C. LE DÉBAT RELATIF À « LA SENSIBILISATION ET LA LUTTE CONTRE L'ISLAMOPHOBIE, OU LE RACISME ANTIMUSULMAN, EN EUROPE »

1. L'intervention de M. Jacques Le Nay

Madame la Présidente, Monsieur le rapporteur, Mes chers collègues,

La liberté de pensée, de conscience et de religion ainsi que l'interdiction de toute discrimination sont deux aspects essentiels de la Convention européenne des droits de l'homme, garantis par ses articles 9 et 14.

Notre Assemblée, à travers de nombreux rapports, a beaucoup travaillé sur l'enjeu de la lutte contre le racisme sous toutes ses formes, et je m'en félicite.

Néanmoins, je ne partage pas aujourd'hui l'orientation du rapport qui nous est proposée, qui sous-tend la proposition de résolution qui nous est soumise.

Le rapporteur, notre collègue Momodou Malcolm Jallow, a sa conception - que je respecte - de la lutte contre le racisme et, en l'espèce, du racisme antimusulman, qu'il qualifie d'islamophobie. Son approche communautariste le conduit à prôner l'établissement de statistiques ethniques, ce qui est strictement impossible en France, au nom d'une conception universaliste inscrite dans notre Constitution.

Si je respecte sa conception, je conteste en revanche la manière dont il en vient, au nom de celle-ci, à disqualifier de manière systématique l'approche universaliste française. Je conteste également totalement son analyse sur la situation de certaines mosquées dont le Gouvernement français a demandé, à juste titre, la fermeture, car elles menaçaient gravement l'ordre public. Il ne s'agissait en rien d'une « vague de répression », comme cela est indiqué dans le rapport. Quant à son analyse sur le port de certaines tenues, elle méconnaît fondamentalement le fait que certaines organisations défient clairement la conception française de la laïcité pour imposer leur agenda d'islam politique.

La lecture de notre collègue me paraît totalement erronée s'agissant de la situation en France.

Quant à ses considérations sur le terrorisme, je veux lui rappeler qu'en France, c'est bien le terrorisme islamiste qui a meurtri notre pays en de nombreux endroits et à de trop nombreuses reprises au cours des dernières années. Je le dis avec d'autant plus de force que sera remis, à la fin de cette semaine, le prix Samuel Paty, du nom de cet enseignant assassiné pour avoir défendu la liberté d'expression.

Ces débats, notre rapporteur les a eus avec des collègues sénatrices qui ne partageaient aucunement ses convictions. Cela transparaît dans le rapport mais je regrette que leur analyse n'ait pas été rapportée de manière totalement fidèle. Tronquer une phrase peut amener à altérer la pensée. Modifier l'ordre des interventions, comme cela a été fait pour sa considération sur le terrorisme, peut altérer la dynamique d'un échange. Comme vous l'avait affirmé notre collègue Jacqueline Eustache Brinio, l'islamophobie n'existe pas « dans le droit français », au contraire du racisme ou de l'antisémitisme.

Pour ces différentes raisons, je m'opposerai au texte qui nous est proposé car il repose sur une analyse fondamentalement erronée et partiale.

2. L'intervention de M. Laurent Jacobelli

Merci, Madame la Présidente. Monsieur le rapporteur, Mes chers collègues,

Monsieur le rapporteur,

Vous faites fausse route. Il fallait - je le pense, et c'était l'urgence - écrire un rapport contre la menace islamiste qui menace nos sociétés et l'Europe entière plutôt que contre l'islamophobie qui est aujourd'hui, disons-le, un fantasme.

En France, les musulmans ont le droit de pratiquer leur religion selon les mêmes règles qui régissent toutes les religions présentes sur le territoire - et c'est tant mieux.

La France, de par son refus intrinsèque du communautarisme et du séparatisme, est structurellement anti-discrimination. Si un groupe décide d'adhérer à la communauté nationale en en respectant les règles et en faisant primer notre culture sur sa culture d'origine, en obéissant aux lois de la République et non pas aux lois de sa religion, alors il fait partie intégrante de la communauté nationale. Il n'est pas musulman, il n'est pas juif, il n'est pas chrétien, il n'est pas athée : il est tout simplement français.

Ne faites pas semblant de ne pas comprendre notre modèle laïque.

