B. LA PÊCHE ILLÉGALE ET LE TRAFIC DE DROGUE : DES MENACES DE GRANDE AMPLEUR

1. La pêche illicite, un fléau qui menace la sécurité alimentaire de la région

La piraterie n'est qu'un des aspects de la délinquance maritime dans le golfe de Guinée, et peut-être pas le plus grave par ses retombées économiques ou par ses conséquences à long terme pour la vie de la région. Selon plusieurs personnes entendues par la mission, la pêche illicite représente en effet une menace au moins aussi importante que la piraterie .

En effet, ce phénomène est particulièrement développé dans la région et affecte considérablement les États et les populations, comme l'a souligné lors de son audition le Contre-amiral Emmanuel Sagorin, adjoint au chef du centre de planification et de conduite des opérations de l'état-major des armées, chargé de la planification et de la logistique. La pêche illicite représenterait 40% à 60% du total des prélèvements, ce qui a un impact significatif sur la sécurité alimentaire dans le golfe .

Selon le Cadre Harmonisé de la sécurité alimentaire (outil d'analyse utilisé en Afrique de l'Ouest pour l'identification, l'analyse des zones à risque et des populations en insécurité alimentaire et nutritionnelle), le nombre de personnes en situation d'insécurité alimentaire en Afrique de l'Ouest et dans le golfe de Guinée a doublé en deux ans, passant de 3 millions à plus de 6 millions entre juin-août 2020 et juin-août 2022. La pêche fait vivre plus de 7 millions de personnes dans la région. La pêche illicite est une pêche industrielle menée par des bateaux souvent chinois ou russes, qui prélèvent des quantités dépassant déjà probablement les capacités de reconstitution des stocks. Les pêcheurs locaux, qui se gardent une partie du produit de leur pêche pour leur consommation personnelle, sont également amenés à vendre leurs poissons en haute aux grands navires plutôt que de les ramener au port où ils devraient payer des commissions. Il est également probable que certains pirates soient d'anciens pêcheurs ne pouvant plus vivre de leur activité traditionnelle. En outre, la perte des revenus de la pêche favorise l'immigration des populations côtières vers l'Europe.

Le 15 octobre 2016, à Lomé, la Session extraordinaire de la Conférence de l'UA a adopté la Charte africaine sur la sûreté et la sécurité maritimes et le développement en Afrique (Charte de Lomé) . En particulier, les pays africains, dont les pays du golfe de Guinée, se sont engagés à « mener les réformes nécessaires pour la bonne gouvernance dans le secteur de la pêche » et à « prendre les mesures appropriées pour lutter efficacement » contre la pêche illégale. Toutefois, les résultats se font toujours attendre. La corruption, notamment, conduirait parfois à l'attribution de licences de pêche à des navires illégaux, ce qui empêche ensuite l'intervention des forces de sécurité.

Par ailleurs, des actions ont également lieu dans le cadre de l'opération Corymbe contre la pêche illégale . En avril 2022, le Patrouilleur de haute mer (PHM) Commandant Birot a conduit, durant six jours, une patrouille de surveillance des pêches au large du Congo et du Gabon, afin de détecter et de dissuader les activités de pêche illégale, en coordination étroite avec les centres d'opérations maritimes des partenaires régionaux africains. En décembre 2022, le patrouilleur de haute mer (PHM) Commandant Ducuing a également réalisé une patrouille de lutte contre la pêche illicite non déclarée et non réglementée (INN) dans la zone économique exclusive (ZEE) du Cap-Vert. Ce genre d'actions devrait, selon les rapporteurs, être encore davantage développé .

Mettre la lutte contre la pêche illégale au premier rang des priorités de la coopération française avec les pays partenaires de la région et, dans un contexte de diminution de la piraterie, renforcer l'action de Corymbe dans ce domaine.

2. Un trafic de drogue en plein développement

La troisième menace importante dans le golfe de Guinée est le trafic de drogue. Il s'agit même désormais d'une menace de premier plan non seulement pour la région, mais aussi pour l'Europe , comme le montrent la situation très grave dans laquelle se trouvent à cet égard des pays comme les Pays-Bas et la Belgique, où des personnalités publiques et jusqu'à des membres du gouvernement sont menacés par les narcotrafiquants des mafias et doivent être placés sous protection. Or une grande partie de la cocaïne qui alimente l'Europe transite désormais par le golfe de Guinée .

