C. UN POINT DE VIGILANCE : LA DISPONIBILITÉ ET LA FORMATION DES PROFESSIONNELS

Pour répondre à l'objectif de rénovation thermique des bâtiments et assurer un travail de qualité en optimisant la performance énergétique, il est indispensable de disposer d'une main d'oeuvre suffisamment nombreuse au regard de l'ampleur des chantiers actuels et à venir, mais également bien formée aux exigences technologiques et aux évolutions règlementaires. Cette « capacité à faire et à bien faire » est essentielle pour faire face aux défis posés par la transition énergétique et climatique. Or les questions posées par la disponibilité de la main d'oeuvre et par la formation de celle-ci ont été très régulièrement mentionnées, lors des auditions et déplacements de la mission d'information, parmi les freins aux projets de rénovation des collectivités.

1. Des besoins en main d'oeuvre pour relever le défi de la transition énergétique et climatique

Les entreprises du secteur de la rénovation thermique sont aujourd'hui confrontées à un défi majeur, celui du recrutement, alors même que le nombre de projets de rénovation est appelé à croître fortement dans les prochaines années. Cette problématique n'est pas propre au secteur de la rénovation énergétique ; l'enquête mensuelle de conjoncture de la Banque de France, datée d'avril 2023220(*), relevait que plus de la moitié des entreprises françaises déclaraient rencontrer des difficultés de recrutement, un chiffre en hausse de seize points par rapport à l'année précédente. Ce problème a, d'ailleurs, atteint un niveau historique en 2022 et conserve encore aujourd'hui toute son actualité. Les entreprises du secteur de la construction sont tout particulièrement touchées par ces difficultés, alors qu'elles sont très sollicitées pour des travaux de rénovation à la fois des bâtiments tertiaires, notamment scolaires, et des logements individuels et collectifs.

Ce manque de main d'oeuvre, auquel s'ajoute les tensions liées à la disponibilité des matériaux, qui pourrait compromettre les objectifs de rénovation des bâtiments, a été tout particulièrement souligné par l'Association des maires ruraux de France (AMRF) ainsi que par le représentant de l'ADEME : « en ce qui concerne les travaux, les directions régionales de l'ADEME et les CEP m'indiquent que le secteur du bâtiment est en surchauffe : il aura donc des difficultés à faire face à une multiplication des projets de rénovation. La question est de savoir si les matériaux ou les effectifs pourront être mobilisés en quantité suffisante et si les travaux pourront être facturés à des prix acceptables dans un contexte concurrentiel qui semble assez internationalisé »221(*).

Les entreprises du paysage sont aussi confrontées à de telles difficultés, comme l'ont fait observer leurs représentants lors des auditions menées par la mission d'information. Ce secteur « peine à trouver du personnel et connaît une quasi-pénurie dans certaines compétences»222(*). Ainsi, « 11 600 postes étaient à pourvoir en 2022 » et « près de deux entreprises sur trois déclarent vouloir embaucher sans y parvenir ». La filière du paysage connaît, en effet, une croissance forte et enregistre une progression du nombre d'emplois créés, au cours de ces dernières années. Ainsi sur la période 2019-2020, les effectifs salariés ont augmenté de 18%223(*).

Les entreprises du paysage et la rénovation des bâtiments scolaires224(*)

Les opérations de renaturation des cours d'école concernent toute taille d'entreprise, selon l'ampleur du projet. Elles constituent une opportunité pour les TPE-PME du paysage qui représentent plus de 90% du secteur.

Le secteur du paysage réalise un chiffre d'affaires de 8,21 milliards d'euros. Les marchés publics représentent 25,5% de ce montant, suivi par les marchés privés (25%) et celui des particuliers (49%).

