RAPPORT
I. QUALITÉ DE L'AIR : DES DÉPASSEMENTS RÉCURRENTS DES SEUILS RÉGLEMENTAIRES, AUXQUELS LES ZFE-M NE POURRONT APPORTER QU'UNE RÉPONSE PARTIELLE
A. EN DÉPIT D'UNE AMÉLIORATION CES DIX DERNIÈRES ANNÉES, LA FRANCE DEMEURE CONFRONTÉE À DES DÉPASSEMENTS RÉCURRENTS DES NORMES DE QUALITÉ DE L'AIR
1. Compte tenu des risques pour la santé humaine, la pollution de l'air fait l'objet d'un encadrement strict aux niveaux international et national
a) Santé et pollution atmosphérique : de quoi parle-t-on ?
On appelle pollution de l'air un ensemble de gaz et de particules en suspension présents dans l'air (intérieur ou extérieur) dont les niveaux de concentration varient en fonction des émissions et des conditions météorologiques, et qui sont nuisibles pour la santé et l'environnement1(*). Le code de l'environnement2(*) définit la pollution de l'air comme « l'introduction par l'homme, directement ou indirectement ou la présence, dans l'atmosphère et les espaces clos, d'agents chimiques, biologiques ou physiques ayant des conséquences préjudiciables de nature à mettre en danger la santé humaine, à nuire aux ressources biologiques et aux écosystèmes, à influer sur les changements climatiques, à détériorer les biens matériels, à provoquer des nuisances olfactives excessives. »
Le tableau ci-après énumère les principaux polluants d'origine anthropique et leurs sources.
Source : site internet de Santé publique France
La pollution de l'air induit des risques pour la santé humaine désormais bien identifiés. Ainsi que l'a rappelé Santé publique France, elle est à l'origine ou aggrave de nombreuses pathologies, telles que les maladies :
- respiratoires (asthme, bronchopneumopathies chroniques obstructives et cancer du poumon) ;
- cardiovasculaires (infarctus du myocarde, accidents vasculaires cérébraux) ;
- neurologiques (maladie de Parkinson et autisme) ;
- endocriniennes (diabète de type 2).
En 2016, la pollution de l'air était le deuxième facteur de risque de maladies non transmissibles dans le monde, juste après le tabagisme.
À long terme et dans les cas les plus graves, la pollution de l'air peut réduire l'espérance de vie et conduire au décès. Ainsi, en France, entre 2016 et 2019, près de 40 000 décès par an (7 % de la mortalité globale) aurait été attribués à une exposition des personnes âgées de 30 ans et plus aux particules fines (PM2,5). En outre, 7 000 décès par an auraient été imputables aux émissions de dioxyde d'azote au cours de la même période (soit 1 % de la mortalité annuelle en France). L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe)3(*) rappelle cependant que ces deux résultats ne peuvent pas être additionnés, car une partie des décès peut être attribuée à l'exposition conjointe à ces deux polluants, et que d'autres facteurs environnementaux peuvent se révéler aggravants. Ces valeurs sont à considérer comme des ordres de grandeur, compte tenu de l'incertitude inhérente à ce type de calcul.
Selon la commission d'enquête du Sénat de 2015 sur le coût économique et financier de la pollution de l'air4(*), la pollution atmosphérique induit, en France, un coût sanitaire total qui s'établit entre 68 et 97 milliards d'euros.
b) Un encadrement strict au niveau national, dans le respect du cadre européen
· Les lignes directrices non contraignantes de l'Organisation mondiale de la santé (OMS)
Compte tenu des effets négatifs de la pollution atmosphérique sur la santé humaine, l'OMS publie depuis la fin des années 1980 des lignes directrices relatives à la qualité de l'air.
En 2005, elle a ainsi publié des lignes directrices concernant les émissions des principaux polluants atmosphériques, notamment les particules, l'ozone (O3), le dioxyde d'azote (NO2) et le dioxyde de soufre (SO2).
En septembre 2021, de nouvelles lignes directrices ont été publiées, conduisant à abaisser les seuils de référence antérieurs pour ces polluants, à l'exception du dioxyde de soufre.
