EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 5 octobre 2022 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial, sur les entreprises adaptées.

M. Claude Raynal , président . - Emmanuel Capus, rapporteur spécial de la mission « Travail et emploi », nous présente maintenant les conclusions de son contrôle sur les entreprises adaptées.

M. Emmanuel Capus , rapporteur spécial . - Les entreprises adaptées ont été instituées par la grande loi « Handicap » du 11 février 2005, en lieu et place des anciens ateliers protégés. Leur mission est de promouvoir un environnement économique favorable aux femmes et aux hommes en situation de handicap. Elles sont à ce titre tenues d'employer une proportion minimale de salariés reconnus travailleurs handicapés, fixée à 55 %.

Il est important de garder à l'esprit que les entreprises adaptées sont des entreprises à part entière, qui s'inscrivent dans le champ concurrentiel. Elles permettent de proposer une « voie moyenne » entre l'hébergement en ESAT, qui s'accompagne d'un suivi médico-social permanent, et l'emploi dans les entreprises « classiques ».

Le soutien apporté à ces structures participe ainsi pleinement de la réponse de l'État aux difficultés d'accès à l'emploi des travailleurs handicapés, qui constituent l'un des publics prioritaires de la politique de l'emploi. Pour mémoire en effet, le taux de chômage des personnes en situation de handicap s'élevait en 2020 à 14 %, contre 8 % pour l'ensemble des actifs. L'ancienneté moyenne de leur inscription sur les listes de Pôle emploi, qui atteint presque deux ans et demi, est également préoccupante.

Le soutien financier apporté par l'État à ces structures qui passe principalement par le financement d'aides au poste, représentait un total de 411,4 millions d'euros en exécution 2021, pour un total de 37 325 salariés éligibles à ces aides. Entre 2016 et 2021, on constate même une progression de 15 % de ces crédits alors même que le nombre de salariés éligibles a stagné et que la mission « Travail et emploi » a fait l'objet d'importantes mesures d'économies sur la période.

Depuis 2019, les entreprises adaptées ont été l'objet de réformes de grande ampleur.

Avant de faire un état des lieux de leur avancement et de leurs réalisations, un mot sur le sentiment général que je retire de mes travaux et en particulier des auditions que j'ai conduites. De manière générale, le dispositif « entreprises adaptées » donne satisfaction, aussi bien du côté du ministère du travail que de celui des associations représentant les personnes en situation de handicap. Bien sûr, tout n'est pas parfait et des améliorations sont nécessaires, j'en proposerai quelques-unes. Mais, dans l'ensemble, l'action des entreprises adaptées en faveur de l'insertion des travailleurs handicapés est saluée par l'ensemble des acteurs, et les orientations données à la politique de soutien de ces structures vont selon moi dans le bon sens.

Cela ayant été dit, force est de constater que les réformes engagées depuis maintenant près de quatre ans sont à ce jour inabouties.

L'engagement dit « Cap vers l'entreprise inclusive », signé entre l'État, l'Union nationale des entreprises adaptées (UNEA) et plusieurs associations en 2018 avait posé trois ambitions structurantes. Sur le plan législatif, une bonne partie d'entre elles ont trouvé une traduction dans la loi dite « Avenir professionnel » du 5 septembre 2018.

La première de ces ambitions était de transformer le modèle des entreprises adaptées, en posant le double objectif d'accroître la mixité dans leurs effectifs, selon une logique d'inclusion, et de réduire leur dépendance aux financements publics, selon une logique de performance.

Elle s'est d'abord traduite par une réforme de l'agrément des entreprises adaptées, avec un seuil plancher de salariés reconnus travailleurs handicapés passé de 80 % des effectifs de production à 55 % des effectifs totaux à compter de 2019.

Les modalités de financement des entreprises adaptées ont également été revues, afin de s'aligner sur les objectifs posés par cette ambition de transformation. Cette réforme complexe, est encore à ce jour difficilement appréhendée par les entreprises adaptées. Ce constat plaide pour une meilleure structuration de la coopération, aujourd'hui insuffisante, entre l'Agence des services et de paiement (ASP), la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) et l'UNEA, pour assurer le pilotage du système de paiement des aides. Il faudra bien sûr également évaluer l'impact de ces réformes sur la composition des entreprises adaptées et sur leur financement. C'est le sens de mes recommandations n°1 et 2.

Certaines tendances à l'oeuvre témoignent cependant du fait que les entreprises adaptées sont bel et bien engagées dans cette logique de transformation, avec de nettes augmentations de la part des entreprises adaptées constituées sous un statut de société commerciale ainsi que de la part des salariés « valides » en leur sein.

La seconde ambition est celle de moderniser l'offre d'accompagnement, en proposant notamment une série d'expérimentations innovantes. Deux expérimentations ont été lancées à ce jour.

En premier lieu, les « CDD Tremplin », qui consistent en la signature de contrat de deux ans maximum en entreprises adaptées et permettent de bénéficier en parallèle d'un accompagnement, dans le but de s'insérer plus facilement par la suite dans le milieu « ordinaire ».

