II. LA DCPJ EST AUJOURD'HUI CONCERNÉE PAR UN PROJET DE RÉFORME D'AMPLEUR DE LA POLICE NATIONALE, DONT LES MODALITÉS SUSCITENT DES INQUIÉTUDES S'AGISSANT DE LA POLICE JUDICIAIRE
La police nationale fait aujourd'hui l'objet d'un projet de réforme d'organisation d'ampleur, dont certains éléments sont déjà mis en oeuvre. Cette réforme recouvre notamment la DCPJ, dont les modalités d'organisation seraient modifiées. Si le principe d'une réforme de la police nationale fait l'objet d'un consensus, les modalités de la réforme aujourd'hui présentées, bien que récemment améliorées notamment grâce aux apports du Parlement et en particulier du Sénat dans le cadre de la très récente loi LOPMI 69 ( * ) , suscitent des inquiétudes légitimes s'agissant de son volet « investigation ».
A. UN PROJET DE RÉFORME PROFONDE DE LA POLICE NATIONALE AFFECTE DE MANIÈRE SIGNIFICATIVE LA DCPJ
1. Le projet de réforme, envisagé dès 2020 et partiellement lancé, vise à mettre en place une organisation plus pyramidale et plus déconcentrée de la police nationale
a) Un constat général partagé : une police nationale trop cloisonnée et souffrant d'un manque d'unité
Le constat d'un besoin de réforme de la police nationale est globalement partagé par tous et est largement documenté 70 ( * ) . Depuis la loi Frey de 1966 71 ( * ) , qui a créé la police nationale en rassemblant les personnels de la sûreté nationale et de la préfecture de police, aucune réforme de grande ampleur n'a modifié l'organisation de la police nationale. Or cette organisation apparaît aujourd'hui inadaptée et trop peu lisible.
Comme le précise le livre blanc de la sécurité intérieure publié en novembre 2020, « la police nationale d'aujourd'hui s'est constituée progressivement par la création de structures spécialisées qui ont été conçues pour accomplir des missions particulières (police aux frontières, police judiciaire, police technique et scientifique, renseignement, maintien de l'ordre, protection des hautes personnalités, intervention spécialisée) » . Or ces directions centrales sont devenues au fil du temps autant de silos trop étanches, verticaux et indépendants les uns des autres. La police nationale souffre ainsi d'un manque de cohésion et d'unité , qui génère des pertes d'information, d'efficacité et parfois même des logiques de concurrence et réduit finalement la possibilité de mettre en oeuvre une stratégie globale d'emploi des forces sur les différents territoires.
Ce manque d'unité et de gouvernance crée en outre un manque de lisibilité de l'organisation de la police nationale, notamment pour le citoyen. Cet enjeu se reflète d'ailleurs dans un manque certain d'incarnation publique de la fonction policière, en particulier à l'échelon local. Alors que les responsables des différents échelons de la gendarmerie nationale sont bien identifiés, la fonction de chef de police - longtemps incarnée, y compris au cinéma, par le commissaire de police, figure de la ville - est aujourd'hui diluée.
b) Le projet de réforme, dont les contours étaient déjà dessinés par le livre blanc de la sécurité intérieure, prévoit notamment la création de filières et la mise en place de directeurs départementaux de la police nationale
(1) L'inspiration du projet de réforme : le livre blanc sur la sécurité intérieure de 2020
Les modalités d'une grande réforme organisationnelle de la police nationale font l'objet de réflexions depuis de nombreuses années au sein du ministère de l'Intérieur. Les travaux organisés dans le cadre de la préparation du livre blanc de la sécurité intérieure , qui ont débuté alors que M. Christophe Castaner était ministre de l'Intérieur et se sont achevés alors que M. Gérald Darmanin lui avait succédé, ont notamment traité de ce sujet.
Publié en novembre 2020, le livre blanc sur la sécurité intérieure évoquait ainsi des pistes de réformes. Plaidant pour la mise en oeuvre des principes directeurs de transversalité, de décloisonnement, de déconcentration et de proximité avec le terrain « au plus proche de la population à protéger », le livre blanc évoquait deux hypothèses de transformation de la police nationale.
La première option évoquée consistait principalement à créer une filière judiciaire unique regroupant les enquêteurs des services de la DCPJ et de la DCSP sous l'autorité d'un seul directeur central, à recentrer les différentes directions centrales sur la stratégie, le pilotage et l'évaluation et à privilégier la déconcentration, en s'appuyant sur les différents échelons territoriaux et en créant un échelon zonal pour chacune des directions. En outre, était proposée l'unification de la police nationale en outre-mer avec la mise en place de directions territoriales uniques de la police nationale réunissant l'ensemble des corps de métiers de police dans chacun de ces territoires.
