IV. EN CRISE DE LÉGITIMITÉ, L'IGN A ENTREPRIS UNE TRANSFORMATION DE SON MODÈLE
A. CONFRONTÉ À UNE CRISE D'IDENTITÉ ET À UNE CONTESTATION DE SA LÉGITIMITÉ, L'IGN DEVAIT SE RÉFORMER
Dans les années 2010, les bouleversements du paysage de la donnée géolocalisée ont mis sous tension l'IGN . Confronté à un univers en profonde évolution, celui-ci s'est vu remettre en cause dans son identité, contesté dans sa légitimité et concurrencé par l'émergence rapide et inéluctable de nouveaux acteurs.
Alors que le nombre et la pluralité des producteurs de données ne faisaient que s'accroître, en particulier au sein de la sphère publique, il devenait de plus en plus clair que l'IGN ne pouvait prétendre à un monopole dans la conception des produits publics d'information géolocalisée. Dans ce contexte, les relations entre l'IGN et les collectivités locales , toujours plus impliquées dans la production de données, se sont dégradées . Les rapports entre celles-ci et l'IGN étaient compliqués par les relations commerciales qu'ils entretenaient avant la décision d'ouvrir gratuitement les données de l'institut aux autorités publiques. Pressé d'accroître ses ressources propres pour satisfaire ses impératifs budgétaires, l'IGN a été amené à développer sa politique commerciale, notamment à l'endroit des collectivités 60 ( * ) . Ces dernières, qui pour certaines transféraient gratuitement des données à l'IGN, ont pu avoir le sentiment que l'opérateur équilibrait son budget au détriment de leurs intérêts financiers. Une défiance croissante s'est installée. Alors qu'il était particulièrement nécessaire de coordonner et de rationaliser l'écosystème de la géo-donnée publique, cette situation grippait les opportunités de partenariats .
Par ailleurs, la plus-value de l'IGN, par rapport à des acteurs privés ou à des acteurs publics territoriaux , dans la conception de productions d'information géographique spécifiques à des besoins locaux était également contestée.
En 2018, le rapport sur les données géographiques souveraines recommandait de réformer l'IGN
Le rapport de 2018 sur les données géographiques souveraines livrait le constat d'un IGN exposé à des bouleversements profonds qui l'appelaient à s'adapter et à se transformer :
« Dans un environnement caractérisé par la multiplicité des producteurs publics de données géographiques souveraines, l'IGN a vocation à revoir le périmètre de ses propres productions et à se positionner comme expert et accompagnateur de l'écosystème. Par principe, en ce qui concerne la production de données, ne devraient relever de l'institut que la production des données souveraines « socle » et celle des grands référentiels mobilisés dans les politiques publiques à fort enjeux » .
Source : rapport au Gouvernement sur les données géographiques souveraines de Valéria Faure-Muntian, juillet 2018
Quelque-peu malmené au sein de la sphère publique par la montée en compétences des collectivités locales , l'IGN était aussi de plus en plus concurrencé par le secteur privé et particulièrement par l'avènement de nouveaux acteurs internationaux dotés de moyens sans commune mesure avec ceux de l'opérateur 61 ( * ) . Les « GAFAM 62 ( * ) », dont le modèle économique repose sur l'exploitation des données se sont rapidement positionnés sur le marché des services d'information géolocalisée. D'autres sociétés plus modestes ont également développé des outils à l'usage des particuliers actualisés beaucoup plus régulièrement que ceux de l'IGN, notamment grâce au concept d'enrichissement collaboratif des bases de données géolocalisées.
Au-delà de la question de l'émergence des acteurs, l'IGN était aussi remis en cause dans ses méthodes et dans son identité à travers l'émergence des dynamiques collaboratives déployées notamment par des communautés comme OpenStreetMap.
Face à cette concurrence, l'IGN courrait le risque d'une certaine forme d'obsolescence et de voir certaines de ses productions marginalisées. Dans ce contexte, l'utilité même de l'institut a pu être mise en doute par certains. Ancré dans l'histoire, l'établissement public national de référence en matière de géo-données avait besoin de se projeter dans l'avenir .
Le rapporteur spécial a ainsi acquis la conviction que l'IGN devait se transformer pour attirer et développer de nouvelles compétences, incorporer de nouvelles technologies et rester un opérateur d'excellence , référence nationale incontestée en matière de données géolocalisées souveraines.
* 60 Certaines collectivités avaient alors pris l'initiative de créer de véritables centrales d'achats pour négocier avec l'IGN. Ces centrales d'achats sont à l'origine des premières plateformes régionales pour l'information géographique (CRIGEs).
* 61 Le rapport de novembre 2017 précité identifiait cette émergence comme l'une des principales menaces qui pesait sur l'IGN.
* 62 Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.