II. LES DONNÉES GÉNÉRALES DE LA SESSION 2021-2022

A. UN TAUX GLOBAL D'APPLICATION DES LOIS EN AMÉLIORATION MAIS QUI CACHE DE NOMBREUSES DISPARITÉS

1. Un taux global d'application en amélioration par rapport à l'année dernière

64 lois ont été adoptées au cours de la session 2021-2022, dont 18 étaient d'application directe et 46 nécessitaient des mesures d'application.

Les lois d'application directe représentent 28 % des lois promulguées en 2021-2022. Ce chiffre est en augmentation sur les années récentes. 22 % des lois étaient d'application directe en 2020-2021, 23 % pour 2019-2020 et 12 % pour la session 2018-2019.

649 mesures d'application (512 décrets15(*) et 137 autres mesures réglementaires) étaient prévues par les 46 lois n'étant pas d'application directe. Alors même que les lois d'initiative parlementaire représentent 60 % de ces 46 lois16(*), l'essentiel des mesures réglementaires sont concentrées dans les lois d'origine gouvernementale (75 % des mesures).

Nombre de projets et propositions de lois au cours de la session 2021-2022

Le taux global d'application des lois s'établit à 65 % pour la session 2021-2022. Ce chiffre est en amélioration par rapport à 2020-2021, où il s'établissait à 57 %, et par rapport à 2019-2020, où il était de 62 %. Il reste cependant encore inférieur à celui de la session 2018-2019 (72 %), à celui de la session 2017-2018 (78 %) ou encore à celui de la session 2016-2017 (73 %). Ainsi, si le taux global d'application s'améliore, il ne retrouve pas encore son niveau de la fin des années 2010.

Taux d'application des lois selon le Sénat depuis la session 2016-2017

Note de lecture : au 31 mars 2021, le taux d'application des lois votées au cours de la session 2019-2020 tel que calculé par le Sénat s'élevait à 62 %.

Taux d'application des lois selon le SGG depuis la session 2017-2018

Note de lecture : au 31 mars 2022, le taux d'application des lois votées au cours de la session 2020-2021 tel que calculé par le SGG s'élevait à 60 %.

425 mesures d'application ont été prises (525 si l'on inclut les mesures non prévues par les textes), et 224 restent à prendre. Si l'on exclut les mesures dont le législateur a autorisé une entrée en vigueur différée, dites « mesures d'application différées » ou « mesures différées », le taux d'application atteint 68 %. Au total, le Sénat a recensé 27 mesures différées pour les lois adoptées en 2021-2022, contre 76 la session précédente.

Parmi les 25 lois partiellement mises en application, 8 lois, soit près d'un tiers, affichent des taux d'application inférieur à 50 %. Cette proportion est quasiment identique à celle observée l'année dernière. Motif de satisfaction en revanche, aucune loi, contrairement à l'année dernière, n'affiche un taux d'application inférieur à 10 %.

2. Des taux d'application très disparates suivant les commissions

Ce taux global en amélioration cache néanmoins de grandes disparités selon les commissions.

Les taux d'application pour les textes soumis à la commission des affaires économiques, à celle de la culture, de l'éducation et de la communication et à celle des affaires sociales se dégradent par rapport à la session 2020-2021.

Pour la commission des affaires économiques, le taux d'application atteint 56 % pour 2021-2022. Comme précisé par la contribution de cette commission, ce faible taux s'explique en grande partie « du fait de la publication lacunaire des textes réglementaires prévus par certaines propositions de lois17(*)». Ainsi, la loi n°2022-300 du 2 mars 2022 visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d'accès à internet affiche, au 31 mars 2023, un taux d'application de seulement 25 %. 4décrets d'application étaient prévus et seul 1 a été pris. Issue elle aussi d'une proposition de loi, la loi n°2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes affiche un taux d'application de 45 %. La commission des affaires économiques souligne le retard pris pour les « dispositions relatives à la faune sauvage captive, préjudiciable aux professionnels car source d'insécurité juridique »18(*). Une mission de suivi de cette loi, confiée à Mme Anne Chain-Larché, sur le fondement de l'article 19 bis B du règlement du Sénat, a d'ailleurs été lancée en décembre 2022 et doit rendre ses travaux fin mai 2023. Enfin, peut également être noté le faible taux d'application (54 %) de la loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs, issue d'une proposition de loi de l'Assemblée nationale.

