B. RENDRE PLUS VISIBLES LES TRAVAUX DU CNEN VIS-À-VIS DU SÉNAT
Au-delà des mesures symboliques, le rapport estime nécessaire de donner plus de visibilité aux travaux du CNEN . Aussi conviendrait-il que ce Conseil assure une transmission directe au Sénat de ses avis négatifs , motivés de manière précise et dès leur adoption. Cette transmission directe ne nécessite aucune modification des textes, les avis du CNEN étant déjà rendus publics sur son site.
En outre, il conviendrait d' annexer ses avis aux études d'impact des projets de loi . Cette disposition, portée par le Sénat depuis plusieurs années 30 ( * ) , a été reprise par le CNEN dans son rapport du 17 février 2021. Elle permettrait de respecter le principe du contradictoire et d'éclairer les travaux du Parlement. A vrai dire, cette mesure serait simple à mettre en oeuvre à droit constant par un simple accord du Gouvernement acceptait d'insérer cet avis dans son étude d'impact.
C. ÉTENDRE SES MOYENS ET SES MISSIONS
1. Confier au CNEN la certification des études d'impact des textes applicables aux collectivités territoriales
Comme indiqué plus haut, le CNEN est chargé d'évaluer l'impact technique et financier des normes applicables aux collectivités territoriales. Cette instance n'a donc pas reçu , stricto sensu , la compétence de certifier le sérieux, la rigueur et la méthodologie des études d'impact/fiches d'impact qui accompagnent respectivement les projets de loi et les projets de décrets qui lui sont soumis.
Cette mission de certification, d'autant plus importante que le contenu de l'étude d'impact a vocation à être renforcée (cf supra), devrait s'accompagner d'un renforcement des liens avec des organismes tels que l'INSEE ou France Stratégie. Comme le souligne la proposition de résolution précitée de M. Rémy Pointereau, « la mise en place d'une collaboration étroite et permanente avec l'INSEE assurera le pilotage statistique et économique de la politique d'évaluation. En effet, (...) les missions de collecte de production, d'analyse et de diffusion des informations économiques et sociétales, seraient utiles à l'évaluation des coûts de la règlementation, tant à l'échelle du flux qu'à celle du stock ».
Il conviendrait donc de créer, au sein de l'INSEE, une cellule dédiée au CNEN, sur le modèle de ce qui pratique en Allemagne. Un tel partenariat apparait indispensable dès lors que le CNEN ne dispose pas de profils d'économistes ou de statisticiens dans son équipe (cf. infra).
D'une manière générale, il faut redire que le CNEN ne pourra certifier les études d'impact que s'il est doté de moyens renforcés , comme l'avait relevé, dès 2014, M. Rémy Bouchez, ancien commissaire à la simplification, lors d'une audition à l'Assemblée nationale : « Si cet organisme prend l'importance que le législateur souhaitait lui donner, et s'il se dote de quelques moyens , je pense qu'il procédera à la contre-expertise des textes et des évaluations qui lui seront soumis » 31 ( * ) .
2. Limiter le recours à la procédure d'urgence devant le CNEN
Comme indiqué précédemment, l'avis du CNEN a vocation à éclairer le Gouvernement et le Parlement sur les impacts des projets de normes pour les collectivités territoriales sans pour autant ralentir le processus normatif. C'est pourquoi sa consultation est strictement encadrée par des délais différenciés en fonction de l'urgence du texte dont le Conseil est saisi.
Le CNEN dispose ainsi d'un délai de six semaines à compter de la transmission du projet de texte, reconductible une fois par son président. Ce délai peut, à titre exceptionnel, être réduit :
- à deux semaines sur la demande de la Première ministre (« procédure d'urgence ») ;
- à 72 heures en cas de décision motivée de la Première ministre (« procédure d'extrême urgence »).
A défaut de délibération dans les délais indiqués, l'avis du Conseil est réputé favorable .
Si l'existence de procédures d'urgence est compréhensible, force est de constater que ces saisines accélérées se sont banalisées au cours des dernières années : en effet, environ 20 à 25 % des textes examinés par le CNEN s'inscrivent dans le cadre d'une procédure d'urgence, voire d'extrême urgence, alors même que certains d'entre eux ne sont que publiés plusieurs mois à la suite d'une saisine en urgence. Or, l'utilisation de ces procédures restreint fortement la capacité du CNEN à expertiser les projets de norme de façon rigoureuse et sérieuse . Par ailleurs, la saisine pouvant être effectuée en jours calendaires, une saisine le samedi dégrade d'autant plus les conditions d'instruction. Ces pratiques nuisent indéniablement au bon fonctionnement du Conseil et donc, in fine , à la qualité de la norme produite au terme de ce processus.
