C. TROISIÈME PARTIE : EXAMEN EN COMMISSION
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M. François-Noël Buffet, président. - Comme chaque année à cette période, notre commission se penche sur les principales caractéristiques de l'application des lois que nous avons été amenés à examiner au fond au cours de l'année parlementaire 2021-2022.
Cet exercice traditionnel vise à opérer une vérification approfondie de l'adéquation entre les mesures législatives que nous votons et les mesures d'application que le Gouvernement a l'obligation de prendre. C'est aussi l'occasion de prendre un peu de recul sur les conditions souvent difficiles dans lesquelles le Parlement, et particulièrement notre commission, examine les textes de loi. Cet exercice s'achèvera lors de la semaine de contrôle du 30 mai par un débat en séance sur l'application des lois, en présence du ministre chargé des relations avec le Parlement.
Au cours de l'année parlementaire 2021-2022, 20 des 64 lois promulguées ont été examinées au fond par la commission des lois, soit 31 % de l'ensemble des lois promulguées, hors traités et conventions internationales, niveau le plus élevé, cette année encore, de l'ensemble des commissions permanentes.
Ces 20 lois se répartissent en 9 projets de loi et 11 propositions de loi, dont seulement 4 d'origine sénatoriale : la proposition de loi permettant la réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce présentée par Nathalie Goulet ; la proposition de loi visant à nommer les enfants nés sans vie présentée par Anne-Catherine Loisier et plusieurs de ses collègues ; la proposition de loi tendant à abroger des lois obsolètes pour une meilleure lisibilité du droit présentée par Vincent Delahaye, Valérie Létard et plusieurs de leurs collègues ; la proposition de loi visant à moderniser la régulation du marché de l'art présentée par Catherine Morin-Desailly et plusieurs de ses collègues.
Parmi ces 20 lois, 17 ont été adoptées après engagement de la procédure accélérée. Cela représente 85 % des textes examinés par la commission, un taux en légère diminution par rapport au record décennal de 91,7 % atteint l'année précédente du fait de la multiplication des textes relatifs à l'état d'urgence sanitaire.
L'année parlementaire 2021-2022 a été marquée par un retour à la normale de la durée de la navette parlementaire pour les textes renvoyés à la commission des lois. Ces 17 projets et propositions de loi ont en effet été examinés en 220 jours en moyenne, soit sept mois, contre 119 jours en 2020-2021, soit moins de quatre mois.
Cependant, ce recours à la procédure accélérée, pourtant inscrit dans la Constitution comme une exception au principe d'une double lecture par chaque assemblée, continue de nous imposer des délais d'examen contraints qui ne sont pas réellement justifiés par l'actualité et une lecture unique dans chaque chambre ne favorisant pas le travail approfondi qui s'impose.
Pour l'année parlementaire 2021-2022, on dénombre également, pour la commission des lois, 6 lois conférant au Gouvernement 16 habilitations à légiférer par voie d'ordonnance. Treize habilitations ont été utilisées, donnant lieu à la publication d'autant d'ordonnances. Pour la deuxième année consécutive, le nombre d'ordonnances publiées sur la période de référence est en diminution. Cela s'explique par la fin du recours massif aux ordonnances observé au cours de la période 2019-2020, dans le contexte de la crise sanitaire.
Conformément à sa position traditionnelle, la commission des lois s'efforce soit de substituer aux habilitations demandées par le Gouvernement des modifications directes des dispositions législatives, soit, à tout le moins, de les encadrer strictement.
Au 31 mars 2023, sur ces 20 lois promulguées en 2021-2022, 10 étaient entièrement applicables - 5 lois d'application directe et 5 devenues pleinement applicables. Dix lois appellent donc encore des mesures d'application.
Ainsi, 72 des 211 mesures d'application prévues par ces 20 lois n'avaient pas été prises au 31 mars 2023, soit 34 % des mesures attendues, ce qui représente un taux équivalent à celui constaté l'an dernier, alors même que pour 17 de ces lois le Gouvernement avait estimé nécessaire d'engager la procédure accélérée.
Outre ce taux de mise en application des lois de 66 % pour 2021-2022, nous pouvons retenir, premièrement, que l'inflation législative perdure, le coefficient multiplicateur des dispositions législatives s'établissant à 2,2 : ainsi, les 20 lois promulguées comportaient 581 articles contre 259 au stade de leur dépôt. Si le coefficient multiplicateur reste identique à celui de l'année précédente, le nombre d'articles comptabilisés au stade du dépôt a augmenté de 31 %, notamment du fait du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite 3DS, qui comptait 84 articles dans sa version initiale.
