N° 18

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 octobre 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur les entreprises adaptées ,

Par M. Emmanuel CAPUS,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .

L'ESSENTIEL

I. LES ENTREPRISES ADAPTÉES : UN INSTRUMENT IMPORTANT DE LA POLITIQUE DE L'EMPLOI DES TRAVAILLEURS HANDICAPÉS

A. LES PERSONNES EN SITUATION DE HANDICAP RENCONTRENT DES DIFFICULTÉS SPÉCIFIQUES D'INSERTION SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL

Les personnes en situation de handicap constituent l'un des publics prioritaires de la politique de l'emploi au regard de leurs difficultés particulières d'insertion sur le marché du travail. Comme le montre le graphique ci-dessous, les principaux indicateurs de la politique de l'emploi attestent d'une insertion très dégradée des travailleurs handicapés sur le marché du travail par rapport à l'ensemble des actifs.

Situation des travailleurs handicapés face à l'emploi

(en pourcentage)

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

B. DANS CE CONTEXTE, LA MONTÉE EN PUISSANCE DU SOUTIEN AUX ENTREPRISES ADAPTÉES PARTICIPE DE LA RÉPONSE DE L'ÉTAT AUX DIFFICULTÉS D'ACCÈS À L'EMPLOI DES TRAVAILLEURS HANDICAPÉS

Instituées par la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées en remplacement des anciens « ateliers protégés », les entreprises adaptées sont des structures dont la mission est de contribuer au développement des territoires et de promouvoir un environnement économique inclusif favorable aux personnes en situation de handicap . Elles concluent à cette fin des contrats de travail avec des travailleurs handicapés rencontrant des difficultés sur le marché du travail et permettent à leurs salariés d'exercer une activité professionnelle dans un environnement adapté à leurs possibilités. Elles sont à ce titre tenues d'employer une proportion minimale de salariés reconnus travailleurs handicapés.

Nombre d'entreprises adaptées en 2021

Effectifs de salariés des entreprises adaptées reconnus travailleurs handicapés éligibles aux aides en 2021

Crédits alloués au soutien aux entreprises adaptées en exécution 2021

Les entreprises adaptées n'en restent pas moins des entreprises à part entière, qui permettent de proposer une « voie moyenne » entre l'accueil en établissements et services d'aide par le travail (ESAT), qui relèvent du secteur médico-social, et l'emploi en milieu ordinaire relevant de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés . L'ensemble des associations représentant les personnes en situation de handicap auditionnées par le rapporteur spécial ont salué l'action des entreprises adaptées et témoigné de leur rôle essentiel pour l'inclusion dans l'emploi des personnes qui, sans nécessiter de suivi médico-social permanent, peinent à accéder à l'emploi en raison de leur handicap.

Le soutien financier apporté par l'État à ces structures qui passe principalement par le financement d'aides au poste, représentait 411,4 millions d'euros en exécution 2021 , pour un total de 37 325 salariés éligibles à ces aides. Entre 2016 et 2021, on constate même une progression régulière et très significative de ces crédits (+ 15 %) alors même que le nombre de salariés éligibles a stagné et que la mission « Travail et emploi » a fait l'objet d'importantes mesures d'économies sur la période.

Évolution comparée des crédits en faveur des entreprises adaptées (CP)
et du nombre de leurs salariés éligibles

(en millions d'euros et en ETP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

II. LES PROMETTEUSES RÉFORMES DE LA POLITIQUE DE SOUTIEN AUX ENTREPRISES ADAPTÉES LANCÉES DEPUIS 2019, PERTURBÉES PAR LA CRISE SANITAIRE SONT À CE JOUR INABOUTIES

L'engagement national « Cap vers l'entreprise inclusive » signé entre l'Union nationale des entreprises adaptées (UNEA), l'Association des paralysés de France (APF) France Handicap, l'Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (UNAPEI) et l'État le 12 juillet 2018 constitue un engagement réciproque autour d'un programme d'actions en trois volets :

- la transformation du modèle des entreprises adaptées , avec pour objectif d'accroître la mixité des publics accueillis dans une logique inclusive et de réduire leur dépendance aux financements publics ;

- la modernisation de la réponse de proximité du modèle entreprise adaptée tant aux besoins des travailleurs handicapés les plus éloignés de l'emploi qu'à ceux des territoires, avec le lancement d' expérimentations de nouvelles formes d'accompagnement ;

- un « changement d'échelle » , avec un objectif de doublement des effectifs de travailleurs handicapés dans les entreprises adaptées, accompagné par un effort budgétaire soutenu de l'État et de l'Association pour la gestion du fonds d'insertion des personnes handicapées (Agefiph).

