II. DES PROJETS COMPLEXES POUR LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES, PLUS PARTICULIÈREMENT POUR LES COMMUNES
Le processus de construction, de rénovation ou de réaménagement du bâti scolaire constitue une démarche complexe, plus particulièrement pour les communes dont les moyens autonomes en ingénierie sont parfois limités. Or ces projets requièrent une véritable expertise technique, juridique et financière. Leur conduite s'échelonne généralement sur plusieurs années, ce qui implique une réflexion sur les usages futurs du bâtiment, en anticipant l'évolution des effectifs.
La programmation de tels investissements est jalonnée de nombreux défis pour les élus. Outre les difficultés d'organisation liées au calendrier des travaux (pendant les vacances d'été ou durant l'année scolaire), les besoins de rénovation énergétique peuvent différer d'un bâtiment à l'autre au sein d'un même établissement, en fonction d'époques de construction diverses.
Des exigences parfois difficiles à concilier accentuent encore la complexité de ces projets : l'isolation thermique peut affecter la qualité de la ventilation, la ventilation peut entraîner une hausse des consommations énergétiques, les exigences de conservation du patrimoine peuvent entrer en contradiction avec l'efficacité énergétique (cas des panneaux solaires en zone protégée).
Par ailleurs, une difficulté majeure de la transition écologique des bâtiments scolaires est l'évaluation du coût de ces travaux.
Pour la construction de bâtiments scolaires aux normes récentes, les estimations s'échelonnent entre 3 000 € et 4 600 € par m² en fonction du type d'établissement.
entre 3 000 €
et 4 600 €
En matière de rénovation, il n'existe pas de « budget type ». L'estimation du prix de ces investissements peut être comprise entre 300 € et 1 700 € au m² (entre 1 100 € et 1 700 € afin d'atteindre les objectifs du décret tertiaire pour 2040 et 2050).
entre 300 €
et 1 700 €
Les informations recueillies par la mission d'information confirment qu'il n'existe pas de réponse unique pour établir le coût de la rénovation énergétique de ces bâtiments.
« Le coût de deux opérations de
même nature et de même niveau peut varier
du simple au double
selon l'état initial du bâtiment, les matières
utilisées
et la nécessité de travaux liés
à la présence d'amiante ou de plomb. »
INET-CNFPT, mars 2023
De plus, des dépassements sont régulièrement constatés par rapport aux prévisions initiales : la réalisation des travaux en « site occupé » contribue à alourdir la facture, de même que la nécessité de prévoir d'autres aménagements liés à la mise aux normes en matière d'accessibilité ou de sécurité. À la rénovation des bâtiments peut aussi s'ajouter celle des espaces extérieurs.
En outre, la contrainte budgétaire oblige certaines collectivités à recourir à une « stratégie des petits pas », plus coûteuse en définitive qu'une rénovation globale.
Enfin, le retour sur investissement, souvent long (20 ou 30 ans pour une rénovation aux standards « basse consommation »), décourage de nombreux élus, a fortiori lorsqu'existe un risque de fermeture de classe ou d'école.
À cet égard, l'engagement de prévisibilité de la carte scolaire sur 3 ans prévu dans le cadre du Plan France ruralités est un progrès, même si ce délai peut paraître insuffisant pour sécuriser la programmation d'investissements dont la rentabilité s'étend sur de nombreuses années.
Par ailleurs, les investissements liés à la transition environnementale suscitent un besoin accru des collectivités en ingénierie, non seulement pour mener ces projets, mais aussi pour en assurer le suivi : l'évaluation de la performance énergétique que supposent ces investissements requiert en effet un haut niveau de compétence technique.
L'accès à l'ingénierie est un sujet essentiel pour les collectivités.
À ce titre, les collectivités disposent d'une grande diversité d'interlocuteurs potentiels (grandes agences comme l'ADEME, le CEREMA ou l'ANCT, structures privées
- bureaux d'étude, cabinets d'architectes -, agences de l'eau, agences départementales d'ingénierie, agences locales de l'énergie et du climat (ALEC), conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE)...)
Alors que les départements et les régions possèdent au sein de leurs services techniques l'expertise nécessaire en matière d'ingénierie pour conduire de tels projets, de nombreux territoires, en particulier les communes rurales, en sont dépourvus.
La diversité des acteurs de l'ingénierie n'est pas un gage de simplicité : certains maires sont perplexes face à de multiples guichets et au manque de coordination de ces différentes structures. La mission d'information a toutefois pu constater que des écosystèmes efficaces existent localement, par exemple autour d'une ALEC, d'une agence départementale de l'ingénierie ou des conseillers en énergie partagés (CEP) mutualisés par des EPCI.
Le Plan France ruralités prévoit le déploiement de 100 chefs de projet pour apporter aux maires de communes rurales un soutien en matière d'ingénierie, dans le cadre du programme « Village d'avenir ».
Qui fait quoi ?
Autre obstacle pour les collectivités : la recherche de financements.
Compte tenu de la réticence des élus à s'endetter, les subventions et dotations sont une source de financement incontournable. DETR, DSIL et Fonds vert ne sont pas spécifiques au bâti scolaire, mais les critères d'attribution de ces aides flèchent la rénovation de ces bâtiments. S'ajoutent à ces dotations les subventions attribuées par les régions et départements ainsi que les fonds européens.
Part du bâti scolaire : |
||
19% des montants 14% des projets financés |
DETR |
2 Mds en 2023 |
25% des montants 23% des projets financés |
DSIL |
|
Fonds vert |
2 Mds € en 2023 |
Or l'accès à ces dotations est pour le moins complexe : les élus rencontrés par la mission d'information évoquent sur ce point une « usine à gaz » et un « parcours du combattant ».
« DSIL, DETR, Fonds vert, Fonds européens
:
c'est compliqué à l'échelle des communes rurales de
s'y retrouver ! »
Maire d'une commune de
Meurthe-et-Moselle
La sous-consommation de certains fonds tels que la DSIL et le Fonds vert (25% en juin 2023) constitue un paradoxe au regard des besoins exprimés par les élus. Elle souligne la nécessité de faciliter l'accès à ces financements, comme l'ont demandé tous les élus rencontrés par la mission d'information, qui appellent à une simplification des guichets à partir de la mise en place d'un interlocuteur unique pour orienter les investissements des collectivités vers le bon levier de financement.
« Un guichet unique des aides et subventions en
matière de rénovation thermique, de développement des
énergies renouvelables et de constructions bas carbone avec limitation
des émissions de gaz à effet de serre ferait gagner un temps
précieux »
Régions de France
Par ailleurs, la loi du 30 mars 2023 a permis aux collectivités territoriales, par dérogation au droit de la commande publique, de faire appel à un tiers financeur pour leurs travaux, ce qui permettra le paiement différé de ceux-ci. Ce dispositif expérimental suppose une étude préalable de soutenabilité financière.
Enfin, le Plan « 10 000 écoles », présenté par le gouvernement le 9 mai 2023, mise sur l'émergence de projets « totem » pour encourager des projets de rénovation dans d'autres communes, dans une logique d'émulation par l'exemple. Il s'appuie sur des prêts de la Banque des territoires pour financer ces investissements, sans que des moyens nouveaux soient injectés dans le système.