La filière du paysage regrette que « la rénovation du bâti scolaire soit trop souvent perçue que sous le prisme énergétique. La biodiversité doit devenir un élément aussi structurant que le béton dans le bâti. L'Union nationale des entreprises du paysage (Unep) recommande à l'État de promouvoir des approches globales du bâti tout au long du cycle de vie (carbone, biodiversité) et de réaliser un inventaire de la nature existante et de sa préservation. Il s'agit de faire intervenir l'ensemble des professionnels du paysage (paysagistes-concepteurs, entreprises du paysage) dans les projets à chacune des étapes, et plus particulièrement lors des phases initiales. Cette approche globale constitue une réelle plus-value pour garantir la pérennité des projets.

Ces projets ambitieux rassemblent et nécessitent une participation collective, de la création à l'utilisation par les usagers des cours d'école. Les travaux de renaturation des cours d'écoles, réalisés par les entreprises du paysage, se font en coopération avec des entreprises des travaux publics, des bureaux d'études, des paysagistes-concepteurs, et des services techniques de municipalités. Ces travaux sont réalisés dans les écoles maternelles et primaires, les collèges, les lycées ainsi que dans les universités. »

Les difficultés de recrutement dans différents secteurs, qui coexistent pourtant avec un chômage élevé, s'expliquent par plusieurs facteurs. Elles peuvent être liées, d'après les indicateurs proposés par la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère du travail225(*), à « des phénomènes tout aussi différents que le manque de main d'oeuvre, l'inadéquation des compétences aux emplois, la localisation géographique, des conditions de travail trop difficiles ou des rémunérations jugées insuffisantes »226(*).

Toutefois, il faut relever que les représentants de la Fédération française du bâtiment (FFB) et de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB) ont estimé, devant la mission d'information, « qu'en termes de volumétrie, de maillage du territoire et de capacité d'intervention sur le bâti scolaire », aucun « problème majeur »227(*) ne se posait. Ils ont fait valoir que le secteur avait déjà réussi à recruter « 100 000 voire 120 000 personnes pour relever le défi de la rénovation énergétique » et qu'il disposait de « marges de manoeuvre »3 en la matière, sans lesquelles il n'aurait pas pu atteindre un taux de croissance en volume de 2,4% pour l'année 2022.

Le très fort ralentissement du marché de l'immobilier neuf pourrait, par ailleurs, conduire à réorienter la main d'oeuvre en activité sur ce segment vers le marché de la rénovation énergétique. Cependant, cette évolution paraît plus complexe pour les métiers de gros oeuvre (tels que la maçonnerie) que pour d'autres activités (menuisiers, chauffagistes, électriciens...), où il est possible de se former à la rénovation énergétique, comme l'a souligné lors de la table ronde à la préfecture de Meurthe-et-Moselle le secrétaire général de la FFB de ce département, qui a également plaidé pour que les projets de rénovation du bâti scolaire s'inscrivent dans une perspective de moyen et long termes, en cohérence avec les autres chantiers concernant le bâtiment, afin de permettre aux professionnels du secteur de s'organiser avec l'État et les collectivités territoriales.

2. Une nécessité : améliorer l'information sur ces métiers afin d'ouvrir ces formations à de nouveaux profils

En dépit des appréciations différentes du marché de l'emploi dans le secteur de la rénovation énergétique, l'enjeu de la formation est essentiel pour l'ensemble des métiers concernés. La montée en compétences des professionnels du bâtiment et du paysage doit permettre de mieux répondre aux évolutions de ces métiers et aux besoins de recrutement dans le cadre de la transition énergétique et écologique. Des personnels bien formés sont, en effet, le gage d'une rénovation énergétique réussie. La nécessité de disposer de personnels qualifiés et de travailler sur un plan de formation à ces métiers a été soulignée, à plusieurs reprises, par les professionnels du secteur, mais aussi par les opérateurs en ingénierie. « Cette montée en compétence constante est indispensable pour accompagner les nouvelles prérogatives des entreprises du paysage : génie écologique, lutte contre les espèces invasives, végétalisation de nouveaux espaces et techniques alternatives aux produits phytopharmaceutiques », comme l'observe l'Unep228(*).