La seconde option évoquée, similaire dans son esprit mais beaucoup plus profonde, poursuivait le même objectif de rassembler les « briques » d'un même métier sous l'autorité d'un chef de filière positionné à chaque échelon territorial, mais « en poussant la logique de clarté et de simplicité jusqu'à son terme en instaurant une gouvernance unifiée », c'est-à-dire des chefs communs ayant autorité localement sur les différentes filières. Elle consistait principalement à :
- regrouper, afin de répondre à l'éclatement de missions communes entre différentes directions, l'ensemble des métiers et des spécialités de la police au sein d'un nombre limité de « filières métiers » (paix et ordre publics, investigation, renseignement territorial, protection aux frontières, protection et intervention) assorties de missions transverses, telles que les ressources humaines et les moyens ou la coopération internationale ;
- mettre en place des directions nationales - en remplacement des directions centrales - rattachées au DGPN, déchargés des tâches de gestion des personnels ou des moyens et en charge uniquement de piloter chacune des filières compétentes ;
- instituer des directeurs déconcentrés uniques de la police nationale en charge des directions territoriales de la police nationale aux niveaux départemental et zonal, regroupant les effectifs de police de chacune des filières. Les nouvelles directions départementales de la police nationale disposeraient de l'autorité hiérarchique sur tous leurs services et assureraient la gestion « opérationnelle » des personnels et des moyens (en lien avec les SGAMI), tandis que les directions « filières » nationales joueraient un rôle d'animation et de coordination sur les agents relevant de leurs filières respectives ;
- dessiner, sur la base de ces évolutions, une nouvelle cartographie budgétaire en clarifiant la répartition des compétences et en s'appuyant en particulier sur les directeurs départementaux et zonaux - et les préfets - et le DGPN ;
- repenser l'articulation de la préfecture de police avec la DGPN.
(2) Le projet de réforme vise à mettre en place une organisation plus pyramidale et plus déconcentrée de la police nationale, en s'appuyant sur des filières métiers et sur un nouveau directeur départemental de la police nationale
Le projet de réforme de la police nationale, dont les modalités précises n'ont pas été entièrement formalisées à ce jour publiquement, découle largement des pistes de réforme évoquées par le livre blanc de la sécurité intérieure, en puisant d'ailleurs dans les deux options évoquées par ce dernier.
D'un point de vue global, la réforme vise à répondre aux écueils de l'organisation de la police nationale en s'appuyant sur quatre « filières métiers » identifiées et en établissant de véritables chefs de police, compétents sur l'ensemble des filières , en redéfinissant au passage la répartition des autorités hiérarchique et fonctionnelle, tant aux niveaux central que déconcentré.
S'inspirant sans doute de l'esprit de l'organisation de la gendarmerie nationale, le projet de réforme tend finalement à rendre le fonctionnement de la police nationale plus pyramidal et plus déconcentré, en s'appuyant en particulier sur l'autorité et la gouvernance du nouveau directeur départemental de la police nationale (DDPN) et des préfets , en particulier des préfets de département.
Concrètement, la réforme consiste, en premier lieu, à créer des « filières » complémentaires entre elles dans l'objectif de répondre à l'éclatement de missions pourtant communes entre directions, et à offrir à chacun des métiers de la police nationale une identité, une culture partagée et une cohérence dans l'action. Il s'agit aussi de favoriser une approche globale et pluridisciplinaire dans l'appréhension et le traitement des problèmes de sécurité intérieure. Quatre « filières métiers » seraient ainsi mises en place :
- la sécurité et la paix publiques ;
- le renseignement territorial ;
- la police judiciaire ;
- les frontières et l'immigration irrégulière.
Ces quatre filières métiers recouperaient les missions des principales directions centrales actuelles mais en en modifiant la répartition des compétences, autour de « métiers ». À titre d'exemple, la filière « police judiciaire » regrouperait en son sein les missions correspondantes, aujourd'hui réparties entre la DCPJ et la DCSP en particulier.
En second lieu, la réforme prévoit une modification de l'organisation centrale et territoriale de la police nationale visant à établir de véritables chefs de police , compétents sur l'ensemble des filières, en redéfinissant la répartition des autorités hiérarchique et fonctionnelle.
