B. L'ÉGYPTE S'APPUIE SUR SA POSITION STRATÉGIQUE AU SUD DU BASSIN LEVANTIN POUR DÉVELOPPER SON INFLUENCE INTERNATIONALE EN MÉDITERRANÉE
1. L'Égypte s'est récemment rapprochée de ses partenaires levantins pour développer son influence internationale en Méditerranée
La découverte en 2015 du gisement Zohr, premier gisement gazier de la mer du Levant avec 850 Md de m 3 de réserves prouvées, puis du gisement gazier Nour (283 Md de m 3 ) en juin 2018, ont placé l'Égypte au centre des conséquences géopolitiques induites par la présence d'importantes réserves d'hydrocarbures en Méditerranée orientale 155 ( * ) . Ces réserves représentent un avantage stratégique essentiel pour l'Égypte alors que la croissance de la demande mondiale de gaz est estimée à 50% durant les vingt prochaines années et que l'Égypte est le pays le plus peuplé du monde arabe avec 103 M d'habitants.
La présence sur la côte méditerranéenne de l'Égypte de deux usines de liquéfaction installées à Edkou et Damiette est également un avantage décisif pour les autorités égyptiennes qui ont pour objectif de faire de l'Égypte le principal carrefour stratégique ( hub ) pour l'énergie en Méditerranée orientale. Alors que la diversification des sources d'énergie est devenue une priorité des pays européens depuis le déclenchement de la guerre d'Ukraine le 24 février 2022, l'Égypte a noué depuis 2018 plusieurs partenariats régionaux dans le domaine de l'énergie.
Alors que l'Union européenne a adopté en avril 2018 un partenariat énergétique avec l'Égypte, Le Caire et Nicosie ont adopté un accord en septembre 2018 prévoyant la construction d'un gazoduc sous-marin de 645 km reliant les gisements chypriotes à l'usine de liquéfaction d'Edkou pour permettre des exportations vers le marché européen. L'Égypte accueille par ailleurs le siège du Forum du gaz en Méditerranée orientale (EMGF) créé en janvier 2019 et réunissant, outre l'Égypte, Chypre, la Grèce, Italie, Israël, la Jordanie et la Palestine, ainsi que la France qui a adhéré au forum en mars 2021.
Il est à relever qu'au-delà des retombées économiques liées à son repositionnement dans le secteur de l'énergie, ce Forum a également une dimension stratégique dès lors qu'il permet d'isoler la Turquie, rivale de l'Égypte dans le bassin levantin, et de consolider les bonnes relations que l'Égypte entretient avec la Grèce et Chypre d'une part, des manoeuvres aéronavales conjointes étant organisées depuis 2015, et avec Israël d'autre part, les armées égyptiennes et israéliennes ayant renforcé leur collaboration dans le Sinaï pour lutte contre les groupes djihadistes 156 ( * ) .
2. L'intervention indirecte de l'armée égyptienne en Libye et la diversification de ses alliances internationales témoignent de la volonté de l'Égypte d'exercer une influence stratégique en Méditerranée
Il est en premier lieu à relever que l'armée joue un rôle particulier dans l'appareil d'État égyptien depuis le coup de force de juillet 2013 du maréchal Abdel Fattah al-Sissi qui est demeuré depuis à la tête du pouvoir exécutif égyptien. Si les dépenses annuelles de défense de l'Égypte sont relativement limitées (4 Md$ soit 1,3% du PIB), elles sont complétées par l'aide militaire américaine qui atteint 1,3 Md$ par an. Par ailleurs, l'Égypte a consenti à des investissements capacitaires importants depuis 2014 notamment au bénéfice de l'industrie française 157 ( * ) qui a signé des contrats pour céder à l'Égypte 54 avions Rafale, quatre corvettes Gowind, une frégate multi-mission (FREMM), des missiles air-air Mica et de croisière Scalp ainsi que deux porte-hélicoptères de classe Mistral.
Dans le sillage de ce renforcement de l'armée égyptienne, la présence militaire de l'Égypte dans le bassin méditerranéen a été renforcée par l'implication indirecte des autorités égyptiennes dans le conflit civil libyen à partir de 2014. En effet, l'Égypte a soutenu à partir de mai 2014 l'Armée nationale libyenne (ANL) dirigée par K. Haftar en estimant qu'elle serait le partenaire le plus pertinent pour lutter contre les groupes djihadistes et sécuriser la frontière égypto-libyenne longue de 1 115 km. L'Égypte s'est investie indirectement dans le conflit en fournissant des armes et une formation aux militaires de l'ANL, en organisant des opérations des forces spéciales et des services de renseignement et en autorisant les Émirats arabes unis à utiliser sa base aérienne de Sidi Barrani pour effectuer des raids sur le sol libyen.
Si le soutien du Caire à K. Haftar a été contré par l'implication de la Turquie au gouvernement de Tripoli, l'Égypte a fait évoluer son implication en Libye depuis le retrait des troupes de l'ANL en juin 2020 et elle entend désormais poursuivre son objectif de lutte contre l'islam politique par d'autres moyens en exerçant un rôle de médiateur entre les parties en présence, à l'image des négociations organisées en octobre 2020 au Caire entre des membres de la Chambre des représentants basée à Tobrouk (est) et des membres du Haut Conseil d'État situé à Tripoli (ouest) 158 ( * ) .
Cette volonté d'exercer une influence à l'échelle régionale est également visible dans le rapprochement accéléré de l'Égypte et de la Chine depuis l'accession au pouvoir du maréchal A. F. al-Sissi. En effet, alors que les deux pays ont signé dès décembre 2014 un partenariat stratégique intégral, l'Égypte et la Chine ont approfondi leurs relations dans de nombreux secteurs notamment sur les plans politique, économique, sécuritaire et stratégique. Ce partenariat s'est notamment traduit sur le plan économique par la signature par l'Égypte en 2016 d'un protocole d'adhésion au projet des nouvelles routes de la soie (BRI), sur le plan sécuritaire par l'arrestation puis le rapatriement forcé par les autorités égyptiennes d'étudiants ouïgours se trouvant sur son territoire et sur le plan militaire par les premières manoeuvres conjointes des marines chinoises et égyptiennes en septembre 2015 à Alexandrie 159 ( * ) . Cette diversification par l'Égypte de son réseau d'alliance témoigne de sa volonté de consolider sa marge de manoeuvre pour poursuivre ses intérêts stratégiques en Méditerranée.
* 155 H. Mourad, été 2019, « Nouvelle dynamique régionale en Méditerranée orientale » in Revue Défense Nationale, n°822
* 156 R. Lombardi, été 2019, « L'Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » in Revue Défense Nationale, n°822.
* 157 H. Mourad, hiver 2015-2016, « France-Égypte : les raisons d'un réchauffement » in Confluences Méditerranée, n°96.
* 158 H. Mourad, automne 2021, « Égypte : affaiblir les islamistes en Libye » in Confluences Méditerranée, n°118.
* 159 E. Aoun, T. Kellner, été 2019, « Les relations sino-égyptiennes à l'ère Xi-al Sissi ou la cristallisation d'une forte convergence géopolitique » in Confluences Méditerranée, n°109.