C. LE DÉMARRAGE DIFFICILE DES EXPÉRIMENTATIONS DE NOUVELLES FORMES D'ACCOMPAGNEMENT PAR LES ENTREPRISES ADAPTÉES
1. Le CDD Tremplin : un démarrage difficile mais prometteur
Prévus à l'article 78 de la loi « Avenir professionnel », les CDD Tremplin visent à expérimenter un accompagnement des transitions professionnelles afin de favoriser la mobilité professionnelle des travailleurs handicapés vers les autres entreprises en recourant à des CDD d'une durée comprise entre 4 et 24 mois.
L'expérimentation, lancée fin 2018, concerne à ce jour 397 établissements, de sorte qu'en 2021, 38 % des EA disposent au moins d'un établissement membre habilité à mettre en oeuvre le CDD Tremplin . On note néanmoins une forte disparité entre les régions : une très forte mobilisation sur certains territoires, avec plus de la moitié des entreprises adaptées entrées dans l'expérimentation (Bourgogne-Franche-Comté, Centre-Val-de-Loire, Hauts-de-France, La Réunion et la Normandie) et une mobilisation très faible voire inexistante dans d'autres territoires (notamment en Corse et en Guyane).
La mise en oeuvre de l'expérimentation ayant été ralentie, notamment par la crise sanitaire, les cibles d'ETP financés dans le cadre de l'expérimentation fixées par la DGEFP ont été fortement abaissées , comme le montre le tableau ci-dessous. Il a fallu attendre l'année 2021 pour que la cible révisée soit quasiment atteinte.
Atteinte des cibles de financement d'ETP en CDD Tremplin
(en ETP et en pourcentage)
Source : réponse au questionnaire du rapporteur
Le recul manque à ce jour pour se prononcer de façon éclairée sur l'efficacité du dispositif , d'après les données communiquées au rapporteur spécial, le taux de sortie en emploi durable des salariés recrutés en CDD Tremplin (9 %) en 2021 est supérieur à celui des salariés éligibles aux aides hors expérimentation (4 %).
Les enquêtes réalisées par l'UNEA en 2020 ont mis en avant certains avantages de l'expérimentation pour les entreprises adaptées qui s'y étaient engagées. Du point de vue du bénéficiaire, le caractère limité dans le temps du dispositif incite fortement à s'investir de façon accrue dans l'élaboration de son projet professionnel. L'expérimentation constitue en outre une occasion pour l'entreprise de resserrer ses liens avec le service public de l'emploi
Certaines entreprises adaptées se montrent au contraire plus critiques d'un outil perçu comme une rupture avec leur mission traditionnelle d'accompagnement dans la durée des travailleurs handicapés. Le rapporteur spécial considère que si les CDD Tremplin constituent un dispositif prometteur pour favoriser l'inclusion des travailleurs handicapés en milieu ordinaire, leur philosophie ne saurait être étendue à l'ensemble des publics accompagnés en entreprise adaptée . Celles-ci doivent continuer d'offrir une réponse adaptée à la grande hétérogénéité des profils de travailleurs handicapés. À ce titre, elles doivent être en mesure de « mettre le pied à l'étrier » de salariés ayant vocation à accéder à l'emploi dans le milieu ordinaire, mais aussi de représenter une solution pour une personne ayant accompli une première partie de carrière dans le milieu ordinaire et ayant fait face à un accident de la vie.
2. L'expérimentation des entreprises adaptées de travail temporaire peine à monter en puissance
Prévue à l'article 79 de la loi « Avenir professionnel » dans le même objectif de modernisation des solutions d'accompagnement des entreprises adaptées, l'expérimentation de la création d'entreprises adaptées de travail temporaire (EATT) a été lancée fin 2019.
À ce jour, 19 entreprises adaptées ont été autorisées à porter un projet d'EATT. Il s'agit pour l'essentiel d'entreprises adaptées sous statut de société commerciale (88 %).
Le démarrage de cette expérimentation a lui aussi été considérablement ralenti par la crise sanitaire, avec une atteinte des cibles fixées encore inférieure à celles constatées pour les CDD Tremplin, comme le montre le tableau ci-dessous.
Atteinte des cibles de financement d'ETP en EATT
(en ETP et en pourcentage)
Source : réponse au questionnaire du rapporteur
Les premiers retours qualitatifs relayés par l'UNEA mettent en avant des financements de l'État trop limités au regard du temps d'accompagnement réellement mobilisé par l'EATT au profit des salariés qu'elle emploie, ce qui contribue sans doute au difficile montée en puissance de l'expérimentation.
Une cible de 800 ETP financés a été fixée pour 2022, mais celle-ci paraît très ambitieuse par rapport à la réalisation 2021 (92 ETP).
3. Tandis que l'expérimentation de l'entreprise adaptée pro-inclusive n'a jamais vu le jour, les expérimentations des CDD Tremplin et des EATT devraient être prolongées d'un an
Un troisième projet d'expérimentation visait la création, dans une logique de renforcement de la mixité des profils accueillis, d'entreprises adaptées pro-inclusives dont la proportion de salariés reconnus travailleurs handicapés serait comprise entre 40 % et 50 %.
