B. DES FILMS MIEUX DIFFUSÉS POUR UN PUBLIC PLUS LARGE

De manière générale, il apparait comme essentiel de donner de la cohérence au dispositif : il est inutile d'encourager à la production de plus de films que le marché n'a la capacité d'en absorber, d'où un rééquilibrage à terme à mener entre soutien à la production et soutien à la distribution.

Le système français est, comme on a pu le montrer, cohérent dans ses objectifs, avec une politique de régulation à chaque maillon de la chaîne : production, distribution, exploitation.

Il est aujourd'hui indispensable d'assurer la meilleure accessibilité aux oeuvres de la diversité, françaises comme européennes, pour préserver les spécificités historiques de notre cinéma.

Pour ce faire, plusieurs leviers sont mobilisables.

1. Renforcer les dispositifs d'engagement de programmation

La mission partage pleinement la plupart des remarques et des objectifs de la mission confiée à Bruno Lasserre sur le cinéma et la régulation33(*). En particulier, la mission a été à de nombreuses reprises sensibilisée à la question du respect des engagements de programmation. Ces derniers constituent une ossature essentielle de notre système. Ils permettent au passage de préserver la liberté de choix des spectateurs en leur offrant plus de possibilités que les simples « grosses sorties », ou en ne limitant pas l'abondance de l'offre à quelques grandes villes bien équipées.

Or aujourd'hui, les engagements de programmation sont fragilisés. Si le CNC a la capacité d'imposer ses choix pour les exploitants-propriétaires, il n'a à sa disposition que des capacités très limitées pour amener à un niveau satisfaisant les groupements et ententes de programmation comme Pathé ou UGC, ou même en cas d'absence de proposition de leur part. En effet sa seule arme réelle est alors le refus d'agrément pour l'ensemble, difficilement concevable.

Il pourrait donc être envisagé d'améliorer la capacité d'action du CNC pour les groupements et ententes, en l'alignant sur les exploitants-propriétaires.

Recommandation n° 3 : Aligner les pouvoirs du CNC dans la fixation des engagements de programmation des groupements et ententes sur celui des exploitants-propriétaires. Le CNC aurait ainsi la capacité de fixer les engagements en cas d'engagements manifestement insuffisants ou d'absence de proposition.

Il est évident que ce pouvoir supplémentaire ne doit se concevoir que comme un levier destiné à pousser au dialogue entre les parties prenantes, et n'être utilisé qu'en dernier recours face à un blocage manifeste. Ainsi, les propositions du CNC doivent demeurer réalistes et ne pas limiter plus que nécessaire la liberté des exploitants.

Ces derniers doivent cependant tenir compte des engagements ainsi souscrits, de la manière la plus claire et non contestable possible. Il est donc nécessaire de compléter le Règlement général des aides d'une clause permettant de moduler l'aide à l'exploitation en fonction du respect des engagements de programmation, ces derniers devant être clairement compris comme des contreparties aux aides.

Recommandation n° 4 : Conditionner les aides à l'exploitation en fonction du respect par les exploitants des engagements de programmation.

2. Symétriquement, renforcer le dispositif d'engagements de diffusion

L'amélioration des engagements de programmation doit être complétée par celle des engagements de diffusion des distributeurs. En effet, si le film n'est pas distribué, il ne peut être diffusé dans les salles. Cela est d'autant plus vrai pour les films d'Art et d'Essai, qui sont moins présents dans les zones rurales et les petites villes, en dépit d'améliorations depuis 2016.

Sans aller jusqu'à un fort degré de contrainte qui donnerait par exemple à l'exploitant une forme de « droit » à diffuser un film - ce qui serait au reste contraire à la liberté commerciale -, il serait pertinent de rendre possible une forme d'encadrement souple, avec pour objectif de favoriser la diffusion des oeuvres d'Art et Essai dans les territoires.

Recommandation n° 5 : Sur un modèle souple et en concertation avec les professionnels, créer une forme d'engagement de diffusion des oeuvres d'Art et Essai.

3. Modifier le critère de classement en Art et Essai

L'objectif de ces politiques publiques reste d'assurer la meilleure diffusion possible des oeuvres françaises.