En second lieu les entreprises adaptées de travail temporaire (EATT), qui seraient spécialisées dans l'intérim.

Si des premiers résultats encourageants remontent s'agissant du déploiement CDD Tremplin, globalement, les deux dispositifs peinent fortement à monter en puissance. La crise sanitaire est passée par là, bien sûr, mais l'écart entre les cibles fixées et les réalisations est tel qu'elle ne peut pas tout expliquer. La capacité des entreprises à s'engager si rapidement dans des dispositifs demandant des transformations organisationnelles importantes a été surestimée.

Le troisième projet d'expérimentation, les entreprises adaptées « pro inclusives », qui devaient employer une proportion de travailleurs handicapés comprise entre 40 et 50 %, n'a tout simplement pas vu le jour.

La priorité est selon moi de donner leur chance aux expérimentations engagées en les prolongeant d'un an, comme le propose d'ailleurs le PLF 2023 et de les évaluer, avant de décider de l'opportunité de relancer ou non ce projet d'expérimentation. C'est ma recommandation n°3.

Le déploiement du PIC dans les entreprises adaptées n'a pas non plus rencontré son public, avec seulement 5 millions d'euros engagés sur une enveloppe de 50 millions d'euros pour soutenir des actions de formations dans les entreprises engagées dans les expérimentations. Je considère que si l'effort en faveur de la formation dans les entreprises adaptées doit être maintenu, il convient d'ajuster le dispositif d'aide. Cela passe notamment par une meilleure connaissance du recours à la formation dans ces entreprises. C'est ma recommandation n°4.

La troisième et dernière ambition de l'engagement « Cap vers l'entreprise inclusive » est celle du « changement d'échelle », des entreprises adaptées. Il était prévu de doubler le nombre de salariés éligibles aux aides au poste, pour les porter à 80 000 à l'horizon de la fin de 2022.

De ce point de vue, il faut admettre que le résultat n'est pas là, puisque le nombre de salariés visés est resté stable sur la période - voire a légèrement fléchi. La cible a certes été révisée à 53 000 en cours de route, mais elle n'a guère plus de chance d'être atteinte.

Les causes de cet échec sont multiples, et la crise prend là encore sa part. Dans ce débat, la problématique des difficultés de recrutement rencontrées par les entreprises adaptées a été portée avec force par l'UNEA. En 2021, 75 % d'entre elles déclaraient rencontrer de fortes difficultés de recrutement, et elles étaient 51 % à avoir déposé une offre sur les plateformes du service public de l'emploi sans jamais avoir été recontactées. Ce constat plaide pour une intensification des relations entre l'UNEA et l'ensemble des opérateurs du service public de l'emploi : Pôle emploi, Cap emploi, mais aussi les missions locales, encore trop peu mobilisées. C'est le sens de ma recommandation n°5.

Manifestement, les entreprises adaptées étaient dans les faits loin d'être prêtes pour un tel changement d'échelle, à plus forte raison dans un contexte de transformation de leur modèle.

Quand de tels objectifs sont posés, encore faut-il d'ailleurs que les réalisations puissent être connues et transparentes. J'ai été étonné de la faiblesse de la donnée publique disponible quant à la politique de soutien aux entreprises adaptées et à l'évolution des effectifs éligibles aux aides au poste. Leur publication transparente se justifierait pourtant pleinement eu égard à l'enveloppe budgétaire conséquente consacrée à cette politique, qui représente je le rappelle plus de 400 millions d'euros par an. C'est le sens de ma sixième et dernière recommandation.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Merci à Emmanuel Capus de braquer les projecteurs sur un secteur d'activité qui me paraît particulièrement important.

Je note que les objectifs quantitatifs ont, dans un premier temps, été revus à la baisse et que les dispositifs mis en place peinent à atteindre leur vitesse de croisière... Le rapporteur spécial pourrait-il donner davantage de précisions sur les causes identifiées de ces retards ?

Ne devrions-nous pas nous efforcer de trouver l'instance ou le cadre adéquat pour poser un diagnostic qui soit à la fois partagé et le plus précis possible sur la problématique des tensions de recrutement et des offres d'emploi non pourvues ? Il semblerait que les travailleurs handicapés pâtissent encore davantage de cette situation que le reste des salariés. C'est, pour nos politiques de l'emploi, une forme de constat d'échec.

Mme Christine Lavarde . - On connaît tous les ESAT, et on arrive à les faire travailler dans nos collectivités, mais on voit rarement des entreprises adaptées répondre à des marchés publics.

Qu'est-ce qui explique cette différence, alors que même que, conformément au code de la commande publique, les collectivités doivent favoriser l'accès du travail aux personnes en situation de handicap ? Ces entreprises interviennent-elles dans des champs de nature très différente de ceux des ESAT ? Sont-elles de ce fait moins susceptibles de répondre aux besoins ?

Par ailleurs, pourquoi n'arrive-t-on pas à atteindre 80 000 personnes ? Dans quelle mesure est-on considéré comme un travailleur en situation de handicap ?

M. Marc Laménie . - Merci pour ce travail de qualité, portant sur une politique qui mobilise 411 millions d'euros pour le budget de l'État et touche 37 325 salariés.

