COMPTE-RENDU DE L'AUDITION EN COMMISSION
Audition de MM. Jérôme Leonnet, directeur général adjoint, Philippe Lutz, directeur central du recrutement et de la formation, de la police nationale, et le général de corps d'armée Bruno Arviset, directeur des personnels militaires de la gendarmerie nationale
M. François-Noël Buffet , président . - Nous recevons maintenant M. Jérôme Leonnet, directeur général adjoint de la police nationale, et Philippe Lutz, directeur central du recrutement et de la formation.
Nous recevons également le général de corps d'armée Bruno Arviset, directeur des personnels militaires de la gendarmerie nationale et le colonel Guilhem Phocas, sous-directeur des compétences.
Cette audition s'inscrit dans le prolongement des auditions menées par notre mission d'information sur la formation initiale et continue des personnels de la police et de la gendarmerie nationales, dont Maryse Carrère et Catherine Di Folco sont les rapporteurs.
La loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur et le projet de loi relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 ont mis de nouveau en lumière un certain nombre d'ambitions, mais aussi de besoins en termes de recrutement et de formation de nos forces de sécurité intérieure. Nous savons que les écoles manquent de moyens matériels, et parfois de formateurs, qu'il est difficile de recruter des jeunes dont les profils soient parfaitement adaptés aux missions des forces de sécurité, et que la formation continue des personnels n'est pas facile à organiser.
Nous savons également que la police et la gendarmerie sont mobilisées sur ces questions. Clairement, des progrès ont été faits, en matière de temps de formation initiale et continue, mais également en matière d'accent mis sur la police judiciaire, quelles que soient les questions du moment sur le sujet.
M. Jérôme Leonnet, directeur général adjoint de la police nationale . - Je suis accompagné de Philippe Lutz, directeur central du recrutement et de la formation de la police nationale, qui sera en mesure d'apporter toutes précisions utiles à mon propos.
L'ambition de la police nationale dans le domaine de la formation est une ambition forte, puisque le Parlement l'a dotée de moyens humains supplémentaires, ce qui implique un effort de recrutement et de formation.
Nous observons une progression quantitative assez marquée de nos recrutements. Pour 2023, notre schéma d'emplois prévoit le recrutement et la formation de 4 180 gardiens de la paix et de 3 570 policiers adjoints. C'est un véritable défi ! Nous parviendrons à y faire face grâce à la montée en puissance de nos capacités d'accueil et de notre réseau de formateurs et à la mutualisation de bonnes pratiques.
Il y a aura aussi un choc dans le recrutement des officiers, vu l'importance des départs en retraite. Nous avons recruté l'an dernier environ 400 officiers de police. Cette année, nous en recruterons 460, soit une hausse de 12 %. Même défi pour les commissaires de police, puisqu'il faudra en recruter et en former 94 cette année, soit 30 % de plus que l'an passé. Cette hausse s'explique notamment par l'importance des personnels détachés.
Dernier champ important de recrutement pour nous : à l'instar de ce que fait la gendarmerie depuis plusieurs décennies, la police nationale se lance dans un recrutement important de réservistes opérationnels. Nous en avons formé 1 150 en 2022, et notre plan de charge prévoit d'en former désormais 2 500 chaque année.
Le cyber est aussi un vrai sujet pour le recrutement et la formation dans la police nationale. Cette année, le service commun à la police et à la gendarmerie dans le domaine du numérique va changer d'échelle, puisque le service des technologies et des systèmes d'information de la sécurité intérieure deviendra l'Agence nationale des forces de sécurité intérieure. Cette évolution exige que nous formions avant l'été 150 policiers sur les sujets du numérique.
Une forte progression quantitative de nos recrutements est donc en cours.
L'amélioration qualitative du recrutement et de la formation passe par l'allongement de huit à douze mois de la formation des gardiens de la paix. L'objectif, entre autres, est de mieux les former à la mission de police judiciaire. Les premiers résultats observés dans les écoles de police sont bons et témoignent d'une bonne appétence pour le judiciaire. Nous devrions arriver à ce qu'en sortie d'école, des gardiens de la paix puissent devenir officiers de police judiciaire, comme le souhaite le ministre.
La formation initiale des policiers adjoints s'allonge aussi puisqu'elle passe de trois à quatre mois.
Certaines formations initiales très spécifiques sont aussi adaptées pour tenir compte de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi). Ainsi, les assistants d'enquête bénéficieront d'une formation améliorée d'au moins cinq semaines, commune à la police et à la gendarmerie, pour qu'ils puissent apporter aux enquêteurs toute l'aide nécessaire sur des tâches matérielles qui ne sont pas strictement des tâches d'enquête.
De même, le ministre nous a demandé de substituer aux policiers déployés dans les aubettes des personnels contractuels et administratifs. Nous prévoyons pour les effectifs concernés deux semaines de formation à ces nouvelles missions. Cette évolution leur procure de nouveaux débouchés, ce qui est toujours intéressant.
Enfin, le ministre nous a demandé de faire progresser de 50 % la formation continue. Il s'agit d'un programme ambitieux, auquel s'ajoutent les formations qui seront dès cette année obligatoires pour obtenir les grades de brigadier-chef et de major.
Nous développons aussi des formations conjointes avec la gendarmerie, dans tous les secteurs spécialisés de la police judiciaire, mais aussi dans le domaine du cyber, où nous avons une forte ambition commune. La gendarmerie a ouvert une école du cyber à Lille, dans laquelle elle a proposé à la police nationale, qui l'a bien évidemment accepté, de suivre des formations communes.
Général de corps d'armée Bruno Arviset, directeur des personnels militaires de la gendarmerie nationale . - La gendarmerie nationale fait face à trois enjeux majeurs en matière de formation. Le premier est de renforcer la militarité des gendarmes, leur robustesse et leur polyvalence, vu la complexité et la dangerosité des interventions. Le deuxième est de les former au numérique, ou au moins de les y sensibiliser. Le troisième, face aux augmentations d'effectifs que nous prévoyons avec joie pour les années à venir, est de développer la capacité de nos écoles : nous allons recruter comme nous ne l'avons jamais fait depuis au moins trente ans !
