B. UN FONDS CONÇU COMME UNE OPÉRATION DE COMMUNICATION
1. Un label de communication sans engagement sur la durée
a) Une opération de communication qui vient à l'appui d'une stratégie offensive du Gouvernement sur les questions de laïcité
La création du fonds Marianne peut être envisagée, selon les mots même du préfet Christian Gravel, comme un « label de communication ». En effet, la ministre déléguée à la citoyenneté annonce la création de ce fonds, ayant vocation à financer des projets associatifs de contre-discours républicain en ligne, le 20 avril 2021 un peu avant 9 heures, en direct sur la chaîne de télévision BFM TV, dans l'émission de Jean-Jacques Bourdin.
Alors que le courrier envoyé plus tard aux lauréats de l'appel à projet évoquera un « fonds Marianne, que j'ai lancé le 20 avril dernier à l'hôtel Beauvau », il n'existe aucune trace d'un tel lancement officiel dans l'enceinte du ministère de l'intérieur. C'est donc bien sur un plateau de télévision qu'a vu le jour de manière publique le fonds Marianne.
Marlène Schiappa, invitée de Jean-Jacques Bourdin le 20 avril 2021
« Oui, je lance un fonds qui s'appellera le fonds Marianne, pour la République, et qui est un fonds qui vise à financer des personnes et des associations qui vont porter des discours pour promouvoir les valeurs de la République, et pour lutter contre les discours séparatistes, notamment sur les réseaux sociaux et sur les plateformes en ligne.
« J'étais hier avec Cédric O, mon collègue chargé du Numérique, nous avons réuni les représentants de Twitter, Facebook, Google, Qwant, [TikTok], les grandes plateformes et les grands réseaux sociaux, et les directions du ministère de l'intérieur pour mieux lutter contre ces contenus terroristes, et qui font l'apologie du terrorisme, mais ça n'est pas suffisant de les supprimer, il faut aussi leur apporter la contradiction, démentir les fausses nouvelles, les fake news, comme on dit, qui circulent trop souvent sur les réseaux sociaux, et qui font le lit de l'islamisme radical. Donc ce fonds, il sera doté de 2,5 millions d'euros, je veux dire qu'avec 2,5 millions d'euros, on peut faire beaucoup de choses pour défendre les valeurs de la République. »
Source : Interview de Marlène Schiappa, ministre de la citoyenneté, à BFM TV le 20 avril 2021, sur l'épidémie de Covid-19, la police, la mixité sociale, la lutte contre la drogue et la laïcité, cité par le site vie-publique.fr
L'annonce de la ministre déléguée précède de quelques instants le lancement des États généraux de la laïcité au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), à Paris, en présence d'essayistes, d'universitaires et de philosophes. Concrètement, cette consultation ouverte le mardi 20 avril 2021 pour une durée de trois mois devait constituer l'occasion d'échanges sur la liberté d'expression, la recherche, la jeunesse, l'intégration citoyenne et les droits des femmes.
Les États généraux de la laïcité ont lieu dans un contexte politique de tensions sur ce thème, alors qu'est examiné par le Parlement le projet de loi confortant le respect des principes de la République et que l'avenir de l'Observatoire de la Laïcité est plus qu'incertain. Quelques jours avant l'annonce de la création du fonds Marianne, Marlène Schiappa a par ailleurs annoncé « [vouloir] justement sortir de la tenaille entre d'un côté les identitaires d'extrême droite et de l'autre les indigénistes et Europe Écologie-Les Verts. »8(*)
Les annonces de Marlène Schiappa relatives
à l'Observatoire de la laïcité,
en séance au
Sénat
Sur l'Observatoire de la laïcité, les interventions de Marlène Schiappa en séance sur le projet de loi Respect des principes de la République, le 31 mars 2021, laissent peu de doutes sur l'avenir de cette structure9(*). Dès le lendemain, La Croix publie un article, intitulé « Marlène Schiappa sonne la fin de l'Observatoire de la laïcité. »
Le « coup politique » de l'annonce du fonds Marianne intervient donc alors que le Gouvernement est à l'offensive sur le front de la défense de la laïcité. En annonçant le financement d'associations à hauteur de 2,5 millions d'euros, si la ligne n'est pas explicite, elle n'en est pas moins claire, ces crédits ne visent pas les associations qui pourront être qualifiées de « gentillettes », ou qui sont en désaccord avec la ligne gouvernementale sur ces questions.