Dispose-t-on une analyse géographique de la répartition de l'ensemble des travailleurs handicapés ? Quelle est la gouvernance des structures d'accueil ? Il s'agit souvent d'associations loi de 1901, avec des bénévoles au conseil d'administration et au sein des encadrants, qui jouent un rôle important dans l'aide qu'ils apportent à l'ensemble des travailleurs concernés.

Par ailleurs, le département des Ardennes est frontalier de la Belgique, qui a souvent plus d'avance que nous dans ce domaine. Un rattrapage est-il possible par rapport à nos voisins belges ?

M. Jérôme Bascher . - Qu'en est-il du transport vers les ESAT, qui peut constituer une source majeure de difficultés, tout le monde n'habitant pas une métropole desservie par le métro ?

Mme Vanina Paoli-Gagin . - Monsieur le rapporteur spécial, avez-vous examiné la piste d'une possible dynamisation de ces entreprises adaptées via les budgets RSE des grands groupes ?

Cela pourrait dynamiser l'activité et favoriser les entreprises vis-à-vis des publics qu'elles accompagnent.

M. Emmanuel Capus , rapporteur spécial . - Je vous remercie de ces questions.

Monsieur le rapporteur général m'a interrogé sur les raisons pour lesquelles les réformes peinaient à monter en puissance.

Je le rappelle dans le rapport, l'hétérogénéité des différentes entreprises adaptées a manifestement été sous-estimée. Il en existe 747 en France, qui ont toutes des particularités. Ce sont soit des associations, soit des sociétés commerciales - c'est même de plus en plus le cas puisque leur proportion est passée, de mémoire, de 23 à 45 %. Elles interviennent dans des secteurs économiques extrêmement variés et, en tant qu'entreprises privées, sont pleinement souveraines dans leurs décisions commerciales.

Elles ont surtout dû faire face à beaucoup de changements en même temps. On a modifié les règles régissant leur conventionnement, leur recrutement, passant le nombre de salariés qui doivent être en situation de handicap de 80 % à 55 %, et leur financement.

Si on y ajoute les expérimentations à mettre en oeuvre dans le même temps, cela représente beaucoup de transformations à mener parallèlement, à plus forte raison dans le contexte de la crise sanitaire. Je rappelle que la réforme date de 2019. Tout est arrivé en même temps.

Il faut également relever l'absence de visibilité des offres de Pôle emploi. Il semble que les agents du service public de l'emploi méconnaissent trop souvent la spécificité des entreprises adaptées.

Pour faire toute la lumière sur les changements qu'ont connus les entreprises adaptées, je propose que les réformes des modalités d'agrément et de financement soient évaluées. L'évaluation prévue à ce stade ne porte actuellement que sur les CDD Tremplin et sur les entreprises adaptées de travail temporaire.

Christine Lavarde m'a interrogé sur ce qui peut expliquer la faible notoriété des entreprises adaptées, et demande si leurs champs d'intervention sont les mêmes que ceux des ESAT. L'échelle n'est pas tout à fait la même. Les entreprises adaptées sont bien plus confidentielles. 50 000 salariés environ sont employés dans les entreprises adaptées, dont environ 37 000 éligibles aux aides, alors qu'on compte environ 125 000 personnes accueillies en ESAT, soit plus du double.

Les entreprises adaptées participent également aux appels d'offres, opérant dans de nombreux secteurs d'activité, qui vont de l'industrie au domaine sanitaire et social.

Quant à la définition du handicap, elle consiste en la reconnaissance administrative par les commissions départementales des personnes handicapées, qui relèvent de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées. Cela concerne 2,7 millions de personnes.

S'agissant de la question posée par Marc Laménie, je n'ai pas d'éléments particuliers de comparaison entre les systèmes belges et français en la matière.

Quant à la répartition territoriale, celle-ci connaît en effet quelques disparités. On compte 108 entreprises adaptées en Auvergne-Rhône-Alpes, 80 en Île-de-France, contre par exemple 22 en Bourgogne-Franche-Comté. Ces disparités sont cependant à relativiser si on les rapporte à la situation socio-économique des différentes régions.

Jérôme Bascher, la mobilité constitue effectivement un sujet de préoccupation essentiel pour les politiques de l'emploi, à plus forte raison s'agissant des travailleurs handicapés. Je précise que les publics concernés sont les travailleurs handicapés dans leur ensemble et pas uniquement des personnes à mobilité réduite.

S'agissant de la question de Vanina Paoli-Gagin, je souligne justement dans le rapport le fait que les organisations patronales ont sans doute été trop peu consultées pour la conception des différentes réformes des entreprises adaptées. Elles n'ont notamment pas été associées à l'engagement « Cap vers l'entreprise inclusive ». L'UNEA était présente, mais non les organisations patronales. On pourrait évidemment les impliquer davantage. Sans doute pourrait-on, à travers ce biais, prendre mieux en compte la dynamique RSE des potentielles entreprises « clientes » des entreprises adaptées.

La commission a adopté les recommandations du rapporteur spécial et autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

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