Au niveau central , sur le modèle du fonctionnement du service central du renseignement territorial depuis 2014 72 ( * ) , les quatre filières seraient chapeautées par des directions « nationales » - en lieu et place des directions centrales actuelles . Comme le proposait le livre blanc, ces directions nationales seraient recentrées sur leur rôle stratégique et de pilotage de leur filière respective et sur la gestion des entités nationales, en particulier opérationnelles , placées directement sous leur autorité. Elles se verraient en revanche retirer leurs missions de gestion d'un budget propre et de leurs personnels déconcentrés, sur lesquels leur ancienne autorité hiérarchique serait réduite à une autorité fonctionnelle.
À l'échelon déconcentré , le département serait consacré comme l'échelon territorial de référence pour l'animation et la coordination opérationnelle de l'action de l'ensemble des services implantés sur le territoire . Ainsi - et c'est là le coeur de la réforme - seraient mises en place des directions départementales de la police nationale (DDPN) regroupant les services des quatre filières. Le directeur départemental aurait une autorité hiérarchique sur les directeurs de chacune des filières et leurs services . Cette direction unique de police vise, selon la DGPN, à apporter des synergies, une rationalisation et une optimisation des moyens de la police nationale, au service d'un renforcement de sa gouvernance territoriale et de ses capacités opérationnelles en fonction des besoins, et notamment de la présence policière sur la voie publique. Le directeur unique de la police pourrait ainsi allouer les forces en fonction des priorités opérationnelles, par exemple la sécurité du quotidien, le démantèlement des trafics, la lutte contre l'immigration clandestine, etc .
Le DDPN serait placé sous l'autorité directe du préfet , dont il deviendrait l'interlocuteur naturel pour l'ensemble des sujets touchant à la police nationale, quelles que soient les filières concernées. Comme l'exprimait clairement le livre blanc en indiquant que « la réorganisation de la police nationale doit être l'occasion de réaffirmer l'autorité des préfets de département », la réforme envisagée est ainsi largement structurée autour de l'autorité du préfet de département.
Cette organisation serait déclinée au niveau zonal, selon des modalités qui restent à être précisées . Un directeur zonal de la police nationale serait ainsi institué ( DZPN ). Placé sous l'autorité du préfet de zone de défense et de sécurité, il en serait l'interlocuteur naturel pour les sujets qui concernent la police nationale. Il serait assisté, comme à l'échelon départemental, d'adjoints compétents pour chacune des filières métiers, relais des directions nationales et chargés d'assurer le pilotage stratégique de leur filière dans la zone, sur la base d'une autorité fonctionnelle - et non hiérarchique - sur les directeurs départementaux de filières. Le DZPN aurait quant à lui, vis-à-vis des DDPN une autorité dont il reste à déterminer les contours, ces derniers relevant avant tout de l'autorité des préfets de département.
(3) De premiers éléments de la réforme ont déjà été mis en oeuvre ou sont en cours d'expérimentation
À ce jour, deux premiers éléments de la réforme ont été mis en oeuvre.
D'une part, les directions centrales qui n'en étaient pas déjà dotées - dont la DCPJ - ont vu la création de directions zonales , dans un objectif global de déconcentration. S'agissant de la DCPJ, il s'agissait en particulier 73 ( * ) , selon la DGPN, de mettre davantage en adéquation leur organisation territoriale avec les ressorts territoriaux du ministère de l'intérieur et du ministère de la Justice, à prendre en compte l'évolution des bassins de criminalité pour améliorer la réponse opérationnelle et à optimiser le pilotage administratif, budgétaire et logistique des services territoriaux en mutualisant la gestion des ressources et des moyens au niveau zonal. À ce jour, les DZPJ répondent de l'autorité de la DCPJ, et non du préfet de zone de défense et de sécurité.
D'autre part, une nouvelle organisation de la police nationale a récemment été mise en place dans certains territoires ultramarins . Le décret n° 2019-1475 du 27 décembre 2019 74 ( * ) a ainsi créé, à compter du 1 er janvier 2020, une direction territoriale de la police nationale (DTPN) dans trois territoires : en Guyane, à Mayotte et en Nouvelle-Calédonie. Comme l'annonçait le livre blanc, ce modèle a été étendu à compter du 1 er janvier 2022 à d'autres territoires ultramarins par le décret n° 2021-1876 du 29 décembre 2021 75 ( * ) , à savoir la Guadeloupe, la Martinique, La Réunion, et la Polynésie française.