Source : site internet de Santé publique France, à partir des données de l'OMS
Bien que dépourvues de portée contraignante, ces recommandations servent de cadre de référence aux politiques publiques menées à l'échelle nationale pour améliorer la qualité de l'air.
· Les directives européennes sur la qualité de l'air, un cadre prescrivant des objectifs
Deux directives fondent essentiellement le socle de la politique européenne en matière de qualité de l'air.
D'une part, la directive 2004/107/CE du Parlement européen et du Conseil modifiée du 15 décembre 2004 concernant l'arsenic, le cadmium, le mercure, le nickel et les hydrocarbures aromatiques polycycliques dans l'air ambiant a pour objet d'établir des valeurs cibles pour la concentration de ces polluants, de déterminer des méthodes et critères communs pour évaluer ces concentrations et, enfin, de garantir la mise à disposition du public d'informations adéquates sur ce sujet.
D'autre part, la directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil modifiée du 21 mai 2008 concernant la qualité de l'air ambiant et un air pur pour l'Europe comporte des mesures visant à :
- définir et fixer des objectifs concernant la qualité de l'air ambiant, afin d'éviter, de prévenir ou de réduire les effets nocifs pour la santé humaine et pour l'environnement des émissions polluantes ;
- évaluer la qualité de l'air ambiant dans les États membres sur la base de méthodes et de critères communs ;
- obtenir des informations sur la qualité de l'air ambiant afin de contribuer à lutter contre la pollution de l'air et les nuisances, de surveiller les tendances à long terme et les améliorations obtenues grâce aux mesures nationales et communautaires et de faire en sorte que ces informations soient mises à la disposition du public ;
- préserver la qualité de l'air ambiant, lorsqu'elle est bonne, et l'améliorer dans les autres cas ;
- promouvoir une coopération accrue entre les États membres en vue de réduire la pollution atmosphérique.
Cette directive fixe des valeurs limites pour un ensemble de polluants à ne pas dépasser afin de protéger la santé humaine (dioxyde d'azote, benzène, plomb, particules fines, anhydride sulfureux et monoxyde de carbone)5(*).
En octobre 2022, la Commission européenne a publié une proposition de révision de la directive de 2008 sur la qualité de l'air. Ce projet prévoit d'abaisser les valeurs limites actuelles à l'horizon 2030, et notamment6(*) :
- l'abaissement de la valeur limite annuelle de dioxyde d'azote NO2 à 20 ug/m3 (au lieu de 40 ug/m3 actuellement) ;
- l'abaissement de la valeur limite annuelle de particules fines PM10 à 20 ug/m3 (le seuil actuel étant de 40 ug/m3) ;
- l'abaissement de la valeur limite annuelle de particules fines PM2,5 à 10 ug/m3 (le seuil actuel étant de 25 ug/m3).
Tableau récapitulant les évolutions de seuils proposées
par la Commission européenne
Source : direction générale de l'énergie et du climat (DGEC)
À plus long terme, il est proposé d'aligner ces valeurs limites sur les nouvelles lignes directrices de l'OMS, au plus tard en 2050.
Le projet de directive révisée est actuellement en cours d'examen au Conseil de l'Union européenne et du Parlement européen.
· Le cadre national de la surveillance de la qualité de l'air, une transposition de la directive européenne
La directive 2008/50/CE sur la qualité de l'air a été transposée dans la partie législative7(*) et réglementaire8(*) du code de l'environnement.
Treize polluants9(*) sont actuellement réglementés par des valeurs limites10(*). S'agissant des principaux polluants émis par le transport routier, les seuils sont les suivants :
Polluant |
Valeur limite (en moyenne annuelle) |
NO2 |
40 ug/m3 |
NOx |
30 ug/m3 |
PM10 |
30 ug/m3 |
PM2,5 |
25 ug/m3 |
Le cas échéant, la révision de la directive européenne de 2008 conduirait à revoir ces valeurs à la baisse à horizon 2030. L'article R. 221-2 définit également, pour chaque polluant, un seuil d'information et de recommandation11(*) et des seuils d'alerte12(*).
L'État a confié la surveillance de la qualité de l'air aux associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (AASQA)13(*), dont le travail est coordonné par le laboratoire central de surveillance de la qualité de l'air (LCSQA).
2. Malgré une tendance à l'amélioration à long terme, de nombreuses agglomérations françaises connaissent des dépassements réguliers des normes de qualité de l'air.