Deuxièmement, le taux de remise des rapports au Parlement, qui s'élève à 61 %, est en nette amélioration par rapport à l'année précédente : + 11 %. Ce taux est bien plus élevé que celui qu'observent les autres commissions, puisque le taux de publication global n'est que de 36 %. Cette situation s'explique par le fait que la quasi-totalité des rapports au Parlement prévus dans le cadre des lois relatives à la gestion de la crise sanitaire a été publiée. Cependant, nous ne pouvons que déplorer que plus d'un rapport sur trois ne soit toujours pas publié dans les délais.
Troisièmement, malgré la suspension des travaux en séance publique entre mars et juin 2022, l'activité législative de notre commission est restée soutenue : pour cette même période de référence 2021-2022, nous avons examiné 11 autres projets et propositions de loi qui, pour la plupart, soit sont en instance d'examen par l'Assemblée nationale, soit ont été adoptés définitivement après le 30 septembre 2022, soit ont été retirés de l'ordre du jour, rejetés en séance publique ou encore rejetés par l'Assemblée nationale.
Quatrièmement, du fait de la suspension des travaux législatifs, notre commission a lancé de nombreux travaux de contrôle qui ont donné lieu à la publication de 8 rapports d'information au cours de la période de référence. À ces travaux s'ajoutent 6 rapports d'information réalisés dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2022.
Voilà rapidement brossé le panorama général de la mise en oeuvre réglementaire des textes de loi que nous avons eu à traiter.
Je vais maintenant laisser la parole à quelques collègues pour des propos spécifiques à certaines des lois qu'ils ont rapportées : Catherine Di Folco, sur la loi organique visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d'alerte et sur la loi visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte ; André Reichardt, sur la loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne ; Françoise Gatel et Mathieu Darnaud, sur la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la loi visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte. - Notre débat sur l'application des lois intervient au moment opportun pour faire un premier bilan du nouveau régime juridique des lanceurs d'alerte. La loi du 21 mars 2022 a en effet réformé en profondeur les règles édictées par la loi de 2016, dite « Sapin 2 », afin, d'une part, de les mettre en conformité avec le droit européen et, d'autre part, de renforcer les protections offertes à ces personnes qui signalent ou divulguent publiquement, dans l'intérêt public, des informations sensibles ou confidentielles. L'articulation entre les procédures de signalement interne et externe a ainsi été précisée, de même que les règles à respecter pour pouvoir directement porter à la connaissance du public les faits allégués.
Tout en souscrivant aux objectifs de la proposition de loi, le Sénat avait souhaité parfaire l'équilibre entre la protection des lanceurs d'alerte contre les représailles et la préservation des autres intérêts concernés ; je pense en particulier à la sauvegarde des secrets protégés par la loi et à la réputation des personnes physiques ou morales qui pourraient être mises en cause à tort.
À deux exceptions près, dont une de taille sur laquelle je reviendrai, les mesures réglementaires d'application de la loi ont bien été publiées par le Gouvernement.
Le décret du 3 octobre 2022 détaille ainsi le contenu des procédures internes et externes de recueil et de traitement des alertes. Ces mesures d'application respectent pleinement l'équilibre défini par le Parlement lors de l'examen de ce texte.
Les règles formelles ainsi définies pour bénéficier du statut de lanceur d'alerte sont, d'une part, suffisamment souples pour encourager les potentiels auteurs de signalement à se saisir du dispositif. Par exemple, le signalement interne peut être effectué à l'écrit comme à l'oral et tout élément, quel que soit sa forme ou support, peut être transmis pour l'étayer. Ces règles sont, d'autre part, suffisamment précises pour garantir un traitement efficace et impartial des alertes, tant du fait de l'indépendance des autorités saisies que des marges de manoeuvre dont elles disposent pour conduire l'instruction dans de bonnes conditions. Ces autorités peuvent ainsi demander des informations complémentaires à l'auteur de l'alerte et doivent respecter un délai ferme de trois à six mois pour l'informer des suites qui lui ont été données.
Pour ce qui est des règles de divulgation publique, le décret fixe également un délai de trois à six mois à partir duquel un lanceur d'alerte ayant saisi sans succès une autorité externe peut porter à la connaissance du public les informations dont il dispose et bénéficier à ce titre des protections offertes par la loi.
