Rapport d'information n° 899 (2021-2022) de Mmes Catherine DUMAS et Isabelle RAIMOND-PAVERO , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 27 septembre 2022
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L'ESSENTIEL
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INTRODUCTION
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PREMIÈRE PARTIE - LA
MÉDITERRANÉE EST UN ESPACE DE TENSIONS
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I. UN ESPACE STRATÉGIQUE
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II. UN ESPACE FRAGILE
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A. LA RIVE SUD DE LA MÉDITERRANÉE
EST EXPOSÉE À UN RISQUE DE RÉSURGENCE DU DJIHADISME
NOURRIT PAR LA DÉGRADATION DE LA SITUATION SÉCURITAIRE EN LIBYE
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B. LA DÉGRADATION DE LA CONJONCTURE
ÉCONOMIQUE APRÈS LA CRISE SANITAIRE FRAGILISE LA STABILITÉ
SOCIALE ET POLITIQUE DES PAYS D'AFRIQUE DU NORD
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1. Les difficultés d'approvisionnement
provoquées par la guerre en Ukraine aggravent une situation
économique encore perturbée par les conséquences de la
crise sanitaire
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2. La dégradation de la conjoncture fait
peser un risque d'instabilité politique sur les pays d'Afrique du Nord
du fait de la fragilité de leur situation socio-économique
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1. Les difficultés d'approvisionnement
provoquées par la guerre en Ukraine aggravent une situation
économique encore perturbée par les conséquences de la
crise sanitaire
-
C. LE BASSIN MÉDITERRANÉEN EST
EXPOSÉ À UN RISQUE ENVIRONNEMENTAL AIGU QUI POURRAIT AVOIR
À MOYEN TERME D'IMPORTANTES CONSÉQUENCES SUR LE PLAN
STRATÉGIQUE
-
1. La concentration des activités humaines
en Méditerranée expose particulièrement cet espace aux
effets du changement climatique
-
2. La dégradation
accélérée de l'environnement autour du bassin
méditerranéen aura des conséquences économiques et
sociales susceptibles de déstabiliser à moyen terme les pays
concernés
-
1. La concentration des activités humaines
en Méditerranée expose particulièrement cet espace aux
effets du changement climatique
-
A. LA RIVE SUD DE LA MÉDITERRANÉE
EST EXPOSÉE À UN RISQUE DE RÉSURGENCE DU DJIHADISME
NOURRIT PAR LA DÉGRADATION DE LA SITUATION SÉCURITAIRE EN LIBYE
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III. UN ESPACE DISPUTÉ
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A. LES LUTTES D'INFLUENCE QUI S'INTENSIFIENT
À LA PÉRIPHÉRIE DU BASSIN MÉDITERRANÉEN
CONSTITUENT UNE MODALITÉ D'AFFRONTEMENT INDIRECT ENTRE LES PUISSANCES
IMPLIQUÉES
-
1. La lenteur du processus d'adhésion
à l'Union européenne soumet les pays des Balkans à la
pression croissante de l'influence des puissances extérieures
-
a) La crédibilité de l'Union
européenne dans les Balkans occidentaux est affaiblie par l'absence de
perspective d'adhésion à moyen terme après un processus de
rapprochement de près de dix ans
-
b) Les puissances extérieures exercent une
influence croissante dans les Balkans occidentaux en s'appuyant sur une
coopération dans les domaines économique, diplomatique et
sécuritaire
-
a) La crédibilité de l'Union
européenne dans les Balkans occidentaux est affaiblie par l'absence de
perspective d'adhésion à moyen terme après un processus de
rapprochement de près de dix ans
-
2. L'internationalisation de la guerre civile en
Libye illustre le risque de « moyen-orientalisation » des
conflits en Méditerranée
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1. La lenteur du processus d'adhésion
à l'Union européenne soumet les pays des Balkans à la
pression croissante de l'influence des puissances extérieures
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B. LE RISQUE D'UN AFFRONTEMENT MILITAIRE DIRECT
DANS LE BASSIN MÉDITERRANÉEN EST RENFORCÉ PAR LA
DÉGRADATION DU CONTEXTE STRATÉGIQUE EN MÉDITERRANÉE
ORIENTALE
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1. La présence militaire turque à
Chypre contribue au maintien d'un risque d'affrontement armé en
Méditerranée orientale
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a) Plus de quarante-cinq ans après
l'intervention militaire de la Turquie, le règlement de la question
chypriote reste entravé par l'absence de perspective de solution
politique
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b) Le durcissement de la position de la Turquie
vis-à-vis de Chypre participe de la dégradation de
l'environnement stratégique en Méditerranée orientale
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a) Plus de quarante-cinq ans après
l'intervention militaire de la Turquie, le règlement de la question
chypriote reste entravé par l'absence de perspective de solution
politique
-
2. Les tensions accumulées autour de la
délimitation des espaces maritimes renforce le risque d'escalade
militaire en Méditerranée orientale
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1. La présence militaire turque à
Chypre contribue au maintien d'un risque d'affrontement armé en
Méditerranée orientale
-
A. LES LUTTES D'INFLUENCE QUI S'INTENSIFIENT
À LA PÉRIPHÉRIE DU BASSIN MÉDITERRANÉEN
CONSTITUENT UNE MODALITÉ D'AFFRONTEMENT INDIRECT ENTRE LES PUISSANCES
IMPLIQUÉES
-
I. UN ESPACE STRATÉGIQUE
-
DEUXIÈME PARTIE - LA MILITARISATION DES
RELATIONS INTERNATIONALES EN MÉDITERRANÉE
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I. LE RISQUE DE RECUL DE L'INFLUENCE OCCIDENTALE
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A. LES PAYS MÉDITERRANÉENS DE
L'UNION EUROPÉENNE CONVERGENT POUR ÉTABLIR UNE NOUVELLE
STRATÉGIE COMMUNE EN MÉDITERRANÉE EN RÉPONSE
À L'ÉCHEC DE L'OBJECTIF D'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE DU
PROCESSUS DE BARCELONE
-
1. La portée limitée des initiatives
européennes successives pour stabiliser la région et engager une
intégration économique entre les deux rives de la
Méditerranée a porté atteinte à la
crédibilité de l'Union européenne dans cette zone
-
2. La France converge avec ses partenaires
méditerranéens de l'Union européenne pour établir
une nouvelle stratégie commune en Méditerranée
-
a) L'Espagne est un allié solide de la
France en Méditerranée occidentale
-
b) Le renforcement récent des relations
bilatérales entre la France et l'Italie constitue un levier de
consolidation de leur stratégie commune en Méditerranée
centrale
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c) La France constitue le premier allié de
la Grèce et de Chypre face aux risques de tension en
Méditerranée orientale
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a) L'Espagne est un allié solide de la
France en Méditerranée occidentale
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1. La portée limitée des initiatives
européennes successives pour stabiliser la région et engager une
intégration économique entre les deux rives de la
Méditerranée a porté atteinte à la
crédibilité de l'Union européenne dans cette zone
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B. LA PRÉSENCE MILITAIRE AMÉRICAINE
CONSTITUE UN INSTRUMENT DE SÉCURISATION DES INTÉRÊTS
OCCIDENTAUX EN MÉDITERRANÉE ET LE DÉSENGAGEMENT RELATIF
DES ÉTATS-UNIS POURRAIT ACCÉLÉRER LA
DÉSTABILISATION DE LA ZONE
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1. Depuis la guerre froide, les États-Unis
déploient d'importantes capacités militaires en
Méditerranée pour y sécuriser leurs intérêts
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2. Le « pivot asiatique » de
la diplomatie américaine et son retrait dans le conflit syrien
pourraient se traduire par un désengagement relatif des
États-Unis en Méditerranée
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1. Depuis la guerre froide, les États-Unis
déploient d'importantes capacités militaires en
Méditerranée pour y sécuriser leurs intérêts
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A. LES PAYS MÉDITERRANÉENS DE
L'UNION EUROPÉENNE CONVERGENT POUR ÉTABLIR UNE NOUVELLE
STRATÉGIE COMMUNE EN MÉDITERRANÉE EN RÉPONSE
À L'ÉCHEC DE L'OBJECTIF D'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE DU
PROCESSUS DE BARCELONE
-
II. LE RÉINVESTISSEMENT DES PUISSANCES
GLOBALES
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A. LA RUSSIE S'APPUIE DEPUIS PLUSIEURS
ANNÉES SUR UN RENFORCEMENT DE SA PRÉSENCE MILITAIRE ET SUR UN
RENOUVELLEMENT DE SES INSTRUMENTS D'INFLUENCE POUR ACQUÉRIR UNE POSITION
CENTRALE EN MÉDITERRANÉE
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1. Depuis 2015, les interventions militaires
directes et indirectes de la Russie autour du bassin
méditerranéen ont consolidé la présence des forces
armées russes en Méditerranée