Dans la formation initiale, nous continuons d'insister sur la formation militaire générale et sur la robustesse, mentale ou physique, tactique ou individuelle. Nous travaillons donc beaucoup en lien avec les armées et nous continuons de développer des partenariats avec elles pour que chaque élève gendarme puisse être formé à des programmes de robustesse et de manoeuvre tactique à l'échelon du groupe. De fait, lors de certaines interventions, nous sommes confrontés à de véritables scènes de guerre. Ce sont ainsi 80 formations, initiales ou continues, que la gendarmerie suit en abonnement auprès des armées.
Nous insistons aussi beaucoup sur le concept du gendarme polyvalent. L'éparpillement des unités de gendarmerie, spécifique à notre métier, fait que le même gendarme, au cours d'un même service ou d'une même journée, peut être confronté à des situations très différentes. Nous renforçons donc la formation pour aider le gendarme primo-engagé qui, par définition, sur tout événement, est seul pendant les quinze premières minutes. Quelles que soient les dominantes choisies par nos élèves, ceux-ci reçoivent donc tous une formation au maintien de l'ordre, à la sécurité routière, à la police judiciaire. C'est sur ce socle partagé que se greffent ensuite les formations spécialisées. Former nos gendarmes aux métiers de police de demain, c'est continuer à développer l'intervention professionnelle. Chacun sait que, face à la dangerosité des interventions, face aussi à leur médiatisation, il faut que les gestes professionnels soient parfaitement maîtrisés, dans l'intérêt de tous - du délinquant comme du militaire - et avec le souci de la sécurité et du juste emploi de la force.
Nous avons aussi développé, au cours des deux dernières années, la lutte contre les violences sexuelles et sexistes et les discriminations.
Conformément au souhait du Président de la République, nous renforçons notre formation en police judiciaire : depuis le mois de septembre dernier, tous les élèves gendarmes entrant en école font un mois de scolarité en plus, consacré au renforcement de la formation d'officier de police judiciaire. Le total est donc désormais de douze mois : neuf en école et trois en stage. La partie théorique de la formation à l'examen d'officier de police judiciaire est désormais enseignée pendant la formation initiale. C'est au cours des deux années suivantes, passées en unité, que les gendarmes acquièrent la partie plus pratique de la formation nécessaire pour être habilités officiers de police judiciaire.
Nous avons un programme ambitieux de sensibilisation au numérique, grâce auquel tout élève gendarme entrant en école reçoit une formation en la matière. Ce domaine représente à peu près 15 % du volume de formation d'un élève gendarme. Nous développons aussi ce que nous appelons des e-compagnies, constituées d'élèves gendarmes volontaires qui, ayant déjà une appétence pour ce domaine, bénéficient d'une formation allongée dans le domaine du numérique.
Nous avons beaucoup développé l'enseignement à distance. Nos unités sont en effet éparpillées partout dans le monde. Nous proposons 787 formations sur notre intranet, représentant 2 700 modules pédagogiques. Beaucoup de formations, en fait, comportent une partie faite à distance, en amont d'une partie faite en présentiel dans les écoles.
Nous avons mieux distingué, depuis un an, ce qui relève de la direction des personnels et ce qui dépend des écoles. Nous avons mis en place un opérateur de recrutement et de formation au sein du commandement des écoles et nous continuons à développer la formation initiale et continue. Nous avons créé des centres régionaux d'instruction dans chacune des treize régions de France et dans chacune des collectivités d'outre-mer. Une grosse partie de la formation continue est désormais dévolue aux échelons régionaux ou assimilés, en complément de nos 25 centres et écoles.
Enfin, nous avons un défi capacitaire à relever puisque, en 2023-2024, pas moins de 11 000 à 12 000 élèves passeront dans nos écoles. Pour y répondre, nous comptons doter l'ensemble de nos écoles de douze compagnies d'élèves supplémentaires.
Pour rappel, au cours des vingt dernières années, nous avions dû fermer quatre écoles. Nous avons fait le choix de ne pas ouvrir de nouvelles écoles ex nihilo , mais de développer les écoles existantes, en particulier celle de Dijon, qui comptera six compagnies supplémentaires.
Mme Catherine Di Folco , rapporteur . - Les débuts de cette mission d'information remontent à il y a bien longtemps. Avant d'interrompre nos travaux en raison de la crise du covid, nous nous intéressions surtout, avec Maryse Carrère, aux différentes techniques d'interpellation pratiquées par la police et la gendarmerie.
Depuis la reprise de nos travaux, nous avons quelque peu modifié les contours de la mission, en l'axant davantage sur la formation initiale et sur la formation continue. Au cours de nos nombreux déplacements dans les écoles, nous avons toujours été bien reçues et avons appris énormément de choses. Nous espérons remettre un rapport assorti de préconisations à la fin de ce trimestre.
J'en viens à ma question. L'académie de police est une sorte d'arlésienne. Pouvez-vous nous en préciser les contours et la finalité ?
Mme Maryse Carrère , rapporteure . - Nous sommes ravies de constater que la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) apporte des réponses à des besoins - déficit d'écoles et de centres de tir notamment - que nous avions constatés sur le terrain. Le renforcement quantitatif et qualitatif des formations qui est à l'oeuvre nous rassure et nous réjouit.
Pour la police, comment comptez-vous vous absorber l'augmentation de 50 % de la formation continue que prévoit le rapport annexé à la Lopmi ? En dépit des différences de culture - militarité de la gendarmerie notamment -, une mutualisation plus poussée des moyens est-elle possible entre la police et la gendarmerie, en matière d'équipements techniques et de centres de tir par exemple ? Enfin, prévoyez-vous de recourir à des formateurs extérieurs et si oui, selon quelles modalités ?
