation chômage.

Pour le RSA, un mécanisme de neutralisation des revenus professionnels et de remplacement permet, pour les personnes qui cessent de les percevoir et ne peuvent prétendre à aucun revenu de substitution, d'avoir droit au RSA sans prise en compte des revenus perçus au cours du trimestre.

(2) Une proposition d'arbitrage entre réactivité et stabilité

Définir une période de référence et une fréquence de renouvellement de la prise en compte des ressources nécessite un arbitrage entre l'objectif de réactivité du calcul de la prestation face aux variations des revenus et l'objectif de stabilité des montants perçus.

La période de référence de douze mois des aides au logement, qui est relativement longue, présente l'avantage de « lisser » les variations de court terme que connaissent les ressources de l'allocataire, donc de lui offrir un soutien monétaire dont le montant est plus prévisible. En revanche, l'évolution de l'aide ne compense pas immédiatement la variation des ressources, si bien que le revenu global de l'allocataire peut connaître de grandes variations.

À l'inverse, la période de référence et la fréquence d'actualisation trimestrielles du RSA et de la prime d'activité permettent de coller au plus près de la réalité de situation de l'allocataire : le montant peut être ajusté plusieurs fois par an, à la hausse lorsque ses ressources diminuent et à la baisse lorsqu'elles augmentent. Ainsi, la prestation est mieux ajustée aux besoins de l'allocataire, donc plus équitable bien que moins stable et prévisible.

Afin d'amorcer une harmonisation entre les périodes de référence des principales prestations de solidarité et de garantir à la fois une prévisibilité suffisante du niveau des aides et un montant équitable au regard de la situation des allocataires, il paraît possible d'aligner le RSA, la prime d'activité et les aides au logement sur un modèle intermédiaire.

En effet, bien que les aides au logement soient liées à la situation de logement et au loyer acquitté par les allocataires, leur vocation redistributive implique de prendre en compte une base ressources reflétant leur niveau de vie actuel. Leur période de référence pourrait donc être plus courte, ce que l'utilisation du DRM rend possible.

En sens contraire, allonger la période de référence du RSA et de la prime d'activité permettrait d'atténuer les variations du montant des prestations, alors que les revenus de leurs bénéficiaires peuvent connaître une grande volatilité.

La période de référence pourrait donc être fixée à six mois glissants pour la prise en compte des revenus au titre des trois prestations, avec une actualisation tous les trois mois. Comme pour la prime d'activité, les revenus pourraient être pris en compte sur la base d'une moyenne mensuelle. Un mécanisme asymétrique pourrait être conservé en cas de baisse des ressources.

Compte tenu du « vieillissement » des périodes de référence du RSA et de la prime d'activité qui doit intervenir dans le cadre de la solidarité à la source, la période de référence s'étendrait ainsi du mois M-7 au mois M-2.

Les allocataires resteront sollicités tous les trois mois mais leurs démarches seront allégées par le pré-remplissage de leurs déclarations de revenus.

Proposition n° 13 : Aligner sur une durée de six mois les périodes de référence prises en compte pour le RSA, la prime d'activité et les aides au logement.

Cette harmonisation des périodes de référence pourrait progressivement être étendue à d'autres prestations, telles que l'ASS ou l'AAH.

b) Le rapprochement des bases ressources
(1) Des ajustements ponctuels sont d'ores et déjà possibles

À ce stade, le projet de solidarité à la source laisse de côté la problématique qui était au coeur du chantier du RUA : celle de l'harmonisation des bases ressources.

Dans une étude de juillet 2021, le Conseil d'État souligne pourtant l'intérêt d'une réforme des bases ressources en parallèle du déploiement du DRM107(*).

Une réforme d'ampleur des bases ressources nécessiterait toutefois des arbitrages complexes entre acceptabilité et soutenabilité budgétaire qui ont certainement contribué à l'abandon du RUA. En outre, les contraintes opérationnelles d'une telle réforme, et notamment son coût pour les organismes gestionnaires et la transformation des systèmes d'information qu'elle impliquerait, devraient également être prises en considération.

