B. LES UTILISATEURS DE L'EAU
1. L'eau potable
a) L'approvisionnement en eau potable, un besoin essentiel
Nos besoins de consommation d'eau du quotidien sont satisfaits par la couverture du territoire par des réseaux d'eau potable. Ces réseaux sont organisés sur une base locale, par les communes et leurs groupements.
L'approvisionnement en eau potable de la population exige d'accéder à une eau en quantité suffisante, en qualité suffisante, et à un coût acceptable.
• Sur le plan quantitatif, les prélèvements pour la fourniture d'eau potable s'élèvent chaque année à un peu plus de 5 milliards de m 3 en France , soit 15 % de l'ensemble des prélèvements. La consommation moyenne par habitant a tendance à baisser depuis deux décennies, sous l'effet notamment de l'amélioration des équipements domestiques, moins gourmands en eau, pour s'établir à 146 litres par habitant et par jour (soit un peu plus de 50 m 3 par an), avec de grandes disparités géographiques. La consommation varie ainsi du simple au double entre le Nord de la France, où la consommation peut varier entre 30 et 50 m 3 par personne, et les départements du pourtour méditerranéen, où la consommation peut dépasser les 70 m 3 par personne. Ces données sont toutefois probablement faussées par les flux touristiques, les régions accueillant des touristes durant la saison estivale voyant la demande en eau potable fortement augmenter. La demande globale en eau a aussi tendance à augmenter durant l'été, ce qui induit une tension sur l'eau particulièrement forte dans les départements du Sud.
• Il ne s'agit pas seulement de fournir une quantité d'eau suffisante, encore faut-il qu'elle soit de bonne qualité , d'abord lorsqu'elle est captée à travers un réseau de 38 000 captages et ouvrages de prélèvements, puis lorsqu'elle est transportée à travers des tuyaux dédiés jusqu'à un stockage intermédiaire (château d'eau) avant d'être distribuée au client final. Des normes élevées de qualité de l'eau potable ont été instaurées pour assurer un haut niveau de sécurité de l'eau destinée à la consommation humaine et leur respect est contrôlé à travers un dispositif de surveillance sanitaire
• Enfin, il convient d'assurer un approvisionnement en eau potable à un coût supportable , ce qui est le cas aujourd'hui. La facture moyenne d'un ménage est comprise en France métropolitaine entre 450 et 550 € par an, soit pas davantage que le coût annuel d'un abonnement à une box Internet. Il existe cependant des disparités géographiques importantes, le prix de l'eau étant plus élevé dans le Nord et l'Ouest de la France que dans le Sud et l'Est.
Une fois l'eau potable distribuée, l'autre enjeu au coeur du petit cycle de l'eau consiste à collecter les eaux usées, à les traiter et à rendre au milieu l'eau traitée, afin que les rejets soient les moins polluants possibles.
b) Des services publics locaux d'eau et d'assainissement
L'ensemble de ces étapes du petit cycle de l'eau repose sur des services publics locaux d'approvisionnement en eau et des services publics d'assainissement, qui présentent un paysage administratif très éclaté , avec tantôt des petites structures, approvisionnant quelques dizaines voire centaines de milliers d'habitants, tantôt de grandes organisations (comme le syndicat des eaux d'Ile-de-France qui fournit l'eau de 4,6 millions d'habitants).
En 2017, on comptait au total en France 12 579 services d'eau potable (dont 55 % desservant moins de 1 000 habitants) et 15 646 services d'assainissement collectif (dont 83 % couvrent moins de 3 500 habitants). Avec la loi NOTRe, s'est engagé depuis 2013 un mouvement de transfert des compétences eau et assainissement des communes vers les intercommunalités, conduisant mécaniquement à une réduction du nombre des structures et à une augmentation de leur taille, avec une cible fixée à 2 500 services en 2026. D'après le dernier rapport de l'Observatoire des services publics d'eau et d'assainissement 8 ( * ) , le taux de gestion intercommunale de ces services est désormais de 68 %.
Si deux tiers des services d'eau potable et trois quarts des services d'assainissement collectif sont gérés en régie par les collectivités, la gestion déléguée et la gestion en régie sont à peu près à égalité en termes de nombre d'habitants desservis. Le prix de l'eau est également sensiblement le même, que les services soient assurés en régie ou à travers une délégation de service public. Les différences de tarification s'expliquent davantage par des facteurs locaux que par les choix de mode de gestion.