M. Jérôme Leonnet. - Je resterai modeste dans mes propos sur l'académie de police, le ministre de l'intérieur n'ayant pas encore rendu tous ses arbitrages.
À ce jour, le lieu, Montpellier, a été désigné par le Président de la République. Nous savons également que l'option retenue n'est pas de créer un lieu de formation unique pour l'ensemble de la police nationale, mais de conserver un réseau constitué d'écoles de gardiens de la paix, d'une école d'officiers et d'une école de commissaires de police.
Il n'est donc pas question d'un « chamboule-tout ». En revanche, il est envisagé de créer un label propre à l'ensemble du réseau de formation de la police nationale. Le réseau pourrait ainsi s'outiller, avec Montpellier, d'un lieu de formation continue emblématique.
Enfin, reconnaissons que la police nationale n'est pas en avance dans le domaine de la recherche. Si l'école des commissaires de police de Saint-Cyr-au-Mont-d'Or dispose d'un service de recherche, ce dernier n'est pas à la hauteur des besoins de la police nationale. L'académie de police sera demain un lieu d'échanges croisés en matière de recherche, à la fois avec nos partenaires en interne, mais aussi à l'échelle internationale.
M. Philippe Lutz, directeur central du recrutement et de la formation de la police nationale. - L'objectif d'augmenter la formation continue de 50 % dans la police nationale est extrêmement ambitieux. À l'instar de ce que nous avons fait pour la formation initiale, nous avons tenté d'adopter une approche originale.
La réflexion traditionnelle sur la formation continue consiste à dire, en effet, que les gens ne se formant pas suffisamment par manque de temps ou de volonté, il faut donc les y obliger. Or nous savons très bien que l'obligation de formation ne fonctionne pas : il y a toujours de bonnes raisons de ne pas se former.
L'idée a donc été de travailler à la fois sur le développement de la formation en distanciel et sur la notion de proximité. En effet, une intervention opérationnelle pour un cambriolage ou des violences conjugales primera toujours sur une action de formation.
Nous souhaitons en particulier sensibiliser systématiquement les cadres à la formation et, au-delà, les faire réfléchir sur les compétences. Il est en effet très efficace de demander à un brigadier-chef, à un major, à un officier ou à un commissaire de police s'il dispose au sein de son service des compétences nécessaires, judiciaires par exemple, pour atteindre les objectifs opérationnels.
La notion de proximité implique en outre la réappropriation locale de formateurs. Demander aux gens de faire vingt à cinquante kilomètres pour suivre une formation n'est pas ce qu'il y a de plus efficace. Il est de loin préférable de mettre à profit un temps d'activité moindre, qui peut être la matinée, pour faire progresser les équipes dans leurs techniques d'interpellation, par exemple, par des mises en situation, des débriefings et des retours d'expérience immédiats.
En matière de formation en distanciel, notre e-campus compte près de 160 000 inscrits. Il est fréquenté en moyenne par 4 000 fonctionnaires par jour, avec des pics à plus de 7 000, et 120 000 fonctionnaires s'y forment chaque année. Cela nous oblige à présenter une offre qui soit adaptée en permanence, et qui soit évolutive.
Par ailleurs, la dimension d'accompagnement est absolument nécessaire. Proposer des formations intégralement à distance reviendrait à méconnaître l'acte de formation lui-même. Voilà quelques mois, j'ai reçu deux associations de policiers - l'Association police en souffrance (APS) et PEPS-SOS Policiers en détresse -, particulièrement investies dans la prévention du suicide. Je leur ai demandé d'intervenir dans des écoles de gardiens de la paix. Cela ne va pas nécessairement de soi : il peut paraître contre-productif qu'une association vienne parler suicide dans la police à des jeunes qui entrent dans la carrière. La première intervention, à Périgueux, a toutefois rencontré un franc succès.
Si je prends cet exemple, c'est que lors de notre entretien a été évoquée une e-formation obligatoire, sur le repérage des signaux faibles de situation pouvant conduire à un suicide. Les représentants des associations m'ont alerté sur le fait que certaines mises en situation avaient pu correspondre à des situations déjà vécues par les stagiaires. Or quand on est seul devant son écran, il peut être difficile de vivre des réminiscences de situations professionnelles qui ont pu être traumatisantes.
Il est donc important que les stagiaires qui suivent des formations en distanciel puissent être accompagnés. Certes, les stagiaires peuvent échanger sur les forums existants, mais il nous semble essentiel de développer le tutorat, comme l'a fait par exemple le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT).
L'idée de proximité suppose aussi de réfléchir à un service local et de proposer des microformations, qui peuvent très bien ne durer qu'une demi-heure ou une heure.
S'agissant des centres de tir, la mutualisation de la formation entre gendarmerie, centres privés et polices municipales existe depuis longtemps déjà, par la force des choses, en raison du manque criant d'équipements. La seule limite est liée aux conditions de sécurité, qui doivent être validées par le secrétariat général pour l'administration du ministère de l'intérieur (Sgami).
D'autres types de mutualisation sont à l'oeuvre, en matière d'investigation numérique, de lutte contre les infractions liées à l'environnement ou encore de stupéfiants, dans le cadre de la création de l'Office antistupéfiants (Ofast). Enfin, la formation des assistants d'enquête sera mutualisée avec la gendarmerie.
Les possibilités sont donc larges. Si les questions de la militarité ou des différences de doctrine se posent, elles peuvent être discutées. Les lieux de formation eux-mêmes peuvent être mutualisés, même si les sites existants sont déjà très largement occupés. Quoi qu'il en soit, il existe une volonté partagée de mutualiser les compétences.