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2. Le dynamisme de la diplomatie russe autour de
la Méditerranée a renforcé sa capacité d'influence
dans l'ensemble du bassin méditerranéen dans la période
récente
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1. Depuis 2015, les interventions militaires
directes et indirectes de la Russie autour du bassin
méditerranéen ont consolidé la présence des forces
armées russes en Méditerranée
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B. LES INVESTISSEMENTS ÉCONOMIQUES DE LA
CHINE AUTOUR DU BASSIN MÉDITERRANÉEN LUI ONT PERMIS DE RENFORCER
SA POSITION STRATÉGIQUE EN MÉDITERRANÉE
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1. La Chine a renforcé sa présence
économique en Méditerranée au cours des dernières
années en investissant notamment dans des infrastructures maritimes
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2. Le renforcement de la présence
économique chinoise en Méditerranée sert de point d'appui
à la Chine pour consolider sa capacité d'influence
stratégique autour du bassin méditerranéen
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1. La Chine a renforcé sa présence
économique en Méditerranée au cours des dernières
années en investissant notamment dans des infrastructures maritimes
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A. LA RUSSIE S'APPUIE DEPUIS PLUSIEURS
ANNÉES SUR UN RENFORCEMENT DE SA PRÉSENCE MILITAIRE ET SUR UN
RENOUVELLEMENT DE SES INSTRUMENTS D'INFLUENCE POUR ACQUÉRIR UNE POSITION
CENTRALE EN MÉDITERRANÉE
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III. LA RÉAFFIRMATION DES ACTEURS
RÉGIONAUX
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A. LA VOLONTÉ DE LA TURQUIE D'AFFIRMER SON
STATUT DE PUISSANCE RÉGIONALE SE TRADUIT PAR SON IMPLICATION
DIPLOMATIQUE CROISSANTE EN MÉDITERRANÉE ET PAR LE RENFORCEMENT DE
SES MOYENS MILITAIRES
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1. L'émancipation relative de la Turquie
vis-à-vis de ses partenaires de l'Alliance atlantique et le dynamisme de
sa diplomatie dans son voisinage ont renforcé la capacité
d'influence de la Turquie dans le bassin méditerranéen
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2. Les interventions militaires turques autour de
la Méditerranée et le renforcement de son industrie d'armement
ont consolidé la stratégie régionale assertive de la
Turquie
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1. L'émancipation relative de la Turquie
vis-à-vis de ses partenaires de l'Alliance atlantique et le dynamisme de
sa diplomatie dans son voisinage ont renforcé la capacité
d'influence de la Turquie dans le bassin méditerranéen
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B. L'ÉGYPTE S'APPUIE SUR SA POSITION
STRATÉGIQUE AU SUD DU BASSIN LEVANTIN POUR DÉVELOPPER SON
INFLUENCE INTERNATIONALE EN MÉDITERRANÉE
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1. L'Égypte s'est récemment
rapprochée de ses partenaires levantins pour développer son
influence internationale en Méditerranée
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2. L'intervention indirecte de l'armée
égyptienne en Libye et la diversification de ses alliances
internationales témoignent de la volonté de l'Égypte
d'exercer une influence stratégique en Méditerranée
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1. L'Égypte s'est récemment
rapprochée de ses partenaires levantins pour développer son
influence internationale en Méditerranée
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C. L'ALGÉRIE REVENDIQUE UN RÔLE
D'ACTEUR RÉGIONAL EN MÉDITERRANÉE EN S'APPUYANT SUR LA
DIVERSIFICATION DE SES ALLIANCES STRATÉGIQUES
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1. Le rapprochement de l'Algérie avec la
Chine est un contrepoids à l'alliance traditionnelle entre
l'Algérie et la Russie sur le plan capacitaire
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2. La volonté de l'Algérie de jouer
un rôle stabilisateur dans son environnement régional est
obérée par la dégradation persistante de ses relations
avec le Maroc
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1. Le rapprochement de l'Algérie avec la
Chine est un contrepoids à l'alliance traditionnelle entre
l'Algérie et la Russie sur le plan capacitaire
-
A. LA VOLONTÉ DE LA TURQUIE D'AFFIRMER SON
STATUT DE PUISSANCE RÉGIONALE SE TRADUIT PAR SON IMPLICATION
DIPLOMATIQUE CROISSANTE EN MÉDITERRANÉE ET PAR LE RENFORCEMENT DE
SES MOYENS MILITAIRES
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I. LE RISQUE DE RECUL DE L'INFLUENCE OCCIDENTALE
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TROISIÈME PARTIE - RECOMMANDATIONS
À L'ÉCHELLE DE LA FRANCE, DE L'UNION EUROPÉENNE ET DE
L'ALLIANCE ATLANTIQUE
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I. RENFORCER LA RÉSILIENCE DE LA FRANCE EN
CAS DE CONFLIT EN MÉDITERRANÉE
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A. LA FRANCE EST UNE PUISSANCE NAVALE DANS LE
BASSIN MÉDITERRANÉEN OÙ ELLE DÉFEND SES
INTÉRÊTS STRATÉGIQUES
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1. La stabilité de l'espace
méditerranéen est un enjeu stratégique pour la France sur
les plans économique, diplomatique et militaire
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2. La défense de la façade
méditerranéenne du territoire national repose sur la mobilisation
des forces armées qui disposent de plusieurs points d'appui pour se
projeter en Méditerranée
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1. La stabilité de l'espace
méditerranéen est un enjeu stratégique pour la France sur
les plans économique, diplomatique et militaire
-
B. LA FRANCE PEUT RENFORCER SES MÉCANISMES
D'ANTICIPATION CIVILS ET MILITAIRES POUR ÊTRE PRÊTE À FAIRE
FACE À TOUTE ÉVENTUALITÉ EN MÉDITERRANÉE
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A. LA FRANCE EST UNE PUISSANCE NAVALE DANS LE
BASSIN MÉDITERRANÉEN OÙ ELLE DÉFEND SES
INTÉRÊTS STRATÉGIQUES
-
II. MODERNISER LA STRATÉGIE DE L'UNION
EUROPÉENNE DANS LE BASSIN MÉDITERRANÉEN
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A. L'INFLUENCE DE L'UNION EUROPÉENNE EN
MÉDITERRANÉE EST LIMITÉE PAR SON APPROCHE ESSENTIELLEMENT
ÉCONOMIQUE DU BASSIN MÉDITERRANÉEN
-
B. L'UNION EUROPÉENNE DOIT RÉAGIR
AVEC FERMETÉ ET AVEC SOLIDARITÉ FACE AUX TENTATIVES DE
DÉSTABILISATION EN MÉDITERRANÉE ORIENTALE, RENFORCER SES
INSTRUMENTS DE LUTTE CONTRE LA DÉSINFORMATION ET MAINTENIR SA
PRÉSENCE MILITAIRE EN MÉDITERRANÉE CENTRALE
-
A. L'INFLUENCE DE L'UNION EUROPÉENNE EN
MÉDITERRANÉE EST LIMITÉE PAR SON APPROCHE ESSENTIELLEMENT
ÉCONOMIQUE DU BASSIN MÉDITERRANÉEN
-
III. RATIONALISER LA COOPÉRATION ENTRE
L'ALLIANCE ATLANTIQUE ET L'UNION EUROPÉENNE EN
MÉDITERRANÉE
-
I. RENFORCER LA RÉSILIENCE DE LA FRANCE EN
CAS DE CONFLIT EN MÉDITERRANÉE
-
CONCLUSION
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EXAMEN EN COMMISSION
N° 899
SÉNAT
2021-2022
Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 septembre 2022
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur la France face au jeu des puissances en Méditerranée ,
Par Mmes Catherine DUMAS et Isabelle RAIMOND-PAVERO,
Sénatrice et Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon , président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Olivier Cigolotti, André Gattolin, Guillaume Gontard, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Philippe Paul, Cédric Perrin, Gilbert Roger, Jean-Marc Todeschini , vice-présidents ; Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, Isabelle Raimond-Pavero, M. Hugues Saury , secrétaires ; MM. François Bonneau, Gilbert Bouchet, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Pierre Charon, Édouard Courtial, Yves Détraigne, Mmes Catherine Dumas, Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Bernard Fournier, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Jean-Pierre Grand, Mme Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Ludovic Haye, Alain Houpert, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Jean-Louis Lagourgue, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Panunzi, François Patriat, Gérard Poadja, Stéphane Ravier, Bruno Sido, Rachid Temal, Mickaël Vallet, André Vallini, Yannick Vaugrenard .
L'ESSENTIEL
Le déclenchement de la guerre en Ukraine le 24 février 2022 a contribué à la dégradation de l'environnement stratégique en Méditerranée. L'application de sanctions économiques contre la Russie n'a fait l'objet d'un consensus qu'entre les pays de la rive nord du bassin méditerranéen. La Turquie, malgré son refus d'appliquer ces sanctions, a consolidé sa place dans l'Alliance atlantique en jouant un rôle de médiateur dans la conclusion en juillet 2022 d'un accord russo-ukrainien pour permettre l'exportation de céréales ukrainiennes.