L'état des réseaux de distribution d'eau est très variable et peut expliquer des différences importantes de coûts entre services. Les pertes moyennes d'un réseau sont ainsi de l'ordre de 20 % par an (soit un peu plus d'1 milliard de m 3 ), avec un taux plus élevé lorsque le réseau est vétuste et étendu.
L'assainissement collectif, qui couvre plus de 80 % des habitants, est assuré par un peu plus de 22 000 stations de traitement des eaux usées (STEU) de taille très variable. Dans les espaces principalement ruraux non dotés de systèmes d'assainissement collectif, les particuliers doivent se doter de systèmes d'assainissement individuel et les faire contrôler périodiquement.
L'effort de sobriété en eau pour la consommation domestique d'eau potable passe par plusieurs types d'action. L'amélioration des réseaux pour limiter les taux de fuite en constitue l'un des axes prioritaires. Les investissements correspondants sont toutefois colossaux et pas forcément à la hauteur des moyens des collectivités. D'autres actions plus modestes sont plus faciles à mettre en oeuvre : par exemple, le syndicat des eaux de la basse-Ardèche (SEBA) fournit gratuitement aux habitants, sur demande, des adaptateurs réduisant le débit des robinets, pour moins consommer d'eau au quotidien.
2. L'agriculture
Il n'y a pas d'agriculture sans eau . Cette phrase, entendue à chaque rencontre avec des représentants du monde agricole, est marquée du sceau de l'évidence. La pousse des plantes dépend, à des degrés divers selon les espèces et les périodes, de l'eau disponible.
La consommation d'eau présente dans les sols humides par le système racinaire des plantes n'est pas comptabilisée (et probablement pas comptabilisable). Lorsqu'on quantifie les besoins en eau de l'agriculture, on n'analyse que l'eau prélevée pour servir à l'irrigation.
L'agriculture, à travers l'irrigation, ne représente qu'environ 10 % des prélèvements totaux d'eau, soit de l'ordre de 3 à 3,5 milliards de m 3 par an. Mais l'agriculture représente les deux tiers de la consommation totale d'eau, dans le sens où l'eau prélevée par les plantes n'est pas restituée localement : elle sert à faire grandir la plante et le surplus est évapotranspiré.
Source : Chantal Gascuel et Alban Thomas (INRAE)
La pratique de l'irrigation a doublé en France entre 1975 et 1990, avant de stagner voire de régresser depuis. Environ 20 % des exploitations agricoles sont équipées d'un système d'irrigation (soit environ 75 000 irrigants), qui ne concerne cependant pas toujours la totalité de l'exploitation.
Aujourd'hui, seulement 5 % de la surface agricole utile (SAU), soit 1,5 million d'hectares, est irriguée , avec de grandes disparités départementales. L'irrigation représente ainsi plus de 15 % des surfaces dans le Sud, l'Ouest, l'Alsace et la Beauce alors qu'elle ne concerne que 1 % des surfaces dans l'Est et le Nord. 60 % des surfaces irriguées concernent des productions de maïs, mais seulement 30 % des surfaces de maïs sont irriguées. D'autres productions représentant des surfaces beaucoup plus petites comme la pomme de terre, les cultures fruitières ou encore les légumes ont un besoin massif d'irrigation.
La pratique de l'irrigation sur les territoires est fonction du climat (l'irrigation étant plus développée dans la zone sous climat méditerranéen), de la nature des sols (ceux retenant moins l'eau étant plus demandeurs d'apports extérieurs), des types de cultures entreprises ou encore de la facilité d'accès à la ressource en eau souterraine (avec exploitation pour les besoins agricoles des nappes de Beauce et d'Alsace).
Sans surprise, la consommation d'eau pour les besoins de l'irrigation agricole est concentrée durant les mois d'été , période pendant laquelle la tension sur la ressource est maximale et où le secteur agricole peut représenter jusqu'à 80 % de la consommation totale d'eau.
Les progrès techniques de l'irrigation depuis le début des années 1990 ont conduit en 30 ans à une réduction de plus d'un tiers de le consommation d'eau pour l'irrigation agricole, à production constante, en passant de l'aspersion à la micro-aspersion puis au goutte à goutte. Cette modernisation des techniques d'irrigation n'est d'ailleurs pas achevée. Il existe donc encore des marges de manoeuvre pour des améliorations techniques.