Nous sommes enfin très attentifs à la question des interventions extérieures, le manque d'ouverture étant un grief qui est souvent fait à la police nationale. D'une manière générale, nos formations sont assurées par des policiers, qui ne sont pas des formateurs professionnels. S'ils sont formés pendant douze semaines à la pédagogie et à la gestion de groupe, ce sont avant tout des policiers qui ont exercé sur le terrain et qui peuvent apporter leur expérience et leur expertise.
Par ailleurs, nous faisons intervenir de manière régulière l'association Flag !, le Défenseur des droits, la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah) ou encore la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra). J'insiste sur ce point : ces interventions ne relèvent pas de l'affichage. Nous travaillons beaucoup sur la progression pédagogique. Ainsi, le Défenseur des droits, par exemple, n'intervient pas à n'importe quel moment de la scolarité. Son intervention a été travaillée en amont.
La solution de facilité aurait été d'opter pour une présentation par le Défenseur des droits, lui-même, de son rôle et de sa fonction, mais cela aurait eu un intérêt relativement limité. La présentation du Défenseur des droits se fait donc en distanciel. Tous les élèves ont l'obligation préalablement de se connecter sur l'espace numérique de travail pour s'informer concrètement du statut du Défenseur des droits, etc. Le délégué du Défenseur des droits, lorsqu'il intervient, aborde plutôt des situations extrêmement concrètes en s'appuyant sur des interventions de policiers ayant pu poser problème dans le passé. Tout cela est à mettre en parallèle avec l'ensemble des situations professionnelles analysées au travers des exemples types. Nous travaillons, notamment après la période de stage, sur des vidéos de contrôles d'identité à partir de caméras-piétons relayées par Le Monde et Mediapart , qui ne sont pas totalement à la gloire de la police, en particulier en matière de tutoiement. Il nous semble en effet important de montrer qu'un certain nombre de techniques et d'agissements ne sont pas conformes à ce qui est attendu d'un policier au quotidien, preuve de notre ouverture d'esprit en matière de formation.
Mme Catherine Di Folco , rapporteur . - Je souhaite compléter la question de Maryse Carrère sur la formation. Lors de nos auditions, notamment de magistrats, certains ont insisté sur l'importance de former les officiers de police judiciaire (OPJ), qui ne rédigent pas toujours suffisamment bien les procès-verbaux. In fine , ces derniers ne sont pas exploitables. Qu'en est-il ?
M. Philippe Lutz . - La promotion en cours, c'est-à-dire la 266 e promotion, entrée en mai 2022, est préparée dès la formation initiale aux fonctions d'OPJ. Cette formation s'opère en deux temps. Premier temps, durant la période de scolarité, un contrôle national judiciaire est organisé, après quatre semaines de formation, qui compte pour 300 points sur les 1 000 points du classement général. Le taux de réussite des élèves est estimé aux alentours de 60 % à 65 %. Les élèves qui auront la moyenne pourront suivre alors le deuxième module OPJ. Ils bénéficieront, lorsqu'ils seront en stage à la fin de l'année 2023, de huit semaines de formation - deux en distanciel et six en présidentiel - auprès de magistrats. Ils passeront ensuite l'examen d'OPJ au mois de janvier 2024. Nous essayons donc de coller au mieux aux besoins, en associant les magistrats à nos formations. Je rappelle que la commission OPJ est présidée par un magistrat de la Cour de cassation. Les magistrats contrôlent également les sujets donnés aux examens, tant pour la gendarmerie que pour la police. Et ils participent, pour la police, à l'oral de l'examen d'OPJ.
Mme Brigitte Lherbier . - J'appuierai l'intervention de M. Lutz par un certain nombre d'exemples. Compétence et proximité sont effectivement deux pôles absolument essentiels. Vous avez mis l'accent sur la formation initiale et la formation continue. À Roubaix, un colloque a été organisé avec Abdelkader Haroune, commissaire général, et Céline Kichtchenko, directrice de l'École nationale de police. Tous deux sont formels : la majorité des candidats envisagent la police comme un ascenseur social. Il s'agit d'un constat optimiste. Les jeunes ayant participé à ce colloque étaient très motivés à l'idée d'entrer dans la police ou la gendarmerie. Ils ont beaucoup apprécié les possibilités de tutorats et de stages.
J'ai dirigé l'Institut d'études judiciaires (IEJ) de Lille, qui préparait au concours de commissaire de police. Les candidats issus du terroir étaient motivés, compétents, formés, mais ils n'avaient pas l'habitude de passer des concours. Pourtant, des classes d'écoles intégrées ont été mises en place pour les épauler. Or il est important que les commissaires soient originaires du territoire où ils travaillent : d'une région à l'autre, les mentalités sont complètement différentes.
Lors du colloque, beaucoup de jeunes étaient plus que partants pour s'en sortir. Il faut leur donner un coup de pouce. À l'IEJ, nombre d'étudiants n'arrivaient pas à passer le concours de commissaire malgré des compétences réelles. Ne pourrions-nous pas essayer de trouver des métiers passerelles ? Tout le monde ne peut pas être commissaire, mais chacun dispose d'un bagage pouvant être utile à la police. Un travail de repérage des compétences me semble nécessaire.
Enfin, vous avez parlé de la cybercriminalité. Le Forum international de la cybersécurité (FIC) se tient à Lille. Des classes d'ingénieurs recrutent et proposent d'entrer dans la police. Nous pourrions effectivement nouer des partenariats avec de nombreuses écoles en France.
M. Alain Marc . - Je me réjouis du fait que vous ayez évoqué les caméras-piétons. Il s'agit d'une avancée considérable sur laquelle le Sénat a beaucoup travaillé. Elles permettent aujourd'hui, dans la pratique quotidienne de nos policiers et gendarmes, d'éviter certains problèmes et surtout d'améliorer les relations.
Ma question porte sur la cybersécurité et la cybercriminalité, qui prendront certainement à l'avenir de plus en plus d'importance. Le cadre d'emplois de la fonction publique d'État, avec ses salaires limités, permet-il de recruter suffisamment ? Les compétences ne préfèrent-elles pas se tourner vers le privé ? Vous donne-t-on les moyens de recruter hors du cadre de la fonction publique pour assurer la formation des futurs policiers et gendarmes ?