Par ailleurs, les difficultés de recrutement ne sont pas sans impact sur la qualité du travail réalisé. Dans ses réponses à la mission d'information, l'association Régions de France a noté « la baisse du professionnalisme des acteurs, notamment dans l'exécution des travaux ».

L'importance de faire connaître ces métiers en tension, notamment dans le domaine des économies d'énergie, et de s'ouvrir à de nouveaux profils, a été relevé par le représentant de l'ADEME lors de la table ronde sur l'accompagnement des collectivités : « Il faut donc faire connaître ces métiers ; l'urgence est également d'adapter les emplois pour les ouvrir à des profils éloignés de celui de thermicien. Nous sommes tous, en effet, en concurrence pour recruter ces derniers »229(*).

La ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité, consciente de cet enjeu, a fait observer qu'un travail était entrepris au sein du Gouvernement « pour qu'émergent très rapidement des filières de formation des jeunes à la construction de bâtiments, intégrant la dimension de la transition écologique »230(*).

Cette urgence à former aux métiers de la rénovation énergétique et climatique a aussi été soulignée par le CEREMA lors de la table ronde du 6 avril 2023 : « sur ces sujets énergétiques, je confirme que l'enjeu majeur est celui de la standardisation et de la formation, en particulier dans le monde des diagnostiqueurs, des entreprises et des artisans. »

Dans le domaine de l'ingénierie et du conseil aux collectivités territoriales se pose plus spécifiquement la question du recrutement des conseillers en énergie partagés et des économes de flux, dont le nombre s'avère insuffisant au regard des enjeux actuels. Le manque de personnels compétents pour préparer, organiser et suivre les projets est une difficulté que rencontrent les collectivités territoriales pour mener à bien leurs projets. Selon les informations communiquées par l'ADEME à la mission d'information231(*), leur nombre actuel ne couvre que 20 à 30% des besoins, sachant que le besoin total est évalué entre 2 000 et 3 000 postes. Or ces métiers en tension sont insuffisamment connus des jeunes, des familles et des enseignants, alors même qu'ils pourraient être très attractifs auprès d'une population de plus en plus sensible aux enjeux environnementaux, comme l'a confirmé le succès rapide d'une nouvelle formation professionnelle dans un lycée de l'Ariège, intitulée « transition écologique et processus industriels » évoqué par Mme Dominique Faure lors de son audition232(*).

Face à un marché de l'emploi très dynamique, et malgré un taux de chômage encore élevé, les économistes de la Banque de France233(*) préconisent la mise en place de politiques structurelles axées sur une refonte du système de formation, orienté vers les compétences les plus recherchées. La prise en compte des besoins actuels et à venir de cette filière dans l'établissement de la carte des formations professionnelles des établissements scolaires, qui sont fixés tous les ans entre les régions et l'État, a été mis en avant par l'adjoint au maire de Marseille, en charge des affaires scolaires de la ville lors de l'audition des associations d'élus communaux et intercommunaux. On peut mentionner le programme de formation aux économies d'énergie dans le bâtiment (FEEBAT), soutenu par les pouvoirs publics et la filière bâtiment, qui propose des formations, à destination des professionnels et futurs professionnels, dans le domaine de la rénovation énergétique.

France 2030 : Soutien du gouvernement et des régions
à la transformation de la carte des formations professionnelles234(*)

Chaque année, les régions et l'État fixent ensemble la carte des formations professionnelles des établissements scolaires. Dans le cadre de la réforme des lycées professionnels souhaitée par le président de la République, l'État et les régions ont décidé d'en accélérer l'évolution au bénéfice des nouvelles générations et de la transformation de notre économie. 

