N° 830
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2022-2023
Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 juillet 2023
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur les modes de financement des autorités organisatrices de la mobilité (AOM),
Par MM. Hervé MAUREY et Stéphane SAUTAREL,
Sénateurs
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel.
ESSENTIEL
Sous la présidence de M. Claude Raynal, la commission des finances a examiné, le mardi 4 juillet 2023, la communication de MM. Hervé Maurey et Stéphane Sautarel, rapporteurs de la mission d'information sur le financement des autorités organisatrices de la mobilité (AOM).
Au coeur des préoccupations de nos concitoyens, les mobilités du quotidien vont devoir faire face à des défis multiples qui induisent un développement massif de l'offre. Ce nécessaire choc pose la question du modèle de financement actuel.
I. UN MUR DE PLUS DE 100 MILLIARDS D'EUROS D'ICI 2030
A. LES DÉPENSES DES AOM VONT AUGMENTER MASSIVEMENT
Les dépenses de fonctionnement et d'investissement de l'ensemble du périmètre des AOM dépassent les 35 milliards d'euros par an. En raison des défis multiples auxquels vont être confrontées les AOM dans les prochaines années, ce montant sera amené à augmenter considérablement.
1. Les impératifs de la transition écologique
Les impératifs de la transition écologique supposent un véritable choc d'offre de transport public du quotidien qui doit se concentrer sur l'enjeu de la décennie en matière de report modal et de réduction des gaz à effet de serre (GES) : le raccordement des agglomérations à leurs espaces périurbains et périphériques.
Ce gisement de décarbonation est particulièrement puissant puisque les déplacements entre les métropoles et leurs périphéries représenteraient 7 % du total des émissions de CO2 en France. Pour relever ce défi, il faudra multiplier par 3 ou 4 l'offre de mobilité collective dans ces territoires afin de réduire de 30 % les flux automobiles entrant dans les métropoles.
L'atteinte de nos engagements climatiques passe également par le verdissement des flottes de bus et de cars. Alors que le coût d'acquisition de bus électrique ou à hydrogène est respectivement deux fois et trois fois plus élevé que celui de leurs homologues diesel, cela suppose des efforts d'investissements considérables des AOM. Par ailleurs, des négociations européennes, dans le cadre desquelles, de façon incompréhensible, la position du Gouvernement français tend à sacrifier les AOM, pourraient aboutir à une interdiction des achats de bus urbains à motorisation thermique, y compris au GNV1(*), dès 2030. Une telle perspective aurait des conséquences très lourdes sur les dépenses d'investissement des AOM dans les années à venir.
2. L'enjeu d'équité territoriale
Si les impératifs environnementaux seront au coeur du choc d'offre de mobilité qui se dessine, l'équité territoriale doit demeurer une priorité des pouvoirs publics. Or, force est de constater qu'aujourd'hui, les zones peu denses constituent le véritable point faible des transports du quotidien. Alors que les habitants de ces zones se trouvent contraints d'utiliser leur voiture individuelle, et sont très dépendants des prix des carburants, le développement de l'offre de transport ne peut laisser les zones rurales sur le « bas-côté ».
3. La rénovation des réseaux existants
Dans les années à venir, la rénovation de réseaux de transports collectifs en site propre (TCSP) existants, notamment les réseaux de tramways inaugurés avant les années 2000, occasionnera aussi d'importantes dépenses d'investissements pour les AOM.
4. Le développement des services express régionaux métropolitains (SERM)
Les projets de SERM annoncés par le Président de la République, dont les coûts d'investissements devraient s'établir entre 15 et 20 milliards d'euros, se traduiront également par de nouvelles dépenses d'exploitation non évaluées à ce jour.
5. Le retour de l'inflation
Enfin, la crise inflationniste, notamment dans ses dimensions énergétique et salariale, continuera à se traduire par des charges nouvelles pour les AOM.
B. AOM LOCALES ET RÉGIONALES : UN CHOC D'OFFRE À 60 MILLIARDS D'EUROS
1. 25 à 28 milliards d'euros d'augmentation des dépenses de fonctionnement jusqu'en 2030
a) AOM locales : entre 15 et 18 milliards d'euros
Pour que la France atteigne ses engagements en matière climatique, l'offre de transports en commun du quotidien doit progresser de 20 à 25 % d'ici 2030. En raison notamment de l'ampleur des charges de personnel et des dépenses d'énergie dans la composition des coûts des transports collectifs2(*), l'accroissement de l'offre se traduit par une augmentation quasi proportionnelle des coûts de production. Aussi, un développement de l'offre de transport de 20 à 25 % d'ici 2030 entraînerait vraisemblablement une augmentation en volume des dépenses de fonctionnement des AOM locales dans une proportion équivalente à l'horizon de la fin de la décennie. À cette augmentation des dépenses de fonctionnement en volume, il convient, pour obtenir leur évolution en valeur, d'ajouter l'effet de l'inflation prévisionnelle3(*).
Selon ces hypothèses, l'augmentation des dépenses de fonctionnement prévisionnelles des AOM locales cumulée jusqu'en 2030 pourrait se situer entre 15,6 et 18,1 milliards d'euros.
Augmentation prévisionnelle des dépenses de fonctionnement des AOM locales (2023-2030)
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat
b) AOM régionales : plus de 10 milliards d'euros
Les services TER occupent une place essentielle dans le choc d'offre attendu dans les prochaines années. Cependant, l'ouverture à la concurrence qui commence à se déployer en France permet d'envisager des gains de performance de 20 à 30 %. Aussi, le nécessaire développement de l'offre de 20 à 25 % pourrait s'opérer à coût constant. Cependant, la prise en compte des prévisions d'inflation et les augmentations de péages ferroviaires pourraient conduire à une augmentation cumulée des dépenses de fonctionnement de l'activité TER de 6 milliards d'euros jusqu'en 2030.
Dans le même temps, et sur la même période, la hausse des dépenses prévisionnelles de fonctionnement relatives aux transports interurbains et au transport scolaire pourrait se traduire par une augmentation de 5 milliards d'euros, soit un total de 11 milliards d'euros.
Augmentation prévisionnelle des
dépenses de fonctionnement
des AOM régionales
(2023-2030)
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat
2. Au moins 30 milliards d'euros d'investissements d'ici 2030
En additionnant le développement de nouveaux TCSP et la rénovation des réseaux anciens, les investissements dans les projets de RER métropolitains ou le renouvellement du matériel roulant, en particulier pour verdir les flottes de bus, le total des dépenses d'investissements en matière de transports collectifs urbains (TCU)4(*) pourrait, d'après les estimations du GART, atteindre 30 milliards d'euros jusqu'en 20305(*).
C. IDFM : 50 MILLIARDS D'EUROS DE NOUVELLES DÉPENSES JUSQU'EN 2030
Les investissements prévisionnels d'Ile-de-France Mobilités (IDFM) se chiffrent à près de 30 milliards d'euros6(*) d'ici 2030 tandis que ses dépenses de fonctionnement devraient augmenter, en cumul, de presque 20 milliards d'euros jusqu'en 2030. À terme, les dépenses d'exploitation des nouvelles lignes du Grand Paris express devraient s'élever à environ 1 milliard d'euros par an.
II. UN MODÈLE DE FINANCEMENT INADAPTÉ
A. LE FINANCEMENT DES AOM LOCALES N'EST PLUS ASSURÉ
1. Un triptyque de financement sous tension
Couverture des dépenses7(*) des AOM locales en 2019
(en millions d'euros)
Source : commission des finances, d'après les réponses du GART au questionnaire des rapporteurs
Aujourd'hui, le financement des AOM locales repose sur un triptyque de sources de financement. Spécificité française, le versement mobilité (VM) acquitté par les entreprises représente à lui seul près de la moitié des ressources des AOM locales.