Le cahier des charges est quant à lui explicite : la terminologie employée est celle d'une laïcité de combat. Il ne s'agit pas tant de former à l'esprit critique ni de construire un discours, que de « riposter à la propagande séparatiste », et de « défendre les valeurs républicaines », face « aux idéologies séparatistes ».
Le choix de la terminologie est d'autant plus frappant que, le cabinet de Marlène Schiappa a procédé à une réécriture du projet initial de l'appel à projets proposé par le SG-CIPDR. Entre ces deux rédactions, deux visions de la laïcité se confrontent.
Les objectifs qui doivent être poursuivis
par les porteurs de projets
candidats au fonds Marianne
dans la rédaction proposée par le SG-CIPDR |
dans la rédaction finale, modifiée par le cabinet de la ministre |
- Lutter contre les contenus haineux à caractère antisémite ou relevant du racisme anti-musulman et des discours séparatistes, les théories complotistes diffusées massivement en ligne notamment sur les réseaux sociaux et plus largement tout discours haineux et stigmatisant qui vise à fracturer et à diviser la société française ; - Promouvoir la connaissance de l'autre, l'engagement citoyen, la lutte contre les préjugés et les stéréotypes, le dialogue interreligieux, le respect de la liberté de conscience et de la liberté d'expression, valeurs essentielles, parmi d'autres, de notre société ; - Célébrer la place de chacun, au-delà des particularismes, au sein d'une même communauté nationale qui transcende les appartenances à telle ou telle communauté particulière et rejeter tout type de racisme et de haine (haine anti-LGBTQ...). |
- Riposter à la propagande séparatiste ainsi qu'aux discours complotistes en ligne, en particulier sur les réseaux sociaux ; - Défendre les valeurs républicaines de liberté, de conscience et d'expression, d'égalité, entre tous les hommes et entre toutes les femmes, de fraternité et de laïcité qui sont le ciment de la concorde et de la cohésion nationales. |
Sources : appel à projets Fonds Marianne et échanges de courriels entre le cabinet de la ministre déléguée et le SG-CIPDR
La stratégie de communication de Marlène Schiappa vient donc opportunément à l'appui d'une stratégie offensive du Gouvernement sur la question de la laïcité.
Le courrier adressé par la ministre aux lauréats est également sur le même ton : « nous avons plus que jamais besoin de votre implication pour promouvoir nos principes républicains, en particulier dans l'espace numérique où se développent des discours haineux hostiles à nos libertés et à notre modèle démocratique. Je vous remercie vivement pour votre engagement ».
b) Un report de crédits pour financer une action ponctuelle
L'idée d'un appel à projets à destination des associations aurait été abordée, au sein du secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR) dès le début de l'année 2021. Elle vient de la ministre déléguée en charge de la citoyenneté, Marlène Schiappa. Pour reprendre les termes de Christian Gravel, secrétaire général du CIPDR démissionnaire, il s'agit d'une « commande politique », le projet étant « le fruit de la volonté politique de la ministre déléguée chargée de la citoyenneté de l'époque, dont le cabinet a fait savoir au CIPDR que ce projet ambitieux devait être engagé ».
D'après le retour de l'un des porteurs de projet bénéficiaire des crédits du fonds Marianne, le fonds avait déjà été évoqué dans ses échanges avec le SG-CIPDR dès janvier 2021.
Néanmoins, d'après Sébastien Jallet, l'enveloppe des crédits du fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR), arrêtée en loi de finances initiale, n'aurait pas permis de réaliser un tel appel à projets. En effet, sur les 66 millions d'euros du FIPDR, 54 millions d'euros étaient déconcentrés pour financer des projets et actions dans les territoires, et les 12 millions d'euros prévus au niveau national étaient d'ores et déjà fléchés vers d'autres projets.