· Depuis le début des années 2000, on observe une nette amélioration de la qualité de l'air en France, comme le montre le graphique ci-après présente (évolution des émissions de quelques polluants atmosphériques entre 2000 et 2021).
Évolution des émissions de polluants atmosphériques en France métropolitaine (En indice base 100 des émissions observées en 2000)
Source : Santé publique France
Entre 2000 et 2021, les émissions de PM2,5 ont ainsi été réduites de plus de 50 % au niveau national. Cette évolution s'observe également localement : selon Atmo France, l'association qui fédère l'ensemble des AASQA, l'Île-de-France a par exemple enregistré une baisse des émissions polluantes ces dix dernières années variant de 25 % à 40 % selon les localisations (loin ou à proximité du trafic) et les polluants considérés.
· Néanmoins, la France demeure confrontée à des dépassements récurrents des seuils réglementaires de qualité de l'air, à court terme (épisodes de pollution notamment) et à long terme, en particulier s'agissant du dioxyde d'azote (NO2), de l'ozone (O3) et des particules fines (PM10 et, dans une moindre mesure, les PM2,5 qui font l'objet d'une attention particulière du fait de leurs effets particulièrement néfastes sur la santé). Ces dépassements s'observent principalement dans les agglomérations, bien qu'ils soient également fréquents en zone rurale s'agissant de l'ozone.
Cartographie des agglomérations ayant connu en 2021
des dépassements des seuils réglementaires de pollution de l'air
Source : MTE, Bilan de la qualité de l'air extérieur en France (2021)
Malgré la diminution tendancielle du nombre d'agglomérations en dépassement des seuils réglementaires constatée depuis le début des années 2000 (hormis des fluctuations marquées entre 2007 et 2012 pour les PM10), cinq agglomérations ont ainsi connu des dépassements des seuils applicables au NO2 et quatre agglomérations ont subi des dépassements des seuils applicables aux PM10 en 2021 (cf. carte ci-avant et graphique ci-après). En revanche, aucune agglomération n'a connu de dépassement des seuils réglementaires applicables aux émissions de PM2,5.
Évolution des dépassements de seuils réglementaires de qualité de l'air fixés pour la protection de la santé dans les agglomérations pour les polluants NO2, O3, PM10 et PM2,5 (en nombre d'agglomérations)
Source : MTE, Bilan de la qualité de l'air extérieur en France (2021)
En 2020, la France était parmi les quatre pays européens concernés par des dépassements des seuils réglementaires de qualité de l'air pour les trois polluants les plus problématiques (PM10, NO2 et O3), avec l'Espagne, la Grèce et l'Italie.
· Ces dernières années, les dépassements des normes de qualité de l'air ont conduit à l'engagement de procédures contentieuses à l'encontre de l'État français, au niveau national et européen.
D'une part, en juillet 201714(*), le Conseil d'État a ordonné à l'État de mettre en oeuvre des mesures destinées à réduire les émissions de NO2 et de PM10 dans treize zones du territoire, afin de respecter les seuils limites prévus par la directive européenne sur la qualité de l'air. En juillet 2020, constatant que les valeurs limites étaient toujours dépassées dans huit zones, le Conseil d'État a ordonné au Gouvernement d'agir pour réduire la pollution de l'air sous peine d'une astreinte d'un montant de 10 millions d'euros par semestre de retard15(*) à compter de l'expiration d'un délai de six mois. En août 202116(*), considérant que les seuils limites étaient toujours dépassés dans plusieurs zones et que des actions demeuraient nécessaires, le Conseil d'État a liquidé l'astreinte prononcée en 2020 pour la période allant du 11 janvier au 11 juillet 2021. En 2022, le Conseil d'État17(*) a prononcé une nouvelle astreinte d'un montant de 20 millions d'euros pour le second semestre 2021 et le premier semestre 2022.
Au total, l'État a donc été condamné à régler la somme de 30 millions d'euros du fait d'une insuffisante exécution de la décision du Conseil d'État de 2017 sur la qualité de l'air. Le produit des astreintes a été réparti entre l'association Les Amis de la terre, à l'origine du recours devant le Conseil d'État en 2017, et d'autres acteurs, dont des associations de lutte contre la pollution de l'air18(*).
