INTRODUCTION
Les transports du quotidien sont au coeur des préoccupations concrètes et immédiates de nos concitoyens, et notamment, en cette période de retour de l'inflation, en matière de pouvoir d'achat. Au-delà de cette dimension de proximité, dans la période de transition écologique actuelle, leur développement répond à des enjeux beaucoup plus larges et prospectifs de lutte contre les dérèglements climatiques et de respect des engagements de la France en la matière. Leur organisation suppose une approche transversale et doit être mise en cohérence avec d'autres politiques publiques, au premier rang desquelles les politiques d'urbanisme et du logement.
Les compétences et les missions exercées par les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) sont à la croisée de ces enjeux. Alors que leur premier rôle est d'offrir à nos concitoyens un service de qualité en matière de transport, c'est aussi à elles que revient la tâche exigeante de mener à bien la nécessaire transition écologique des mobilités quotidiennes, un élément absolument déterminant de la transition plus large des transports, principal secteur émetteur de gaz à effet de serre (GES) en France (30 % des émissions totales). Au-delà, les transports du quotidien doivent aussi se déployer dans une perspective d'équité territoriale et de justice sociale sans que des zones ou des individus soient laissés pour compte, comme c'est actuellement trop souvent le cas. Le nécessaire déploiement de solutions de mobilité collectives complémentaires pour accompagner la mise en oeuvre des zones à faibles émissions (ZFE) est un autre des nombreux éléments de contexte qui rendaient cette mission d'information indispensable16(*).
Mener à bien ces missions essentielles suppose d'importants moyens et ce, d'autant plus que, dans les années qui viennent, le respect des objectifs climatiques pour lesquels l'État a pris des engagements au niveau européen, implique de déployer un véritable choc d'offre des mobilités du quotidien. Ce choc d'offre, qui n'est plus une option, suppose, dans un premier temps, d'importantes dépenses d'investissements puis, dans un second temps, un accroissement conséquent des charges d'exploitation. Parce que les recettes tarifaires payées par les passagers ne couvrent en moyenne que moins de 20 % de ces dernières, de nouvelles solutions de financement structurelles devront nécessairement être dégagées.
Si tous les acteurs sont unanimes pour dresser ce constat et pour appeler à une refonte du modèle de financement des AOM, aucun à ce jour n'a encore été en mesure de proposer un nouveau système réellement opérationnel. Aussi, c'est avec une certaine humilité que les rapporteurs ont abordé leur mission.
En termes de constats, il est toutefois admis que pour que la France tienne ses engagements climatiques, l'offre de transports collectifs du quotidien devrait progresser d'au moins 20 à 25 % d'ici à 2030, entraînant pour les AOM un surcroît proportionnel de dépenses de fonctionnement. Cet indispensable investissement pourrait supposer un besoin de financement en fonctionnement cumulé total d'ici à 2030 de près de 30 milliards d'euros pour les AOM locales et régionales.
La situation d'Île-de-France Mobilités (IDFM) présente quant à elle certaines particularités et se caractérise par une impasse financière manifeste. L'État est tout sauf étranger à cette situation et il est absolument sidérant que l'on ait pu lancer un chantier à près de 40 milliards d'euros d'investissements tel que le Grand Paris Express (GPE) sans jamais déterminer le modèle de financement de son exploitation. Ce péché originel injustifiable explique en bonne partie pourquoi IDFM se retrouve aujourd'hui dos au mur. Le Gouvernement est d'autant plus responsable de cette situation que le Premier ministre lui-même, dans un courrier signé du 21 janvier 2020, avait reconnu que les dépenses d'exploitation générées par les nouvelles lignes « ne pouvaient pas être absorbées par le modèle de financement actuel d'IDFM » et que cela justifiait qu'au moins « une partie de ces coûts soit supportée par des financements supplémentaires ». Ce n'est pas la première fois que le Gouvernement est pris en flagrant délit de promesse non tenue dans le domaine du financement des transports. Cet engagement, pris il y a de cela plus de trois ans, ne s'est toujours pas matérialisé. Alors que de nouveaux investissements à hauteur de 20 milliards d'euros sont engagés pour déployer les projets de services express régionaux métropolitains (SERM), il convient de définir précisément et immédiatement les modalités de financement de l'exploitation de ces nouvelles offres afin de ne pas reproduire une telle erreur.
Outre le cas emblématique du GPE, concernant la mobilité du quotidien, les promesses non tenues du Gouvernement sont légions depuis quelques années. L'annonce faite dès 2017 d'ériger les transports du quotidien en priorité s'est largement dissipée, notamment lorsque de nouvelles lignes à grande vitesse (LGV) ont été lancées en 2021. Le désengagement de l'État est également patent s'agissant des investissements dans les lignes de desserte fine du territoire, faisant toujours plus peser le coût de leur régénération sur les régions. En matière de financement des mobilités, trop souvent le Gouvernement échoue à tenir ses promesses. La déception se révèle alors d'autant plus forte que, de façon récurrente, les prises de décisions sont maintes fois retardées, attisant ainsi les espoirs alors que, quasi systématiquement, « la montagne accouche d'une souris », le dernier exemple en date étant l'annonce de la participation financière de l'État aux volets transports des actuels contrats de plan État-Région (CPER) 2021-202717(*).
Sur le sujet des mobilités du quotidien, le Gouvernement a également failli à la promesse qu'il avait faite au moment de l'examen de la LOM et visant à permettre aux communautés de communes qui se saisiraient des compétences d'AOM de bénéficier de financements pour déployer des services de transports sur leurs territoires. Aujourd'hui, et malgré les votes en ce sens du Sénat, la réforme n'est toujours pas financée, la prise de compétences par les communautés de communes peine à se concrétiser dans les faits et les zones rurales restent désespérément en marge de la mobilité du quotidien.
Les annonces contradictoires et les positions incompréhensibles du Gouvernement au sujet des transports collectifs urbains (TCU) concernent aussi l'enjeu décisif du verdissement des flottes de bus. Alors que le Gouvernement défend au niveau européen une position contraire aux intérêts des AOM en promouvant une interdiction des bus thermiques dès 2030, il les laisse dans le même temps assumer seules le coût du renouvellement de leurs flottes.
Alors que la France pensait avoir trouvé « la martingale » avec la création du versement mobilité (VM) il apparaît évident aujourd'hui que le modèle de financement actuel des AOM locales comme d'IDFM ne permettra pas de répondre aux enjeux à venir de la mobilité du quotidien. La France se retrouve désormais à la croisée des chemins, le temps des effets d'annonce sans lendemain n'est plus de mise. Pour atteindre nos objectifs climatiques il est impératif d'ériger la mobilité du quotidien comme une véritable priorité nationale et de donner les moyens aux AOM de développer massivement leur offre. Faute de réforme de leur modèle de financement il est à craindre au contraire que le niveau d'offre devienne une variable d'ajustement et soit bridé au détriment de nos ambitions et de nos engagements environnementaux.
* 16 Sénateurs membres de la mission d'information : Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Daniel Breuiller, Isabelle Briquet, Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Emmanuel Capus, Rémi Féraud, Charles Guené, Jean-François Husson, Marc Laménie, Christine Lavarde, Dominique de Legge, Hervé Maurey (rapporteur) Thierry Meignen Didier Rambaud, Claude Raynal, Stéphane Sautarel (rapporteur), Pascal Savoldelli.
* 17 Qui doivent être intégrés par voie d'avenant pour la période 2023-2027.