Ces différentes mesures contribuent à rendre le régime de protection des lanceurs d'alerte effectif, dans le respect de l'équilibre défini par le législateur.
On ne peut néanmoins que regretter que l'intégralité de la loi ne soit toujours pas applicable à ce jour. Comme je vous le disais, deux exceptions subsistent. La première est d'ordre technique et ne remet pas en cause l'équilibre général du régime. Dans le détail, le décret du 3 octobre 2022 ne précise pas les modalités selon lesquelles plusieurs autorités externes conjointement compétentes pour le traitement d'une même alerte peuvent échanger des informations à cette fin.
Le second point est plus significatif et concerne les conditions selon lesquelles la procédure de signalement interne peut être mutualisée entre des sociétés appartenant à un même groupe. Cette possibilité avait été introduite par le Sénat avec pour objectif d'assouplir les obligations formelles imposées à chacune des filiales et de réduire les coûts correspondants. Concrètement, il s'agissait d'éviter la situation ubuesque à laquelle une interprétation stricte du droit européen pourrait conduire, à savoir la coexistence au sein d'un même groupe d'une multitude de canaux d'alerte internes similaires et potentiellement concurrents. Je rappelle que, dans un courrier du 2 juin 2021, la Commission européenne avait ouvert la porte à une telle dérogation.
Il est à cet égard regrettable que, dans l'attente d'une clarification des exigences de la directive par la Cour de justice de l'Union européenne, ces modalités d'adaptation aux groupes de société des procédures de signalement n'aient pas été explicitement intégrées dans le décret du 3 octobre 2022. Cette absence risque, d'une part, de nuire à la lisibilité d'ensemble du régime pour les lanceurs d'alerte potentiels et, d'autre part, de créer une nouvelle charge administrative superflue pour les groupes de sociétés.
Certes, toutes les entreprises de moins de 250 salariés peuvent mutualiser les moyens de traitement des alertes internes. Mais cette faculté reste très en deçà des dispositions qui ont été, sur l'initiative du Sénat, inscrites dans la loi, où il est bien question d'une procédure commune au sein des groupes de sociétés.
J'en appelle donc à une vigilance collective sur ce sujet et invite le Gouvernement à procéder, dès que possible, à cette indispensable adaptation des règles pour les groupes de société.
M. André Reichardt, rapporteur de la loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne. - À l'époque, vous vous en souvenez, j'avais critiqué la méthode employée : le texte était visiblement une « fausse » proposition de loi, rédigée par les directions centrales des ministères concernés, déposée par les députés du groupe majoritaire, puis discutée au Parlement, sans étude d'impact ni avis du Conseil d'État, le tout dans un domaine qui n'était pas anodin, puisqu'il s'agissait de procéder en une heure au retrait de contenus à caractère terroriste en ligne. Des dispositions similaires avaient d'ailleurs été censurées dans la loi du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite loi Avia.
Le Gouvernement souhaitait aller vite. La proposition de loi dont j'étais le rapporteur visait à adapter la législation française au regard du règlement européen du 29 avril 2021 relatif à la lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne, qui était entré en vigueur le 7 juin 2022.
Compte tenu de ces enjeux, le Sénat avait accepté de « jouer le jeu » et d'adopter ce texte en urgence pendant la session extraordinaire de juillet. Je vous rappelle quel avait été le calendrier : 6 juillet, examen en commission ; 12 juillet, examen en séance ; 19 juillet, commission mixte paritaire ; 26 juillet, adoption en séance publique des conclusions de la CMP.
La loi a été promulguée le 16 août 2022 après une décision de conformité du Conseil constitutionnel. Que s'est-il passé depuis ? Rien ! Faute de décret d'application, cette loi n'est pas applicable.
Le décret définissant les modalités d'application de son article unique, et en particulier les modalités d'échange d'informations entre les différentes autorités nationales ou étrangères impliquées dans les procédures d'injonction de retrait, n'est toujours pas publié. On nous l'annonce maintenant pour juin ou juillet prochain...
Dans l'attente de ce décret, aucune injonction de retrait nationale n'a pu être émise par l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC), tandis qu'aucune injonction de retrait transfrontalière émanant d'une autorité européenne ne peut être traitée.