Les crédits qui ont permis d'alimenter l'appel à projets seraient donc issus d'un report de crédits du FIPDR de 2020 sur 2021, âprement négocié. Sébastien Jallet a ainsi indiqué : « nous ferraillons pour obtenir un report de crédits du FIPDR de 2020 sur 2021 et [...] nous obtenons de l'arbitrage du cabinet du Premier ministre, une décision de report de 4,8 millions d'euros, qui vont être affectés à deux priorités ministérielles : le contre-discours républicain, pour 2,5 millions d'euros, et le développement de la vidéo-protection. »
Les crédits du fonds Marianne résultent du reliquat des crédits non consommés lors de l'exercice 2020, sur le programme 216, « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur ». Ils ne proviennent néanmoins pas directement des crédits du FIPDR lui-même, dans la mesure où les crédits en autorisations d'engagement dédiés à cette action budgétaire avaient déjà été surconsommés en 2020.
En revanche, au regard des éléments transmis en réponse aux demandes de la mission, la version selon laquelle les crédits reportés auraient été obtenus après d'âpres négociations et constituaient un préalable au lancement de l'appel à projets peut être mise en cause. En effet, « le début de gestion du FIPDR 2021 ne révèle aucune tension sur les crédits » selon le SG-CIPDR. Surtout, des crédits apparaissent comme avoir d'ores et déjà été prévus pour financer des actions de contre-discours en 2020, à hauteur de 5 millions d'euros. Ainsi, le lancement tardif de l'appel à projets ne saurait être justifié par une contrainte budgétaire et la durée des négociations sur un report.
Depuis le mois de février 2021, la ventilation du FIPDR 2021 est aboutie : « dans cette programmation apparaît l'affectation de 3M€ AE/CP aux actions de contre-discours »10(*), c'est-à-dire à des actions qui avaient vocation à être financées par le fonds Marianne.
Enfin, dès le 7 janvier 2021, la notification de dotation envoyée par le secrétaire général du ministère de l'intérieur au SG-CIPDR indique que la ressource du budget opérationnel de programme « pourra éventuellement être complétée du report de crédits que pourrait obtenir le RPROG au titre de la part non consommée des dotations complémentaires dont a bénéficié le RBOP en fin de gestion 2020 ». En termes budgétaires, cela signifie que les crédits auraient pu être engagés dès le début de l'année et être couverts ensuite par des reports de crédits.
Cependant, même en souscrivant à la logique de financement via des reports de crédits, cette modalité de financement du fonds Marianne interroge sur la stratégie poursuivie par le Gouvernement. En effet, plutôt que de flécher des crédits existants ou de demander des crédits nouveaux, la voie du report n'offre aucune garantie de pérennité sur l'enveloppe, bien au contraire.
Il s'agit de moyens très ponctuels, qui, pour en être phase avec le temps de la communication, sont en discordance totale avec la stratégie avancée par le Gouvernement, à savoir ancrer durablement un contre-discours républicain dans la société civile via des partenaires associatifs. Le cahier des charges de l'appel à projets fait pourtant apparaître l'attention portée lors de la sélection sur la pérennité de l'action, indiquant qu'une « attention particulière sera portée aux projets réunissant des cofinancements favorisant la pérennité des projets au-delà de 2021 ».
c) L'appel à projets, une opération de communication qui vise, au moins en apparence, à attirer de nouveaux acteurs
Comme l'a souligné Christian Gravel, secrétaire général démissionnaire du CIPDR, le label de communication ne renvoie pas uniquement « à son sens le plus caricatural. » À ses yeux, ce qui fait la richesse de l'opération est d'offrir « une certaine souplesse, de faire émerger des acteurs qui n'étaient pas connus de la sphère étatique, qui avaient des idées, et de leur donner la possibilité de faire des propositions »11(*).
L'appel à projets a initialement pour objectif de soutenir des actions en ligne, à portée nationale, destinées à des jeunes exposés aux idéologies séparatistes. D'après les propos de Sébastien Jallet, « la décision de faire un appel à projets est prise début avril, je la rattache à une discussion que j'ai eue avec la ministre le 7 avril 2021 »12(*).