Les discours culpabilisants, poussés par des lobbys islamistes et soutenus par des politiques d'extrême gauche souvent lâches, n'auront aucun effet sur nous.

Les faits sont là. Il y a, en 2021, 171 actes délictueux contre des musulmans : c'est 171 de trop. Mais disons-le : il y avait dans le même temps 523 actes antisémites et 686 actes antichrétiens.

En faisant de l'islamophobie une grande cause européenne, vous faites le jeu de ceux qui veulent instrumentaliser cette peur. Vous faites le jeu des islamistes et des Frères musulmans. Vous essayez de convaincre les musulmans installés en Europe que les efforts nécessaires qu'ils ont fait pour s'intégrer, pour la grande majorité d'entre eux, sont en réalité le fruit d'une oppression.

Nos règles, nos lois, nos valeurs, tout serait fait pour persécuter l'islam. Alors, à quoi bon les respecter ?

Vous avez les mêmes arguments que les Frères musulmans ou certaines filières islamistes et djihadistes en France. C'est à cause de ce type de rapport que des musulmans en détresse sociale se laissent convaincre par les recruteurs de l'islam radical. C'est à cause de ce type de rapport que la rhétorique des plus extrêmes prend racine dans nos banlieues.

J'en parle avec beaucoup de gravité car la France, dont j'ai l'honneur d'être un représentant, a souffert dans sa chair du terrorisme de l'islam radical.

Les centaines de Français abattus au Bataclan, écrasés sur la Promenade des Anglais, en sont malheureusement témoins.

Voilà le véritable danger qui guette les peuples européens, toutes confessions confondues : l'intégrisme.

Alors, mes chers collègues, défendons les valeurs démocratiques et républicaines. Défendons la laïcité. Refusons la dictature des minorités. Voter contre ce rapport, c'est salutaire.

3. L'intervention de M. Bertrand Bouyx, président de la délégation française

Merci, Monsieur le Président. Mes chers collègues,

Autant le dire tout de suite, nous sommes contre les conclusions de ce rapport et même contre son approche. La première phrase est en elle-même porteuse d'une certaine ambiguïté. « L'islamophobie, ou la discrimination envers les musulmans et les personnes perçues comme tels ». Autant la discrimination envers les Musulmans ou les personnes perçues comme tels est, comme toutes les discriminations, un phénomène inacceptable qui doit être partout combattu, autant l'islamophobie peut être vu comme la simple critique d'un dogme. Or, il est toujours utile de rappeler que ce qui nous lie dans cette enceinte est la liberté sous toutes ses formes, c'est-à-dire la liberté de croire ou ne pas croire, ce qui englobe la liberté d'avoir un regard critique sur les croyances, ce qui attention n'englobe pas l'insulte ou la discrimination à l'égard des croyants eux-mêmes. Je pense ici à l'affaire Salmane Rushdie qui illustre la critique des religions notamment sur le droit au blasphème mais aussi les conséquences de cette critique quand elle porte atteinte à la vie de son auteur. C'est notre ligne de crête.

Or, ce rapport, même s'il prend soin dans son point 3 de préciser les termes et prend parti pour l'expression « racisme antimusulman », mélange allégrement les concepts et fait un lien problématique entre la liberté de critiquer qui est une position philosophique et la discrimination qui est un délit.

Plus grave, le rapporteur lorsqu'il évoque son déplacement en France, décrit mon pays comme un enfer pour les Musulmans qui y vivent. Je ne répondrai pas à ces conclusions caricaturales allant jusqu'à évoquer que la plupart des attentats qui ont frappé la France ont des motivations d'extrême droite et suprémacistes. Je veux simplement redéfinir le principe de laïcité que le rapport ne semble pas avoir compris.

C'est un principe qui garantit d'une part la liberté religieuse et d'autre part la neutralité des institutions publiques avec une attention spéciale portée sur l'école, lieu de la formation des futurs citoyens. La laïcité pose le cadre général depuis la loi de séparation des églises et de l'Etat voté par le Parlement français en 1905.

Au-delà de la laïcité, la loi doit également protéger la liberté de tous et faire en sorte que pour chacun, elle s'arrête là où commence la liberté d'autrui selon l'expression du philosophe Voltaire. Pour cela, les Nations ont, encore une fois, besoin de partager un minimum de cadre commun car c'est ainsi que la liberté de tous sera préservée.