Pour autant, le secteur agricole est mis au défi de réduire davantage les prélèvements et la consommation d'eau. La concertation menée entre mai 2021 et février 2022, dite « Varenne agricole de l'eau », a mis en avant la nécessité pour les exploitants agricoles de réaliser des économies d'eau supplémentaires, mais la mise en oeuvre d'un plan global de sobriété s'avère difficile, comme l'ont répété les agriculteurs rencontrés dans le cadre de la préparation du présent rapport.
Part de la SAU irriguée (Agreste - recensement général agricole 2010)
3. L'énergie
a) De l'eau pour refroidir les centrales
Le secteur d'énergie est celui qui prélève le plus d'eau, essentiellement à cause des besoins en refroidissement des condenseurs des installations de production électrique (voir annexe 1). Ce sont 17 milliards de m 3 par an qui sont mobilisés soit 60 % des prélèvements totaux d'eau. Chaque tranche nucléaire consomme en effet entre 50 millions de m 3 et 1,5 milliard de m 3 par an, selon sa puissance et surtout selon que le refroidissement soit effectué en circuit fermé (avec tour aéroréfrigérante) ou en circuit ouvert, le plus gourmand en eau.
Cette contrainte de refroidissement explique que les centrales nucléaires soient installées au bord de cours d'eau garantissant tout au long de l'année un débit important, souvent soutenu par des réservoirs situés en amont, ou en bord de mer.
L'eau utilisée pour le refroidissement étant rapidement restituée en quasi-totalité au milieu naturel où elle a été captée (100 % en circuit ouvert et 96°% en circuit fermé), elle n'est pas considérée comme « consommée ». La consommation d'eau du secteur énergétique est ainsi évaluée à seulement 3 % des consommations totales. Elle n'en reste pas moins indispensable, l'insuffisance d'eau durant la période estivale contraignant les centrales à réduire voire arrêter leur production, faute de pouvoir être suffisamment refroidies.
La demande électrique plus faible l'été rend néanmoins cette contrainte supportable pour le système de production électrique . Les besoins considérables en eau des centrales nucléaires conduisent à n'envisager la construction de tranches supplémentaires que là où la ressource présente des garanties d'abondance et de stabilité à long terme, soit en bord de mer, soit sur des cours d'eau structurellement bien alimentés toute l'année.
b) De l'eau pour produire de l'électricité
L'eau est aussi une ressource directement utilisée pour la production hydroélectrique , qui représente plus de 12 % de la production électrique totale de la France (65 TWh sur une production totale annuelle d'environ 520 TWh) 9 ( * ) .
L'hydroélectricité repose en France sur une grande variété de solutions techniques, avec environ 2 500 centrales dont 2 270 relèvent de la « petite hydroélectricité », avec une capacité de chaque centrale entre 2 et 10 MW. Plus de la moitié de la capacité de production est fournie par des installations dites « au fil de l'eau », qui turbinent tout ou partie du débit d'un cours d'eau en continu. Elles dépendent alors totalement du débit disponible. Les installations « éclusées » turbinent une eau stockée pour une courte période dans une dérivation du cours d'eau et dépendent là aussi fortement du débit disponible dans le cours d'eau. Les grandes centrales adossées à des retenues d'eau artificielles fournissent un quart de la production hydroélectrique totale. Ce sont elles qui sont les plus « pilotables », même si le niveau de remplissage des retenues contraint les capacités de production. Enfin, les stations de transfert d'énergie par pompage (STEP) utilisent l'eau comme un dispositif de stockage électrique 10 ( * ) .
L'hydroélectricité présente l'avantage de ne pas consommer d'eau, puisque c'est la même quantité d'eau en amont et en aval des turbines. La même eau peut d'ailleurs être turbinée de nombreuses fois le long d'un même cours d'eau par plusieurs ouvrages successifs, comme c'est le cas dans la vallée du Rhône sur les ouvrages gérés par la Compagnie nationale du Rhône (CNR).
