N° 707
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023
Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 juin 2023
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées (1)
sur : « Une LPM qui laisse de
nombreux enjeux capacitaires
en
suspens »,
Par M. Cédric PERRIN et Mme Hélène CONWAY-MOURET,
Sénateur et Sénatrice
(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Olivier Cigolotti, André Gattolin, Guillaume Gontard, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Philippe Paul, Cédric Perrin, Rachid Temal, vice-présidents ; Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, Isabelle Raimond-Pavero, M. Hugues Saury, secrétaires ; MM. François Bonneau, Gilbert Bouchet, Alain Cazabonne, Pierre Charon, Édouard Courtial, Yves Détraigne, Mmes Catherine Dumas, Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Bernard Fournier, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Jean-Pierre Grand, Mme Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Ludovic Haye, Alain Houpert, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Jean-Louis Lagourgue, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Panunzi, François Patriat, Gérard Poadja, Stéphane Ravier, Gilbert Roger, Bruno Sido, Jean-Marc Todeschini, Mickaël Vallet, André Vallini, Yannick Vaugrenard.
L'ESSENTIEL
Le projet de loi de programmation militaire pour 2024-2030 prévoit une augmentation conséquente des budgets de la défense. Dans le domaine des équipements, les crédits consacrés aux programmes à effet majeur (PEM) augmenteront de 70 %. Dans l'hypothèse où la dissuasion continuerait à représenter environ 12 % du montant total, ses crédits s'élèveraient à environ 50 Md€, incluant l'effort de modernisation et de renouvellement des deux composantes.
Compte tenu de l'inflation, et du coût accru de technologies de plus en plus complexes, cet effort significatif pour le budget de la nation ne permet toutefois pas de répondre à l'ensemble des enjeux.
Le financement de l'effort militaire paraît confronté à un problème de synchronisation : en reportant des programmes, année après année, le bon séquencement du renouvellement des capacités a été perdu. Il faut donc aujourd'hui enclencher de façon concomitante le renouvellement des deux composantes de la dissuasion nucléaire ainsi que du porte-avions, tout en modernisant et en accroissant les volumes dans le domaine conventionnel. Ce pari est difficilement tenable en l'état actuel des finances publiques, alors que le montant des intérêts de la dette publique dépassera, au cours de la période, le montant du budget de la mission défense.
La LPM prévoit, en conséquence, des aménagements de calendrier, dont certains s'apparentent à des renoncements. Des cibles sur des programmes cruciaux sont reportées à 2035, soit plus d'une décennie. Or qui peut dire comment le contexte stratégique aura évolué d'ici là et si les formats actuels, qui sont, pour l'essentiel, reconduits, seront suffisants ?
Le projet de LPM 2024-2030 programme une augmentation significative du budget de la mission défense. Celui-ci passera de 47 Md€ en 2024 à 69 Md€ en 2030. L'enveloppe totale, sur sept ans, s'élève à 400 Md€ de crédits budgétaires, complétés par 13,3 Md€ de ressources supplémentaires, en partie hypothétiques, pour financer des besoins totaux évalués à 413,3 Md€. Cette enveloppe augmente de 40 % par rapport à celle de la LPM 2019-2025 (295 Md€). Pour le seul agrégat « équipement » (incluant le P146 mais aussi des crédits des trois autres programmes de la mission défense), l'augmentation est de 56 % entre les deux LPM. Cette augmentation des crédits s'accompagne toutefois d'incertitudes importantes.
LPM 24-30 : une augmentation de 40 % des crédits
LPM 19-25 |
LPM 24-30 |
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I. UNE ABSENCE DE PRIORISATION DES ENJEUX STRATÉGIQUES QUI CONDUIT LOGIQUEMENT À UNE LPM DE CONTINUATION PLUTÔT QUE DE TRANSFORMATION CAPACITAIRE
A. UNE ANALYSE STRATÉGIQUE QUI MANQUE DE RELIEF
1. Une Revue nationale stratégique dans la continuité de la précédente
Élaborée en vue de la LPM, la Revue nationale stratégique présentée par le Président de la République le 9 novembre 2022 a pour objet de présenter l'environnement de défense et de sécurité de la France et d'identifier les principaux enjeux dans ce domaine à l'horizon 2030. Son principal apport a été d'introduire d'une nouvelle fonction stratégique - l'influence - ce qui est en effet judicieux au regard du contexte de guerre d'influence au niveau mondial. La RNS réaffirme, par ailleurs, le rôle de la France au sein de l'OTAN, ce qui est essentiel.
Néanmoins :
Ø La RNS réaffirme les postulats précédents, sans que la pandémie de covid-19, la guerre en Ukraine ou le recul de la France en Afrique ne semblent constituer des chocs majeurs appelant un tournant dans la politique de défense. Ces événements sont considérés comme validant des constats qui figuraient déjà dans la Revue stratégique de 2017. Pourtant, la guerre qui a démarré en 2022 en Ukraine est considérée par beaucoup d'observateurs comme un tournant comparable à celui de la fin de la guerre froide.
Ø L'analyse se concentre sur les modalités d'action par fonctions stratégiques, et au regard des principes d'autonomie stratégique, de souveraineté européenne, ou encore la nécessité d'être un « allié exemplaire »... Les finalités, c'est-à-dire les menaces à traiter, ne sont qu'au second plan.
2. Trois problématiques principales à prendre en compte
Les auditions réalisées mettent en évidence trois problématiques principales auxquelles la France est confrontée :
Ø Un accroissement de l'instabilité en Afrique, dans un contexte de défiance croissante vis-à-vis de la France. Or la France continue d'avoir de nombreux intérêts sécuritaires et économiques en Afrique où elle doit protéger ses ressortissants, comme l'a illustré, récemment, l'opération Sagittaire au Soudan.
Ø La matérialisation du retour de l'affrontement entre État puissances en Europe depuis l'agression russe en Ukraine. L'armée russe est, certes affaiblie, mais elle conserve la possibilité de remonter rapidement en puissance. Les événements récents font craindre, de nouveau, une possible escalade dans ce conflit dont l'issue continue d'être difficilement prévisible.
Ø Le basculement vers l'Indopacifique, où la France est présente et où elle doit défendre ses intérêts en tenant compte de ce qu'il est convenu d'appeler la « tyrannie des distances » entre l'Hexagone et les outre-mer.
A ces problématiques s'ajoutent des enjeux transversaux tels que la dégradation du climat.
Entre la RNS et la LPM, il manque un cadrage global de nos ambitions opérationnelles, et donc capacitaires, sur la base de différents scénarios d'engagement des armées à l'horizon de la fin de la prochaine décennie.