M. Jérôme Durain . - Ma première question à M. Leonnet et à M. Lutz porte sur l'enjeu de pilotage de l'ingénierie de formation globale. La Cour des comptes a formulé des observations sur l'architecture budgétaire de la direction des ressources et des compétences de la police nationale (DRCPN), regrettant le manque de dialogue de gestion. Elle déplorait également des dysfonctionnements au niveau du système d'information des ressources humaines (RH). Ces problèmes sont-ils résolus ?
Mes collègues Catherine Di Folco et Maryse Carrère ont évoqué les problématiques de sécurité en intervention. Le groupe Socialiste, écologiste et républicain est extrêmement attaché aux rapports entre la police et la population. De nombreuses questions se posent sur les refus d'obtempérer et l'usage des armes. Vous avez parlé de la mutualisation des stands de tir entre la police et la gendarmerie, mais globalement les policiers se plaignent de ne pas pouvoir s'entraîner suffisamment. Quel pourcentage de personnel actif a-t-il pu réaliser les trois séances de tir et les douze heures d'entraînement annuel réglementaires ? Comment peut-on sanctuariser le temps consacré à ces formations ?
Mme Laurence Harribey . - Dans la continuité de la question posée par nos collègues rapporteurs au sujet de l'ouverture et de la diversification des profils de formateurs, j'aimerais connaître la réponse du général Bruno Arviset. On fait appel à des compétences de plus en plus diversifiées en matière de cybersécurité, de violences intrafamiliales, etc. Qu'en est-il dans la gendarmerie ?
En matière de formation initiale, du fait de la diversité des compétences et des expertises, seriez-vous favorables à une modification des concours d'entrée, je pense en particulier au renforcement des connaissances juridiques ? Cela permettrait d'aller beaucoup plus vite ensuite lors de la formation initiale, sur laquelle vous avez beaucoup insisté...
M. Henri Leroy . - On ne peut que se réjouir des annonces faites aujourd'hui. Le Sénat a conduit une commission d'enquête sur l'état des forces de sécurité et, chaque année, la commission des lois suit ce dossier. Nous avons également participé pendant six mois au Beauvau de la sécurité. Tous nos travaux avaient mis en évidence un déficit en termes de formation continue. À Nîmes comme à Dijon, nous avions constaté que les encadrants n'avaient ni le temps ni les moyens de former les agents de police judiciaire confrontés à une évolution de leurs tâches. C'est un grand bonheur de constater aujourd'hui que nos préconisations ont été transmises à l'ensemble des cadres de la gendarmerie et de la police. Demain, il n'y aura plus que des OPJ. Le Gouvernement a pris conscience des difficultés et vous a donné des instructions. Dans vos écoles et vos centres de formation, disposez-vous des moyens nécessaires pour former raisonnablement à l'évolution sociale à laquelle sont confrontés les agents des forces de sécurité ?
M. Hussein Bourgi . - Je reviendrai sur l'ouverture prochaine d'une académie de police à Montpellier. En ma qualité de Montpelliérain, sénateur de l'Hérault, je me réjouis de cette annonce. En revanche, l'installation de la direction centrale du recrutement et de la formation de la police et de ses 227 agents à Montpellier est-elle toujours à l'ordre du jour ? Si nous nous félicitons de la création d'une académie de police à Montpellier, les organisations syndicales de la police nationale sont perplexes : quelle différence y aura-t-il avec l'école de police de Nîmes, qui se trouve dans le département voisin ? À ce jour, toutes nos interrogations demeurent. L'académie de police sera-t-elle un simple label ? Si l'objectif est de transformer les écoles de police nationale en académies de police, disons-le clairement !
La formation des policiers et des gendarmes est amenée à s'accroître puisque la Lopmi est particulièrement ambitieuse : ouverture de 200 brigades de gendarmerie dans les prochaines années, augmentation des effectifs de police nationale, etc. Je suis délégué du CNFPT en Occitanie. Je travaille au quotidien avec les policiers municipaux, mais aussi avec les policiers nationaux et la gendarmerie, qui nous demandent de pouvoir venir s'entraîner dans les locaux qui sont les nôtres. Des questions subsistent quant au volume d'activité : qui dit plus de policiers et de gendarmes dit plus de personnes à former. La police et la gendarmerie disposent-elles de suffisamment de formateurs ?
Par ailleurs, et ce sera la conclusion de mon intervention, nous assistons aujourd'hui à une montée en puissance des violences intrafamiliales dans notre pays, ou à une plus grande visibilité de ces dernières. En milieu rural, c'est-à-dire en zone de gendarmerie, il existe des zones blanches en matière d'hébergement. Un effort particulier est-il réalisé en termes d'accueil et d'accompagnement des femmes et des enfants, qui sont bien souvent les victimes collatérales de ces violences ? La question de la qualité de l'accueil de la victime au moment du dépôt de la plainte est également une thématique récurrente, aussi bien en zone de police qu'en zone de gendarmerie. Malheureusement, lorsque des drames surviennent, on s'aperçoit bien souvent rétrospectivement que plusieurs mains-courantes avaient déjà été déposées par la victime.
Mme Esther Benbassa . - Merci pour les informations que vous nous avez apportées.
Les nouveaux gendarmes et policiers seront-ils formés à la discrimination, ainsi qu'à la désescalade en cas de conflit ? Lors des dernières manifestations à Paris, on a pu observer un vrai changement : on discute désormais avec les manifestants nerveux, de manière à éviter les incidents graves.
Existe-t-il une sensibilisation aux nouveaux sujets qui interpellent de plus en plus la police ? Mon collègue a évoqué l'accueil des femmes violentées par leur compagnon ou leur conjoint.
Y aura-t-il une forme de consensus sur les règles en matière de contrôles au faciès ?
