C. UN IMPACT NÉGATIF SUR LA CONDUITE DES PROJETS LOCAUX
1. Des répercussions sur tous les grands champs de compétences des collectivités
Comme le souligne le rapport d'activité du CNEN, les normes s'imposant aux collectivités territoriales relèvent des grands domaines de compétences des collectivités. Ces normes ont donc des répercussions financières, directes ou indirectes, sur la conduite des grandes politiques publiques locales.
Source : Extrait du rapport d'activité du CNEN (2019-2022)
Dans le cadre de la consultation menée par le Sénat auprès des élus locaux en janvier 2023, les élus ont été interrogés sur les secteurs à simplifier en priorité selon eux. Un secteur ressort nettement : celui de l'urbanisme, cité par la moitié des répondants.
D'autres domaines ont également été identifiés dans la consultation : la répartition des compétences, la commande publique, l'assainissement ou encore l'environnement et les finances publiques.
Source : Résultats de la consultation en ligne auprès des élus locaux (janvier 2023)
2. Des conséquences négatives déplorées par les élus locaux
La complexité des normes règlementaires, en plus d'être source d'incertitudes et d'incompréhension pour les élus, entraîne des conséquences négatives pour les projets locaux pour 82% des répondants. Ces derniers estiment donc que leur action est entravée par le poids des normes.
Source : Résultats de la consultation en
ligne auprès des élus locaux
(janvier 2023)
Lorsqu'on interroge les élus sur le détail de ces conséquences négatives, ceux-ci pointent :
- une augmentation directe des coûts de la collectivité (dans plus de 30 % des cas) ;
- une augmentation indirecte des coûts de la collectivité compte tenu de la modification, du report, voire de l'abandon des projets portés par les collectivités (près de 70 % des cas).
Source : Résultats de la consultation en ligne auprès des élus locaux (janvier 2023)
La consultation fait donc ressortir les conséquences financières, directes ou indirectes, de la prolifération normative sur les collectivités territoriales. Cette situation peut être difficilement soutenable financièrement, notamment pour les petites communes aux ressources limitées. Comme l'a récemment souligné Christophe BÉCHU, Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires : « plus vous êtes petit, plus vous avez de mal à suivre cette inflation normative. Nous créons ainsi une sorte de dégradation d'agir, notamment pour les plus petites collectivités »12(*).
Lors des États généraux de la simplification, de nombreux exemples ont été donnés pour illustrer les conséquences de cette complexité des normes. Christophe BOUILLON, Président de l'Association des petites villes de France, a ainsi cité un cas, qui, s'il n'était pas réel, pourrait prêter à sourire : « Exemple pris dans la commune de Villepreux (Yvelines) : celui du poulailler mobile. Nous devons aujourd'hui favoriser les filières courtes, respecter les programmes alimentaires territoriaux, mais le plan local d'urbanisme (PLU) percute le plans de préventions des risques inondation (PPRI). Les textes autorisent ainsi la construction d'équipements en dur, mais pas un poulailler qui est considéré comme un équipement éphémère. Le maire de Villepreux finit par trouver une solution, mais on lui demande alors que ce poulailler ne soit pas visible de Versailles. Après trois ans d'efforts, ce poulailler mobile n'est toujours pas installé ».
Citons également Marie-Claude JARROT, Maire de Montceau-les-Mines, lors de cette même manifestation : « Premier exemple avec la rénovation d'un complexe sportif où il faut appliquer des normes dans les domaines électrique, sanitaire, de la transition écologique et de l'accessibilité handicapé. Ce complexe doit ainsi être accessible partout, alors qu'il ne l'était pas du tout avant. Il a fallu casser toutes les tribunes, mettre obligatoirement deux ascenseurs quand un seul suffisait, ce qui a occasionné un surcoût important. Concernant l'électricité, les normes changent pratiquement tous les trois ans, soit moins que la durée de rénovation d'un grand complexe sportif. Autre contrainte : le confort thermique. Tous ces éléments créent des facteurs multiplicateurs et nuisent à la qualité du projet jusqu'à faire peser une menace sur lui. (...). Autre exemple avec une ferme photovoltaïque que j'espère installer sur une friche et un lac minier. Or, le fonds friche n'est pas ouvert à ce projet, car il est seulement destiné à la restauration d'un patrimoine. La norme a oublié ce cas qui n'est pourtant pas un cas rare sur les territoires industriels. Le paradoxe est que si nous avions détruit ce patrimoine, nous serions éligibles au fonds friche. »
3. Des normes contradictoires, des interprétations variables
Plus les normes sont nombreuses, plus elles risquent de générer des contradictions.