Les contributions des collectivités, principalement versées sous forme de subventions d'équilibre, représentent aujourd'hui plus du tiers des ressources totales des AOM et elles pèsent fortement sur les budgets locaux.
En France, la part des recettes commerciales dans le financement des transports collectifs urbains (TCU) est plus basse que chez la plupart de nos voisins européens. Au cours des dernières décennies, cette part a fortement diminué, passant d'environ 70 % en 1975 à 50 % en 1995 pour se situer aujourd'hui sous les 20 %. Cependant, pour stimuler le report modal et progresser sur la voie de la transition écologique des transports, le nécessaire choc d'offre doit se combiner avec un choc tarifaire et, durant cette phase décisive, les tarifs modérés pratiqués en France sont un atout à ne pas remettre en question.
Répartition des ressources des AOM locales8(*) (2000-2020)
Source : commission des finances, d'après les réponses du GART au questionnaire des rapporteurs
Alors qu'à la différence de nombre de nos partenaires européens l'État s'est très largement désengagé du financement des transports collectifs urbains (TCU), les crises récentes l'ont contraint à venir en aide aux AOM, essentiellement sous la forme d'avances remboursables (650 millions d'euros pour les AOM locales et 2 milliards d'euros pour IDFM) et, plus marginalement par des subventions en réponse d'une part à la crise sanitaire (80 millions d'euros pour les AOM locales et 425 millions d'euros pour IDFM) et d'autre part à la crise inflationniste (100 millions d'euros pour les AOM locales et les AOM régionales et 200 millions d'euros pour IDFM). Le choix de recourir à des avances a conduit à alourdir l'endettement des AOM et leur remboursement contraint fortement leurs capacités d'investissements à un moment où elles ont pour mission de développer massivement leur offre.
2. Un besoin de financement de 8,5 à 11 milliards d'euros en fonctionnement des AOM locales d'ici 2030
Au regard de l'augmentation prévisionnelle des dépenses de fonctionnement des AOM locales, en tenant compte de la dynamique naturelle du versement mobilité (VM), et en prenant l'hypothèse d'une stagnation à leur niveau actuel des recettes commerciales et des contributions versées par les collectivités, le besoin de financement généré par la dynamique des dépenses de fonctionnement des AOM locales et cumulé jusqu'en 2030 pourrait se situer 8,59(*) et 11 milliards d'euros10(*).
Besoin de financement prévisionnel annuel des AOM locales en fonctionnement11(*) (2023-2030)
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat
B. DES OUBLIÉS DU MODÈLE DE FINANCEMENT DES AOM
1. L'hypothèse d'une interdiction des bus à motorisation thermique dès 2030 viendrait compliquer encore davantage le financement des investissements
Aujourd'hui, les AOM financent principalement leurs dépenses d'investissements par l'emprunt mais également au moyen de subventions des collectivités et d'une part de versement mobilité. L'État contribue également au financement des infrastructures des AOM, principalement via les appels à projet TCSP de l'agence de financement des infrastructures de transport de France (AFIT-France).
Alors que les négociations européennes actuelles sur le verdissement des flottes de bus urbains font peser une véritable épée de Damoclès sur les perspectives financières des AOM, le Gouvernement ne leur apporte aucun soutien. Au contraire, ce dernier défend la proposition de la Commission européenne visant à interdire dès 2030 l'achat de bus à motorisation thermique, y compris les véhicules fonctionnant au gaz naturel véhicule (GNV). Sur ce sujet, contrairement à son homologue allemand, le Gouvernement français abandonne les AOM à leur sort sur le plan financier puisqu'aucune aide sérieuse n'est envisagée.