Espace critique situé à l'interface entre trois continents, la Méditerranée est soumise à des tensions croissantes. Le réarmement soutenu de la majorité des pays du pourtour méditerranéen, qui coïncide avec le déploiement de stratégies hybrides mises au service d'un révisionnisme remettant en cause les frontières terrestres et maritimes en Méditerranée orientale, nourrit un phénomène de militarisation des relations internationales. Cela expose cette région à un risque préoccupant d'escalade militaire.
Pour assurer la stabilité de cet espace essentiel situé dans son voisinage immédiat, la France a un rôle à jouer aux côtés de l'Union européenne et de l'Alliance atlantique pour renforcer sa résilience et décourager les remises en cause du droit international.
I. LA MÉDITERRANÉE EST UN ESPACE DE TENSIONS
A. UN ESPACE STRATÉGIQUE
1. Les flux de marchandises et d'énergie
La stabilité du bassin méditerranéen est essentielle au regard de son importance dans le transport maritime international , sur lequel la mondialisation des échanges commerciaux repose depuis les années 1950. Avec 25 M d'équivalents vingt pieds (EVP) de marchandises par an, la Méditerranée est une des voies maritimes les plus structurantes du commerce international . Le canal de Suez concentre le passage de plus de 18 000 navires par an .
La situation stratégique de la Méditerranée en fait également une voie majeure d'approvisionnement énergétique pour les pays européens , dont l'importance pourrait croître dans le cadre de leur stratégie de diversification de leurs fournisseurs d'énergie suite au déclenchement de la guerre en Ukraine.
2. Les flux d'information
Du fait de sa compacité et de la croissance rapide des échanges d'information entre l'Europe et l'Asie, la Méditerranée concentre un réseau très dense de câbles sous-marins de communication qui véhiculent, à l'échelle mondiale, 98% des flux internationaux de données .
Si la présence de câbles sous-marins de communication en Méditerranée constitue un atout économique pour les armateurs français spécialisés dans la pose et l'entretien de ces câbles, elle constitue également une vulnérabilité en cas d'attaque contre cette infrastructure. L'endommagement du câble « Sea-Me-We 4 » au large de l'Algérie en 2015 avait eu des répercussions sur la qualité de son réseau de communication. Alors que 20% des problèmes recensés sur les câbles sous-marins sont d'origine inconnue , le risque d'attaque hybride dirigée contre cette infrastructure critique justifie d'apporter à leur surveillance une attention particulière, spécifiquement en Méditerranée où le maillage des câbles est très dense.
3. Les flux humains
La façade méditerranéenne constitue le principal point de passage pour les franchissements irréguliers de frontières de l'Union européenne . Ces migrations irrégulières, qui ont connu une hausse annuelle de plus de 50% et qui s'établissent à 200 000 unités en 2021 , empruntent la voie maritime à hauteur de 56%.
En dépit de l'investissement renforcé de l'agence Frontex qui mène actuellement quatre opérations en Méditerranée, l'Union européenne reste exposée à un risque d'instrumentalisation des migrations à des fins politiques en Méditerranée , à l'image de l'épisode de tension observé au mois de février 2020 durant lequel les autorités turques avait laissé 15 000 migrants s'acheminer vers les frontières de l'Union européenne .
Parallèlement, le développement de nouvelles routes irrégulières aux marges de l'espace méditerranéen, à l'image de la route terrestre de Chypre, appelle une réponse solidaire et déterminée de l'ensemble des pays de l'Union pour lutter contre les réseaux criminels de trafics de migrants.
des flux du commerce mondial transitent par la Méditerranée |
des franchissements irréguliers de frontières dans l'Union européenne se font par voie maritime |
des flux de données internationaux transitent par des câbles sous-marins |
B. UN ESPACE FRAGILE
1. Le risque sécuritaire
Depuis la fin de l'intervention de l'OTAN Unified Protector en octobre 2011, la Libye a connu plus d'une décennie de déstabilisation profonde sur le plan sécuritaire sans qu'une solution politique durable et concertée ne semble en mesure d'être mise en oeuvre à moyen terme pour répondre à l'état de faillite de l'État libyen. Le report de l'élection présidentielle prévue en décembre 2021 et la fragilité du cessez-le-feu conclu en octobre 2020 nourrissent une perspective d'instabilité durable pour les 1,7 M de km 2 du territoire libyen. La faillite des autorités publiques y engendre des risques majeurs sur les plans humanitaire et sécuritaire . Le territoire libyen est devenu une plaque tournante du djihadisme où le nombre d'armes en circulation est trois fois supérieur au nombre d'habitants.
En matière de sécurité, le bassin méditerranéen est également fragilisé par la persistance d'un risque djihadiste présent non seulement dans les pays de la rive nord du bassin, en lien notamment avec la question des retours des familles des terroristes partis au Levant, mais également dans les pays de la rive sud de la Méditerranée qui constitue l'un des nouveaux fronts du djihad international.
2. Le risque socio-économique
Depuis le déclenchement en 2011 des révoltes sociales du « printemps arabe », plusieurs pays d'Afrique du Nord ont connu une décennie de stagnation voire de régression économique à l'image de la Tunisie dont le produit intérieur brut (PIB) est passé de 48Md$ à 47Md$ entre 2011 et 2021.
Cette stagnation économique, qui s'explique par plusieurs facteurs liés à la difficulté de ces pays à faire évoluer leur modèle de croissance, se traduit par la persistance d'un niveau élevé de chômage. Il est supérieur à 9% dans tous les pays d'Afrique du Nord et atteint 17% en Tunisie.
Le déclenchement de la pandémie de covid-19 pendant l'année 2020 a eu pour conséquence de fragiliser encore les sociétés des pays de la rive sud de la Méditerranée où les mécanismes de socialisation des dépenses de santé sont aléatoires.
Les conséquences de la guerre en Ukraine, qui pourraient être majeures dans ces pays dépendant largement des exportations de céréales ukrainiennes, sont un nouveau facteur de déstabilisation du pourtour méditerranéen sur le plan économique et social.
3. Le risque environnemental
La Méditerranée, qui ne représente que 1% des eaux de la planète, constitue toutefois un important réservoir de biodiversité , mis en danger par la dégradation accélérée de l'environnement :
- la dégradation du milieu marin en Méditerranée est liée à plusieurs facteurs dont l'intensification du trafic maritime et du tourisme dans la région depuis les années 1970 ;
- le flux annuel de touristes est passé de 58 M de personnes en 1970 à 360 M en 2017 ;
- la pêche : le stock halieutique en Méditerranée considéré comme surexploité pour 78% des espèces présentes dans la zone.
À moyen terme, la poursuite de la trajectoire actuelle pourrait avoir d'importantes conséquences géostratégiques liées à l'augmentation des flux migratoires ou à la préservation de la sécurité alimentaire des pays de la zone.
II. UN ESPACE DISPUTÉ
1. La lutte d'influence dans les Balkans occidentaux
Depuis le sommet de Thessalonique de juin 2003 , les États membres de l'Union européenne ont consacré la « perspective européenne » de l'ensemble des pays des Balkans occidentaux . Toutefois, malgré l'intégration de la Croatie à l'Union en 2013 et l'ouverture récente des négociations d'adhésion avec l'Albanie et la Macédoine du Nord en juillet 2022, la lenteur du processus d'adhésion à l'Union européenne a généré des frustrations dans cet espace stratégique situé aux confins de l'Europe centrale et qui borde le nord du bassin méditerranéen.
Ce recul de l'influence européenne dans la région est accentué par la présence croissante dans les Balkans de puissances extérieures :
- la Russie , qui s'appuie sur sa proximité diplomatique et culturelle avec la Serbie ;
- la Chine , qui a investi 14,6 Md$ dans les Balkans occidentaux entre 2015 et 2019 dans le cadre du programme des nouvelles routes de la soie (BRI) ;
- et la Turquie , qui finance des actions culturelles pour restaurer le patrimoine ottoman de la région.
2. Les risques d'affrontements directs en Méditerranée orientale
Source : FMES, 2022, Atlas stratégique de la Méditerranée et du Moyen-Orient, (c) P. Orcier
Les règles de territorialisation des espaces maritimes prévues par le droit international s'appliquent plus difficilement en Méditerranée , du fait de son exiguïté. Par conséquent, il existe dans l'espace méditerranéen des « zones grises » revendiquées simultanément par plusieurs États.
Deux éléments sont venus renforcer les tensions liées aux revendications concurrentes en Méditerranée :
- l'adoption par les autorités turques de la doctrine révisionniste de la « Patrie bleue » revendiquant un espace maritime de 462 000 km 2 en contradiction avec les droits souverains revendiqués par la Grèce et Chypre. Cette politique a conduit par exemple à la signature en 2019 d'un accord entre la Turquie et la Libye sur leur frontière internationale communes, dénoncé par l'Union européenne comme contraire au droit international ;
- les découvertes à partir des années 2000 d'importantes réserves d'hydrocarbures au large des côtes israéliennes, chypriotes et égyptiennes représentant un stock estimé à 1,7 Md de barils de pétrole et 3 452 Md de m 3 de gaz naturel au total.