Cette nouvelle organisation, qui résulte directement de la proposition en ce sens formulée par le Livre blanc, qui la justifiait par « les nombreuses spécificités de ces territoires et leur isolement géographique », réunit au sein de la DTPN les différents corps de métiers de police dans chacun de ces territoires : sécurité publique, renseignement territorial, police aux frontières et police judiciaire.
Concrètement, en application de l'article 3 du décret n° 2019-1475 du 27 décembre 2019 précité, le directeur territorial de la police nationale, nommé « par arrêté du ministre de l'intérieur parmi les fonctionnaires du corps de conception et de direction de la police nationale », est « sous réserve des dispositions du code de procédure pénale relatives à l'exercice des missions de police judiciaire , (...) placé sous l'autorité du préfet de département ou du représentant de l'État dans la collectivité ». S'agissant de la sécurité publique, du renseignement territorial et de la police aux frontières, « il est le conseiller » du préfet.
Une distinction est toutefois opérée pour ce qui concerne la police judiciaire. En effet, l'article 3 dudit décret précise que pour ce qui concerne les opérations de police judiciaire, le DTPN « pourvoit, sous la seule direction de l'autorité judiciaire, à [leur] exécution (...) par les services relevant de son autorité ».
Les DTPN ultramarines sont composées :
- d'un état-major commun, ce qui est favorable au partage d'information ;
- d'un service territorial de sécurité publique ;
- d'un service territorial de police aux frontières ;
- d'un service territorial de police judiciaire ;
- d'un service du renseignement territorial ;
- d'un service territorial du recrutement et de la formation ;
- et d'un service territorial de gestion des ressources ;
- éventuellement, d'un service territorial de recherche, assistance, intervention et dissuasion (RAID) 76 ( * ) .
Cette nouvelle organisation de la police nationale dans les territoires ultramarins ne répond, en réalité, pas uniquement à une volonté de s'adapter à des enjeux spécifiquement ultramarins, mais constitue de facto une préfiguration de la nouvelle organisation, avec d'éventuelles adaptations, dont le ministère de l'Intérieur et la DPGN souhaitent la mise en place sur l'ensemble du territoire national.
Cette organisation est aujourd'hui expérimentée dans plusieurs départements de l'Hexagone . Sont concernés huit départements : depuis janvier 2021, le Pas-de-Calais, les Pyrénées-Orientales et la Savoie, et, depuis février 2022, le Calvados, l'Hérault, l'Oise, le Puy-de-Dôme et le Haut-Rhin.
Cette expérimentation, à la différence des territoires ultramarins, se fait à « droit constant », les personnels des quatre filières métiers restant rattachés à leur direction centrale d'origine, ce qui implique, comme le rappelle la DGPN, que sa réussite dépend en partie de la bonne volonté des effectifs de fonctionner selon un mode plus intégré.
2. Le projet de réforme affecte la DCPJ en l'intégrant à une nouvelle filière investigation plus large et en faisant dépendre ses services déconcentrés du nouveau directeur départemental de la police nationale
La réforme envisagée de l'organisation de la police nationale affecte la DCPJ, via son intégration à une large « filière investigation » et au placement de ses services déconcentrés sous l'autorité du nouveau directeur départemental de la police nationale (DDPN).
a) La création d'une filière investigation constitue une déclinaison de la réforme globale de la police nationale mais vise également à répondre à des problèmes qui sont spécifiques aux services de police judiciaire
Le projet de réforme de l'organisation de la police nationale prévoit la création d'une « filière investigation » regroupant en particulier les effectifs de la DCPJ et ceux de la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) en charge de missions de police judiciaire 77 ( * ) . Cette filière investigation répondrait d'une certaine manière, dans l'esprit, à l'unité de la sous-direction de la police judiciaire (SDPJ) de la gendarmerie nationale.
La mise en place d'une telle « filière investigation » constitue une déclinaison de la volonté d'organiser la police nationale en différents métiers. Mais elle vise en réalité également à répondre à des enjeux spécifiques à l'investigation dans la police nationale. Elle part de ce point de vue de différents constats 78 ( * ) .
Tout d'abord, la création de la filière investigation vise à tirer les conséquences, selon la présentation de la DGPN, du fait que les services d'investigation de la DCSP traitent d'affaires dont un part relève d'un niveau de gravité et de complexité de même niveau que certaines affaires confiées à la DCPJ , y compris s'agissant de la grande criminalité. Même si la DCPJ traite en réalité en moyenne des dossiers beaucoup plus graves, complexes et spécialisés que la DCSP, la répartition des dossiers est en effet moins dichotomique que l'on pourrait le croire au premier abord 79 ( * ) . En outre, d'autres administrations s'investissent aussi dans les missions de police judiciaire, ce qui plaiderait selon la DGPN pour une unification de la filière investigation au sein de la police nationale.