Plusieurs propositions du Conseil d'État pourraient cependant être mises en oeuvre à court terme. Ainsi, il paraît possible de simplifier la prise en compte des revenus du patrimoine en fixant notamment un seuil de prise en compte des revenus de l'épargne liquide de manière à exonérer la petite épargne. Un tel seuil existe actuellement pour la prise en compte des revenus des capitaux placés non imposables au titre des aides au logement.

La question du maintien de la prise en compte de ressources qui, par nature, ne peuvent pas être intégrées au DRM et dont l'importance n'est pas déterminante peut également se poser. Tel est le cas des dons et libéralités, qu'il est aujourd'hui obligatoire de déclarer afin de percevoir le RSA mais qu'il est techniquement difficile de contrôler. En tout état de cause, la suppression de leur prise en compte ou la fixation d'un seuil n'auraient pas un fort impact financier et apparaît souhaitable aux yeux de la plupart des personnes auditionnées par les rapporteurs.

Règles actuelles de prise en compte des dons manuels

 

Prime d'activité

RSA

Aides au logement

Prise en compte des dons manuels

Aucune

Montant perçu

Aucune

Source : Commission des affaires sociales du Sénat

(2) Une harmonisation plus ambitieuse est souhaitable

Un rapprochement plus ambitieux des bases ressources passerait par une harmonisation de la prise en compte des revenus professionnels, notamment pour les trois prestations formant le « coeur du réacteur » de la solidarité à la source : le RSA, la prime d'activité et les aides au logement.

Il est rappelé que le calcul du RSA et de la prime d'activité est assis sur le revenu net perçu, une notion retracée depuis le 1er juillet sur les bulletins de paie sous l'agrégat « montant net social ». D'ici 2025, ce dernier devrait également être utilisé pour l'attribution de la C2S.

Quant aux aides au logement, leur calcul se réfère au revenu net catégoriel, qui correspond au revenu net fiscal.

Rapprocher la base ressources des aides au logement de celle du RSA et de la prime d'activité aurait un impact considérable sur le montant des aides et supposerait donc d'en réviser profondément les barèmes.

Dans un objectif de lisibilité, le rapport Lenglart recommande de saisir cette occasion pour opérer une simplification de ces barèmes, en prenant ou non en compte le montant du loyer acquitté (voir l'encadré ci-dessous).

Les pistes de simplification du barème des aides au logement
dans le cadre de la préfiguration du RUA

Le barème actuel des aides au logement prend en compte le loyer payé par le ménage bénéficiaire (dans la limite d'un certain plafond), afin de permettre aux ménages modestes de se loger sur l'ensemble du territoire. Cependant, au-delà du loyer plafond qui est déterminé dans le cadre d'un zonage géographique, l'aide devient forfaitaire ; elle diminue même au-delà d'un deuxième plafond de loyer.

Le rapport Lenglart envisage deux scénarios de simplification du barème des aides au logement dans une perspective d'unification des bases ressources :

scénario n° 1 : un barème forfaitaire sans intégration de la variable loyer.

Le barème de l'aide au logement dépendrait des ressources du ménage, de la composition familiale, mais aussi de la zone géographique, le coût du logement variant fortement sur le territoire français. Il ne dépendrait plus du montant du loyer effectivement payé.

Ce schéma serait plus simple, atténuerait le caractère affecté de l'aide (voir supra) et limiterait les risques inflationnistes sur le marché du logement.

- scénario n° 2 : un barème conservant la prise en compte de la variable loyer.

Un contrôle « fin » du loyer versé serait maintenu, tenant compte des dépenses réelles de logement de l'allocataire. Il permettrait de calibrer l'aide au plus proche des charges de logement effectivement supportées par les ménages.

Les rapporteurs considèrent que seule une harmonisation des bases ressources permettra une meilleure articulation de leur barème de manière à rendre plus lisible et équitable notre système de solidarité et d'en permettre un meilleur pilotage.

Proposition n° 14 : Rapprocher les bases ressources des aides au logement, du RSA et de la prime d'activité.

c) Ne pas perdre de vue les objectifs initiaux et l'ambition du revenu universel d'activité

Les rapporteurs prennent acte de l'abandon de la réforme du RUA, qui se heurte à la pluralité des objectifs poursuivis par les prestations de solidarité. Les débats sur l'intégration de l'AAH ou des aides au logement lors de la concertation menée entre 2019 et 2020 ont montré la difficulté d'unifier les prestations sous un même libellé.