C'est dans ce contexte qu'on assiste à une multiplication des incidents en Méditerranée orientale , illustrée notamment par l'interception en 2018 par des navires militaires turcs d'un navire d'exploitation d'hydrocarbure ( Saipem 12000 ) se rendant dans sa zone de travail au large de Chypre ou par l'illumination à l'été 2020 de la frégate française Courbet par des navires turcs. Ces incidents maritimes, auxquels s'ajoutent des épisodes récents de violation de l'espace aérien grec par la Turquie et des déclarations menaçantes du président turc contre la Grèce pendant l'été 2022 , contribuent à maintenir une situation d'instabilité en Méditerranée orientale et à nourrir le risque d'une escalade militaire .
La présence dans le bassin levantin de l'île de Chypre , dont un tiers du territoire est occupé depuis près de cinquante ans, est un autre motif de renforcement des tensions dans cette région. L'emprise croissante de la Turquie sur la partie nord de l'île où sont stationnés 35 000 militaires auxquels s'ajoutent les drones Bayraktar TB2 récemment déployés sur la base aérienne de Geçitkale, accroît la tension.
III. Source : État-major de la Marine (EMM), 2022
LA MILITARISATION DES RELATIONS INTERNATIONALES EN MÉDITERRANÉE
A. LE RISQUE DE RECUL DE L'INFLUENCE OCCIDENTALE
1. Les pays du sud de l'Union européenne
Depuis le milieu des années 1990 et le lancement du « processus de Barcelone » (1995) , la stratégie de l'Union européenne en Méditerranée a une dimension essentiellement économique ayant pour but de favoriser l'intégration régionale entre les économies et les sociétés des deux rives de la Méditerranée. Cependant, l'échec relatif de l'Union pour la Méditerranée (UpM) qui s'est ajoutée à partir de 2008 au Partenariat euro-méditerranéen (PEM), a nourri un sentiment d'éloignement entre les deux rives de la Méditerranée renforcé par la perspective de divergence économique et sociale accélérée par les épisodes de la crise économique et financière en 2008, puis par la crise sanitaire de 2020-2021.
Pour consolider la stratégie de l'Union européenne dans le bassin méditerranéen, la France peut s'appuyer sur ses relations diplomatiques étroites avec plusieurs partenaires méditerranéens membres de l'Union. L'Espagne , qui a renforcé sa coopération avec la France en matière de défense en s'engageant dans plusieurs projets capacitaires en commun (notamment l'Eurodone MALE et le SCAF), souffre d'un déficit d'investissement dans ses forces armées , leur budget de défense n'atteignant en 2022 que 1% de leur PIB). L'Italie , avec laquelle la France a renforcé ses liens bilatéraux par la signature du traité du Quirinal le 26 novembre 2021 qui comporte un important volet dédié aux questions stratégiques, souffre également d'un manque d'investissement capacitaire avec des dépenses de défense estimées à 1,5% de son PIB en 2022. La Grèce , enfin, est devenue un partenaire majeur de la France dans la région comme en témoigne la signature en septembre 2021 d'un partenariat stratégique entre les deux pays. Malgré la crise économique et financière des années 2010, la Grèce a maintenu d'importants investissements militaires avec des dépenses à hauteur de 3,8% de son PIB en 2022 , qui bénéficient notamment aux industriels français au premier rang desquels Dassault Aviation (vente de 24 Rafale entre 2018 et 2022) et Naval Group (vente de trois frégates Belharra en 2022). Certes, la part du PIB consacrée à la défense en Grèce, plus importante, est à rapporter à un PIB nettement inférieur à celui de l'Espagne ou de l'Italie.
2. Les États-Unis
La Méditerranée n'est plus le « lac de l'OTAN » qu'elle était du temps de la Guerre froide. Pour autant, l'armée américaine maintient une présence importante dans la région à travers la VI e flotte et le déploiement de nombreux militaires aussi bien au nord (Italie, Espagne, Grèce) qu'à l'est (Turquie) et au sud du bassin méditerranéen.
Cependant, la présence américaine en Méditerranée n'a plus le même effet stabilisateur . En effet, la réticence croissante de l'opinion américaine vis-à-vis des opérations extérieures dont témoigne le refus des États-Unis d'intervenir en Syrie à l'été 2013, ainsi que le déplacement des priorités américaines vers la région Indopacifique se traduisent par un désinvestissement relatif des États-Unis en Méditerranée. Cette évolution pèse sur les équilibres régionaux à moyen terme.
B. LE RÉINVESTISSEMENT DES PUISSANCES GLOBALES
1. La Russie
La Méditerranée revêt une importance particulière pour la diplomatie russe ; l'accès aux mers chaudes constitue pour la Russie un objectif stratégique traditionnel. Elle déploie à ce titre d'importants moyens militaires dans le bassin méditerranéen : 13 000 militaires, 40 chasseurs-bombardiers, 4 frégates, deux sous-marins et plusieurs systèmes de missiles antiaériens et antinavires (à l'été 2022).
Le renforcement de la présence militaire russe en Méditerranée est intervenu pendant la guerre en Syrie , dans laquelle la Russie a été directement impliquée à partir de 2015. Sa coopération avec le régime de B. Al Assad lui a permis de consolider sa présence militaire à l'est du bassin levantin en agrandissant la base aérienne russe de Hmeimim et en signant en 2017 un accord prévoyant le maintien pendant au moins 49 ans de sa base navale de Tartous, qui peut accueillir jusqu'à onze navires de guerre.
Sur le plan diplomatique, la Russie a renforcé ses liens avec la Turquie, qui représente un enjeu majeur du fait du contrôle turc des détroits séparant la mer Noire de la Méditerranée. Sur le plan militaire, la coopération russo-turque s'est traduite par l'acquisition en 2019 de systèmes de défense antiaériens S-400 par la Turquie, malgré l'opposition américaine. Sur le plan civil, les deux pays ont renforcé leur coopération dans le domaine énergétique avec l'inauguration en 2020 du gazoduc TurkStream reliant les deux pays et avec la construction de la première centrale nucléaire civile turque à Akkuyu par l'énergéticien russe Rosatom à partir de 2018.
2. La Chine
La présence chinoise en Méditerranée est encore essentiellement économique , bien que la sécurisation de cette route commerciale soit déjà devenu un enjeu majeur pour la Chine au regard de l'importance du commerce maritime qui représente 80% de ses échanges avec l'Europe .
Pour renforcer sa présence dans les infrastructures portuaires du pourtour méditerranéen, la Chine a massivement investi depuis les années 2000. Le groupe chinois COSCO possède désormais des intérêts dans neuf terminaux portuaires méditerranéens situés en Égypte (Port-Saïd, Damiette), en France (Fos-Marseille), en Turquie (Ambarli), en Grèce (Le Pirée), en Italie (Vado Ligure) et en Espagne (Valence).
Sur le plan militaire, la marine chinoise a réalisé en 2015 son premier exercice militaire en Méditerranée à travers la participation de deux frégates et d'un pétrolier-ravitailleur à l'exercice Joint Sea organisé conjointement avec la marine russe. Si la flotte chinoise ne dispose pas à ce stade d'une base militaire en Méditerranée, le précédent de Djibouti laisse supposer que l'ouverture d'une telle base pourrait intervenir à moyen terme , d'autant que de nombreux ports méditerranéens accueillant des investissements chinois pourraient être convertis en base duales.
C. LA RÉAFFIRMATION DES ACTEURS RÉGIONAUX
1. La Turquie
Depuis son intégration à l'OTAN en 1952 , la Turquie se présente comme un État-pivot entre l'Occident et le Moyen-Orient . L'arrivée au pouvoir du parti de la justice et du développement (AKP) en 2002, s'est traduite par un renforcement de la présence de la diplomatie turque sur la scène internationale et une émancipation progressive de ses partenaires de l'Alliance atlantique à l'image de son rapprochement avec la Russie, qui est également lié au fait que la Turquie est dépendante aux importations d'hydrocarbures qui représentent 90% de sa consommation .
Cette affirmation progressive sur la scène régionale en Méditerranée a été illustrée par l'implication militaire de la Turquie dans le conflit en Syrie à travers trois opérations menées entre 2016 et 2019, en se concentrant sur la frontière turco-syrienne. Plus récemment, la Turquie est intervenue militairement en Libye par l'envoi de 2 000 mercenaires syriens engagés en soutien du Gouvernement d'accord national (GNA) en 2020 et par le soutien actif aux troupes azerbaïdjanaises dans le cadre de la guerre du Haut-Karabagh qui les a opposé à l'armée arménienne entre septembre et novembre 2020.