La disponibilité de l'eau est stratégique pour le maintien ou le développement de la production hydroélectrique , qui ne peut que baisser les années où la pluviométrie faible réduit les débits des cours d'eau ou le niveau de remplissage des lacs de retenue. On observe une variation de plus de 30 % entre les bonnes et les mauvaises années de production hydroélectrique. Si le parc hydroélectrique dispose encore de petites capacités de progression, la persistance de taux de remplissage faible des grandes retenues ou la réduction des débits des cours d'eau sur lesquels sont installés les ouvrages hydroélectriques risque de dégrader la capacité de production hydroélectrique et la rentabilité des installations. Disposer de moins d'eau, ce sera à terme disposer de moins d'électricité .
4. L'industrie
Le secteur industriel représente un peu plus de 10 % des prélèvements d'eau dans les milieux naturels, soit plus de 3 milliards de m 3 par an . Il correspond à des besoins de certains secteurs comme la chimie, l'agroalimentaire ou la production de papiers et cartons. L'eau peut être utilisée dans les processus industriels comme matière première (par exemple pour l'embouteillage), ou comme solvant, ou encore pour le nettoyage. Certaines productions nécessitent beaucoup d'eau : il faut par exemple 500 litres d'eau pour produire 1 kg de papier. Cette eau est en grande partie rendue rapidement au milieu naturel, souvent après retraitement, si bien que le poids de l'industrie dans la consommation de l'eau n'est que de 5 %.
Historiquement, nombre de sites industriels se sont d'ailleurs développés à proximité de cours d'eau pour une multitude de raisons : utiliser l'énergie motrice de l'eau, utiliser le cours d'eau pour s'approvisionner ou pour acheminer les marchandises produites, utiliser l'eau dans le processus de production ou rejeter les effluents de l'activité industrielle.
Depuis la fin des années 1990, les prélèvements d'eau pour l'industrie ont baissé de presque 25 %, sous l'effet combiné de la désindustrialisation, de procédés plus économes en eau et du recours à des systèmes de circuits fermés où la même eau peut être utilisée plusieurs fois. Pour le secteur industriel, le recyclage de l'eau a constitué une réponse efficace aux défis d'approvisionnement en eau et c'est le secteur qui semble le plus capable de résister aux pénuries possibles dans l'avenir.
5. La navigation et l'alimentation des canaux
L'eau est une ressource, mais aussi un support pour le transport de personnes ou de marchandises. À côté des voies navigables naturelles que sont les rivières et les fleuves, la France a développé à travers l'histoire des voies d'eau artificielles qui assurent à travers de multiples canaux un maillage de voies navigables.
Si le transport de marchandises par voie fluviale représente seulement 2 % du total des marchandises transportées et stagne en volume depuis 15 ans 11 ( * ) , il joue un rôle important pour certaines catégories de biens comme les pondéreux, en évitant du transport plus coûteux et plus polluant par la route. Le transport de personnes relève plutôt des activités touristiques saisonnières, qui constituent un des poumons du développement de petites communes (par exemple, le long du canal du Midi).
Mais pour bénéficier de transport fluvial, encore faut-il que l'eau qui y circule soit suffisante et que les débits soient réguliers . La gestion de 6 700 km de réseau fluvial français (fleuves, rivières et canaux) sur les 8 500 km de voies navigables existant dans le pays et de 4 000 ouvrages d'art (écluses, barrages) sur ce réseau relève des 4 000 agents d'un établissement public : Voies navigables de France (VNF), le reste du réseau relevant des régions ou d'une gestion directe par l'État. Pour garantir la navigabilité sur le réseau, il convient à la fois d'entretenir le lit et les berges, mais aussi de s'assurer que le niveau d'eau permet aux bateaux de circuler en toute sécurité. Ainsi, VNF met en réserve 165 millions de m 3 d'eau dans des barrages-réservoirs. Chaque année, ce sont 5 milliards de m 3 d'eau qui sont pris dans les fleuves et rivières pour alimenter les canaux de navigation ou ces réservoirs .
Cela n'empêche cependant pas les difficultés de circulation en été durant les basses eaux. Ainsi, en 2022, le taux de chargement des navires a été contraint et la circulation sur le Rhin a dû être réduite durant deux semaines, faute d'un débit adéquat pour y laisser circuler des péniches à plein chargement.
6. Les activités touristiques et de loisir
Le secteur des loisirs et du tourisme, qui assure environ 10 % du PIB national, est aussi très dépendant de la disponibilité de l'eau, soit qu'il utilise l'eau comme support, soit qu'il prélève l'eau comme ressource.