Comme évoqué plus haut, l'objectif du fonds Marianne est de subventionner des projets qui visent à « riposter à la propagande séparatiste ainsi qu'aux discours complotistes en ligne, en particulier sur les réseaux sociaux » ou à « défendre les valeurs républicaines de liberté, de conscience et d'expression, d'égalité, entre tous les hommes et entre toutes les femmes, de fraternité et de laïcité qui sont le ciment de la concorde et de la cohésion nationales. »
Le cahier des charges établit des critères très généraux de sélection, qui ne feront pas l'objet d'une évaluation précise lors de l'examen des différentes candidatures. Ainsi, les porteurs de projets doivent se conformer à au moins un des objectifs du fonds et les projets seront aussi sélectionnés en fonction de leur rapidité de mise en oeuvre, au plus tard dans un délai de 45 jours après l'attribution de la subvention. Les projets devaient donc être sélectionnés suivant la qualité des actions, ce qui ne manque pas d'interroger compte tenu des réalisations concrètes de certains lauréats (cf infra).
Enfin, d'après le cahier des charges et outre l'importance donnée à la pérennité de l'action évoquée plus haut, « les actions proposées devront comprendre un volet évaluation, tant sur le plan quantitatif (nombre de jeunes touchés, temps passé sur les campagnes produites, partages, “likes”, etc.) que qualitatif (résultat atteint au regard des objectifs fixés) ». Malheureusement, il apparaît clairement a posteriori que ce volet évaluation n'a pas été pleinement mis en oeuvre. Les critères de l'évaluation ne sont par ailleurs pas détaillés.
Alors que le cahier des charges précise enfin que « le CIPDR procèdera à l'instruction et à la sélection des projets et décidera du montant de la subvention allouée pour chaque dossier retenu », la décision finale est en réalité dévolue au comité de sélection, composé à parité de membres du cabinet de Marlène Schiappa et de membres du SG-CIPDR (cf. infra).
2. Un appel à projets entre volonté d'aller vite et désinvolture
a) Un appel à projets préparé dans l'urgence et une intervention claire du cabinet pour limiter les délais pour les porteurs de projets
La mise en place de l'appel à projets intervient dans l'urgence. Ainsi, alors que celui-ci semble avoir été acté le 7 avril 2021 par la ministre, il paraît faire l'objet de discussions entre le cabinet de la ministre et le SG-CIPDR le 13 avril 2021, à l'occasion du comité de programmation des crédits du fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation. Dès le 15 avril, le cabinet relance le SG-CIPDR pour obtenir « le plus rapidement possible - SVP » trois dossiers, dont celui relatif au contre-discours. Il est indiqué que « ce [dernier] dossier reste prioritaire TTU car la Ministre annonce cette mesure publiquement au début de la semaine prochaine. »
Le SG-CIPDR envoie alors une première version de l'appel à projets le vendredi 16 avril en fin d'après-midi, alors que la ministre doit intervenir sur le plateau de BFM TV dès le mardi 20 avril matin, ne laissant ainsi à peine plus que le temps d'un week-end pour réaliser les arbitrages.
Dans la version initiale de l'appel à projets proposée par le SG-CIPDR, le dépôt des candidatures devait intervenir entre le 1er mai et le 30 juin 2021, soit dix jours après l'annonce de la ministre et pour un délai de deux mois. La commission nationale d'attribution aurait alors eu lieu entre le 30 juin et le 29 juillet et les notifications seraient intervenues à partir du 30 juillet 2021.
Néanmoins, le directeur de cabinet de Marlène Schiappa, Sébastien Jallet, est intervenu pour limiter ce délai : à peine trois minutes après l'envoi de la proposition d'appel à projets par le secrétariat général du CIPDR, le directeur de cabinet répond au courriel pour demander à « resserrer le calendrier : dépôt entre le 20 avril et le 10 mai ; commission nationale d'attribution entre le 11 mai et le 31 mai : à partir du 1er juin notifications. ». La demande du directeur de cabinet a remonté la date d'ouverture de l'appel à projet de dix jours, soit dès la date de l'annonce par la ministre (20 avril), et a réduit de plus de sept semaines le délai dont disposent les associations pour soumettre leur projet.
Le 19 avril au soir, soit la veille du passage de Marlène Schiappa sur BFM TV, la version validée par le cabinet est renvoyée au SG-CIPDR, procédant aux modifications de fond sur la cible de l'appel à projets évoquées plus haut et demandant de diffuser l'appel à projets le lendemain à midi sur le site et le compte Twitter du CIPDR.