Pour la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, le taux d'application des lois atteint 52 % pour 2021-2022 contre 83 % pour 2020-2021. 5 lois relevant de la compétence de cette commission nécessitaient des mesures réglementaires. Deux lois sont désormais intégralement applicables : la loi n° 2022-299 du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire19(*) et la loi n° 2021-1382 du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l'accès aux oeuvres culturelles à l'ère numérique. Parmi les trois lois restantes, la loi n°2022-296 du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France affiche un taux d'application de seulement 25 %. 6 mesures réglementaires ont été prises sur les 17 attendues.

Le taux d'application des textes relevant de la commission des affaires sociales est de 61%, « un peu moins bon que les 68 % de l'année précédente mais dans la moyenne des années précédentes »20(*). Le taux d'application de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 202221(*) reste insuffisant à 65 %, en retrait par rapport aux 79 % de l'an dernier. Or, comme le rappelle Mme Catherine Deroche, présidente de la commission, « un taux d'application « normal » pour la LFSS dépassait les 90 % avant la crise épidémique. La nature même de l'exercice, avec un champ du texte très encadré et les conditions très spécifiques dans lesquelles il se déroule, notamment en terme de calendrier, impliquent une mise en oeuvre rapide »22(*). Par ailleurs, plus d'un an après sa promulgation, la loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants souffre d'une application très insuffisante avec seulement 37 % des mesures réglementaires attendues ayant été prises.

A l'inverse, le taux d'application des lois relevant de la compétence de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, il est vrai particulièrement bas au cours de la session précédente (10 %), s'améliore nettement, puisqu'il atteint désormais 69 % pour 2021-2022. Le taux d'application des lois relevant de la commission des finances s'améliore également (81% pour 2021-2022 contre 72 % pour2020-2021).

La forte progression du taux d'application pour les lois relevant de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable s'explique en grande partie par la parution de l'intégralité des textes d'application des lois « REEN 2 »23(*) et « Collectivité européenne d'Alsace »24(*). Il convient cependant de noter que ces deux textes ne prévoyaient qu'un nombre très limité de mesures d'application (3 décrets en l'occurrence). Par ailleurs, ce bon taux d'application ne doit pas occulter le taux d'application très faible de la loi « REEN 1 »25(*), qui s'établit à 33 % près de 18 mois après sa promulgation. M. Jean-François Longeot, président de la commission, le déplore d'ailleurs, « surtout dans le contexte actuel qui impose des efforts accrus pour faire face à l'urgence climatique : le signal politique à envoyer doit être sans équivoque, quel que soit le secteur concerné »26(*).

Pour la commission des finances, la loi de finances concentrait plus des deux tiers des mesures renvoyant à un texte réglementaire, moins d'un tiers relevant de trois autres lois. Le taux d'application des lois hors mesures différées reste stable, s'établissant comme l'année dernière à 87%. Ce taux s'inscrit dans la moyenne haute des taux des précédentes années, qui est légèrement au-dessus de 80 %. Deux tendances sont toutefois observables. D'une part, il convient de relever une proportion plus importante de décrets que d'arrêtés pris. D'autre part, le nombre de mesures différées a considérablement augmenté depuis cinq ans. Quasi-inexistantes lors des sessions 2016-2017 et 2017-2018, les mesures différées étaient au nombre de 18 pour 2019-2020, de 36 pour 2020-2021 et de 18 pour 2021-2022.

Enfin, la commission des lois, toujours quantitativement particulièrement sollicitée - elle s'est vu confier l'examen au fond de 20 des 64 lois promulguées sur la session27(*) -, affiche un taux d'application de 66 % pour les textes relevant de sa compétence, identique à la session précédente. Légèrement inférieure à la moyenne, ce taux d'application apparaît d'autant plus insuffisant que 17 de ces lois (soit 85 %) ont été adoptées après engagement de la procédure accélérée. L'exécutif ne s'impose pas dans la prise des mesures réglementaires la même célérité qu'il impose au Parlement. Avec 48 mesures prises sur les 90 prévues, le taux d'application de la loi « 3DS »28(*) est faible : seuls 52% des mesures prévues ont été prises29(*). Par ailleurs, certaines mesures d'application ont été prises en s'éloignant de la volonté du législateur. Mme Françoise Gatel, rapporteure du texte pour la commission des lois, cite ainsi le cas de l'article 229 de cette loi30(*) : si le décret d'application a bien été pris, « le pouvoir réglementaire a outrepassé l'intention du législateur »31(*).