Ensuite, il existe un déficit d'encadrement dans les services d'investigation de la DCSP (5 %) par rapport à ceux de la DCPJ (30 % 80 ( * ) ). Ainsi, la mise en place de la nouvelle filière permettrait, selon la DGPN, de faire bénéficier l'ensemble des enquêteurs de l'expérience et de la compétence des encadrants expérimentés et plus nombreux, en proportion, de la DCPJ.
En outre, et c'est là l'un des enjeux majeurs servant de justification centrale de ce volet de la réforme de la part de la DGPN, les taux d'élucidation des différentes catégories d'infractions par l'ensemble des services d'investigation de la police nationale sont source d'inquiétude , tant en termes de dynamique sur les dix dernières années qu'en comparaison des résultats de la gendarmerie nationale.
Les taux d'élucidation sont en effet globalement en baisse notable depuis une dizaine d'années pour l'ensemble de la police nationale , même s'il existe des exceptions 81 ( * ) . À titre d'exemple, entre 2010 et 2019, le taux d'élucidation a baissé de 12 points pour les violences non crapuleuses (de 76 % à 64 %), de 15 points pour les violences sexuelles (68 % à 53 %) et de 3 points pour les atteintes aux biens, pour s'établir au niveau très bas de 12 % dans ce domaine (contre 15 % en 2010).
Le différentiel de taux d'élucidation apparaît en outre important avec la gendarmerie nationale dans plusieurs domaines importants . Pour les violences physiques aux personnes, il est de 80,5 % pour la gendarmerie nationale contre 53 % pour la police nationale. De même, pour les atteintes aux biens, il est de 17,5 % pour la gendarmerie nationale contre 12 % pour la police nationale. Par ailleurs, s'agissant des escroqueries et infractions assimilées, il est de 46 % pour la gendarmerie nationale contre 30,5 % pour la police nationale.
Par ailleurs, hors infractions à la législation sur les étrangers, le nombre des personnes mises en cause par les services de police entre 2010 et 2019 a baissé de près de 9 %, soit 63 000 mis en cause en moins. À titre d'exemple, alors qu'en 2010, le ratio était d'une personne mise en cause pour 6,6 vols constatés, aujourd'hui ce ratio est d'un pour 8 82 ( * ) .
Alors que les taux d'élucidation par les services de la DCPJ tendent quant à eux en moyenne à légèrement progresser ces dernières années et le nombre de mis en cause par ses services à se stabiliser, la baisse d'efficacité globale de la mission d'investigation de la police nationale doit principalement être attribuée aux difficultés de la DCSP en matière de police judiciaire.
Comme développé supra , en charge de la très grande majorité des actes infractionnels, les services de la DCSP sont aujourd'hui engorgés . La DCSP fait en outre face à un phénomène de désaffection policière pour l'investigation qui la touche plus fortement que la DCPJ. Au final, le stock de dossiers à traiter par enquêteur apparaît aujourd'hui en moyenne très élevé, ce qui réduit mécaniquement leur efficacité. Alors que le nombre moyen de dossiers par enquêteur de la DCPJ était de 8 en 2021 (dont 5 pour les services centraux et 9 pour les services territoriaux), ce taux est considérablement plus élevé pour la DCSP. À titre d'illustration, dans le périmètre de compétence du parquet de Rennes, en 2022, le rapporteur spécial a pu constater qu'alors que le nombre de dossiers par officier de police judiciaire des services territoriaux de la DCPJ était relativement comparable à la moyenne nationale précitée, il atteignait près de 105 pour les effectifs de la DCSP, dont plus de 235 pour le commissariat de Fougères.
Enfin, le traitement des infractions économiques et financières est aujourd'hui insatisfaisant , étant inégal selon les ressorts, les champs infractionnels et les services compétents 83 ( * ) .