Les travaux de lancement de cette expérimentation, lancés fin 2019, ont été interrompus par la crise sanitaire. Il a été indiqué au rapporteur spécial qu'au moment de la reprise des travaux au premier semestre 2021, le contexte ainsi que la faible capacité des entreprises adaptées à se saisir jusqu'ici du cadre de la réforme et des deux expérimentations déjà lancées (CDD Tremplin et EATT) ont amené l'ensemble des parties prenantes à faire le choix de privilégier la consolidation des deux expérimentations en cours plutôt que d'en lancer une nouvelle.
La mise en oeuvre plus lente que prévue des CDD Tremplin et des EATT a quant à elle justifié la proposition, inscrite à l'article 47 du projet de loi de finances pour 2023, de reporter d'un an, jusqu'au 31 décembre 2023, la fin de ces expérimentations . La question de la budgétisation de cette prolongation reste posée dans la mesure où le versement de la contribution annuelle de l'Agefiph (50 millions d'euros) était prévu jusqu'à 2022. Cet enjeu est à relativiser eu égard à l'ampleur des montants effectivement versés jusqu'à 2021 et à la sous-consommation chronique des crédits dédiés aux entreprises adaptées, elle-même liée à une surestimation des aides aux postes à financer (voir graphiques ci-dessous).
Évolution des crédits alloués au
financement des ETP
en CDD Tremplin et en EATT (CP
exécutés)
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial
Évolution des crédits non consommés et taux de consommation des crédits prévus en LFI en faveur des entreprises adaptées (dont FDC Agefiph)
(en millions d'euros et en pourcentage)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial
Le rapporteur spécial propose d'entériner cette prolongation des expérimentations du CDD Tremplin et de l'EATT et d'attendre leur évaluation par le comité scientifique dédié pour décider de l'opportunité de relancer le projet d'expérimentation d'entreprise adaptée pro-inclusive.
Recommandation n° 3 : prolonger d'un an la mise en oeuvre des expérimentations du CDD Tremplin et des entreprises adaptées de travail temporaire, et attendre les conclusions de leur évaluation pour décider de l'opportunité de relancer le projet d'expérimentation d'entreprises adaptées pro-inclusives (DGEFP).
4. Supposé accompagner ces expérimentations, le PIC-EA a également connu des difficultés de mise en oeuvre
Un volet « entreprises adaptées » du Plan d'investissement dans les compétences (PIC-EA), doté d'une enveloppe de 50 millions d'euros et déployé par l'Agefiph, a également été lancé en 2019 pour accompagner les entreprises adaptées et leurs salariés reconnus travailleurs handicapés engagés dans ces expérimentations en finançant des aides à la formation proprement dite, à la rémunération des salariés en formation, et à l'ingénierie de formation.
Tout comme les expérimentations, le PIC-EA a connu un démarrage difficile, de sorte que son ambition a été ramenée en 2021 à 32 millions d'euros. Seuls 5 millions d'euros ont été engagés à ce jour, au bénéfice de 479 salariés . Deux « opérations coup de poing » ont été lancées en 2021 et 2022 auprès de l'ensemble des acteurs pour dynamiser la mise en oeuvre du PIC-EA et se rapprocher de la cible révisée. Depuis mars 2022, le dispositif a même été ouvert aux salariés hors-expérimentation.
Entendue sur ce point par le rapporteur spécial, l'Agefiph a mis en avant des défauts de conception initiale du dispositif, intégré trop tardivement au PIC par le ministère du travail, et de son manque de visibilité auprès des entreprises adaptées. Elle souligne également une certaine redondance du dispositif par rapport aux outils de soutien à la formation qu'elle déployait déjà.
De son côté, l'UNEA a pointé une procédure de demande trop complexe et des délais d'attribution des aides trop longs, pouvant atteindre jusqu'à quatre mois. Elle souligne qu' « il est, dès à présent, nécessaire de pouvoir envisager la suite du PIC EA et l'accompagnement de la formation des salariés en situation de handicap dans les entreprises adaptées » , en simplifiant l'outil de dépôt des dossiers et en maintenant un périmètre élargi à l'ensemble des salariés des entreprises adaptées reconnus travailleurs handicapés.
Le rapporteur spécial souscrit à cette orientation, considérant que si les modalités du soutien à la formation professionnelle dans les entreprises adaptées doivent être ajustées pour tirer les conséquences de limites rencontrées par le PIC-EA, l'ambition de cette politique n'a pas vocation à être réduite .
Par ailleurs, la DGEFP a indiqué au rapporteur spécial qu'elle n'était à ce jour et en tout état de cause pas en mesure d'évaluer le recours à la formation professionnelle dans les entreprises adaptées , aussi bien en termes de masse salariale qui y est consacrée que de salariés bénéficiaires. Des travaux seraient en cours pour permettre la collecte de ces données dans le cadre du système d'information géré par l'ASP. Le rapporteur spécial considère que l'aboutissement de tels travaux est nécessaire pour permettre un pilotage d'ensemble du système de formation professionnelle dans les entreprises adaptées et envisager des modalités de soutien budgétaire efficace.
Recommandation n° 4 : relancer un dispositif de soutien à la formation dans les entreprises adaptées, tirant les leçons des limites rencontrées par le PIC-EA et adossé à un suivi plus fin de leurs actions de formation professionnelle (DGEFP, Agefiph).