M. Jean-Pierre Sueur . - La loi donne désormais aux policiers et aux gendarmes davantage de possibilités de faire usage de leur arme pour se défendre légitimement dans des situations très difficiles de violences ou d'agression.
Certes, la question de l'entraînement au tir est très importante. C'est d'ailleurs un sujet que nous évoquons avec les élus s'agissant des polices municipales : il n'est pas sérieux d'armer des policiers sans de longues et régulières séances de formation. Pour ce qui est de la gendarmerie et de la police nationales, vous nous avez dit y veiller particulièrement.
Au-delà des séances de tirs, comment formez-vous les policiers et les gendarmes à la situation précise de stress absolu où il faut prendre une décision en une seconde ? Il est facile de critiquer, mais de telles situations demandent une maîtrise psychologique très forte, pour laquelle j'éprouve une certaine admiration.
Général Bruno Arviset . - J'ai beaucoup entendu parler de formateurs extérieurs, d'autres profils pour former nos gendarmes... Nous sommes convaincus de la nécessité de ce partenariat.
Pour ce qui concerne la gendarmerie, ce n'est pas tant sur la formation initiale que sur les formations continues et techniques que nous développons des partenariats. Nous avons noué de nombreuses conventions avec des universités, de sorte que beaucoup de formations internes à la gendarmerie - et, parfois, partagées avec la police nationale - ont des blocs qui se font en faculté. On se raccroche à des cours de BTS ou d'autres formations, selon le niveau.
En outre, des intervenants extérieurs sont à nos côtés sur des matières extrêmement techniques. Il faut bien distinguer ce qui relève de la formation initiale et du coeur de métier, qui a plutôt vocation à être assuré par nos professionnels, de ce qui relève d'une formation plus technique, où nous devons évidemment aller chercher les professionnels de la technicité.
Oui, la cybersécurité est aujourd'hui un domaine extrêmement concurrentiel. On entend souvent des ingénieurs nous dire que, dans le privé, leur salaire afficherait un zéro de plus. Que ce soit vrai ou non, nous essayons de développer les contrats à durée déterminée, les CDI ou même le recrutement spécifique de ce que l'on appelle des « officiers commissionnés », c'est-à-dire des civils qui ont déjà une technicité et que nous recrutons pour combler les lacunes que nous pourrions avoir dans certains domaines.
Bien évidemment, cela ne se fait pas tout seul ! Nous essayons au maximum de développer des partenariats en amont dans ce domaine, surtout avec des écoles d'ingénieurs, de sorte que les élèves puissent, lors de leurs deux dernières années de formation, faire des stages chez nous et découvrir le milieu de la gendarmerie, pour continuer ensuite à servir dans nos services techniques. Au reste, s'il est vrai que l'on peut gagner plus dans le privé, j'observe que de nombreux jeunes ne rechignent pas à travailler plusieurs années dans la gendarmerie pour avoir une carte de visite avant de basculer dans le civil... Certains préfèrent aussi travailler chez nous pour servir le bien commun - il y a encore des gens qui y croient !
Ce problème de tension dans les métiers de la cybersécurité est évidemment partagé, notamment avec les armées, le domaine étant concurrentiel.
Enfin, nous développons les formations à l'étranger. Nous nous efforçons d'envoyer des gendarmes en formation dans de proches pays européens. Nous avons sorti, au mois de juin, une promotion qui a suivi sa scolarité à Madrid, auprès de la Guardia Civil. Nous le faisons avec d'autres pays, comme avec l'Italie, de sorte qu'une culture commune avec des pays frontaliers amis puisse se développer. Bien évidemment, nous avons ensuite des sujets partagés communs sur le plan opérationnel.
Faut-il accroître le niveau juridique aux concours? Je distinguerai les officiers des sous-officiers. Nos sous-officiers étant recrutés au niveau du baccalauréat, nous n'imposons pas d'épreuves juridiques. En revanche, dans les faits, un bon nombre de lauréats ont déjà étudié quelques années en faculté, et souvent en faculté de droit, avant de devenir élèves gendarmes. Cependant, c'est bien pendant leur année de scolarité qu'on leur donne ce bagage juridique. S'agissant des officiers, nous avions ouvert, il y a une vingtaine d'années, un concours dont les épreuves étaient de nature universitaire, et avant tout juridique : 90 % des lauréats étaient des juristes. Nous avons, depuis, souhaité diversifier le recrutement, en ouvrant d'autres voies, plus scientifiques, pour éviter une culture « monochrome » de l'officier de gendarmerie, considérant la multiplicité des enjeux. L'avenir nous a donné raison compte tenu des besoins en matière de cyber et d'ingénierie dans tous les domaines. À ce titre, nous nous efforçons de développer toutes les filières. Aujourd'hui, pour ce concours universitaire au sens large, à peu près la moitié des candidats sont des juristes. Les autres sont plutôt des ingénieurs ou, à tout le moins, des personnes de culture scientifique. Il est important de bien diversifier.
Je vous confirme que, dans la Lopmi, des effectifs supplémentaires sont bien prévus au titre de la formation : il y va de 252 équivalents temps plein (ETP), qui se répartiront entre nos écoles de formation initiale, pour former 12 compagnies supplémentaires, et nos centres régionaux d'instruction, davantage axés sur la formation continue.
Oui, bien sûr, nos gendarmes reçoivent des formations sur l'accompagnement aux violences intrafamiliales (VIF). Il est vrai que, dans les zones rurales, il y a un trou dans la raquette en matière d'associations et de capacité d'hébergement. Le primo-intervenant est seul dans son unité.
Au-delà des formations à l'accueil, nous avons mis en place des unités spécifiques, avec au moins une maison de protection des familles par département, avec des relais, des cellules de protection des familles, jusqu'à l'échelon des compagnies, de sorte que, dès que des dossiers deviennent complexes, des gendarmes un peu plus spécialisés puissent prendre le relais au plus vite, ce qui n'enlève rien à ce qu'a pu faire le premier intervenant.