3. Proposition de loi ou projet de loi, amendement du Sénat ou amendement de l'Assemblée nationale : des applications à deux vitesses qui interrogent

Les taux d'application des lois sont sensiblement différents selon leur origine parlementaire ou gouvernementale.

Ainsi, le taux d'application des lois issues de propositions de loi s'établit à 56 % pour la session 2021-2022, alors que le taux global d'application des lois, toutes origines confondues, s'établit à 65 %. Cet écart de près de 10 points est d'autant plus notable que les propositions de loi sont pour plus du tiers d'entre elles d'application directe32(*) et que l'application de ces lois d'initiative parlementaire nécessite en général un nombre bien plus réduit de mesures réglementaires33(*). Beaucoup d'entre elles ne nécessitent que 2 à 3 décrets d'application.

Alors que cet écart selon que la loi émane d'un projet ou d'une proposition de lois s'était récemment résorbé, il augmente de nouveau, sans atteindre cependant le différentiel de 20 points enregistré pour la session 2019-2020.

Taux d'application des lois selon leur origine - session 2021-2022

Les différences de taux d'application sont également notables selon que la disposition provienne d'un amendement sénatorial ou d'un amendement de l'Assemblée nationale ou du Gouvernement.

Une analyse de l'origine des 649 mesures appelées en application des textes votés montre qu'environ un peu plus d'un tiers d'entre elles (36 %) sont requises par texte initial, 1/5 par une disposition issue d'un amendement du gouvernement (19 %), 1/5 par un amendement de l'Assemblée nationale (20 %), et 15 % par un amendement sénatorial34(*).

Application des dispositions législatives selon leur origine - 2021-2022

 

Texte initial

Amendement du Gouvernement

Amendement d'origine sénatoriale

Amendement de l'Assemblée Nationale

Introduction en commission mixte paritaire

Non renseigné

Total

Mesures prises

161

83

57

92

16

16

425

Mesures restant à prendre

75

40

43

40

17

9

224

Total (et pourcentage de l'ensemble des mesures d'application prévues)

376

(36 %)

123

(19 %)

100

(15 %)

132

(20 %)

33

(5 %)

25

(4 %)

649

Taux de mise en application des mesures réglementaires prévues selon leur origine

68 %

67 %

57 %

70 %

48 %

64 %

65 %

Note de lecture : 67 % (83 sur 123) des mesures réglementaires d'application prévues par un amendement du Gouvernement ont été prises alors que ces dernières ne représentent que 19 % du total des mesures réglementaires prévues.

On constate un différentiel très important selon la provenance de la mesure : 68 % des mesures appelées par le texte initial ont trouvé application, 67 % des mesures issues d'un amendement du Gouvernement, 70 % des mesures issues d'un amendement de l'Assemblée nationale et seulement 57% pour celles issues d'un amendement sénatorial.

Ainsi, alors que les mesures issues du texte initial, d'amendements du Gouvernement ou d'amendements de l'Assemblée nationale affichent des taux d'application proches de 70 %, le taux d'application pour les mesures issues d'un amendement sénatorial est de plus de 10 points plus faible, s'établissant à 57 %. Ce chiffre est d'autant plus frappant que le Sénat est, comme indiqué, un pourvoyeur raisonné de nouvelles mesures règlementaires d'application (15 %).

À titre d'exemple, dans le périmètre de la commission des lois, 56 % des mesures d'applications appelées par un amendement sénatorial ont été prises, contre 72 % des mesures issues d'un amendement de l'Assemblée national et 73% pour les mesures issues du texte initial.

Taux d'application des dispositions législatives selon leur origine

Dans son bilan de l'application des lois pour la session 2020-2021, le Sénat s'engageait à se montrer attentif à l'avenir à ce qu'une certaine équité dans la célérité avec laquelle les mesures d'application sont prises demeure entre les deux chambres et avec le Gouvernement.