Il n'en reste pas moins que la coexistence de certaines prestations sociales est génératrice d'illisibilité et de situations d'iniquité.

Ainsi, l'allocation de solidarité spécifique (ASS), qui s'adresse à certains demandeurs d'emploi ayant épuisé leurs droits à l'assurance chômage, a été créée en 1984 alors que le revenu minimum d'insertion (RMI), créé en 1988, n'existait pas encore. Cette prestation, financée par l'État et versée par Pôle emploi, a été maintenue après la mise en place du RMI puis du RSA et conserve des spécificités. Ainsi, la base ressources prise en compte pour le calcul de l'ASS est moins large, donc plus avantageuse, que celle du RSA. En outre, à la différence du RSA, l'ASS permet d'acquérir des droits à la retraite au même titre que les allocations chômage.

Les travaux de préfiguration du RUA ont mis en évidence que le mécanisme d'intéressement de l'ASS, limité dans le temps et mal conçu, entraîne dans certaines configurations un taux marginal d'imposition apparent supérieur à 100 %, soit une perte de revenu en cas d'augmentation du revenu d'activité au-delà d'un certain seuil108(*).

Une harmonisation des deux prestations pourrait logiquement conduire à une absorption de l'ASS par le RSA, comme le préconisait le rapport de la mission d'information sénatoriale sur l'évolution et la lutte contre la précarisation et la paupérisation d'une partie des Français de septembre 2021109(*). Un arbitrage serait toutefois nécessaire sur la compensation de l'éventuelle perte qu'occasionnerait cette fusion pour les actuels bénéficiaires de l'ASS.

Plus généralement, les rapporteurs considèrent que les objectifs de solidarité, de lisibilité, d'équité et de gain au travail restent pertinents et doivent guider les réformes à venir du système de solidarité, de même que l'ambition d'en faire, à terme, un tout articulé et cohérent.


* 96 Cour des comptes, Rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, octobre 2022 (Chapitre IX : Les prestations sociales versées en fonction des ressources de leurs bénéficiaires : simplifier pour mieux gérer).

* 97 Le projet de décret, dont la publication était initialement prévue pour juin 2023, est en cours d'examen par la Cnil.

* 98 Le projet de décret, dont la publication était initialement prévue pour juin 2023, est en cours d'examen par la Cnil.

* 99 Articles L. 581-1 et L. 581-6 du code de la sécurité sociale.

* 100 Article L. 523-1 du code de la sécurité sociale.

* 101 Article L. 582-2 du code de la sécurité sociale.

* 102 Le MiCo est versé sous réserve que le montant mensuel total des pensions personnelles de retraite de l'assuré, portées le cas échéant au niveau du MiCo, n'excède pas un montant fixé à 1 309,75 euros par mois au 1er janvier 2023 (articles L. 173-2 et D. 173-21-4 du code de la sécurité sociale).

* 103 « Non-recours : une dette sociale qui nous oblige », Secours catholique / Odenore, avril 2021 (page 36).

* 104 Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, octobre 2018.

* 105 Évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté - Rapport 2022, « Les 35 mesures - Suivi et évaluation 2022 », comité d'évaluation de la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté 2018-2022, juillet 2022.

* 106 Le contrat d'engagement jeune a succédé, le 1er mars 2022, à la Garantie jeunes.

* 107 Conseil d'État, Les conditions de ressources dans les politiques sociales : plus de simplicité, plus de cohérence, étude réalisée à la demande du Premier ministre, juillet 2021.

* 108 C'est le cas, dans un couple de locataires composé d'une personne à l'ASS et d'un conjoint en activité, lorsque ce dernier voit son revenu dépasser 1,15 SMIC mensuel (source : rapport Lenglart).

* 109 « Confiance et proximité, agir contre les vulnérabilités des Français », rapport d'information n° 830 (2020-2021) de Mme Frédérique Puissat, déposé le 15 septembre 2021.

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