Le Conseil d'État doit réexaminer, en 2023, les actions de l'État menées à partir du second semestre 2022 en faveur de la qualité de l'air.
D'autre part, au niveau européen, la France a été condamnée deux fois par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) : en octobre 2019, une première condamnation a eu lieu pour dépassement des concentrations de NO2 dans douze zones du territoire. En décembre 2020, la France a été mise en demeure pour non-exécution de cet arrêt. En avril 202219(*), la CJUE a ensuite condamné la France compte tenu des dépassements des concentrations de PM10 observés en Martinique (entre 2005 et 2016) et en Île-de-France (entre 2005 et 2019). Selon la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), il n'y a toutefois plus de dépassement pour les concentrations en PM10 depuis 2020.
D'autres États membres de l'Union européenne ont été condamnés par la CJUE du fait de la pollution de l'air, par exemple l'Allemagne dont la cour a estimé en 202120(*) qu'elle avait dépassé de manière « systématique et persistante » le seuil limite de NO2 entre 2010 et 2016 dans vingt-six villes du pays.
La pollution de l'air constitue un enjeu sanitaire de premier plan : le rapporteur estime donc nécessaire de sensibiliser les citoyens sur ce sujet. Assurer une meilleure information du public sur les risques sanitaires liés à la pollution de l'air et sur les sources des émissions constitue en outre un levier essentiel pour assurer l'acceptabilité des politiques visant à améliorer la qualité de l'air, à l'instar des zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m). En Belgique, la région de Bruxelles-Capitale a par exemple mis en place un dispositif permettant aux citoyens de mesurer les concentrations en polluants atmosphériques dans leur rue ou leur quartier : ce type d'initiative, qui favorise l'adhésion des citoyens au dispositif, est à encourager.
PROPOSITION 1 : Organiser des campagnes d'information nationale et locales pour sensibiliser les citoyens aux risques sanitaires liés à la pollution atmosphérique et aux principales sources d'émissions.
* 1 Source : site internet de Santé publique France.
* 2 Article L. 220-2 du code de l'environnement.
* 3 Source : réponse de l'Ademe au questionnaire écrit du rapporteur.
* 4 Rapport n° 610 (2014-2015) de Mme Leila AÏCHI, fait au nom de la commission d'enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l'air, 8 juillet 2015.
* 5 Annexe XI de la directive.
* 6 Source : réponses de la DGEC au questionnaire écrit du rapporteur.
* 7 Articles L. 221-1 et suivants.
* 8 Article R. 221-1 et suivants.
* 9 Les oxydes d'azote (dioxyde d'azote et oxyde d'azote), les particules fines (PM10 et PM2,5), le plomb, le dioxyde de soufre, l'ozone, le monoxyde de carbone, le benzène ainsi que des métaux lourds et hydrocarbures polycycliques (arsenic, cadmium, nickel et benzo (a) pyrène).
* 10 Article R. 221-1 du code de l'environnement.
* 11 On entend par là un « niveau au-delà duquel une exposition de courte durée présente un risque pour la santé humaine de groupe particulièrement sensibles au sein de la population et qui rend nécessaires l'émission d'informations immédiates et adéquates à destination de ces groupes et des recommandations pour réduire certaines émissions ».
* 12 On entend par là un « niveau au-delà duquel une exposition de courte durée présente un risque pour la santé de l'ensemble de la population ou de dégradation de l'environnement, justifiant l'intervention de mesures d'urgence. »
* 13 Les missions de ces organes sont précisées par l'arrêté du 16 avril 2021 relatif au dispositif national de surveillance de la qualité de l'air ambiant.
* 14 Conseil d'État, 12 juillet 2017, 394 254.
* 15 Conseil d'État, 10 juillet 2020, 428 409.
* 16 Conseil d'État, 4 août 2021, 428 409.
* 17 Conseil d'État, 17 octobre 2022, 428 409.
* 18 Liste des bénéficiaires de l'astreinte : Les Amis de la terre, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris), AirParif et plusieurs associations appartement au réseau Atmo France.
* 19 CJUE, 28 avril 2022, n° C-286/21.
* 20 CJUE, 3 juin 2021, n° C-635/18.