C'est pourquoi vos rapporteurs insistent pour que, à l'avenir, le SGG limite le recours à ces procédures d'urgence , qui doivent demeurer exceptionnelles . Comme pour l'engagement de la responsabilité du Gouvernement sur un texte limité quantitivement depuis la révision constitutionnelle de 2008, le Gouvernement pourrait par exemple se fixer comme objectif de ne pas dépasser 10% de textes soumis en procédure d'urgence et 5% en extrême urgence.
3. Donner explicitement au CNEN mission pour se prononcer sur le respect des principes de simplification, d'autonomie financière, de libre administration et de subsidiarité
La loi pourrait être précisée pour donner explicitement au CNEN compétence pour se prononcer sur les principes directeurs de la décentralisation , à savoir la simplification, l'autonomie financière, la libre administration et la subsidiarité. À cet effet, le conseil devrait notamment examiner d'éventuelles atteintes au pouvoir réglementaire local.
Il s'agirait ainsi de consacrer la pratique actuelle : en effet, vos rapporteurs notent toutefois avec satisfaction que de nombreux avis négatifs sont d'ores et déjà fondés sur le non-respect des principes précités, comme le souligne le graphique ci-dessous :
Source : CNEN
4. Étendre le champ de compétence du CNEN aux impacts des réformes de l'État territorial sur les collectivités territoriales
Comme l'a récemment souligné notre délégation 32 ( * ) , les élus locaux ont été confrontés à une succession de réformes depuis une quinzaine d'années (révision générale des politiques publiques [RGPP], modernisation de l'action publique [MAP], « Action publique 2022 ») et à une accélération de leur enchaînement. Or, les collectivités territoriales ont le sentiment de subir ces changements plutôt que d'y être associées : ainsi, le rapport révèle, sur la base d'une enquête en ligne menée par le Sénat fin 2021, que plus de quatre élus locaux sur cinq estiment ne pas avoir été suffisamment associés aux différentes réformes des services déconcentrés de l'État. Aucune évaluation rigoureuse et exhaustive de la réforme précédente n'a déterminé la réforme suivante.
Ce constat est révélateur d'un défaut de concertation de l'État.
Actuellement, la fabrique des réformes des services déconcentrés souffre d'une difficulté majeure : elle ne fait pas l'objet d'une étude préalable évaluant les effets de la réforme envisagée sur les relations avec les collectivités territoriales .
Certes, en vertu de la circulaire du Premier ministre du 12 octobre 2015 , les projets de textes réglementaires ayant des conséquences sur les missions ou l'organisation des services déconcentrés de l'État doivent faire l'objet d'une fiche d'impact préalable qui doit permettre de « vérifier l'adéquation entre les objectifs poursuivis et les contraintes et moyens des services déconcentrés » . Toutefois, cette fiche d'impact ne concerne pas les effets de la réforme envisagée sur les collectivités et sur leurs relations avec l'administration déconcentrée. En d'autres termes, cette évaluation ne se place pas du point de vue des élus et ne mesure pas, par exemple, l'impact sur le couple maire/préfet .
C'est pourquoi vos rapporteurs estiment nécessaire de réviser la circulaire précitée afin de compléter le contenu de la fiche d'impact préalable . En outre, la qualité et la sincérité de cette fiche devrait être soumise à l'avis du CNEN , dont la mission se verrait ainsi enrichie au service des collectivités territoriales et de leurs élus. Il est précisé que tout projet de réforme de l'État territorial serait soumis à ces nouvelles exigences, quand bien même ce projet prendrait la forme d'une simple circulaire.
5. Contraindre le gouvernement à une seconde délibération en cas d'avis négatif rendu par le CNEN sur un projet de loi
Parmi les 50 propositions du Sénat pour le plein exercice des libertés locales figure le renforcement de la portée des avis du conseil national d'évaluation des normes (CNEN). Cette proposition est plébiscitée par les élus locaux, interrogés dans le cadre d'une consultation en ligne menée par votre délégation début 2021. En effet, les élus souscrivent massivement à cette idée (79 %), avec seulement 9 % de répons négatives.