L'ampleur des saisies donne des indices sur la gravité du phénomène. En 2020, le Patrouilleur de haute mer (PHM) Commandant Bouan, en coopération avec la marine ivoirienne, a chassé et relocalisé un voilier transportant 411 kg de cocaïne. En 2021, le Porte-hélicoptères amphibie (PHA) Dixmude a intercepté le cargo Najlan qui transportait 6 tonnes de cocaïne. Quelque 1 730 kilos de cocaïne ont également été saisis par la Marine nationale sur un navire de pêche dans le golfe de Guinée, au large du Nigeria et du Bénin, le 22 mai 2022. Enfin plus de 4,6 tonnes de cocaïne, d'une valeur d'environ 150 millions d'euros, ont été saisies par la Marine française sur un remorqueur brésilien dans le golfe de Guinée en décembre 2022 . Cette opération a été conduite sur la base de renseignements transmis par l'Office Anti-Stupéfiants (OFAST) de la police judiciaire française dans le cadre d'une enquête internationale menée notamment avec les autorités brésiliennes et américaines.

Il existerait en réalité selon certains spécialistes un véritable « écosystème » de la drogue sur la côte du golfe de Guinée , chacun des principaux pôles de cet écosystème pouvant s'appuyer sur un aéroport international, un port maritime avec terminal à conteneurs et des réseaux routiers régionaux. L'épicentre de ce système se situe plutôt du Sénégal à la Guinée, mais la Côte d'Ivoire en est également devenue une pièce importante, alors que le Bénin et le Ghana sont aussi touchés. En effet, les hubs portuaires utilisés évoluent sans cesse le long de la côte en fonction des opportunités et des risques de saisies. Il semblerait en outre que le trafic s'éloigne des zones qu'il a lui-même déstabilisées à l'excès, et qui n'offrent donc plus un environnement assez stable même pour les trafiquants. La gouvernance des ports, marquée par la corruption, favorise ce fléau .

Lorsqu'elle est basculée sur des véhicules à terre, la drogue passe soit par le Sahel avant de rejoindre la Libye puis l'Europe, soit par la Mauritanie où elle est transbordée sur des bateaux de pêche à destination de l'Europe.

Une réponse régionale a été construite pour lutter contre ce phénomène . Un plan d'action régional, la déclaration de Praïa, a été adopté en 2008. En 2013 a été créée la Commission ouest-africaine sur les drogues (WACd), dirigée par Kofi Annan. Cette instance a démontré les impacts régionaux du commerce de la cocaïne et ses liens avec l'affaiblissement de la gouvernance, l'instabilité et la corruption, ainsi que la consommation intérieure des pays touchés . Les effets particulièrement graves du trafic en Guinée Bissau, où la drogue gangrène véritablement la démocratie, ont également été mis en exergue. Toutefois, les résultats politiques ont été minces . D'un point de vue plus opérationnel, on peut citer l'initiative Côte d'Afrique de l'Ouest, lancée en 2009 afin de renforcer les capacités des États en matière d'application de la loi et de justice pénale. Des projets ont également été financés par l'UE pour mettre l'accent sur le renforcement des capacités portuaires contre le trafic illicite. En 2019 a été signé un MOU entre la police judiciaire de Guinée-Bissau, l'agence de lutte anti-drogue de la Gambie et le bureau central de répression du Trafic Illicite des Stupéfiants du Sénégal.

En ce qui concerne la Côte d'Ivoire, le pays semble également être devenu un point de transit majeur et les saisies sont de plus en plus importantes . Le bon réseau routier du pays permettrait aux trafiquants de transporter efficacement la marchandise vers le Nord, pour la faire transiter par le Mali et le Burkina Faso.

Il est donc absolument nécessaire que les États de la région réactivent leur investissement politique au plus haut niveau pour aboutir à une lutte plus efficace contre le trafic de drogue dans le golfe de Guinée.

Inciter les États du golfe de Guinée à traiter au plus haut niveau politique la question de la lutte contre le trafic de drogue. Intensifier la coopération entre la France et ces pays en la matière.

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