Il en va ainsi de l'activité de pêche de loisir , pratiquée par environ 1,5 million de personnes 12 ( * ) et organisée par 3 600 associations de pêche au sein desquelles environ 40 000 bénévoles sont mobilisés. Lorsque les cours d'eau sont dégradés qualitativement ou quantitativement, la pêche peut être tout simplement interdite.
Le tourisme de plans d'eaux ou de rivière , forme de tourisme vert particulièrement prisée, et qui fonctionne essentiellement en période estivale, est aussi dépendant de la capacité à conserver une ressource en eau de bonne qualité et en quantité suffisante, ce qui n'a par exemple pas été le cas à l'été 2022 sur les lacs de retenue du Verdon et de la Durance, au taux de remplissage particulièrement faible.
Les sports d'eau vive comme le canoë-kayak, sont aussi tributaires du maintien du débit des cours d'eau sur lesquels ces activités sont pratiquées.
La pratique du ski , est pour sa part dépendante de la disponibilité de l'eau sous forme de neige, moins abondante notamment en début et fin de saison. Or, le ski, qui génère 10 millions de visites en France par an, assure une part importante de l'activité économique de départements comme la Savoie ou la Haute-Savoie. La neige de culture, fabriquée à partir de retenues d'eau d'altitude, couvre près de 30 % des pistes en France (contre 60 à 70 % en Autriche et en Italie) 13 ( * ) et assure environ 10 % de l'enneigement total des pistes sur une saison. La fabrication de neige de culture nécessite environ 25 millions de m 3 d'eau prélevés par an, cette eau étant restituée aux milieux à travers la fonte de printemps.
La pratique du golf dépend aussi de la disponibilité en eau pour arroser les terrains, en particulier les greens. Seulement 20 % des 700 golfs environ recensés en France disposent d'un approvisionnement en eau considéré comme durable, provenant de la récupération d'eau de pluie ou encore d'eau réutilisée provenant des stations d'épuration 14 ( * ) . Les golfs consomment environ 30 millions de m 3 par an pour l'arrosage, mais l'essentiel des consommations intervient en période de tensions sur l'eau, suscitant des polémiques récurrentes sur la pertinence de l'autorisation de continuer à arroser les terrains en périodes de restrictions. L'entretien des golfs ne permettant pas de se passer d'eau, l'enjeu est donc de mieux gérer la ressource pour ne pas en être privé au moment où elle est indispensable.
Les économies d'eau : un défi pour l'agriculture
La combinaison de tensions sur l'eau, qui vont en se renforçant, et de la dépendance particulièrement forte de l'agriculture à la disponibilité de l'eau en période sèche, exigent d'aller vers un modèle agricole plus sobre en eau et plus résilient.
Un rapport commun CGAAER 15 ( * ) -CGAEDD 16 ( * ) consacré aux effets du changement climatique sur l'eau en agriculture publié fin 2020 17 ( * ) et s'appuyant sur sept études de cas, dresse un constat sévère, estimant que le modèle dominant de production agricole, consommant trop d'eau (et d'intrants) n'offre pas de perspectives durables dans le contexte de changement climatique.
Pourtant, des économies d'eau ont déjà été réalisées par les irrigants , alors même que nous avons vécu des étés de plus en plus chauds, avec une baisse des prélèvements d'eau de l'ordre d'un tiers en 30 ans. L'optimisation des systèmes d'irrigation en a été le principal levier.
D'autres leviers pour atteindre une plus grande sobriété en eau sont mobilisables, et consistent à modifier en profondeur les pratiques agricoles : développer l'agroforesterie (association des arbres, cultures et animaux sur une même parcelle), pratiquer l'agriculture de conservation des sols (ACS) avec semis direct sans labour, couverture permanente des sols et diversification des assolements, ou encore réimplanter des haies et bandes enherbées. Le passage à de nouvelles cultures ou de nouvelles variétés nécessitant moins d'eau ou de l'eau à des périodes différentes, constitue aussi l'une des réponses possibles d'adaptation de l'agriculture au nouveau contexte. Il s'agit donc de faire évoluer l'agriculture vers l'agroécologie, qui consiste à transformer les systèmes de production en s'appuyant sur les fonctionnalités déjà offertes par les écosystèmes existants, pour des résultats techniques et économiques au moins équivalents aux systèmes de production traditionnels.