Heureusement, il semble qu'il n'y ait pas eu d'injonction de retrait transfrontalière émise en direction de la France sur la période ; tant mieux. La personnalité qualifiée de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) n'a donc pas été empêchée de faire son travail, mais vous avouerez que cette situation est anormale.
En définitive, seule la nomination d'un suppléant de la personnalité qualifiée nommée au sein de l'Arcom est intervenue ; derechef, tant mieux, mais c'est là un bilan bien maigre après tous les efforts de célérité déployés côté Parlement, s'agissant d'une proposition de loi examinée dans des conditions acrobatiques, sans étude d'impact ni avis du Conseil d'État, je le répète...
Mme Françoise Gatel, rapporteur de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS). - Le bilan de l'application de la loi 3DS qu'avec Mathieu Darnaud nous allons faire risque d'entretenir une certaine forme de déprime chez le législateur...
Davantage que les décrets d'application en eux-mêmes, je voudrais évoquer les questions de la qualité de la loi et de son applicabilité par les collectivités territoriales, étant entendu que les préfets et les sous-préfets devraient exercer le rôle d'animation et de diffusion des dispositions introduites par une loi à destination des collectivités locales. Très peu d'élus, en effet, connaissent les mesures que nous avons prises en leur faveur, par exemple la possibilité de procéder à des transferts de compétences « à la carte » au sein du bloc communal ou la soumission de l'exercice de certaines compétences, notamment la voirie, à la reconnaissance d'un intérêt communautaire ou métropolitain dans les communautés urbaines et les métropoles. L'État ne semble pas prendre toute sa part de l'effort consistant à garantir une application réussie des lois, comme le rapport d'information sur la déconcentration établi au titre de la délégation aux collectivités territoriales par nos collègues Agnès Canayer et Éric Kerrouche l'a clairement établi.
Je déplore par ailleurs la méconnaissance de dispositions que nous avons votées, à commencer par le fameux droit de veto sur l'implantation d'éoliennes. Un débat de fond avait eu lieu à l'époque de l'examen du projet de loi 3DS ; nous avions à juste titre considéré qu'un droit de veto donné aux maires était un revolver mis sur la tempe de l'édile, ainsi coincé entre les « pour » et les « contre ». Nous avions donc adopté une disposition plutôt intelligente, qui permettait, par le biais d'une modification simplifiée du plan local d'urbanisme (PLU), de définir un zonage d'installation d'éoliennes à l'échelle du territoire communal ou intercommunal.
Or, quelques mois après la promulgation de la loi 3DS, le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables est déposé. Très curieusement, il nous est apparu lors des débats sur ce texte que le ministère de la transition énergétique ignorait tout bonnement la disposition figurant dans la loi 3DS. Je n'ose tirer de cet exemple quelque conclusion que ce soit...
Il peut arriver par ailleurs que le pouvoir réglementaire prenne effectivement les mesures d'application nécessaires, mais déforme, ce faisant, l'intention du législateur. Nous l'avons vécu à propos du « zéro artificialisation nette » (ZAN), mais j'en donnerai un autre exemple tout aussi remarquable.
Souvenez-vous, à l'article 229 de la loi 3DS, il a été offert aux collectivités qui le souhaitent, plutôt les plus peuplées et dotées financièrement, la possibilité de solliciter la chambre régionale des comptes pour une évaluation des politiques publiques qu'elles conduisent.
Or, chose merveilleuse, le décret du 8 décembre 2022 pris pour l'application de cet article dispose que « la chambre régionale des comptes peut, de sa propre initiative, procéder à l'évaluation d'une politique publique relevant des collectivités territoriales et organismes soumis à sa compétence de contrôle des comptes et de la gestion ». Cette capacité d'autosaisine me semble excéder très largement l'esprit du texte. J'ai posé au Gouvernement une question écrite à ce sujet ; je vous épargne la réponse qui m'a été faite, sorte de fin de non-recevoir qui met en doute ma compréhension des décrets d'application...
M. Mathieu Darnaud, rapporteur de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS). - Dans le prolongement de ce que vient de dire ma collègue Françoise Gatel, notamment sur les difficultés posées par la non-prise de mesures d'application pourtant prévues par la loi, si nous pouvons nous satisfaire de quelques mesures qui ont été prises avec diligence et célérité, s'agissant notamment du transfert des routes - le Sénat ayant recentré le sujet sur les départements et précisé les conditions de transfert - ou sur des sujets d'ordre réglementaire comme le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), nous dénombrons malheureusement encore trop de sujets qui font défaut.