Ces écarts importants - de près de 10 points, que ce soit entre propositions de lois et projets de lois ou entre mesures issues d'amendement du Sénat et celles issues d'amendement du Gouvernement - doivent être soulignés. Selon les échanges avec les services du SGG, les mesures issues d'initiatives parlementaires étant difficiles à anticiper - à la différence des mesures issues du Gouvernement -, leur taux d'application serait nécessairement plus faible. Cette justification ne peut convaincre qu'à moitié puisque le taux d'application des mesures issues d'un amendement de l'Assemblée nationale atteint 70 %. Même en considérant que certains des amendements de l'Assemblée nationale sont en réalité des amendements « cachés » du Gouvernement, l'écart reste trop important (13 points).

On observe donc bien une application à deux vitesses des dispositions législatives selon leur provenance. Pourtant, la circulaire du 27 décembre 2022 relative à l'application des lois ne fait pas de distinction selon l'origine des dispositions. Comme le rappelle même cette circulaire, « chaque disposition législative qui demeure inappliquée est une marque d'irrespect envers la représentation nationale et de négligence vis-à-vis de nos concitoyens ».

Interrogée à ce sujet lors de son audition au Sénat le 27 juillet 2022, la Secrétaire général du Gouvernement Mme Claire Landais avait indiqué qu'il n'y avait derrière ces écarts « aucune volonté. Nous ne connaissons pas, dans nos tableaux, l'origine des dispositions. Il n'y a pas d'effort particulier pour les amendements du Gouvernement ou des députés. Je découvre cet écart et nous essaierons d'y être attentifs »35(*). Elle invitait le Sénat à lui signaler toute dérive en la matière. Le Sénat alerte donc une nouvelle fois sur cette préoccupante application à deux vitesses des dispositions législatives.


* 15 Le SGG recense quant à lui 546 mesures appelant un décret d'application, un même décret pouvant couvrir plusieurs des mesures identifiées attendues.

* 16 18 des 46 lois nécessitant des mesures réglementaires étaient à l'origine des propositions de loi.

* 17 Contribution de la commission des affaires économiques

* 18 Ibid.

* 19 Elle ne prévoyait qu'un seul décret d'application.

* 20 Compte rendu de la réunion de la commission des affaires sociales du mercredi 3 mai 2023.

* 21 La LFSS pour 2022 concentre 116 des 191 mesures réglementaires à prendre dans le périmètre de cette commission pour 2021-2022.

* 22 Compte rendu de la réunion de la commission des affaires sociales du mercredi 3 mai 2023.

* 23 Loi n° 2021-1755 du 23 décembre 2021 visant à renforcer la régulation environnementale du numérique par l'autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse.

* 24 Loi n° 2022-269 du 28 février 2022 ratifiant les ordonnances prises sur le fondement de l'article 13 de la loi n° 2019-816 du 2 août 2019 relative aux compétences de la Collectivité européenne d'Alsace.

* 25 Loi n° 2021-1485 du 15 novembre 2021 visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France.

* 26 Compte rendu de la réunion de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du mercredi 10 mai 2023.

* 27 Soit 31 % de l'ensemble des lois promulguées.

* 28 Loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale.

* 29 La loi comptait 271 articles, dont la plupart ont été examinés par la commission des lois.

* 30 Cet article prévoit les conditions dans lesquelles les chambres régionales des comptes (CRC) participent à l'évaluation des politiques publiques territoriales.

* 31 Compte-rendu de la réunion de la commission des lois du mercredi 3 mai 2023.

* 32 37 % contre 28 % de lois d'application directe sur l'ensemble des lois promulguées en 2021-2022.

* 33 Pour 2021-2022, les mesures réglementaires à prendre étaient issues à 25 % de propositions de lois (165 sur 649), alors que les lois d'initiative parlementaire représentent 60 % des lois nécessitant des mesures (2- sur 44).

* 34 Les proportions restantes se répartissent ainsi : 5 % introduits en commission mixte paritaire, et 4 % d'origine non renseignée.

* 35 Audition de Mme Claire Landais, Secrétaire générale du Gouvernement, sur le bilan annuel de l'application des lois, mercredi 27 juillet 2022.

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