A. LES ENTREPRISES ADAPTÉES SONT PLEINEMENT ENGAGÉES DANS L'OBJECTIF DE TRANSFORMATION DE LEUR MODÈLE

L'objectif de transformation du modèle des entreprises adaptées s'est notamment traduit par une réforme des modalités d'agrément, avec un seuil plancher de salariés reconnus travailleurs handicapés passé de 80 % des effectifs de production à 55 % des effectifs totaux à compter de 2019. Une réforme des modalités de financement par l'État est également intervenue à compter de la même date, prévoyant :

- la suppression des subventions spécifiques, qui étaient versées aux structures sans réelle logique de projet ou de performance, au profit d'une revalorisation de l'aide au poste croissante avec l'âge afin de prendre en compte les effets du vieillissement sur la productivité ;

- l'application d'un mécanisme d'écrêtement dit « plafond » aux aides versées, calculé de façon à ce que, conformément à l'objectif d'accroissement de la mixité au sein des entreprises adaptées, il n'y ait pas d'incitation financière à l'embauche de travailleurs handicapés au-delà de 75 % de l'effectif total de l'entreprise.

Cette réforme complexe , qui s'est accompagnée d'une réforme du système d'information de l'Agence de services et de paiement (ASP), opérateur chargé de verser les aides pour le compte de l'État, est encore à ce jour difficilement appréhendée par les entreprises adaptées . Ce constat plaide pour une meilleure structuration de la coopération, aujourd'hui insuffisante, entre l'ASP, la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) et l'UNEA, en vue d'assurer un meilleur pilotage du système d'information et paiement.

Il conviendra en tout état de cause d'évaluer l'impact de ces deux réformes sur la proportion de travailleurs handicapés dans les entreprises adaptées et sur leur financement.

Les entreprises adaptées semblent toutefois s'être pleinement approprié l'exigence de diversification des publics, comme en témoigne la très nette croissance de la part des salariés non éligibles aux aides au poste dans les effectifs des entreprises adaptées à compter de 2018. Doit également être relevée la progression sensible de la part des entreprises adaptées constituées sous statut de sociétés commerciales , passée de 23 % à 45 % du total des entreprises adaptées entre 2016 et 2021.

B. LE DÉMARRAGE DIFFICILE DES EXPÉRIMENTATIONS DE NOUVELLES FORMES D'ACCOMPAGNEMENT PAR LES ENTREPRISES ADAPTÉES

L'objectif de modernisation de la réponse de proximité du modèle entreprise adaptée aux besoins des travailleurs handicapés les plus éloignés de l'emploi et des besoins économiques du bassin d'emploi vise à consolider la vocation économique et sociale des entreprises adaptées en la positionnant comme un acteur du développement des territoires. La réalisation de cette ambition devait passer par le lancement de trois expérimentations innovantes :

- l'expérimentation du contrat à durée déterminée (CDD) Tremplin , conclu pour une durée de 24 mois maximum, avec pour ambition de permettre aux personnes handicapées d'acquérir une expérience professionnelle et une formation les conduisant vers l'emploi durable a été lancée fin 2018. Après un démarrage plus lent qu'escompté, de premiers résultats encourageants peuvent être relevés en termes d'accès de ses bénéficiaires à l'emploi durable ;

- l'expérimentation de la création d'entreprises adaptées de travail temporaire (EATT) , qui vise à favoriser l'émergence d'entreprises adaptées spécialistes de l'intérim, lancée fin 2019, peine à monter en puissance ;

- le projet d'expérimentation de la création d'entreprises adaptées pro-inclusives , dont la part de travailleurs handicapés devait être comprise entre 40 % et 50 %, a quant à elle été abandonnée dans le contexte de la crise sanitaire.

