SECONDE PARTIE :
DÉBAT SUR
LES ÉVOLUTIONS INSTITUTIONNELLES
Modératrice :
Marie-Christine Ponamalé,
présidente et rédactrice en
chef d'Outremers 360
La deuxième séquence est consacrée aux souhaits d'évolution institutionnelle. En effet, dans la perspective d'une éventuelle révision constitutionnelle, la Délégation sénatoriale aux outre-mer a auditionné la quasi-totalité des responsables des exécutifs sur les aspirations institutionnelles dans les outre-mer. Ce large tour d'horizon ne saurait être complet sans vous les maires, premier maillon de la République et de l'action au service des citoyens.
Micheline Jacques,
sénateur de Saint-Barthélemy,
co-rapporteur sur
l'évolution institutionnelle dans les outre-mer
Mesdames, Messieurs,
La Délégation sénatoriale aux outre-mer a engagé depuis 2020 une réflexion sur l'opportunité d'une évolution institutionnelle des outre-mer. Notre ancien collègue Michel Magras, que beaucoup d'entre vous connaissent bien, en a posé les premiers jalons dans son rapport intitulé « La différenciation territoriale dans les outre-mer : quel cadre pour le sur-mesure ? » .
Ce travail fondateur n'est pas un exercice purement intellectuel ou de juristes. Si c'était le cas, cela n'aurait que peu d'intérêt.
Ses réflexions sont en réalité le fruit de tous les travaux conduits depuis des années, sur tous les sujets, et qui aboutissent à la même conclusion : trop de normes et de politiques publiques ne sont pas adaptées aux outre-mer. Cela est vrai en matière de logement, de construction, d'agriculture, d'énergie, d'exploitation minière et j'en passe.
Ce constat est unanime. Et les auditions des présidents des exécutifs locaux que nous avons conduites ces dernières semaines l'ont toutes confirmé : les normes et les politiques publiques ne sont pas adaptées aux réalités de chacun des territoires.
Une fois ce constat posé, la question est : quelle solution ? Quelles réponses pragmatiques pour faire en sorte que les politiques publiques, notamment celles dont vous avez la charge au quotidien, soient plus efficaces, plus pertinentes ?
Pour notre collègue Michel Magras, deux orientations se dégageaient. La première, celle d'une nécessaire refonte de la relation des outre-mer avec l'État, vers une relation partenariale où l'État accompagnerait les collectivités. Mais aussi celle du constat du caractère de plus en plus daté de la division historique entre les départements et les collectivités d'outre-mer. Cette division priverait notamment les départements et régions d'outre-mer de certains outils efficaces pour adapter les politiques publiques aux territoires.
La solution pourrait venir d'un cadre constitutionnel commun pour les outre-mer, qui serait une sorte de boîte à outils grâce à laquelle chaque outre-mer pourrait imaginer un statut sur-mesure, cousu main. Cela permettrait par exemple aux départements et régions d'outre-mer (DROM) qui le désirent, de s'affranchir du principe d'identité législative dans certaines matières ou d'adopter eux-mêmes des normes. À l'inverse, les territoires ne souhaitant pas changer seraient libres d'opter pour le statu quo.
Depuis 2020, de nombreux événements ont eu lieu : la crise sanitaire, mais aussi les élections du printemps dernier et la volonté de faire bouger les lignes depuis l'Appel de Fort-de-France. La perspective d'une révision constitutionnelle pour la Nouvelle-Calédonie, enfin, qui ouvre une fenêtre d'opportunité pour une révision élargie aux outre-mer.
Il a donc paru évident à la délégation qu'il fallait reprendre le travail de Michel Magras pour l'actualiser et voir si le besoin d'une évolution institutionnelle avait grandi : en écoutant les exécutifs locaux, mais aussi les maires et les forces économiques des territoires.
Ce travail s'inscrit plus globalement dans le cadre du groupe de travail sur la décentralisation qui a été réactivé par le président du Sénat.
La délégation a lancé ses travaux en publiant en juillet dernier un rapport de notre président Stéphane Artano sur « les outre-mer dans la Constitution ». Ce rapport rend compte notamment d'une réunion conjointe avec l'Association des juristes en droit des outre-mer (AJDOM) qui a permis de poser les limites du système actuel, mais aussi de bien distinguer les différents niveaux : constitutionnel, organique, législatif et opérationnel.
Depuis le mois d'octobre, nous avons démarré un cycle d'auditions qui devrait s'achever le 1 er décembre. Il nous a déjà permis de consulter les exécutifs de Saint-Barthélemy, La Réunion, Wallis-et-Futuna, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, la Polynésie française, la Guyane, Mayotte, la Martinique et le président du conseil départemental de la Guadeloupe.
À ce stade, il en ressort déjà quelques lignes de force. Le constat de l'inadaptation des normes, comme cela a déjà été dit. Mais aussi celui de l'incapacité des procédures actuelles de l'État à mieux tenir compte des demandes des territoires. Les demandes d'avis préalables sur les projets de loi ou les décrets sont de purs exercices formels, l'État n'en tenant pour ainsi dire jamais compte. Il en est de même pour les habilitations, ce sont des procédures longues et fastidieuses et l'État n'accompagne pas assez les collectivités lors des transferts de compétences.
Si les constats sont assez similaires, les positions divergent sur les réponses institutionnelles. Certains territoires voudraient être mentionnés spécifiquement dans la Constitution. D'autres demandent des statuts sur-mesure sur le modèle des collectivités d'outre-mer. D'autres encore souhaitent simplement des aménagements à certaines procédures pour les rendre plus efficaces. Enfin, d'autres encore considèrent qu'il ne faut pas perdre du temps et des forces avec ce débat institutionnel, mais qu'il faut surtout que l'État change d'approche et accepte de co-construire les politiques publiques en partenariat avec nos collectivités. La méthode, plutôt que les institutions.
C'est sur ces points et ces différences d'approche que le Sénat souhaiterait recueillir votre ressenti et votre analyse, vous qui, au quotidien, devez déployer les politiques publiques et répondre aux besoins de nos concitoyens.
Je ne serai pas plus longue pour vous laisser le maximum de temps afin de partager votre expérience, votre ressenti et en débattre.
Je vous remercie encore pour votre participation nombreuse à cette rencontre.