Le calendrier de l'appel à projet
tel
que modifié par le cabinet de la ministre
Source : commission des finances du Sénat, d'après les échanges transmis par SG-CIPDR
La rapidité avec laquelle l'appel à projets a été conçu et lancé contraste avec la complexité du sujet. Alors qu'il s'agissait de déléguer à des associations le rôle de porter un discours en phase avec celui de l'État, il était indispensable de réfléchir aux conditions de mise en place d'un cadre d'action clair pour ces associations. Des critères d'évaluation sur leur production, tant en termes quantitatifs que qualitatifs, auraient dû être développés, ce qui semble impensable dans les délais laissés par le cabinet, c'est-à-dire moins d'une semaine. Cet appel à projets, monté à la va vite, a donc fait l'économie de prévoir des critères précis d'objectivation des projets et des résultats attendus.
En conséquence, les objectifs, et surtout les « lignes rouges » à ne pas dépasser n'ont jamais été clairement définis dans le cahier des charges, ni dans les conventions attributives signées par la suite. Ce manque de garanties en amont, qui résulte de l'urgence dans laquelle a été mis en place l'appel à projets, n'est pas sans expliquer en partie les nombreuses difficultés rencontrées par la suite, et a limité les capacités de contrôle et de sanctions de l'administration.
Le resserrement des délais ayant contraint l'administration à travailler dans l'urgence, des témoignages reçus par la mission ont ainsi évoqué la « précipitation » lors des différentes étapes de l'appel à projets. Christian Gravel a ainsi affirmé devant la mission d'information qu'il était nécessaire de disposer de trois mois pour mener le travail dans des conditions satisfaisantes : « avec mon équipe, nous avions proposé un autre calendrier, car nous considérions qu'il fallait prévoir trois mois du 1er mai jusqu'à fin juillet, pour effectuer ce travail dans des conditions optimales »13(*).
La disparition de la mention du niveau maximal
de la subvention en valeur et en part du budget total
Il est à noter qu'alors que le projet proposé par le SG-CIPDR devait être complété pour indiquer le montant maximal de la subvention allouée et le pourcentage maximal de celle-ci sur le budget total du projet, la mention de ces plafonds est purement et simplement supprimée par le cabinet, laissant ainsi toutes latitudes au comité de sélection dans la détermination du niveau des subventions.
Source : échanges de mail entre le cabinet de la ministre et le SG-CIPDR
b) Des délais insuffisants pour permettre l'émergence d'acteurs et la présentation de projets réellement nouveaux
Le choix du directeur de cabinet d'avancer de sept semaines le délai limite de dépôt des dossiers de candidature, ne laisse que trois semaines aux associations, faisant courir le délai à compter du jour même de l'annonce de la ministre.
En effet, aucune urgence n'est avérée au moment du lancement de l'appel à projets. Alors que la ministre mobilise dans sa communication le terrible attentat perpétré à Conflans-Sainte-Honorine, et que la volonté de financer des projets pérennes est dès le départ mise en avant, le recours à une procédure menée dans l'urgence ne trouve aucune justification.
De plus, le SG-CIPDR ne semble pas avoir averti immédiatement les différents partenaires associatifs. D'après les retours des associations bénéficiaires du fonds Marianne, elles sont plusieurs à n'avoir reçu une alerte qu'à la fin du mois d'avril 2021.
Ainsi, l'une d'entre elles indique n'avoir été avertie que le 29 avril 2021 de la tenue de l'appel à projets, par un agent du ministère de la culture. Une autre association, pourtant un acteur incontournable du sujet et partenaire régulier du SG-CIPDR, indique également avoir eu connaissance de la mise en place du fonds ce même 29 avril, via un échange avec un agent de la préfecture de police des Bouches-du-Rhône.
Il ne leur est alors resté que douze jours pour construire un projet à la hauteur des enjeux. Sans les modifications apportées par le cabinet de la ministre, ces associations auraient bénéficié d'un délai de deux mois.
Par ailleurs, l'une des confédérations d'associations les plus importantes qui travaille sur les thématiques de laïcité chez les jeunes, et qui emploie, d'après les éléments transmis, 10 000 salariés, indique n'avoir été avertie de la tenue de l'appel à projets que le 3 mai, soit une semaine avant sa clôture.
Il en ressort que la communication qui a accompagné la mise en place a été d'abord tournée vers les médias, plutôt que de s'adresser directement aux acteurs concernés.