Or, cette situation globale dégradée de différents points de vue en matière d'investigation au sein de la police nationale doit être mise en regard avec le fait que sur la période de 2010 à 2019, le volume global de la délinquance traitée par les services de la police nationale a en réalité assez peu varié , avec une moyenne de 2,4 millions de crimes et délits enregistrés par an. En outre, de 2015 à 2020, les effectifs actifs consacrés à la mission de police judiciaire, hors personnels scientifiques et techniques, a augmenté, selon la DGPN , de 21% pour la DCSP, de 20 % pour la DCPJ et de 6 % pour la préfecture de police de Paris (dont 9 % pour la DSPAP et 1 % pour la DRPJ-PP), hors personnels techniques et scientifiques.
Dans ces conditions, la réforme vise à traiter de aspects organisationnels des services d'investigation pour en renforcer l'efficacité, notamment en unifiant les capacités, en améliorant la coordination des services en charge des enquêtes et en offrant à ces derniers un encadrement renforcé et un pilotage unique.
S'appuyant sur 23 000 enquêteurs, compétents du vol de vélo au trafic international de stupéfiants et pilotée par une direction nationale dédiée - qui se substituerait à la DCPJ -, l'objectif serait que la filière bénéficie de son unité et de structures communes.
b) Une filière investigation relevant au niveau déconcentré de l'autorité des nouveaux directeurs départementaux et zonaux de la police nationale
La DCPJ serait également concernée par l'autre grand volet de la réforme, celui de la création des directions départementales de la police nationale (DDPN) et des directions zonales de la police nationale (DZPN).
En effet, comme les trois autres filières (sécurité et la paix publiques, renseignement territorial, et frontières et immigration irrégulière), les services territoriaux de la DCPJ ont vocation à être intégrés dans ces nouvelles structures intégrées. Dans le cadre de ce nouveau fonctionnement, les services actuels de la DCPJ dépendraient, aux côtés de ceux de la DCSP compétents en matière de police judiciaire, d'un directeur de filière, lui-même sous l'autorité du directeur départemental de la police nationale (DDPN), à son tour soumis au préfet . Le schéma serait identique à l'échelon zonal.
Une telle réforme constituerait une évolution majeure pour les services territoriaux de la DCPJ , sous plusieurs aspects. Tout d'abord, ils seraient amenés à travailler de façon plus proche avec les services de la DCSP localement compétents, dans le cadre d'une filière commune et sous l'autorité de chefs communs. En outre, alors que ces services répondent aujourd'hui in fine de l'autorité de la DCPJ et de ses déclinaisons territoriales (directions zonales, directions territoriales et services de police judiciaire), compétentes hiérarchiquement et fonctionnellement sur eux, la nouvelle direction nationale de la filière judiciaire ne conserverait sur eux qu'une autorité fonctionnelle . L'autorité hiérarchique serait ainsi exercée par le DDPN , ce qui constitue une évolution majeure, source d'importantes inquiétudes développées infra . En outre, les moyens humains et matériels auraient également vocation à être gérés par la DDPN et, éventuellement, la DZPN, et non plus par la DCPJ et par ses déclinaisons territoriales.
* 69 Loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur.
* 70 Rapports d'information du Sénat et de l'Assemblée nationale, référés de la Cour des comptes, rapports inter-inspections générales, etc .
* 71 Loi n° 66-492 du 9 juillet 1966 portant organisation de la police nationale.
* 72 Aujourd'hui rattaché à la DCSP.
* 73 Voir supra .
* 74 Décret n° 2019-1475 du 27 décembre 2019 portant création et organisation des directions territoriales de la police nationale.
* 75 Décret n° 2021-1876 du 29 décembre 2021 portant création des directions territoriales de la police nationale de la Guadeloupe, de la Martinique, de La Réunion, et de la Polynésie française.
* 76 Article 4 du décret n° 2019-1475 du 27 décembre 2019 portant création et organisation des directions territoriales de la police nationale.
* 77 Mais également, a priori , des services relevant aujourd'hui d'autres directions centrales.
* 78 Rappelés pour certains, et dans des termes parfois différents, par le courrier du Directeur général de la police nationale M. Frédéric Veaux, du 30 août 2022 transmis aux policiers en charge de la police judiciaire.
* 79 Voir supra .
* 80 Selon les informations recueillies par le rapporteur spécial lors des auditions.
* 81 À titre d'exemple, entre 2010 et 2019, le nombre des trafics de stupéfiants démantelés par les services de police a plus que doublé et le nombre des trafiquants mis en cause a progressé de 52 %. Sur la même période, les saisies de cannabis ont augmenté de 30 %, les saisies de cocaïne de 178 % et les saisies d'avoirs criminels de 39 %.
* 82 Source : réponses de la DGPN au questionnaire du rapporteur spécial.
* 83 Voir supra .