Les élus favorables au renforcement des pouvoirs du CNEN
Tout à fait d'accord |
1183 |
37% |
Plutôt d'accord |
1356 |
42% |
Sans opinion |
222 |
7% |
Pas vraiment d'accord |
77 |
2% |
Pas du tout d'accord |
395 |
12% |
Total |
3233 |
Source : Consultation nationale des élus via la plateforme Internet du Sénat, mars 2021
Cette proposition a été partiellement mise en oeuvre dans le cadre de la loi dite « 3DS » qui, à l'initiative du Sénat, a renforcé l'obligation de motivation incombant au Gouvernement en cas d'avis défavorable du CNEN sur les textes règlementaires (art. 233 de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022). Désormais, lorsque le conseil national émet un avis défavorable sur tout ou partie d'un projet de texte réglementaire, le Gouvernement transmet un projet modifié ou, à la demande du conseil national, doit justifier le maintien du projet initial (hors cas d'urgence) 33 ( * ) .
Dans le cadre de l'examen du projet de loi « 3DS », notre assemblée a souhaité étendre aux projets de loi cette obligation de seconde délibération pesant sur le Gouvernement. L'Assemblée nationale s'y est toutefois opposée au motif que les avis du CNEN sont systématiquement rendus publics et qu'il appartient à la Représentation nationale d'arbitrer en cas de désaccord entre le Gouvernement et le CNEN 34 ( * ) . Le moins que l'on puisse dire est que cette position méconnaît les vertus de la discussion au sein même de l'exécutif et conduit le Parlement à se prononcer sur des dispositions critiquées par une autorité indépendante. C'est aussi méconnaître la prégnance du fait majoritaire qui aura pour conséquence, le plus souvent, de contraindre la majorité à l'Assemblée nationale à voter un texte du Gouvernement, quelque critiquable qu'il soit.
6. Renforcer les moyens humains et financiers du CNEN
Le CNEN comprend au total 5,8 ETP qui se décomposent ainsi :
- 5 ETP (incluant trois chargés d'études juridiques, un conseiller juridique auprès du président du CNEN et une cheffe de section) ;
- 0,8 ETP (incluant le chef de bureau qui assure également d'autres missions et une apprentie à temps partiel).
De nombreuses personnes ont souligné, lors des auditions, l'insuffisance des moyens alloués au CNEN. À titre de comparaison, le NKR dispose de 23 ETP, dont une majorité de hauts fonctionnaires . Ainsi, Charles Touboul a déclaré : « Il est toujours difficile d'effectuer des comparaisons pertinentes en droit international, surtout avec un État fédéral. Toutefois, le NKR allemand pourrait inspirer le renforcement du CNEN. »
Naturellement, l'extension du rôle du CNEN, proposée par vos rapporteurs, doit s'accompagner des moyens correspondants.
Recommandation n° 4 : R enforcer considérablement le rôle et les moyens du CNEN :
* Reconnaître son importance par des mesures à portée symbolique ;
* Rendre plus visibles ses travaux vis-à-vis du Sénat ;
* Étendre et conforter ses missions.
* Renforcer ses moyens humains.
* 30 Voir la proposition de loi organique (n° 828, 2012-2013) tendant à joindre les avis rendus par le conseil national d'évaluation des normes aux projets de loi relatifs aux collectivités territoriales, adoptée par le Sénat le 7 octobre 2013. Voir aussi la proposition de loi organique (n° 683, 2019-2020) pour le plein exercice des libertés locales, adoptée par le Sénat le 20 octobre 2020.
* 31 Rapport d'information fait au nom de la mission d'information relative à la simplification normative, publié le 9 octobre 2014 : https://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i2268.asp
* 32 « À la recherche de l'État dans les territoires » : rapport d'information de Mme Agnès CANAYER et M. Éric KERROUCHE , fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales ; rapport n° 909 (2021-2022) - 29 septembre 2022.
* 33 Auparavant, lorsque le CNEN émettait un avis défavorable sur un texte réglementaire, le Gouvernement était tenu de transmettre, soit un projet modifié, soit de simples « informations complémentaires ». Désormais, le CNEN a la possibilité de demander au Gouvernement de « [justifier] le maintien du projet initial ». Les ministères rapporteurs devront ainsi, sur demande du CNEN, motiver leurs décisions de refus d'intégrer les recommandations émises par le conseil. L'alternative ouverte au Gouvernement de transmettre un projet modifié a été maintenue par le législateur.
* 34 Rapport n° 4721 de la commission des lois, en date 25 novembre 2021 sur le projet de loi « 3DS ». Voir l'article 74 bis.