À cet effet, le classement « Art et Essai » a pour objectif de soutenir les salles de cinéma qui programment une proportion conséquente de films recommandés « Art et Essai » et qui soutiennent ces films par une politique d'animation adaptée. Le classement Art et Essai donne lieu à l'attribution d'une subvention destinée à soutenir l'activité de la salle concernée (voir partie II du présent rapport).

Il apparait cependant, comme cela a été indiqué dans la deuxième partie du présent rapport, que le classement en « Art et Essai » est devenu faiblement discriminant, avec près de 60 % des sorties classées. Par ailleurs, il distingue également des oeuvres aux qualités artistiques indéniables comme Dune de Denis Villeneuve, qui n'avait vraisemblablement pas besoin de cette distinction pour être diffusé.

Dès lors, il pourrait être envisagé de tenir compte du potentiel commercial d'un film dans le classement, avec soit la non attribution du label, soit une pondération moins favorable pour les films avec le potentiel commercial le plus assuré. Parallèlement, une pondération plus favorable pourrait être accordée pour la catégorie « Recherche et découverte », pour donner une meilleure chance aux oeuvres les plus exigeantes.

Recommandation n° 6 : Tenir compte dans le classement « Art et Essai » du potentiel commercial du film, ou en n'accordant pas le label, ou en pondérant différemment sa diffusion. Symétriquement, pondérer positivement les films de la catégorie « Recherche et découverte ».

4. Favoriser le renouvellement des jeunes publics

Le fait de venir au cinéma pour apprécier, seul ou en compagnie, des oeuvres, suppose une éducation précoce. De ce point de vue, les années de fermeture ou d'accès limité avec la pandémie ont certainement pesé sur quelques générations, d'où des chiffres préoccupants sur les jeunes publics.

La mission préconise deux mesures pour permettre aux plus jeunes de découvrir et s'approprier le cinéma, sans qu'il soit limité aux plus grosses productions étrangères.

Ø D'une part, se fixer un objectif ambitieux de 100 % des élèves au cinéma au moins une fois par an.

Le CNC mène déjà plusieurs politiques avec les dispositifs d'éducation à l'image en temps scolaire (Ma Classe au cinéma : Ecole, Collège et Lycéens et apprentis au cinéma qui touche deux millions de jeunes soit 15 % de l'ensemble des élèves) et hors temps scolaire (Passeurs d'images).

Pour renforcer leur impact, le CNC devrait retravailler ces dispositifs en les étendant en nombre de jeunes touchés, en nombre de cinémas accueillants, sur tous les âges (de la maternelle aux études supérieures) et sur tous les temps de la vie des jeunes (périscolaire avec la relance des ciné-clubs dans les lycées, médiateurs).

L'objectif ambitieux de 100 % des élèves touchés chaque année devrait faire l'objet d'une place spécifique dans les conventions de coopération avec les collectivités territoriales 2023-2025, ainsi que d'un partenariat fort avec l'éducation nationale afin que l'éducation aux images soit intégrée aux enseignements obligatoires avec un temps dédié et une formation de tous les enseignants et chefs d'établissement.

Recommandation n° 7 : Se fixer à moyen terme un objectif de 100 % des élèves avec une séance de cinéma par an, sur le temps scolaire ou périscolaire, en partenariat avec les collectivités territoriales, le ministère de l'éducation nationale et les salles.

Ø D'autre part, associer le Pass Culture à la découverte des oeuvres françaises et européennes.

Le gout du cinéma chez les jeunes publics ne doit pas se limiter à quelques grands films étrangers. Au contraire, notre cinéma possède une richesse et une diversité qui méritent que les efforts publics soient plus clairement engagés en leur faveur au moment de la diffusion.

En plus des mesures sur les obligations de programmation et de diffusion, il est proposé d'utiliser le Pass Culture, précisément pour préparer les publics de demain à cette diversité. Actuellement, les dépenses « cinéma » représentent un peu plus de 7 % des dépenses totales du Pass. Il pourrait être envisagé de réserver une partie des places de cinéma acquises par ce biais aux films français et européens.

Recommandation n° 8 : Réserver une partie des places de cinéma acquises par le biais du Pass Culture aux films français et européens.


* 33 https://www.cnc.fr/cinema/etudes-et-rapports/rapport/rapport-de-bruno-lasserre---le-cinema-a-la-recherche-de-nouveaux-equilibres---relancer-des-outils-repenser-la-regulation_1928729

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