2. Les zones peu denses assignées à résidence
En 2019, lorsque la loi d'orientation des mobilités (LOM) a réorganisé la gouvernance de la mobilité du quotidien, en particulier en donnant la possibilité aux communautés de communes de se saisir des compétences d'AOM, le Sénat avait regretté l'absence de financement de cette réforme. Il avait alors voté l'affectation de ressources destinées à ces nouvelles AOM pour leur donner les moyens de développer et de faire fonctionner de véritables services de mobilité de proximité adaptés aux zones rurales. Ce dispositif n'avait pas été retenu par l'Assemblée Nationale. Les craintes exprimées par le Sénat se sont malheureusement vérifiées en pratique et, faute de financements, les zones rurales restent les grandes oubliées du développement des transports du quotidien.
3. Les régions ne disposent d'aucune ressource spécifique pour combler un besoin de financement de 11 milliards d'euros
Contrairement aux intercommunalités, les régions ne disposent d'aucune ressource spécifique pour l'exercice de leur compétence d'AOM régionale ou d'AOM locale, alors même que celles-ci pourraient faire face à des besoins de financement en fonctionnement d'environ 11 milliards d'euros d'ici 2030. Si leurs recettes de fonctionnement devraient connaître une certaine progression du fait de la dynamique de la TVA, leur panier de ressources, reposant notamment sur une fiscalité de la route appelée à diminuer, manque de cohérence avec leurs compétences en matière de transports collectifs
4. Le financement des RER métropolitains : éviter l'erreur du Grand Paris Express
Alors que les premiers tours de tables s'organisent pour déterminer les financements nécessaires aux services express régionaux métropolitains (SERM), déjà de premières inquiétudes émergent, notamment quant à la participation de l'État à des projets qui ont pourtant été affichés comme une priorité par le Président de la République. Les rapporteurs craignent que ces SERM se transforment en un nouvel effet d'annonce du Gouvernement dont le financement sera assumé par les collectivités.
C. IDFM : UNE IMPASSE FINANCIÈRE DE PRÈS DE 10 MILLIARDS D'EUROS D'ICI 2030
Plusieurs rapports récents ainsi que les débats qui ont eu lieu lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2023 ont objectivé l'impasse financière dans laquelle se trouve IDFM. Cette impasse, qui a une nouvelle fois été confirmée par un rapport d'inspection du mois de mai 202312(*), provient notamment du fait que, de façon incompréhensible, et malgré l'engagement écrit du Premier ministre en 2020, les modalités du financement des dépenses d'exploitation des nouvelles lignes du Grand Paris Express n'ont toujours pas été décidées.
En tenant compte de la dynamique prévisionnelle du versement mobilité et des hypothèses de trafic les plus actualisées, le besoin de financement de l'AOM francilienne pourrait s'établir à environ 10 milliards d'euros cumulés d'ici 2030.
Besoin de financement prévisionnel d'IDFM (2024-2030)
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses d'IDFM au questionnaire des rapporteurs et le rapport sur les perspectives d'IDFM de mai 2023
III. LA NÉCESSAIRE RÉFORME DU FINANCEMENT DES AOM
A. AMÉLIORER LA PERFORMANCE DES TRANSPORTS ET MOBILISER DES RESSOURCES EXISTANTES
1. Optimiser les coûts de production des transports du quotidien
Le choc d'offre que les AOM doivent déployer dans les années qui viennent aura un coût significatif qu'il convient de financer. Néanmoins, avant de réfléchir à réformer le modèle de financement actuel ou à affecter aux AOM de nouvelles ressources, il convient d'actionner tous les leviers susceptibles d'optimiser leurs dépenses.
Comme l'ont documenté les rapporteurs dans leur rapport de mars 2022 sur les perspectives financières de la SNCF, des leviers de performance doivent ainsi être mobilisés par les opérateurs de transport mais aussi par les gestionnaires d'infrastructures, au premier rang desquels SNCF Réseau. L'ouverture à la concurrence des transports ferroviaires conventionnés de voyageurs offre des perspectives supplémentaires d'économies significatives qui pourraient dépasser les 30 % d'après l'Autorité de régulation des transports (ART).