Mais le rapport dresse un constat mitigé sur les efforts de transformation des filières et des pratiques agricoles en vue d'obtenir des économies d'eau , indiquant ainsi que les « évolutions proposées en réponse aux tensions actuelles sur la ressource et au changement climatique, restent généralement à la marge pour le secteur agricole ». Il est constaté que les agriculteurs innovent, certes, dans leur rapport à l'eau, mais encore de manière limitée et donc pas très significative à l'échelle de la « ferme France ».
Il est vrai que les efforts de sobriété se heurtent à des obstacles non négligeables . Il n'existe ainsi pas forcément d'alternatives agronomiques aux cultures existantes confrontées au stress hydrique. Le risque est alors d'abandonner totalement des parcelles et de connaître une accélération de la déprise agricole, comme par exemple dans les zones de production de vin du Sud de la France.
En outre, les exploitations agricoles sont des entités économiques soumises à un impératif de rentabilité. L'irrigation permet de disposer de rendements plus élevés (par exemple, sur le maïs-grain, une étude en région Nouvelle-Aquitaine montre qu'entre une surface en maïs irriguée et une surface en maïs non irriguée, la différence de rendement annuel est de l'ordre de 30 quintaux/hectare) 18 ( * ) . Dans bien des cas, passer d'une culture irriguée à une culture sans irrigation n'est tout simplement pas tenable économiquement .
Le rapport pointe aussi le verrouillage socio-technique lié à la structuration des systèmes productifs agricoles : lorsqu'une filière est organisée et fonctionne bien, changer de production, changer de pratiques peut représenter un défi insurmontable.
Les agriculteurs manquent aussi de connaissances sur les cultures alternatives qui pourraient être mises en oeuvre, et ne peuvent pas anticiper aisément les résultats attendus sur un nouveau marché ou avec de nouvelles pratiques culturales.
Si les agriculteurs rencontrés expriment leur souhait d'aller vers une consommation moindre d'eau, ils expriment aussi leur difficulté à se projeter . Le besoin qu'ils expriment est donc prioritairement celui d'un de renforcement de la ressource en eau, afin de maintenir les productions actuelles.
Qu'il s'agisse de maraîchage, d'arboriculture, d'élevage, ou de grandes cultures, partout, la demande de faciliter la création de retenues permettant de stocker l'eau vient en premier. Elle a été fortement exprimée lors du Varenne agricole de l'eau, dans un esprit de sécurisation des productions.
Il convient de ne pas opposer les deux démarches mais au contraire de les combiner entre elles : encourager un changement de modèle agricole, plus économe en eau et protecteur des sols, mais aussi, partout où cela est possible, et renforcer la ressource en eau pour l'irrigation, dans le respect du renouvellement de la ressource et du bon état des milieux, notamment à travers des réserves de substitution.
* 8 https://www.services.eaufrance.fr/panorama/rapports
* 9 Source : https://www.france-hydro-electricite.fr/lhydroelectricite-en-france/chiffres-clefs/
* 10 Les STEP se composent de deux réservoirs d'eau séparés par un dénivelé. Lorsque le système électrique produit plus que la consommation, une pompe puise l'eau dans le bassin inférieur pour l'acheminer vers le bassin supérieur. Lorsqu'on a ensuite besoin d'électricité, l'eau est turbinée et revient au bassin inférieur. Les STEP utilisent donc l'eau pour faire du stockage d'électricité, avec peu de perte d'énergie entre les deux opérations (entre 15 et 30 %).
* 11 https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-transport-2021/21-transport-fluvial-de-marchandises
* 12 Source : fédération nationale de pêche - https://www.federationpeche.fr/
* 13 Source : Domaines skiables de France - https://www.domaines-skiables.fr/
* 14 Source : Fédération française de Golf : https://www.ffgolf.org/Transition-ecologique/Le-plan-d-action-ffgolf/L-eau-un-element-vital-pour-la-pratique-du-jeu-de-golf
* 15 Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER)
* 16 Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), devenu Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD) en 2022
* 17 https://agriculture.gouv.fr/rapport-du-cgaaer-cgedd-changement-climatique-eau-et-agriculture-dici-2050
* 18 https://draaf.nouvelle-aquitaine.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/zoom-mais_cle8178e5.pdf