Plus elles sont complexes, plus elles risquent d'être interprétées différemment selon le service ou l'agent en charge de leur respect.
Dans les deux cas, les normes génèrent nécessairement, pour les collectivités, notamment les plus petites, des coûts de gestion interne, comme l'ont souligné de nombreuses personnes entendues par les membres de la mission.
En premier lieu, sur la question des normes contradictoires, la mission déplore la situation des collectivités trop souvent placées face à des « injonctions paradoxales ». A ainsi été cité le cas des normes d'accessibilité et de sécurité qui peuvent parfois s'avérer, en pratique, impossibles à concilier. Citons également les contradictions entre les impératifs de développement durable et de construction de logements sociaux, comme l'illustre l'exemple donné par Françoise GATEL lors des États généraux : « la maire du Croisic dispose de 8 000 m² de terrain. Elle ne peut les utiliser pour répondre à son obligation de construire des logements sociaux (loi SRU) mais la loi ZAN aujourd'hui ne lui permet pas de bénéficier d'une solution. Elle continue donc à payer des amendes car une autre loi l'empêche d'agir. »
La consultation des élus révèle l'ampleur du phénomène et le défaut de conseil des services de l'État pour résoudre ces difficultés de normes contradictoires.
Source : consultation du Sénat auprès des élus locaux (janvier 2023)
Source : consultation du Sénat auprès des élus locaux (janvier 2023)
En second lieu, sur la question des risques d'interprétations divergentes, 80 % des répondants affirment qu'ils sont confrontés à des interprétations variables. Autrement dit, ils constatent parfois qu'un même texte est appliqué de manière différente à l'arrivée d'un nouveau responsable administratif.
Source : consultation du Sénat auprès des élus locaux (janvier 2023)
Cette situation génère également des coûts indirects pour la collectivité, contrainte de s'adapter aux lectures successives d'un même texte.
4. Des conséquences sur le recrutement du personnel administratif
Autre conséquence du poids des normes : le recrutement du personnel. En effet, l'inflation normative a des répercussions précises en termes de ressources humaines, et donc de coût pour les collectivités.
En premier lieu, certaines collectivités doivent recruter des juristes pour faire face à la complexité de la réglementation. Tel est le cas d'Illkirch-Graffenstaden, commune de 26 000 habitants dans le Bas-Rhin, dont le maire a livré un témoignage sur Public Sénat en janvier 2023 sur le poids et l'impact des normes sur sa gestion locale13(*). Autre exemple cité par Martin MALVY lors de son audition : le décryptage des normes dans la commune de Figeac (10 000 habitants) occupe à mi-temps 10 cadres de catégorie A et 5 cadres de catégorie B.
En second lieu, 45 % des répondants à la consultation précitée disent éprouver des difficultés de recrutement dans certains secteurs où les normes sont jugées trop complexes.
Source : consultation du Sénat auprès des élus locaux (janvier 2023)
Là encore, cette situation est génératrice de coûts indirects pour la collectivité puisque les difficultés de recrutement conduisent nécessairement à des pertes de temps et d'efficacité au sein de la collectivité. Plus généralement, ces difficultés sont au coeur d'enjeux essentiels liés à la perte d'attractivité de la fonction publique territoriale.
Une question spécifique se pose concernant les secrétaires de mairie dont les fonctions sont de plus en plus exigeantes en raison du foisonnement normatif. Comme l'a récemment souligné la commission des lois : « un certain nombre d'évolutions récentes tendent à complexifier l'exercice par les secrétaires de mairie de leurs missions : tout d'abord, l'inflation normative que subissent les communes impose à ces agents d'actualiser en permanence leurs connaissances relatives au cadre législatif et règlementaire, qui tend à restreindre les marges de manoeuvre des collectivités »14(*).
* 12 Discours de clôture des États généraux le 16 mars 2023.
* 13 Ce témoignage peut être consulté sur la plateforme vidéo du Sénat : https://videos.senat.fr/video.3342870_6412c19937307.États-generaux-de-la-simplification (10h52).
* 14 Rapport n° 466 (2022-2023) de Mme Catherine DI FOLCO, fait au nom de la commission des lois, déposé le 29 mars 2023, sur la proposition de loi visant à revaloriser le statut de secrétaire de mairie : http://www.senat.fr/rap/l22-466/l22-466.html