Pour cela, un nouveau dispositif de soutien de France 2030 est lancé, dans le cadre de l'appel à manifestation d'intérêt « Compétences et métiers d'avenir ». Les objectifs de ce programme sont :

- l'adaptation des plateaux techniques aux besoins actuels et à venir de ces filières ; 

- l'accompagnement dans toutes ses dimensions des équipes pédagogiques, pour construire leur adhésion à la dynamique et réunir les conditions d'une transformation réussie de l'offre de formation ;

- l'accueil d'un nombre accru d'élèves dans les formations conduisant vers les secteurs économiques les plus prometteurs en matière d'emploi ;

- la construction d'une vision stratégique pour penser le changement d'une carte de formation sur un cycle plus long de 3 ou 5 ans.

En lien avec les stratégies d'accélération de France 2030, de nombreuses filières sont éligibles, notamment : le bâtiment et la ville durable, la mobilité de demain, la logistique, les énergies (nucléaire, hydrogène décarboné ou énergies renouvelables), la décarbonation de l'industrie, la filière électronique informatique et numérique, l'alimentation saine durable et traçable, la production des contenus culturels et créatifs.

La transition énergétique et climatique qui doit conduire à une plus grande maîtrise des consommations d'énergies dans les bâtiments, en particulier scolaires, met ainsi en lumière la tension sur l'emploi dans ce domaine, la nécessité de faire évoluer les métiers et d'attirer de nouveaux talents. Une part des compétences qu'il s'agit de mobiliser peuvent être intégrées aux métiers traditionnels des secteurs du bâtiment et du paysage, tout en les faisant évoluer.

Dans le domaine du conseil et de l'ingénierie, les besoins en personnels qualifiés sont en plein développement et montrent l'importance de former aux défis de la rénovation énergétique et, plus généralement, de la transition écologique, dans une démarche transversale. L'enjeu porte non seulement sur l'évolution des métiers, mais aussi sur la capacité à attirer les talents vers ces professions.

La mission d'information est convaincue de la nécessité de mieux faire connaître les métiers liés à la transition écologique et de conduire une réflexion avec les ministères compétents (transition écologique, éducation nationale, formation professionnelle et enseignement supérieur) ainsi qu'avec les professionnels du secteur et les acteurs de l'apprentissage, en y associant les collectivités territoriales, pour que les formations dans ce domaine, initiales et continues, soient davantage adaptées aux métiers de demain.

Une campagne d'information sur les métiers de la rénovation énergétique avait été organisée en mars 2022 par le ministère chargé du logement avec FranceRénov et l'ADEME. La mission d'information appelle à poursuivre et amplifier cet effort avec tous les acteurs concernés par la rénovation des bâtiments publics.


* 220 « À quelles difficultés de recrutement les entreprises françaises sont-elles confrontées » - Bulletin de la Banque de France n° 245 - avril 2023.

* 221 Compte rendu du 6 avril 2023.

* 222 Compte rendu du 21 mars 2023.

* 223 Chiffres clés 2020 de la branche du paysage - Données disponibles tous les deux ans.

* 224 Source : réponses écrites de l'Union nationale des entreprises du paysage au questionnaire de la rapporteure.

* 225 « Comment mesurer les tensions sur le marché du travail ? », Document d'études, n° 252, Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, ministère du Travail, septembre 2021.

* 226 « À quelles difficultés de recrutement les entreprises françaises sont-elles confrontées » - Bulletin de la Banque de France n° 245 - avril 2023.

* 227 Compte rendu du 21 mars 2023.

* 228 Réponses écrites au questionnaire de la rapporteure.

* 229 Compte rendu du 6 avril 2023.

* 230 Compte rendu du 7 juin 2023.

* 231 Réponses écrites au questionnaire de rapporteure.

* 232 Compte rendu du 7 juin 2023.

* 233 « À quelles difficultés de recrutement les entreprises françaises sont-elles confrontées » - Bulletin de la Banque de France n° 245 - avril 2023.

* 234 Source : Ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse.