QUELLE STRATÉGIE FRANÇAISE DANS LE GOLFE DE GUINÉE ?

I. LE GOLFE DE GUINÉE, UN FOYER DE DYNAMISME EN AFRIQUE DE L'OUEST

Depuis environ une décennie, l'attention de l'opinion publique a été tournée vers les pays du Sahel en raison de l'engagement des armées françaises dans cette zone et de la prédominance de la menace terroriste, menace matérialisée sur le territoire national par les attentats de 2015. Les coups d'Etat intervenus au Mali et au Burkina Faso ont achevé de conférer à cette région d'Afrique subsaharienne, parfois de manière exagérée, une physionomie de crise permanente, où la violence, l'instabilité politique et le mal-développement, ont suscité la mobilisation de l'appareil diplomatique, militaire et d'aide publique au développement français.

Au moment où les militaires français achèvent leur retrait du Mali et devraient prochainement se retirer du Burkina Faso, où le discours anti-français prend une ampleur inédite et où la marge de manoeuvre diplomatique et militaire de la France paraît considérablement affectée dans la région, le moment est sans doute venu d'élargir la focale et de replacer le Sahel au sein de l'ensemble plus vaste que constitue l'Afrique de l'Ouest.

Au sein de cet ensemble, le destin des pays du Sahel est étroitement lié, sur les plans économique, culturel et sécuritaire, à celui de l'autre groupe que constituent les pays bordant le golfe de Guinée : Côte d'Ivoire, Ghana, Togo, Bénin, Nigéria, Cameroun, Guinée équatoriale, Gabon. Cet ensemble présente en effet des caractéristiques qui en font une région incontournable à la fois pour le développement et la stabilité de l'Afrique de l'Ouest et pour la préservation des intérêts stratégiques français dans le monde.

A. DES POIDS LOURDS ÉCONOMIQUES ET DÉMOGRAPHIQUES

1. Le « géant » nigérian et ses voisins

D'un point de vue économique, le golfe de Guinée se caractérise d'abord par la présence de « poids lourds » , des pays dont la population et le PIB sont beaucoup plus élevés que ceux des pays du Sahel.

Au premier rang d'entre eux figure évidemment le Nigéria, un géant de plus de 200 millions d'habitants et de 440 milliards de dollars de PIB, soit le pays le plus peuplé et le plus riche d'Afrique. La population du Nigéria double environ tous les trente ans et devrait donc passer à plus de 400 millions en 2050 puis près de 800 millions en 2100, ce qui en fera le deuxième pays le plus peuplé du monde derrière l'Inde et devant la Chine. Aucun autre pays au monde ne connaîtra une croissance démographique aussi forte durant la même période.

D'autres pays du golfe de Guinée ont une population relativement importante par rapport à la moyenne de l'Afrique de l'Ouest : le Ghana (30 millions) et la Côte d'Ivoire (27 millions), à comparer aux 20 millions d'habitants du Mali et du Burkina Faso et aux 23 millions du Niger. Il est vrai cependant que la très forte fécondité des pays du Sahel va accroître dans la période à venir leur importance démographique, en particulier le Niger, qui pourrait atteindre 63 millions d'habitants en 2050.

En outre, le PIB des pays du « coeur » du golfe de Guinée (Bénin, Côte d'Ivoire, Ghana, Guinée, Liberia, Nigeria, Sierra Leone, Togo) se monte à plus de 500 milliards d'euros, ce qui en fait un « poids lourd » démographique et économique au niveau continental (à titre de comparaison, le PIB du Sahel - Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad, Mauritanie, Sénégal- est d'environ 70 milliards de dollars). De même, le PIB par habitant et l'indice de développement humain des pays du golfe de Guinée sont supérieurs à ceux des pays du Sahel.

Par ailleurs, le golfe de Guinée représente près de 50% de la production pétrolière du continent africain, avec des réserves estimées à 100 milliards de barils, soit 10% des réserves mondiales. Le pétrole du golfe de Guinée compte pour 10% des exportations mondiales. La région renferme également 4 000 milliards de m3 de gaz naturel.

2. Des flux économiques régionaux en progression

Il est clair, par ailleurs, que les pays du Sahel tirent une partie substantielle de leurs opportunités de développement de leurs relations avec ceux du golfe de Guinée .

Certes, actuellement le commerce entre les deux zones ne représente qu'une part minoritaire de leur commerce total. Les pays du Sahel commercent ainsi davantage avec la France ou la Chine qu'avec leurs voisins, bien que la Côte d'Ivoire, le Ghana et le Nigeria constituent des partenaires économiques significatifs. De fait, l'intégration économique régionale par le biais de la CEDEAO, qui regroupe les États du golfe de Guinée et les trois États centraux du Sahel (Mali, Burkina Faso et Niger) marque le pas (cf. encadré). Toutefois, l'approfondissement de cette coopération, notamment par la mise en place d'infrastructures permettant de relier les ports à leur « hinterland » dans le pays et au-delà aux pays du Sahel, reste une des principales perspectives pour améliorer globalement la situation économique de l'Afrique de l'Ouest. Malgré toutes les difficultés rencontrées, des projets économiques de ce genre se poursuivent.

Les avancées de la Communauté économique
des États d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO)

Malgré de nombreuses réformes (libéralisation du marché intérieur, tarif extérieur commun), les échanges entre membres de la CEDEAO demeurent relativement faibles (11,3% des exportations formelles des pays membres sont réalisées à l'intérieur de la CEDEAO en 2020).

Si la part du commerce régional est globalement faible, ce chiffre masque des situations hétérogènes en fonction des États. En effet, la Gambie (85,7% de ses exportations), le Togo (69,4%) et le Sénégal (38,2%) sont les pays dont les exportations sont le plus orientées vers le marché régional tandis que le Mali (38,4% de ses importations), le Burkina Faso (22,7%) et la Guinée-Bissau (19,6%) sont les pays qui s'approvisionnent le plus à partir de la sous-région. En termes de contribution, la Côte d'Ivoire (3,6 Mds USD, soit 21,9% du total des échanges intra-zone), le Nigeria (2,5 Mds USD ; 15,6%) et le Sénégal (2,2 Mds USD ; 13,3%) sont les acteurs les plus importants du commerce régional en 2020.

Par ailleurs, les axes d'échanges les plus dynamiques de la sous-région sont : (i) du Nigeria vers la Côte d'Ivoire (environ 9% du commerce intra régional en 2020) ; (ii) du Sénégal vers le Mali (5%) ; (iii) de la Côte d'Ivoire vers le Mali (4%). Enfin, les principaux produits échangés ont été les produits pétroliers (42,1% du total des produits échangés), l'huile de palme (4,7%) et le ciment (3,5%).

Ces performances mitigées s'expliquent par de nombreux facteurs : (i) des exportations essentiellement basées sur l'exploitation de matières premières pour des pays disposant d'une faible capacité de transformation de ces dernières, provoquant davantage de concurrence que de complémentarité ; (ii) la difficulté à mettre en place des chaînes de valeur régionales, en lien avec la sous exploitation de certains avantages comparatifs et la faiblesse du secteur industriel ; (iii) la persistance de certaines barrières tarifaires et non-tarifaires, particulièrement entre pays de l'UEMOA et de la ZMOA ; (iv) la faible intégration par les infrastructures, en lien notamment avec la difficulté à mettre en place des réseaux de transport efficaces ; (v) l'instabilité politique et sécuritaire de la sous-région.

L'hétérogénéité des pays de la zone engendre des divergences d'intérêts qui compliquent le fonctionnement des institutions régionales, en particulier de la Commission de la CEDEAO. Elles entraînent des blocages institutionnels qui retardent la mise en oeuvre de politiques pourtant structurantes pour la région. C'est notamment le cas du Tarif Extérieur Commun (TEC) : alors que sa mise en application a été décidée dès 2015, le Ghana et le Nigéria bénéficient encore, à ce jour, de dérogations.

D'autre part, les orientations nationales divergentes en matière de commerce contribuent au désalignement politique sur les questions économiques communautaires et l'application du droit communautaire. La signature d'un Accord de Partenariat Economique Intérimaire (APEi) entre l'UE et la Côte-d'Ivoire d'une part et entre l'UE et le Ghana d'autre part met en avant la volonté politique d'ouverture aux échanges des autorités locales ivoiriennes et ghanéennes, la perspective d'un APE régional semblant lointaine.

À l'inverse, le Nigéria ne semblerait pas prendre la même voie naturelle d'ouverture, en témoigne la fermeture temporaire entre août 2019 et décembre 2020 de ses frontières terrestres avec le Bénin et le Niger au prétexte que la réglementation douanière n'était pas correctement appliquée par ses voisins.

Les insuffisances des administrations aux frontières, et en premier lieu les douanes, constituent un des obstacles majeurs au commerce intra-zone : aux lacunes des infrastructures et aux problèmes de sécurité, bien identifiés (cf. infra) s'ajoutent une longue attente aux frontières et parfois des agissements arbitraires du personnel chargé du contrôle des cargaisons.

La CEDEAO bénéficie cependant d'atouts certains, comme une politique de libre circulation des personnes aboutie, favorisant l'intégration sociale, ainsi que d'une organisation institutionnelle étoffée. La CEDEAO s'est ainsi dotée d'une Banque d'investissement et de développement (BIDC), détenue à 70% par les États membres, qui vise à financer des projets de développement dans les pays de la sous-région. Depuis sa création, la BIDC a multiplié par dix ses engagements nets, portés à près de 1,6 Md USD au 31 décembre 2020 pour 136 projets actifs, majoritairement dans les infrastructures (60,5% des sommes engagées). Elle est en outre fréquemment utilisée comme intermédiaire ou délégataire de fonds par les bailleurs bilatéraux : ainsi en 2020, l'AFD s'est associée à la BIDC dans le cadre de l'octroi d'une ligne de crédit de 50 M EUR en faveur d'investissements publics et privés favorisant l'intégration économique et financière dans la sous-région.

Plusieurs récents programmes allant dans le sens du renforcement de la coopération ont été mis en place. En matière douanière, la CEDEAO avec le soutien de la Banque mondiale, a entrepris une action de renforcement de coopération, en déployant sur certaines des principales routes commerciales d'Afrique de l'Ouest son programme « Sigmat » (2019), qui consiste à améliorer le partage des informations en amont entre les pays, afin de réduire l'attente et l'incertitude aux frontières. Une Politique industrielle commune d'Afrique de l'Ouest, lancée dès 2010, se donnait déjà pour but de coordonner et renforcer les politiques nationales à destination du secteur privé. Depuis 2019, cette initiative est complétée par le Programme de Compétitivité de l'Afrique de l'Ouest (WACOMP), financé par l'UE (120 M EUR) et mis en oeuvre par l'ITC, afin de renforcer les chaînes de valeurs nationales et régionales pour faciliter les échanges entre pays de la zone. Il est cependant encore trop tôt pour observer les effets de ces politiques publiques.

Le financement des infrastructures d'intérêt régional est aussi au coeur du projet de la CEDEAO et de ses États-membres, avec l'appui des principales banques multilatérales de développement , afin de stimuler les échanges intra-régionaux : devraient voir le jour à moyen terme l'autoroute Dakar-Lagos, qui devrait permettre un accroissement notable des échanges - la BAfD a récemment annoncé être parvenue à rassembler les financements nécessaires à la construction de la portion Abidjan-Lagos (dont le coût est estimé à 15,6 Md USD) - ou encore le projet d'interconnexion électrique « Dorsale Nord » (570 M USD), dont les travaux viennent de commencer, et qui doit permettre une plus grande inclusion et le transport de l'électricité à moindre coût dans le cadre du Système d'échanges d'énergie électrique ouest-africain (EEEOA).

Ce projet viendra renforcer l'intégration du réseau de transport de l'électricité, alors que la mise-à-niveau de la liaison électrique Nigéria-Bénin s'achève (financée par la BAfD). En 2019, la CEDEAO avait identifié 75 projets prioritaires dans le cadre de son Plan directeur pour la production et le transport d'électricité - soit un total de 36,4 Md USD d'investissements jusqu'en 2033.

La capacité des institutions financières internationales à agir peut cependant avoir des limites en fonction de la situation d'endettement des pays, car elles conditionnent leurs opérations à la soutenabilité financière des États.

Notons que le Cameroun et le Gabon appartiennent pour leur part à la Communauté économique des États de l'Afrique centrale (CEEAC). Cette répartition des pays riverais du golfe de Guinée en deux organisations complexifie la réponse régionale aux problématiques maritime comme la piraterie.

Il existe également une Commission du golfe de Guinée rassemblant les pays riverains du golfe, peu active toutefois.

Source : direction générale du Trésor

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