Le rapport attaque la loi de lutte contre le séparatisme votée en France en 2021. Toutes les Nations sont agitées par des forces centrifuges qu'elles soient politiques, sociales, idéologiques ou religieuses et le défi commun est de préserver une certaine cohésion pour faire diminuer les violences et les discriminations. Nous avons choisi de le relever en préservant un pays pluriel mais pas fragmenté où chacun peut se déployer dans la seule limite de l'autre.

Le rapport a choisi l'outrance pour analyser nos choix démocratiques et croyez bien que je le regrette.

4. L'intervention de M. Emmanuel Fernandes

Compte tenu de la clôture des débats, M. Emmanuel Fernandes n'a pu prononcer son discours. Toutefois, étant présent dans l'hémicycle, celui-ci a pu être pu être publié au compte rendu officiel dans les conditions prévues par le Règlement de l'APCE.

Merci Madame la Présidente,

C'est un grand honneur pour moi de prendre pour la première fois la parole dans cet hémicycle, au sein de cette belle institution, gardienne des droits de l'Homme et entièrement tournée vers la poursuite de la paix et l'harmonie entre les peuples. Le rapport qui nous est présenté, très documenté et mené avec beaucoup de précision est un rapport sain et nécessaire. Il met en lumière un phénomène que nous devons regarder avec lucidité. Je tiens à remercier très chaleureusement son auteur M. Momodou Malcolm Jallow pour son excellent travail au sein de cette assemblée, qui s'achève lors de cette session. Je lui souhaite tout le meilleur pour la poursuite de ses activités.

Le racisme anti-musulmans, également appelé islamophobie, connaît une poussée sur l'ensemble du continent européen qui doit toutes et tous nous alerter. Comme membre de la délégation française, j'ai été particulièrement attentif à la 4ème partie du rapport qui résume les nombreux entretiens réalisés en France.

Dans mon pays, beaucoup ont tendance à vouloir occulter l'ampleur du phénomène et vont jusqu'à renverser l'ordre des choses en parlant de victimisation de la part des musulmans. Le mouvement politique La France Insoumise auquel j'appartiens est régulièrement accusé d'être « islamo-gauchiste » - concept vide - par l'extrême-droite mais également par le gouvernement qui a mis en place la loi dite de « lutte contre le séparatisme », dont le rapport considère, comme nous, qu'elle relève d'une approche stigmatisante pour les musulmans de France. Cette expression « islamo-gauchiste » brandie comme une insulte censée être disqualifiante porte en elle-même une démonstration de la malheureuse banalisation de l'islamophobie dans mon pays.

S'il n'y a pas de racisme anti-musulmans en France - comme d'aucuns le pensent - alors comment expliquer qu'un homme, condamné par 3 fois pour incitation à la haine raciale, qui a dit qu'il fallait donner aux musulmans "le choix entre l'islam et la France", qui suggérait qu'on puisse mettre 5 millions de musulmans dans des avions ou sur des bateaux pour les déplacer hors du pays, comment expliquer que cet homme ait bénéficié d'une couverture médiatique sans précédent comme candidat à la dernière élection présidentielle ?

S'il n'y a pas de racisme anti-musulmans en France, comment expliquer qu'une candidate aux dernières élections législatives investie par le parti Rassemblement National se demandait publiquement « pourquoi on n'attaque pas les mosquées le jour de leurs fêtes religieuses ? » ? Pourquoi une autre candidate du même parti d'extrême droite publiait, elle, un dessin dans lequel des migrants (dont une femme voilée) affirment venir « coloniser l'Europe au nom de l'Islam » ?

S'il n'y a pas de racisme anti-musulmans en France, pourquoi le ministre français de l'Intérieur reprochait l'année dernière à Marine Le Pen, lors d'un débat télévisé, de n'être pas assez dure car elle considérerait (selon lui) « que l'islam n'est même pas un problème » ?

Mesdames et messieurs, le Conseil de l'Europe est la maison des droits humains. Ce rapport les défend en montrant une réalité : un racisme qui enfle sur le continent, nourri par une extrême droite toujours plus forte. Ce racisme, il faut le considérer pour l'affronter, le nommer pour lutter contre sa prolifération. Il faut que -collectivement- nous construisions des solutions pour garantir l'unité, la solidarité et la tolérance en Europe, et c'est ce à quoi ce rapport s'attache. Merci.

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