Il existe également des marges d'optimisation des réseaux de transport actuels. La clé de leur efficience réside dans la vitesse de circulation qui est notamment susceptible d'être augmentée par des opérations de partage de voirie. Il est également essentiel de se saisir de toutes les opportunités de la révolution numérique des transports notamment dans une logique de « Mass13(*) ».
Il convient d'optimiser le choc d'offre de la mobilité du quotidien, d'une part en le ciblant vers les principaux gisements de report modal, tout particulièrement le raccordement des agglomérations à leurs périphéries, et, d'autre part, en optant pour les solutions économiquement les plus efficientes, notamment les cars express, particulièrement intéressants si l'on raisonne en termes de coût de la tonne de CO2 évitée.
Enfin, il est essentiel que le Gouvernement applique pleinement et immédiatement les dispositions prévues à l'article L. 2241-2-1 du code des transports, introduites par la loi du 22 mars 2016 dite loi Savary14(*), pour permettre un saut qualitatif décisif dans la lutte contre la fraude avec un objectif, d'après l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP), de recouvrer jusqu'à 300 millions d'euros par an. Les rapporteurs s'étonnent qu'après plus de sept ans, le décret d'application nécessaire à la concrétisation de ces dispositions n'ait toujours pas été publié.
2. Flécher des ressources existantes vers les AOM
Aujourd'hui, le fonds vert ou les dispositifs de certificats d'économies d'énergie (CEE) sont très peu orientés vers le secteur des transports et ne bénéficient pas aux AOM. Des fonds issus de ces deux sources de financement, à hauteur de plusieurs milliards d'euros d'ici 2030 pourraient être affectés aux dépenses d'investissement de ces dernières.
B. L'ÉTAT DOIT RÉELLEMENT ÉRIGER LES MOBILITÉS DU QUOTIDIEN EN PRIORITÉ
Alors que contrairement à la situation qui prévaut ailleurs en Europe, et notamment du fait de l'existence du versement mobilité, l'État s'est largement désengagé du financement des transports du quotidien, il apparaît aujourd'hui incontournable, compte tenu des enjeux de transition écologique et des engagements pris par la France au niveau européen que la mobilité du quotidien soit vraiment érigée en priorité nationale. Cette priorisation doit être démontrée par l'affectation de dispositifs budgétaires à la hauteur des enjeux :
- un allègement d'au moins 50 % du remboursement des avances accordées aux AOM dans le cadre de la crise sanitaire ;
- des dotations budgétaires de 700 millions d'euros jusqu'en 2030 en faveur des services de mobilité en zones peu denses ;
- une prise en charge du financement des opérations de régénération et de modernisation du réseau ferroviaire pour diminuer la charge des péages financés par les régions ;
- la création d'un fonds pour la transition écologique des transports du quotidien abondé par le produit de la mise aux enchères des quotas carbone revenant à l'État, en fléchant au moins 1 milliard d'euros au financement du verdissement des flottes de bus des AOM.
C. CONSOLIDER ET COMPLÉTER LE MODÈLE DE FINANCEMENT DES AOM
1. Le modèle de financement actuel des AOM doit être ajusté
Pour accompagner le financement du développement d'offres de mobilités nouvelles, et uniquement à cette stricte condition, les taux de versement mobilité devraient pouvoir être déplafonnés et zonés sur décision des acteurs locaux.
Pour apporter de nouveaux financements à la mobilité en zones rurales, il est également nécessaire d'ouvrir la possibilité aux AOM locales de lever du versement mobilité, y compris lorsqu'elles n'organisent pas de services réguliers de transport public.
Si les systèmes de tarification solidaire doivent être encouragés dans une logique d'équilibre entre le financement des AOM et la nécessité d'éviter les effets d'éviction par les prix pour les publics fragiles, leur financement doit être directement couvert par les collectivités au titre de leur politique sociale.