Nous avons toujours eu, en matière de maintien de l'ordre, le souci de veiller à la désescalade. Ceux qui sont allés au Centre national d'entraînement des forces de gendarmerie de Saint-Astier ont pu le constater : le leitmotiv est que les forces de l'ordre ne doivent pas conduire à l'escalade d'une manifestation, et que la riposte doit toujours être graduée et adaptée à la menace. De mon point de vue, l'approche de notre conception du maintien de l'ordre n'a pas beaucoup changé depuis que ce centre existe.
Enfin, l'augmentation du droit d'usage des armes est discutable, parce que bien des mesures de la nouvelle loi figuraient déjà dans le décret du 20 mai 1903 sur l'organisation et le service de la gendarmerie. Il y a eu peu d'évolution en la matière. Nous essayons, autant que faire se peut, de former nos personnels et de les faire réfléchir à des situations qui se présentent assez communément, notamment sur la base de scénarios présentés à des groupes de gendarmes par un moniteur d'intervention professionnelle dont le dénouement comporte un usage des armes. Cependant, la dernière seconde appartient évidemment à chacun.
M. Jérôme Leonnet . - De même que pour la gendarmerie, la diversification de notre recrutement est aujourd'hui un vrai challenge. La police nationale, probablement un peu plus encore que la gendarmerie, se construit très souvent sur des recrutements de juristes. Beaucoup de candidats viennent des Instituts d'études politiques (IEP), en particulier de l'IEP de Paris s'agissant des concours de cadres supérieurs - commissaires et officiers. Nous avons malheureusement encore peu de scientifiques, là où la gendarmerie nationale a, au coeur de ses concours, un recrutement scientifique.
Nous faisons un effort sur ce plan, à plusieurs niveaux. D'abord, il y a de plus en plus de sujets scientifiques dans les épreuves de concours, ce qui permet de donner une place à des étudiants qui ont cette dominante. Nous avons aussi des partenariats avec des écoles d'ingénieurs. La police nationale forme, depuis plusieurs années maintenant, des stagiaires polytechniciens. Notre ambition, aujourd'hui, est de parvenir, avec Polytechnique, mais aussi avec l'école des Mines, ainsi qu'avec des écoles d'ingénieurs un peu moins prestigieuses, à recruter, dans un schéma d'école d'application, des cadres pour entrer en école de commissaires ou d'officiers. Pour l'instant, nous en sommes toujours au stade des échanges, mais les concrétisations pourraient être très prochaines. Je pense notamment à l'accord de principe qu'a donné le conseil d'administration de Polytechnique au fait que des polytechniciens - c'est vrai aussi d'autres ingénieurs - puissent, dès l'an prochain, étudier en école d'application.
Enfin, pour recruter davantage de scientifiques, nous recourons aux contractuels. Cette préoccupation est évidemment partagée avec la gendarmerie. Il est vrai que nous avons du mal à nous aligner en termes de rémunération. Le ministre de l'intérieur a donné des instructions assez claires aux services pour que nous essayions d'être le plus compétitifs possible. Nous avons aujourd'hui des programmes de recrutement qui fonctionnent, des ingénieurs qui nous rejoignent. Le nomadisme professionnel qui caractérise nos jeunes générations s'applique à ces scientifiques comme à d'autres : ils passent chez nous deux ou trois ans, puis vont voir ailleurs. Notre objectif, surtout dans le domaine du renseignement, est d'essayer de conserver ces profils, au moins dans le périmètre de la sécurité intérieure, c'est-à-dire de leur permettre de faire un passage en gendarmerie, en police nationale, et pourquoi pas dans les services de renseignement, qui proposent une offre très diversifiée. Restons modestes : ce n'est pas quelque chose de totalement achevé aujourd'hui. Le processus est en cours. Cependant, cela marche mieux qu'avant, et nous avons de bons recrutements.
De nombreux candidats au concours de gardien de la paix ont plus que le baccalauréat et ont acquis un bagage juridique, ce qui explique sans doute que, à l'issue du premier module de formation dont parlait Philippe Lutz tout à l'heure, nous ayons déjà à peu près 65 % de réussite. La culture juridique est tout de même assez bien ancrée.
Je veux répondre à M. Bourgi sur l'académie de police. Je vais essayer, sur ce sujet, d'être moins prudent, tout en restant dans les limites du mandat qui est le mien. L'école de Nîmes est aujourd'hui notre plus grand centre de formation, et il n'est pas question que le projet d'académie de police la mette en difficulté. Notre programme de recrutement étant beaucoup plus important que l'an passé, l'école de Nîmes a de beaux jours devant elle. En revanche, l'académie de police a vocation à accueillir le réseau de la formation. Les effectifs qui composent aujourd'hui la direction centrale du recrutement et de la formation ont naturellement vocation à rejoindre l'académie de police et à en être le terreau de base.
Ensuite, il faut que nous construisions, avec cette académie, des programmes de formation continue pour les gradés et gardiens et des programmes de recherche. Il n'est pas question de vous dorer la pilule : nous devons accomplir des progrès dans le domaine de la recherche, compte tenu de ce que certains de nos camarades peuvent faire au plan national et de ce que certaines polices étrangères peuvent faire. Il y a là un champ à explorer avec l'académie de police. Le label dont je vous ai parlé touchera l'ensemble du réseau de formation, mais l'académie de police sera aussi un creuset de formation. Ce sera un bel établissement. Faites confiance à la police nationale pour porter le sujet conformément à ce qui nous a été demandé !
M. Philippe Lutz . - L'usage de l'arme est un point essentiel. Quand on entre dans la police, quel que soit le corps d'appartenance - il en va de même dans la gendarmerie -, il n'est pas tout à fait naturel de porter une arme et de savoir s'en servir. Toute la formation initiale vise notamment à l'aptitude au port de l'arme et au fait d'être à l'aise avec celle-ci.