Cette militarisation de la politique étrangère turque , observée également par sa position offensive en Méditerranée orientale, est accompagnée depuis les années 2000 par une stratégie efficace de développement d'une base industrielle et technologique de défense (BITD) au service de l'autonomie stratégique des forces armées turques, la proportion d'équipements turcs utilisés par l'armée turque étant passé de 24% à 70% entre 2002 et 2021 . Au-delà du développement de son industrie navale, l'industrie de défense turque s'est notamment développée dans le domaine aérien en bénéficiant du succès remarquable du drone tactique armé TB2 de l'entreprise Bayraktar conçu en 2014 et exporté depuis dans treize pays dont l'Azerbaïdjan, le Qatar, l'Ukraine et le Maroc .
2. L'Égypte
La découverte au large des côtes égyptiennes des gisements Zohr et Nour respectivement en 2015 et 2018 a renforcé le positionnement stratégique de l'Égypte comme carrefour stratégique ( hub ) énergétique en Méditerranée orientale . L'accueil par l'Égypte du siège du Forum du gaz en Méditerranée orientale (EMGF) crée en 2019 avec Chypre, la Grèce, l'Italie, Israël, la Jordanie et la Palestine, ainsi que la France depuis 2021, illustre la volonté de la diplomatie égyptienne de maintenir ses bonnes relations avec ses partenaires européens dans le bassin levantin et avec Israël avec qui elle collabore pour lutter contre le djihadisme dans le Sinaï.
Sur le plan militaire, la volonté affichée des autorités égyptiennes de lutter contre l'islam politique a motivé l'implication indirecte de l'Égypte dans le conflit libyen au soutien de K. Haftar entre 2014 et 2020, avant de concentrer son action sur la sécurisation de la frontière égypto-libyenne longue de plus de 1 115 km.
3. L'Algérie
L'Algérie s'appuie sur la stabilisation de sa situation intérieure depuis la fin de la décennie noire (1992-2002) pour revendiquer un rôle de puissance régionale en Méditerranée en s'appuyant sur une stratégie de diversification de ses alliances.
Parallèlement à son partenariat stratégique avec l'Union soviétique puis la Russie , qui a fourni depuis les années 1980 à l'armée algérienne six sous-marins de classe « Kilo » désormais équipés de missiles de croisière naval « Kalibr » d'une portée de 1 000 km au moins, l'Algérie a établi dans la période récente une relation privilégiée avec la Chine. La Chine a remplacé depuis 2012 la France au premier rang des partenaires commerciaux de l'Algérie et elle a investi dans de nombreux projets d'infrastructure (nouvel aéroport d'Alger, la grande mosquée d'Alger, le port en eau profonde d'El Hamdania) . Sur le plan stratégique, la Chine est désormais le deuxième fournisseur des forces armées algériennes, alors que le budget de la défense représente en Algérie, avec 6,5% du PIB, le premier budget de l'État . La dégradation des relations avec le Maroc depuis l'été 2021 autour de la question du Sahara occidental et le risque d'une escalade militaire entre les deux pays remet néanmoins en question la stabilisation par l'Algérie de son environnement régional.
IV. RECOMMANDATIONS À L'ÉCHELLE DE LA FRANCE, DE L'UNION EUROPÉENNE ET DE L'ALLIANCE ATLANTIQUE
A. RENFORCER LA RÉSILIENCE DE LA FRANCE EN CAS DE CONFLIT EN MÉDITERRANÉE
La façade méditerranéenne du territoire national , longue de 1 700 kilomètres, a un caractère essentiel pour la défense des intérêts de la France sur le plan économique et stratégique.
Sur le plan diplomatique, l'adoption récente de la « déclaration d'Alger » entre la France et l'Algérie le 27 août dernier, qui prévoit notamment un renforcement des relations bilatérales entre les deux pays en matière énergétique, illustre l'importance de la dimension méditerranéenne de la diplomatie française . Sur le plan militaire, le bassin méditerranéen est le théâtre de nombreux exercices organisés conjointement avec nos principaux partenaires de la rive nord comme de la rive sud de la Méditerranée. Le déploiement en Méditerranée du groupe aéronaval (GAN) du Charles de Gaulle au premier semestre 2022 a été une nouvelle illustration de l'importance de l'espace méditerranéen pour la Marine nationale qui y déploie en permanence plusieurs bâtiments qui y assurent notre capacité d'appréciation autonome de la situation . L'exercice de préparation à la haute intensité Polaris , en novembre 2021, exprime également la place particulière de la Méditerranée dans la stratégie française.
Dans un contexte où d'une part la commission avait déjà identifié en juin 2021 plusieurs renoncements capacitaires par rapport à la programmation actuelle et d'autre part la Marine nationale est mobilisée simultanément sur plusieurs autres théâtres de première importance dont la région du Golfe de Guinée et l'espace Indopacifique, les rapporteures recommandent de s'appuyer sur la prochaine loi de programmation militaire (LPM) annoncée en 2023 pour poursuivre la trajectoire de réarmement des forces armées en tenant compte du contexte dégradé en Méditerranée .
B. MODERNISER LA STRATÉGIE DE L'UNION EUROPÉENNE DANS LE BASSIN MÉDITERRANÉEN
L'Union européenne , dont huit États membres ont accès à la Méditerranée, est une organisation à dimension méditerranéenne . Sa stratégie en direction des pays de la rive sud est notamment influencée par ses membres méditerranéens qui se réunissent dans le format informel « MED9 ». Pour autant, les politiques de l'Union vis-à-vis de son voisinage méridional continuent d'avoir un caractère essentiellement économique. Elles tiennent insuffisamment compte de la dégradation de l'environnement stratégique dans cette région.
En particulier, la crise sanitaire de 2020 puis le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022 ont illustré l'intensité des stratégies hybrides de manipulation de l'information mises en oeuvre dans l'espace méditerranéen par des puissances hostiles à la présence européenne, notamment dans les Balkans et en Afrique du Nord .
En réaction, les rapporteures recommandent d'accélérer le déploiement des instruments de lutte contre la désinformation prévue par la Boussole stratégique pour apporter une réponse rapide et déterminée à ces tentatives de déstabilisation et éviter que l'Union européenne ne perde « la bataille des récits » ( narratives ) en Méditerranée .
C. RATIONALISER LA COOPÉRATION ENTRE L'ALLIANCE ATLANTIQUE ET L'UNION EUROPÉENNE EN MÉDITERRANÉE
Le bassin méditerranéen constitue le flanc sud de l'Alliance atlantique, qui est présente en Méditerranée depuis la Guerre froide sans que la disparition de l'Union soviétique au début des années 1990 n'ait remis en cause cette présence.
Pourtant, alors que l'adoption de la Boussole stratégique de l'Union en mars 2022 puis du Concept stratégique de l'OTAN en juin 2022 témoigne d'une convergence d'analyse entre les deux organisations , cette convergence ne s'est pas traduite par un rapprochement entre les deux organisations sur un plan stratégique ou opérationnel.
Les rapporteures recommandent à ce titre de rationaliser la coopération entre les deux organisations en précisant la répartition des rôles et leur complémentarité en Méditerranée . C'est d'autant plus nécessaire que l'Union européenne sera amenée à y avoir une importance croissante du fait de la réorientation des priorités stratégiques américaines vers l'Asie.
LES 7 RECOMMANDATIONS DES RAPPORTEURES
1. Poursuivre la trajectoire de réarmement de nos forces armées en augmentant le budget de la défense pour tenir compte de la dégradation du contexte stratégique en Méditerranée.
2. Consolider le dispositif de coopération navale volontaire (CNV) pour sécuriser la marine civile en cas de crise en Méditerranée.
3. Moderniser les capacités de la Marine pour pouvoir répondre en cas d'attaque dirigée contre les câbles sous-marins de communication en Méditerranée.
4. Accélérer le déploiement de la « boîte à outils » européenne de lutte contre la désinformation dans les Balkans occidentaux et en Afrique du Nord.
5. Garantir la solidarité dans la durée du Conseil européen face aux tentatives de déstabilisation en Méditerranée orientale.
6. Prolonger le mandat de l'opération européenne Irini au-delà de 2023.
7. Rationaliser la coopération entre l'Union européenne et l'OTAN en Méditerranée.
INTRODUCTION
« La Méditerranée est un très vieux carrefour. Depuis des millénaires tout a conflué vers elle, brouillant, enrichissant son histoire : hommes, bêtes de charge, voitures, marchandises, navires, idées, religions, arts de vivre » 1 ( * )
F. Braudel, historien
« L'importance d'une mer ou d'un océan ne se mesure pas à sa superficie : elle tient avant tout à sa position. Or celle de la Méditerranée, à la jointure de trois continents, est telle que cette mer est et restera toujours essentielle non seulement pour les pays riverains, mais pour toutes les nations » 2 ( * )
Amiral A.-G. Lemonnier, ancien chef d'état-major de la Marine (1943-1950)
La mer Méditerranée, qui baigne le territoire national le long d'une côte de plus de mille sept cents kilomètres, occupe une place particulière dans l'environnement stratégique de la France.