Pour contribuer à financer une part des nouveaux investissements d'infrastructures des AOM, le recours à des sociétés de projets alimentés par de la fiscalité locale, sur le modèle de la Société du Grand Paris (SGP) et conformément aux dispositions de l'article 4 de la LOM, doit être encouragé. Cette solution semble notamment adaptée au financement des SERM.
2. Dans un contexte de choc d'offre, de nouvelles ressources devront être mobilisées pour couvrir les besoins de financement
Parce que le modèle actuel ne permettra pas de répondre aux enjeux du choc d'offre en cours, il doit être complété par de nouveaux leviers de financements. Devraient ainsi être affectés au financement des besoins structurels de fonctionnement des collectivités :
- une part d'accise sur les énergies (ancienne TICPE) répartie dans une logique de péréquation qui aura vocation à diminuer dans le temps au profit de la montée en puissance progressive d'une nouvelle contribution prélevée sur les sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA) ;
- une taxe sur les plus-values immobilières générées par les nouvelles offres de transports ;
- une taxe sur les livraisons liées au commerce en ligne ;
- une majoration de la taxe de séjour sur les hébergements « haut de gamme » ;
- enfin, pour financer une part des dépenses d'investissements engagées par les AOM en raison des impératifs climatiques, les rapporteurs proposent la création d'un grand emprunt destiné à financer la transition écologique des mobilités du quotidien.
Couverture des besoins de fonctionnement
prévisionnels
des AOM locales
Besoin de financement prévisionnel en fonctionnement jusqu'en 2030 |
Solutions de financement à mobiliser |
Montants cumulés prévisionnels de financement à prévoir jusqu'en 2030 |
Besoin de financement : 8,5 à 11 milliards d'euros Hypothèses retenues : - Augmentation des dépenses de fonctionnement en volume de 20 à 25 % ; - Taux d'inflation prévus par le programme de stabilité 2023-2027 ; - Dynamique prévisionnelle du VM à norme constante ; - Maintien au niveau actuel des recettes commerciales et des contributions des collectivités territoriales. |
Contribution sur les SCA |
2 milliards d`euros |
Nouvelles taxes et déplafonnement territorialisé des taux de VM |
1,5 milliard d'euros |
|
Affectation d'une part du produit des enchères de quotas carbone |
1,3 milliard d'euros |
|
Taxe de séjour hébergements « haut de gamme » |
1,2 milliard d'euros |
|
Allègement de 50 % du remboursement des avances « covid » |
0,3 milliard d'euros |
|
Recettes commerciales La part des recettes commerciales dans le total des ressources devrait se maintenir grâce à la hausse de la fréquentation et au financement de la tarification solidaire par la politique sociale des collectivités |
2,5 milliards d'euros |
|
Gains de performance et optimisation de la lutte contre la fraude |
Un potentiel de plusieurs centaines de millions d'euros sur la période |
|
Accise sur les énergies (ex-TICPE) employée comme variable d'ajustement |
Jusqu'à 2,2 milliards d'euros |
Pour financer leurs dépenses d'investissement de 30 milliards d'euros d'ici 2030, les AOM pourront recourir à divers sources de financement : l'autofinancement, de nouveaux emprunts, de nouvelles dotations de l'État, notamment en faveur des zones rurales et du verdissement des flottes de bus, des appels à projet TCSP qui devront être prolongés et déployés plus régulièrement, des sociétés de projets prévues par l'article 4 de la LOM, le fonds vert (300 millions d'euros), les dispositifs CEE (jusqu'à 750 millions d'euros par an) ou encore le grand emprunt. Pour contribuer aux investissements nécessaires au choc d'offre des mobilités du quotidien, il conviendra également de saisir toutes les opportunités offertes par les financements européens.