La mise en oeuvre plus lente que prévue des CDD Tremplin et des EATT conduit à la proposition, inscrite à l'article 47 du projet de loi de finances pour 2023, de reporter d'un an, jusqu'au 31 décembre 2023, la fin de ces expérimentations. Le rapporteur spécial propose ainsi d'entériner cette prolongation des expérimentations du CDD Tremplin et de l'EATT et d'attendre leur évaluation par le comité scientifique dédié pour décider de l'opportunité de relancer le projet d'expérimentation d'entreprise adaptée pro-inclusive.

Supposé accompagner ces expérimentations en finançant des actions de formations au sein des entreprises adaptées, et doté d'une enveloppe de 50 millions d'euros, le volet « entreprises adaptées » du Plan d'investissement dans les compétences (PIC-EA) a également connu des difficultés de mise en oeuvre , avec seulement 5 millions d'euros engagés à ce jour. Le rapporteur spécial considère que si les modalités du soutien à la formation professionnelle dans les entreprises adaptées doivent être ajustées pour tirer les conséquences des limites rencontrées par le PIC-EA, l'ambition de cette politique, dont le suivi doit par ailleurs être amélioré, n'a pas vocation à être réduite.

Évolution des crédits alloués au financement des ETP
en CDD Tremplin et en EATT (CP exécutés)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

C. UN « CHANGEMENT D'ÉCHELLE » QUI N'A PAS EU LIEU, NOTAMMENT DU FAIT DES DIFFICULTÉS DE RECRUTEMENT RENCONTRÉES PAR LES ENTREPRISES ADAPTÉES

Force est de constater que l'ambition de doublement des effectifs de salariés reconnus travailleurs handicapés éligibles aux aides au poste en entreprise adaptée, pour atteindre un total de 80 000 ETP à l'horizon de la fin de l'année 2022, n'a pas été réalisée, puisqu'on constate au contraire une relative stabilité, et même une légère baisse, de ces effectifs sur la période. Bien que l'objectif ait été abaissé à 53 000 ETP dans le contexte de la crise sanitaire, l'atteinte de cette nouvelle cible semble hautement improbable.

Évolution des effectifs éligibles aux aides en entreprises adaptées depuis 2018 par comparaison aux cibles fixées

(en ETP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Si la crise sanitaire a pu contribuer à ce résultat, elle ne saurait en être le principal et encore moins le seul facteur. Manifestement, les entreprises adaptées étaient dans les faits loin d'être prêtes pour un tel changement d'échelle, à plus forte raison dans un contexte de transformation de leur modèle

L'une des explications mises en avant par l'UNEA réside dans les considérables difficultés de recrutement rencontrées par les entreprises adaptées, déplorant un accompagnement insuffisant du service public de l'emploi à cet égard (Pôle emploi, Cap emploi et missions locales), alors même que la dynamique des offres d'emploi déposée est soutenue, avec notamment l'enjeu de l'insuffisante visibilité des offres d'emploi qu'elles déposent. Il existe un consensus entre les acteurs sur la nécessité d'intensifier les relations entre le service public de l'emploi et les entreprises adaptées afin de dynamiser les procédures de recrutement . Le partage de données et l'interconnexion de leurs systèmes d'information respectifs ont été identifiés par l'UNEA comme un enjeu décisif.

Enfin, le rapporteur spécial a pu constater la faiblesse de la donnée publique disponible quant à la politique de soutien aux entreprises adaptées et l'évolution des effectifs éligibles aux aides au poste , qui se limite aux informations contenues dans les documents budgétaires. Une publication des données relatives à la politique de soutien aux entreprises adaptées, comprenant a minima les stocks et les flux de recrutement de salariés éligibles aux aides au poste et éventuellement le nombre de postes financés dans le cadre des expérimentations se justifierait pourtant pleinement eu égard à l'enveloppe budgétaire conséquente consacrée à cette politique.

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