Dans ce cadre, nous testons actuellement, dans les écoles de police, et plus particulièrement à Nîmes, en lien avec la sous-direction qui s'occupe de la formation initiale, des simulateurs de tirs et des simulateurs d'aide à la décision, qui doivent permettre d'acquérir une attitude naturelle vis-à-vis de l'arme, notamment pour ceux qui étaient complètement extérieurs à la police - l'immense majorité des 40 % d'externes n'ont jamais porté d'arme.
Nous pouvons également nous appuyer sur le réseau des psychologues de la police nationale. Depuis deux ans, nous avons fait un effort extrêmement important en matière de recrutement de ces contractuels.
Les formateurs généralistes apportent leurs connaissances juridiques, leurs connaissances de terrain. Les psychologues axent leur propos sur la relation à la personne, apprennent à réagir face à des personnalités différentes.
Au demeurant, la formation initiale, en la matière, n'est sans doute pas le seul élement.
Je veux citer l'exemple dramatique de l'affaire Mickaël Harpon en 2019. Lorsque celui-ci a descendu l'escalier au coin de la préfecture de police, il s'est retrouvé face à un fonctionnaire de police stagiaire, sorti quinze jours plus jours de l'école de Nîmes. J'ai discuté à plusieurs reprises avec ce fonctionnaire, très rapidement après les faits, puis lors des obsèques, puis à l'école de Nîmes, où il vient témoigner parfois de son vécu professionnel. Lors de l'événement, il s'est littéralement remis dans une bulle. Face à un individu qui venait vers lui un couteau à la main, de combien de temps a-t-il disposé pour se remémorer la technique, le cadre juridique ? Je ne suis pas certain qu'un fonctionnaire qui aurait eu quinze ans d'ancienneté aurait eu le même cheminement mental...
Globalement, 60 à 65 % des fonctionnaires font leurs trois tirs à l'année, ce qui est naturellement insuffisant. Un certain nombre de chefs de service considèrent que la formation doit se concentrer sur ces trois tirs. Comme je l'ai déjà dit au directeur général de la police nationale (DGPN) et aux directeurs territoriaux, je considère que c'est le degré zéro de la réflexion en matière de formation !
Il est beaucoup plus important de savoir maîtriser les techniques d'interpellation et d'intervention. J'ai été inspecteur avant d'être commissaire. Je l'ai été durant dix-sept ans dans le département un tantinet agité de la Seine-Saint-Denis, et je n'ai jamais utilisé mon arme ! En revanche, j'ai plusieurs fois dû procéder à des interpellations.
On peut programmer des formations de manière quasi institutionnelle, rien ne remplace le travail qui doit être fait en proximité. Il me semble essentiel, quand on forme les brigadiers-chefs ou les majors, de faire quelques rappels simples sur les gestes ou l'utilisation de la force.
Voilà quelques années, au moment de la mise en place de la police de sécurité du quotidien (PSQ), j'ai discuté avec un préfet de police qui me disait qu'il était essentiel de former les gens en école à la proximité. Je lui ai répondu que cela se faisait déjà. En effet, de très nombreuses heures de formation par des psychologues sont désormais prévues dans les écoles de police, sur le rapport à l'autre, sur la capacité à se maîtriser, avec notamment les « techniques d'optimisation du potentiel », qui sont des techniques de relaxation, de gestion du stress. Mais le plus important, c'est ce qui se passe après : l'utilisation qui va être faite de cette formation et la manière dont elle va être mise en oeuvre dans les services.
Sur l'infocentre Dialogue, la situation s'améliore, mais reste largement perfectible. Je veux être très précis : nous avons une application de formation en distanciel, le « e-campus », et une application, qui s'appelle « Dialogue », où sont enregistrées toutes les informations en matière de ressources humaines et de formation. Actuellement, de petites mains réalisent un travail de fourmi en saisissant dans Dialogue ce qui a déjà été enregistré dans le e-campus, ce qui est n'est tout de même pas très satisfaisant intellectuellement. Dans un monde parfait, les données du e-campus seraient automatiquement basculées sur Dialogue. Nous travaillons à cette connexion directe, et j'ai bon espoir que nous y parviendrons en 2024. Il y va du confort et de l'amélioration des conditions de travail des agents, mais l'objectif est aussi que toutes les formations réalisées soient comptabilisées, ce qui n'est pas le cas pour le moment.
S'agissant de la proximité, le Nord est extrêmement gâté, puisque la majorité des policiers sont issus des Hauts-de-France, zone géographique la plus attractive en termes de recrutement, devant l'Île-de-France, qui, théoriquement, concentre la majorité des postes à la sortie des écoles, surtout de celles de gardiens de la paix. Nous avons développé un certain nombre de dispositifs pour préparer au concours, en lien avec 70 universités partenaires et des écoles. Les directions zonales réalisent un travail de préparation directe avec l'organisation de journées thématiques, où les épreuves des concours sont présentées.
Sur la zone Sud, cela va encore plus loin, avec quasiment une semaine complète d'entraînement pour les candidats externes - beaucoup de choses existent déjà pour l'interne.
Le nombre de candidats est bien plus nombreux qu'en Île-de-France. Je suis complètement d'accord avec vous, la connaissance du territoire est extrêmement importante, voire fondamentale. Nous réalisons un important travail en ce sens avec des universités partenaires.
Je regrette, à titre personnel, que l'Est, notamment l'Alsace, se voie beaucoup moins bien doté. Nous essayons véritablement de remédier à cette situation.
M. François-Noël Buffet , président . - Il me reste, messieurs, à vous remercier de votre présence ce matin et de vos réponses précises, qui ont permis d'éclairer nos rapporteurs et d'informer l'ensemble des commissaires du travail que vous réalisez, ainsi que de la situation de la formation dans la gendarmerie et la police nationales.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.