Couverture des besoins de fonctionnement
prévisionnels
des AOM régionales
Besoin de financement prévisionnel en fonctionnement jusqu'en 2030 |
Solutions de financement à mobiliser |
Montants cumulés prévisionnels de financement à prévoir jusqu'en 2030 |
Besoin de financement : 11 milliards d'euros Hypothèses retenues : - Augmentation des dépenses de fonctionnement de transports collectifs interurbains et scolaires de 20 % ; - Augmentation en volume de 20 % de l'offre TER à coût constant en raison des gains de performance liés à l'ouverture à la concurrence ; - Augmentation des péages ferroviaires tels qu'ils ont été validé par l'Autorité de régulation des transports (ART) pour 2023-2026 puis selon la trajectoire prévue au contrat de performance de SNCF Réseau ; - Taux d'inflation prévus par le programme de stabilité 2023-2027. |
Diminution des péages ferroviaires |
7,6 milliards d'euros |
Dynamique des recettes de fonctionnement des régions15(*) |
3,4 milliards d'euros |
D. LA SITUATION D'IDFM EXIGE DES MESURES COMPLÉMENTAIRES
Si IDFM bénéficiera également de la réforme plus globale du mode de financement des AOM (affectation d'une part du rendement des enchères de quotas carbone, majoration de la taxe de séjour, allègement du remboursement des avances « covid » et création des nouvelles taxes), sa situation exige des réponses complémentaires particulières qui devraient prendre la forme :
- d'une hausse territorialisée des taux plafonds du versement mobilité strictement conditionnée à la mise en oeuvre d'une nouvelle offre de transports dont pourront bénéficier les employés des entreprises concernées ;
- d'une diminution de 140 millions d'euros de la redevance d'exploitation due à la SGP et du transfert des coûts de pré-exploitation du Grand Paris Express (GPE) à cette dernière.
Couverture des besoins de financement prévisionnels d'IDFM
Besoin de financement prévisionnel en fonctionnement jusqu'en 2030 |
Solutions de financement à mobiliser |
Montants cumulés prévisionnels de financement à prévoir jusqu'en 2030 |
Besoin de financement : près de 10 milliards d'euros Dynamique des recettes et dépenses à norme constante. |
Diminution des péages ferroviaires |
3,6 milliards d'euros |
Nouvelles taxes et déplafonnement territorialisé des taux de VM |
1,5 milliard d'euros |
|
Affectation d'une part du produit des enchères de quotas carbone |
1,3 milliard d'euros |
|
Taxe de séjour hébergements « haut de gamme » |
1,2 milliard d'euros |
|
Allègement de 50 % du remboursement des avances « covid » |
1 milliard d'euros |
|
Mobilisation de la SGP |
1 milliard d'euros |
* 1 Gaz naturel pour véhicules.
* 2 Environ 70%.
* 3 Le programme de stabilité 2023-2027 d'avril 2023 prévoit une inflation de 4,9 % en 2023, 2,6 % en 2024, 2 % en 2025 puis 1,75 % jusqu'à la fin de la décennie.
* 4 Soit le périmètre des AOM de province hors AOM régionales.
* 5 Entre 2008 et 2022, les AOM locales avaient investi 25 milliards d'euros dans les mobilités du quotidien.
* 6 Dont 20 milliards d'euros au titre du seul matériel roulant.
* 7 Fonctionnement et investissement.
* 8 Hors emprunt.
* 9 Hypothèse d'une augmentation des dépenses de fonctionnement en volume de 20 %.
* 10 Hypothèse d'une augmentation des dépenses de fonctionnement en volume de 25 %.
* 11 Dans une hypothèse d'augmentation en volume des dépenses de fonctionnement de 25 % et d'une stagnation des recettes commerciales et des contributions versées par les collectivités.
* 12 Rapport sur les perspectives financières d'IDFM, IGF et IGEDD, mai 2023.
* 13 Mobility as a service.
* 14 La loi n° 2016-339 du 22 mars 2016 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs.
* 15 Qui pourrait générer jusqu'à 30 milliards d'euros de recettes additionnelles cumulées jusqu'en 2030.