Espace d'échanges comme d'affrontements, depuis l'expansion commerciale des cités phéniciennes de l'Antiquité jusqu'à la bataille de Navarin remportée en 1827 par les révolutionnaires grecs contre les forces de l'Empire ottoman avec le soutien conjoint de la France, du Royaume-Uni et de la Russie, la Méditerranée est encore cette « mer de jonction entre les trois masses continentales de l'Europe, de l'Asie et de l'Afrique » 3 ( * ) décrite par Élisée Reclus.
Dans un périmètre restreint à 2,5 M de km 2 , soit un soixante-dixième seulement de l'océan Pacifique, la Méditerranée concentre non pas une civilisation mais, selon l'expression de Fernand Braudel, « des civilisations entassées les unes sur les autres » 4 ( * ) dans un espace dont la fragmentation est accentuée par l'existence de plusieurs mers distinctes à l'image de la mer Égée qui s'étend entre la Grèce, l'Asie mineure et la Crète ou de la mer Adriatique comprise entre la péninsule des Apennins et celles des Balkans.
Mer centrale dans la construction puis dans la diffusion de la civilisation occidentale, la Méditerranée est aujourd'hui sujette à une reconfiguration profonde qui s'est traduite, depuis cinquante ans, par un renversement de ses équilibres démographiques. Alors qu'en 1970, la France métropolitaine (54 M d'habitants) et l'Italie (51 M d'habitants) étaient encore les deux pays les plus peuplés du bassin et représentaient 37% de sa population totale, elles en représentent aujourd'hui, avec 65 M d'habitants pour la France et 61 M pour l'Italie, moins de 25% et sont largement devancées par l'Égypte (102 M d'habitants) et la Turquie (84 M d'habitants) 5 ( * ) . Ce rééquilibrage démographique, qui est amené à s'accentuer au regard du vieillissement relatif des pays de la rive nord, devrait se traduire par un poids croissant des populations de la rive sud du bassin qui représenteront en 2050 près de 50% de sa population totale avec 293 M d'habitants contre 159 M d'habitants projetés pour la rive est et 179 M pour la rive nord.
Outre ces évolutions démographiques de long terme, le déclenchement récent de la guerre en Ukraine a illustré l'importance stratégique de la Méditerranée et la profondeur des recompositions à l'oeuvre dans cet espace. Le 7 avril 2022, la Libye a été le seul pays d'Afrique du Nord à voter en faveur de la résolution de l'Assemblée générale des Nations unies prononçant la suspension de la Russie du Conseil des droits de l'homme à la suite de la découverte des crimes de guerre perpétrés par l'armée russe à Boutcha 6 ( * ) .
Parallèlement, la complexité de l'environnement stratégique méditerranéen est incarnée par l'ambiguïté de la position de la Turquie depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, qui d'une part a refusé d'appliquer les sanctions économiques adoptées par l'Union européenne contre la Russie, a subordonné l'élargissement de l'OTAN à la Suède et à la Finlande à une série de mesures préalables et d'autre part a joué un rôle décisif de médiateur dans la conclusion des accords du 22 juillet 2022 entre la Russie, l'Ukraine, la Turquie et les Nations unies relatifs à l'exportation par voie maritime des récoltes de céréales ukrainiennes à travers la mer Noire.
Dans ce contexte changeant, la première partie de ce rapport s'attache à dresser une analyse circonstanciée et transversale des facteurs qui font de la Méditerranée un espace critique pour les relations internationales, du fait de sa situation stratégique au carrefour des flux d'êtres humains, de marchandises et d'information ; de ses facteurs de fragilité sur les plans économique, social et environnemental ; enfin de la présence dans cette espace de zones disputées, directement ou indirectement, entre des puissances rivales.
La deuxième partie de ce rapport a pour objet de dresser un panorama des forces en présence en Méditerranée, en s'appuyant non seulement sur l'importance du réarmement dans cette région, notamment des pays des rives sud et est du bassin, mais également sur la recomposition stratégique de l'espace méditerranéen, en s'intéressant à la fois au risque de recul de l'influence occidentale, au réinvestissement des puissances globales et à la réaffirmation de différents acteurs régionaux.
Enfin, la troisième partie de ce rapport propose une liste de recommandations à l'échelle de la France, de l'Union européenne et de l'Alliance atlantique ayant pour objectif de consolider notre résilience et d'actualiser notre positionnement stratégique pour tenir compte du durcissement des logiques de puissance à l'oeuvre dans notre voisinage immédiat.
PREMIÈRE PARTIE - LA MÉDITERRANÉE EST UN ESPACE DE TENSIONS
I. UN ESPACE STRATÉGIQUE
A. UN CORRIDOR INCONTOURNABLE DU TRANSPORT MARITIME INTERNATIONAL
1. La Méditerranée est au carrefour des routes maritimes commerciales de marchandises et d'énergie
Depuis les années 1950, la mondialisation du commerce international repose sur le commerce maritime : il représente 90% du commerce mondial en volume et 80% en valeur. La réduction des coûts du transport maritime permis à la fois par la « conteneurisation » 7 ( * ) du transport maritime et la modernisation des infrastructures s'est traduite par une progression soutenue du transport maritime de marchandises par la mer qui est passé de 550 M à 11 Md de tonnes de 1950 à 2017 tandis que le transport aérien continue de ne représenter que 2 M de tonnes de marchandises annuels 8 ( * ) . La Méditerranée , que sa situation géographique place à l'interface entre plusieurs continents qui échangent massivement des marchandises et de l'énergie, concentre chaque année près de 25% des flux du commerce mondial 9 ( * ) .
Depuis le percement de l'isthme égyptien en 1869, le bassin méditerranéen est un des axes névralgiques de transit et de transbordement du transport maritime mondial situé sur une route critique des échanges internationaux qui va de la façade maritime asiatique 10 ( * ) à l'Europe septentrionale et au grand bassin Atlantique qui communique avec la Méditerranée par le détroit de Gibraltar.
Cette route maritime Asie-Europe représentait en 2018 24,8 M d'équivalents vingt pieds (EVP) 11 ( * ) de marchandises, soit un volume d'échanges presque équivalent à la route transpacifique reliant directement l'Asie à l'Amérique du Nord (27,6 M d'EVP). Le maintien de la stabilité géostratégique de cet espace et la préservation de la libre circulation maritime en Méditerranée constituent donc pour les vingt-deux pays 12 ( * ) du pourtour méditerranéen dont fait partie la France 13 ( * ) un enjeu essentiel pour la sécurité de leur approvisionnement en produit manufacturés et en matières premières.
Parallèlement au transport maritime de marchandises, le corridor méditerranéen est également un espace stratégique de transit pour les flux énergétiques qui assurent l'approvisionnement du continent européen. En 2019, le canal de Suez a permis à ce titre le transit de 48 M de tonnes de pétrole brut du Sud vers le Nord, ainsi que 65 M de tonnes de produits raffinés et 23 M de tonnes de gaz naturel liquéfié (GNL). Dans le sens inverse, du Nord vers le Sud, la hausse anticipée de la demande asiatique en énergie dans les prochaines années 14 ( * ) va renforcer le caractère stratégique du bassin méditerranéen par lequel transitent les exportations en hydrocarbures de l'Afrique du Nord, de la Russie et de la Turquie vers l'Extrême-Orient.
Les rapporteures relèvent enfin que le transport et les services maritimes constituent un secteur d'activité dynamique et stratégique pour l'économie française et européenne. Si les entreprises du secteur ne séparent pas statistiquement leurs zones géographiques d'activité et que ces données ne concernent pas seulement la façade méditerranéenne de notre territoire, le transport et les services maritimes représentent plus de 100 000 emplois directs et indirects en France 15 ( * ) . À l'échelle de l'Europe, la marine marchande représente une flotte de plus de 23 400 navires pour un nombre d'emplois directs et indirects estimé à plus de 2 M 16 ( * ) . Le développement de ces activités dans le voisinage du continent européen suppose également le maintien de la stabilité de l'espace méditerranéen.
2. Le bassin méditerranéen concentre plusieurs passages stratégiques du trafic maritime mondialisé
À ses extrémités orientale et occidentale, le bassin méditerranéen concentre, avec le canal de Suez et le détroit de Gibraltar, deux passages stratégiques du commerce mondial. Étroits et peu profond, ces goulets d'étranglement ( choke points ) qui le ralentissent et l'exposent à des attaques extérieures 17 ( * ) constituent pour le commerce international des points de vulnérabilité, parfois décrits comme ses « talons d'Achille » 18 ( * ) .
Depuis son inauguration en 1869, le canal de Suez a placé le corridor méditerranéen au coeur des échanges maritimes entre l'Europe et l'Asie, au détriment de la route océanique de contournement de l'Afrique par le cap de Bonne Espérance. Porte d'entrée vers l'Europe et l'Afrique du Nord depuis la mer Rouge, le canal a attiré en 2019 18 800 navires transportant 1,1 Md de tonnes de marchandises 19 ( * ) . Chaque année, 10% du transport maritime international total de marchandises transitent par cette voie navigable de 190 km dont la durée de traversée a été réduite à onze heures.