Comme l'indique le rapport de l'inspection générale de l'administration, « l'inspection n'a pu que relever, par ailleurs, le décalage entre les délais extrêmement resserrés de l'appel à projets et l'élongation temporelle de la conclusion des conventions d'attribution, signées entre juillet et octobre 2021 »14(*). La mission dresse le même constat : l'urgence avec laquelle a été mis en oeuvre l'appel à projets contraste singulièrement avec les délais qui ont ensuite été nécessaires à la signature définitive de l'ensemble des conventions.
c) La communication, une opération contre-productive
Alors qu'il a été plusieurs fois indiqué en audition que l'intérêt de recourir à des associations était de disposer d'une présence sur internet et sur les réseaux sociaux qui ne soit pas « siglée ministère de l'intérieur », le choix de recourir aux médias lors du lancement du Fonds Marianne s'explique d'abord par la stratégie de communication politique choisie par la ministre et son cabinet.
Comme l'a d'ailleurs signalé Christian Gravel dans une note adressée au directeur de cabinet de l'actuelle secrétaire d'État chargée de la citoyenneté auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, datée du 5 octobre 2022, l'absence de communication du nom des associations, a posteriori, est « fondée sur le double objectif de préservation de la sécurité des porteurs de projets et d'efficacité de la politique publique ».
D'après le préfet, « la communication de [l'] identité [des bénéficiaires] serait de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes concernées. En conséquence, en accord avec le cabinet de la ministre déléguée, la liste des projets soutenus n'a pas été rendue publique. » Au nom de la complémentarité d'actions entre administration et porteurs associatifs et « s'inscrivant dans une démarche de contre-discours sociétal porté par des acteurs non-institutionnels, les actions sélectionnées [n'avaient] pas vocation à être revendiquées par le CIPDR, de façon à ne pas décrédibiliser leur porteur ». Dans la note, il reprend ainsi les règles définies par l'arrêté du 3 avril 2018, qui indique que « les campagnes de contre-discours » doivent faire l'objet de « discrétion dans l'affichage du soutien public ».
C'est sur le fondement de ces considérations que le choix sera donc fait de ne pas publier la liste des lauréats du fonds Marianne dans le fichier annexé au jaune budgétaire dédié à l'effort financier de l'État en faveur des associations.
Ces éléments témoignent du caractère contre-productif de la communication, qui met en lumière le soutien public à des associations, alors que c'est précisément l'inverse qui aurait dû être recherché pour garantir l'efficacité de cette politique publique.
* 8 Marlène Schiappa au JDD : « Je lancerai mardi des états généraux de la laïcité », le journal du dimanche, 18 avril 2021.
* 9 Dans les comptes rendus de la séance du 31 mars 2021 sur le projet de loi Respect des principes de la République, voir par exemple : « Il n'est pas opportun de confier de manière pérenne une formation à une structure qui est appelée à évoluer dans le temps, et encore moins d'inscrire cela dans la loi » ; - « en ce qui concerne la question de savoir s'il faut faire intervenir l'Observatoire de la laïcité dans les formations et l'inscrire dans la loi, vous n'êtes pas sans savoir que le Premier ministre s'est exprimé publiquement en disant qu'il souhaitait faire évoluer cette structure à l'issue de son mandat » ; - « Nous nous sommes exprimés au nom du Gouvernement au sujet de l'Observatoire de la laïcité, dont le président voit son mandat de huit ans arriver à son terme. À présent, il nous semble opportun de faire évoluer cette structure. En effet, les questions de laïcité n'ont plus la même place dans la société qu'il y a huit ans. » ; - « Selon vous, il ne serait pas cohérent de refondre, dans le même temps, l'Observatoire de la laïcité. Au contraire, il me semble parfaitement cohérent d'imprimer cette nouvelle dynamique, grâce au présent texte, et de la mettre en oeuvre avec des organisations qui agissent avec volontarisme. ».
* 10 Réponses du SG-CIPDR au questionnaire du rapporteur.
* 11 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 15 mai 2023.
* 12 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 7 juin 2023.
* 13 Compte rendu des auditions de la mission d'information du 15 mai 2023.
* 14 Rapport d'inspection relatif à la subvention versée en 2021 à l'USEPPM dans le cadre du fonds « Marianne », Inspection générale de l'administration, mai 2023, page 16.