Permettez-moi d'en citer quelques-uns. Je prendrai notamment trois exemples, sur le sujet des routes.
Nous constatons aujourd'hui que certaines mesures de contrôle routier sur les voies transférées ou mises à disposition des collectivités ne peuvent être prises, faute d'un arrêté du ministre de la justice et des ministres chargés de la voirie routière nationale et des collectivités territoriales qui doit déterminer les conditions d'assermentation d'agents de la région nouvellement compétents pour la réalisation de contrôles routiers et faute du décret prévu à l'article 53 de la loi pour la détermination des modalités de dépôt et d'instruction des demandes formulées par les collectivités territoriales concernant l'installation de radars routiers sur les routes dont elles ont la charge.
Ces actes n'ont pas été pris, et leur absence prive d'effet des dispositions pourtant souhaitées par certaines collectivités territoriales et de nature à renforcer la sécurité routière.
Parmi les mesures d'application faisant fortement défaut, je souhaite également évoquer deux mesures dont l'absence fait aujourd'hui obstacle à une meilleure application du principe de différenciation, qui, rappelons-le, était l'un des 3D du texte éponyme.
D'une part, le décret en Conseil d'État prévoyant les conditions et le plafond dans le respect duquel le régime des redevances dues aux communes, aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ou aux syndicats mixtes pour l'occupation provisoire de leur domaine public par les chantiers de travaux peut être fixé respectivement par le conseil municipal, l'organe délibérant ou le comité syndical, n'a toujours pas été pris. L'inapplicabilité de cette disposition est d'autant plus regrettable que le renforcement du pouvoir réglementaire local a constitué l'un des principaux points d'attention lors des discussions parlementaires, notre commission étant particulièrement vigilante au renforcement des marges de manoeuvre des collectivités territoriales et de leurs groupements en la matière.
D'autre part, le décret en Conseil d'État devant permettre aux dispositions relatives à l'harmonisation du tissu commercial, auxquelles je sais ma collègue Françoise Gatel très attachée, fait toujours défaut. Cette mesure favoriserait pourtant la revitalisation des bourgs-centres et développerait les activités économiques sur nos territoires...
Enfin, plusieurs dispositions relatives aux outre-mer demeurent inapplicables, faute de mesures réglementaires. Ainsi, l'article 241 relatif à la prévention des risques naturels outre-mer - sujet que le Sénat a largement contribué à faire avancer - prévoit de nombreuses mesures d'application, dont aucune n'est prise. L'article 263 crée un statut ad hoc pour Clipperton, incluant la création d'un conseil consultatif assistant le ministre des outre-mer dans l'administration de ce territoire.
En outre, que serait un bilan d'application d'une loi sans un point sur les ordonnances prises en application d'habilitations votées par le législateur ? Sur ce sujet, la loi 3DS ne donne pas satisfaction - c'est un euphémisme.
D'une part, une ordonnance a été prise, qui ne semble pas donner pleine satisfaction : je pense à l'ordonnance du 8 février 2023 relative au phénomène de « retrait-gonflement des argiles » - sujet que nous avions largement évoqué -, dont le régime juridique pourrait de nouveau être modifié dans les prochains mois. Sur ce point, à quoi sert que le Parlement se dessaisisse de sa compétence s'il est contraint de revoir la copie du Gouvernement quelques mois après la prise d'une ordonnance ? Ce n'est pas un fait nouveau, mais nous le déplorons malheureusement encore une fois aujourd'hui.
D'autre part, deux habilitations prévues par le législateur n'ont pas donné lieu à la prise d'ordonnances. L'article 198 de la loi habilitait le Gouvernement à réviser par ordonnance, dans un délai de dix-huit mois, le régime de la publicité foncière. Cette ordonnance n'a pas été prise, et une nouvelle habilitation figure dans l'avant-projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice, que le Gouvernement a soumis à consultation et que nous examinerons prochainement.
De même, l'article 256 de la loi habilitait le Gouvernement à prendre sous dix mois par voie d'ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi pour créer un statut de grand port maritime pour Saint-Pierre-et-Miquelon. Cette ordonnance est encore attendue sur ce territoire.
M. François-Noël Buffet, président. - Merci. Vos interventions respectives montrent qu'il y a encore du travail pour que l'application des lois votées soit pleinement effective.