Pour répondre à la croissance du commerce international, le canal a été régulièrement modernisé depuis son percement, la limite du tirant d'eau en pleine charge des navires l'empruntant étant passée de 6,7 mètres en 1869 à 20,1 mètres aujourd'hui. Les derniers grands travaux en date, achevés en août 2015, ont mobilisés 8 Md$ en sollicitant notamment l'épargne des Égyptiens pour le creusement d'une nouvelle voie de 35 km et le dédoublement du canal sur une section de 72 km pour faire passer le nombre passages journaliers de navires de 49 à 97 à l'horizon 2023 20 ( * ) . L'accident de l' Ever Given survenu en mars 2021 (cf. infra ) a en outre motivé l'annonce par les pouvoirs publics égyptiens de l'engagement de nouveaux travaux d'élargissement et d'approfondissement de la section du canal située entre les Lacs Amers et Suez ainsi que d'un projet de fret ferroviaire et de transport de passagers entre le port d'Ain Sokhna sur la mer Rouge et Alexandria sur la Méditerranée surnommé « canal de Suez sur rail ».
En tout état de cause, et bien que le canal ait connu dans le passé deux épisodes de fermeture 21 ( * ) , il est probable que le canal de Suez demeurera à moyen terme la solution maritime la plus économique pour le transport maritime euro-asiatique, le passage par le cap de Bonne Espérance représentant actuellement un détour de 6 500 km soit entre sept et dix jours de navigation pour un trajet reliant Singapour à Rotterdam. À cet égard, le développement de liaisons ferroviaires entre la Chine et l'Europe ne pourra avoir qu'un effet limité étant donnée la disproportion entre les ordres de grandeur en jeu : un seul porte-conteneurs de 200 000 EVP transporte autant que 500 convois ferroviaires, pour un temps de trajet multiplié seulement par trois 22 ( * ) .
Le blocage de l' Ever-Given (mars 2021), miroir de l'importance du canal de Suez dans la mondialisation
Le 23 mars 2021, le porte-conteneur Ever-Given appartenant à la compagnie taïwanaise Evergreen a été dévié de sa trajectoire par des rafales de vent et s'est ensablé sur la berge du canal de Suez, obstruant le passage pendant six jours jusqu'à son déblocage le 29 mars qui a nécessité le dragage de 20 000 tonnes de sable.
L'obstruction du corridor maritime entre la mer Rouge et la Méditerranée par ce bâtiment de 400 mètres de long d'une capacité de 20 388 EVP a entraîné le blocage de plus de 300 navires dans différentes sections du canal.
Alors que la perturbation des approvisionnements énergétiques résultant de cet accident s'est traduite par une hausse de 6% des cours du pétrole le mercredi 24 mars, les pertes totales liées au blocage ont été estimées entre 6 et 10 Md$.
Pour l'Égypte, cet épisode qui a été largement médiatisé s'est traduit par des pertes de recettes estimées entre 12 et 14 M$ par jour de fermeture. À la suite de l'accident, les autorités égyptiennes ont engagé des travaux d'élargissement et d'approfondissement du canal qui doivent permettre un doublement du trafic dès 2023.
À l'autre extrémité du bassin, le détroit de Gibraltar est un autre passage stratégique long de 60 km qui relie le corridor méditerranéen au grand bassin Atlantique et aux ports de la mer du Nord. Alors que le rocher de Gibraltar est occupé depuis 1704 par le Royaume-Uni, ce point de passage se caractérise par l'intrication des revendications contradictoires des différents États riverains qui ont chacun adopté unilatéralement la délimitation de leur espace maritime dans la zone 23 ( * ) .
Cet espace de transit d'une largeur minimale de 14 km situé entre l'Europe et l'Afrique accueille chaque année 70 000 navires par an sans qu'il existe de statistiques exactes quant au tonnage des marchandises transportées. À l'image de Singapour situé à proximité du détroit de Malacca, plusieurs ports méditerranéens se sont développés en tirant profit de la situation stratégique du détroit vis-à-vis des flux du commerce international. Sur la rive Nord, le port d'Algésiras en Espagne a commencé son développement dès les années 1970. En 2019, il a accueilli 5,1 M d'EVP et il constitue aujourd'hui une des premières plateformes de transbordement au monde. Sur la rive Sud, les autorités marocaines ont lancé en 2003 le nouveau port de Tanger Méditerranée (Tanger Med), réalisé en deux phases successives achevées respectivement en 2007 et 2019, et qui a accueilli en 2019 4,8 M d'EVP. Point de passage obligatoire vers l'Atlantique, le détroit continue de constituer un point stratégique pour les armateurs comme en témoigne la prise de participation en 2021 de CMA CGM dans un des terminaux d'Algésiras après avoir préalablement investi à Casablanca et à Tanger Med 24 ( * ) .
B. UN CARREFOUR STRATÉGIQUE DES FLUX D'INFORMATIONS NUMÉRIQUES MONDIAUX
1. Les technologies de l'information et de la communication reposent sur une infrastructure sous-marine exposée en Méditerranée à des interventions extérieures hostiles
Une partie croissante de nos activités quotidiennes (consultation d'un site internet, transaction en ligne, démarche administrative dématérialisée etc.) fait appel à une connexion internet. Le fonctionnement de ce réseau repose largement sur des transmissions intercontinentales permises par une infrastructure composée de câbles sous-marins 25 ( * ) de communication qui concentre 98% des flux de données vers l'international 26 ( * ) . Ces fibres optiques permettent une transmission de données plus importante, plus rapide et plus sûre que les connexions par voie satellitaire ce qui fait du réseau des câbles sous-marins le principal vecteur du trafic mondial d'informations dont la valeur est estimée à 10 000 Md$ par jour 27 ( * ) .
Parallèlement au rôle essentiel joué par les réseaux de communication dans la quasi-totalité des secteurs d'activité économique, sur le plan militaire, la recherche de la supériorité informationnelle et l'émergence dans les années 2000 du concept de « guerre réseau-centrée » ( Network-Centric Warfare ) renforce le rôle des câbles sous-marins dans les conflits modernes et, partant, leur importance stratégique 28 ( * ) . Ce rôle des câbles sous-marins dans la résilience de notre société a été consacré par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) qui qualifie les réseaux de communication d'« infrastructures stratégiques et critiques » 29 ( * ) .
Si l'on estime que 60% des problèmes rencontrés sur les liaisons sont liés à des accrochages des câbles par des ancres ou aux activités de pêche, 20% des problèmes recensés restent inexpliqués ce qui suggère un risque d'atteinte volontaire à ces infrastructures. Ces atteintes volontaires peuvent être le fait aussi bien d'État que d'acteurs non-étatiques, bien que depuis 1945 aucune action de sabotage sur un câble sous-marin n'a été formellement attribuée à un gouvernement.
Par ailleurs, les atteintes volontaires contre les câbles sous-marins peuvent être dirigées soit contre l'infrastructure elle-même, comme dans le cas de la coupure du câble « Sea-Me-We 4 » par des plongeurs au large de l'Égypte en 2013, soit contre l'information transportée par les câbles, comme dans le cas des collectes de données à partir des câbles sous-marins par les services américains dans le cadre des programmes Upstream et Tempora révélé en 2013 par E. Snowden 30 ( * ) .
Ces attaques contre l'infrastructure des réseaux de communication ne sont pas nouvelles en Méditerranée où, dès la fin du XIX e siècle, les Britanniques avaient coupé le trafic circulant par câble entre Tanger et Gibraltar en 1894 à la mort du sultan du Maroc 31 ( * ) . Pour autant, ces attaques représentent un risque particulier de déstabilisation dans certains pays de la zone où les redondances sont rares dont notamment en Afrique du Nord. À ce titre, la coupure du câble « Sea-Me-We 4 » au large de l'Algérie à l'automne 2015 s'est traduite par une dégradation sensible de la connectivité du pays qui a justifié la décision des autorités publiques prises en 2018 d'investir dans une nouvelle liaison avec l'Europe.
Atteintes aux câbles sous-marins en Méditerranée recensés dans la presse (2014-2018)
Date |
Lieu |
Cause |
mars 2014 |
Égypte |
Acte de malveillance |
octobre 2015 |
Maghreb |
Coupure par un bateau |
mars 2017 |
Annaba (Algérie) |
Dommages causés à la chambre atterrissement |
janvier 2018 |
Chypre |
Inconnue |
Source : C. Morel, novembre 2020, « L'État et le réseau mondial de câbles sous-marins de communication », thèse de doctorat de l'université de Lyon
2. Le bassin méditerranéen est une zone particulièrement dense et stratégique du maillage mondial des câbles sous-marins
La Méditerranée est située sur le tracé de l'axe Europe-Asie qui est un des corridors historiques du réseau de câbles sous-marins. Parmi les principaux câbles qui traverse la zone, peuvent notamment être cités :
- le câble « FLAG Europa » qui relie depuis 1997 le Royaume-Uni et le Japon ;
- le câble « Sea-Me-We 3 » qui relie depuis 1999 l'Allemagne à la Corée du Sud et à l'Australie ;
- le câble Sea-Me-We 4 » qui relie depuis 2005 Marseille à Singapour ;
- le câble « IMEWE » qui relie depuis 2010 la France à l'Inde ;
- le câble « Sea-Me-We 5 » qui relie depuis 2016 Toulon à Singapour ;
- enfin le câble « Asia Africa Europe 1 (AAE-1) » qui relie la France à la Chine depuis 2017.
Câbles sous-marins de communication en Méditerranée (juin 2022)
Source : https://www.submarinecablemap.com/
Situé sur l'axe Europe-Asie, la ville de Marseille bénéficie d'une position stratégique au sein du réseau des câbles sous-marins et elle sert de station d'atterrissage européen pour de nombreux câbles sous-marins reliant l'Europe de l'Ouest aux opérateurs d'Afrique, du Moyen-Orient et d'Asie. Cette position de Marseille sur le marché des câbles sous-marins favorise en outre le développement d'armateurs français spécialisés dans le domaine de la pose et de la réparation des lignes sous-marines, faisant de la ville de Marseille « l'un des plus importants hubs européens de bande passante et d'interconnexion » 32 ( * ) .
Au-delà des opportunités économiques qu'elle représente, la compacité du bassin méditerranéen et la concentration des câbles sous-marins qui y sont enfouis fait de cette zone un point de vulnérabilité pour les infrastructures de communication.
Si les personnes auditionnées n'ont pas fait état d'une recrudescence caractérisée des atteintes volontaires aux câbles sous-marins dans la zone, la détection en 2015 d'un bâtiment océanographique russe, le Yantar , à proximité des câbles sous-marins dans le Golfe de Gascogne, les soupçons d'espionnage sur les câbles sous-marins du sous-marin russe Locharik capable de descendre à plus de 2 500 mètres de profondeur ainsi que l'endommagement non élucidé d'un câble sous-marin au large de l'archipel norvégien des Svalbard en novembre 2021 justifient pour les rapporteures que les risques d'atteintes volontaires contre les câbles sous-marins en Méditerranée fassent l'objet d'un suivi étroit.
C. UNE FRONTIÈRE VULNÉRABLE ENTRE DEUX CONTINENTS
1. L'espace méditerranéen concentre les principaux flux de franchissements irréguliers des frontières de l'Union européenne
La façade méditerranéenne de l'Europe est un point d'entrée historique pour les flux migratoires à destination du continent. Les traversées de la Méditerranée depuis la rive Sud pour rejoindre l'Europe sont motivées par une multiplicité de facteurs qui trouvent notamment leur source dans les déséquilibres croissants qui existent entre les sociétés des deux rives du bassin méditerranéen, tant sur le plan économique que du point de vue de la démographie.
En 2015, le nombre d'entrées irrégulières en Europe a connu un pic en dépassant le million d'entrées en une année. Si depuis cette date les franchissements irréguliers évalués par l'administration européenne ont été réduit de plus de 80% pour s'établir à 125 100 franchissements irréguliers en 2020, l'année 2021 a été marquée par une nouvelle hausse de plus de moitié des entrées qui ont atteint 199 900 franchissements irréguliers. La voie maritime constitue le principal moyen de franchissement irrégulier des frontières de l'Union et représentait en 2021 112 600 traversées soit 56% de l'ensemble des franchissements irréguliers.
Ces traversées irrégulières empruntent principalement trois routes maritimes qui correspondent à des répartitions différentiés des pays d'origine des migrants.
Nationalités des migrants selon la route empruntée
(janvier-mai 2022)
Source : https://www.consilium.europa.eu/fr/infographics/migration-flows/
La route de la Méditerranée occidentale relie l'Espagne aux côtes marocaines, algériennes et mauritaniennes. Elle représentait en 2021 18 466 franchissements irréguliers soit 9% de ces franchissements dans l'Union. Elle comprend également les arrivées par voie terrestre dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla. Les principales nationalités des migrants empruntant cette route sont l'Algérie suivi du Maroc.
La route de la Méditerranée centrale, qui relie l'Italie et Malte à l'Égypte, la Libye, la Tunisie ainsi que l'Algérie et la Turquie, est la principale voie d'accès pour les franchissements irréguliers des frontières de l'Union. Elle a représenté en 2021 67 724 entrées soit 60% des traversées maritimes irrégulières vers l'Union. La croissance très importante en 2021 du nombre de ressortissants égyptiens empruntant cette route en a fait la première nationalité représentée en 2021, suivi par les migrants originaires du Bangladesh et de la Tunisie.
La route de la Méditerranée orientale, qui relie la côte turque à Chypre, à la Grèce et aux Balkans occidentaux, a représenté en 2021 20 567 franchissements irréguliers. Cette route, qui a la particularité d'être dédoublée par une voie terrestre, est celle qui a connu la plus importante réduction depuis le pic migratoire de 2015, à l'époque duquel elle représentait plus de 85% des arrivées irrégulières dans l'Union. La principale nationalité représentée demeure en 2022 la Syrie, suivie par deux pays d'Afrique subsaharienne (Nigéria et République démocratique du Congo).
Le bassin méditerranéen concentre également, du fait de sa vaste étendue et de la difficulté d'en assurer le contrôle, le développement des réseaux de trafic illicite de migrants, défini en droit international comme « le fait d'assurer, afin d'en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel, l'entrée illégale » 33 ( * ) d'une personne dans un État. Les sanctions pénales inégales prévues dans les pays d'origine ont favorisé le développement de cette « économie criminelle de l'immigration clandestine » 34 ( * ) dont les revenus étaient estimés entre 4,7 et 5,7 Md€ en 2015 par l'agence Europol.
Parallèlement au soutien apporté aux garde-frontières et garde-côtes des États membres, les différentes opérations menées par l'agence européenne Frontex en Méditerranée ont pour fonction de participer à la lutte contre le trafic illicite de migrants et au renseignement sur les réseaux criminels internationaux.
Les opérations de Frontex en Méditerranée
Opérations Indalo et Minerva (Méditerranée occidentale)
Lancées respectivement à l'été ( Minerva ) et à l'automne ( Indalo ) 2007, les opérations Indalo et Minerva ont pour objet de soutenir les autorités espagnoles pour lutter contre les migrations irrégulières empruntant la route de la Méditerranée occidentale.
En complément des patrouilles organisées dans le cadre de l'opération Indalo , l'opération Minerva permet un renforcement des contrôles aux frontières dans les ports d'Algésiras, d'Almeria et un renforcement des contrôles d'identité dans le port maritime de Ceuta.
Opération Themis (Méditerranée centrale)
À partir du mois de février 2018, l'opération Themis s'est substituée à l'opération Triton qui avait débuté en novembre 2014. Dans le cadre de cette opération, Frontex soutient les autorités italiennes pour le contrôle des frontières ainsi que le sauvetage en mer. Cette opération couvre les différents flux de la route de Méditerranée centrale dont notamment ceux en provenance des côtes algériennes, tunisiennes, libyennes, égyptiennes, turques et albanaises. Les agents déployés par Frontex assistent également les autorités italiennes pour l'enregistrement des migrants.
Opération Poséidon (Méditerranée orientale)
Lancée en 2006, l'opération Poséidon soutient les autorités grecques par l'intermédiaire de 600 agents de renfort. Outre son activité terrestre pour garder la frontière terrestre entre la Turquie et l'Union européenne, l'opération prévoit également des activités de contrôle des frontières maritimes en Méditerranée et en mer Égée, ainsi que des activités de lutte contre le trafic illicite de migrants 35 ( * ) .
2. Les frontières maritimes du sud de l'Union européenne sont exposées à un risque d'instrumentalisation des flux migratoires en Méditerranée
Identifié depuis plusieurs années, le risque d'instrumentalisation des flux migratoires vers l'Union européenne a particulièrement attiré l'attention au cours de l'été et de l'automne 2021 à l'occasion des manoeuvres de la Biélorussie pour acheminer sur son territoire des candidats à la migration vers l'Union européenne.
Le Conseil européen, qui avait dès ses conclusions du 25 juin 2021 condamné et rejeté « toute tentative de pays tiers d'instrumentaliser les migrants à des fins politiques » 36 ( * ) , a qualifié dans ses conclusions du 22 octobre 2021 ces manoeuvres « d'attaque hybride lancée par le régime biélorusse » 37 ( * ) .
À l'occasion de son audition devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat le 8 décembre 2021, l'ancien directeur exécutif de Frontex, M. Fabrice Leggeri, avait souligné que ce type « d'instrumentalisation politique et géopolitique » avait déjà été observée en Méditerranée 38 ( * ) .
Deux zones situées de part et d'autre du bassin méditerranéen concentrent aujourd'hui ce risque d'instrumentalisation.
En premier lieu, la dégradation ponctuelle des relations diplomatiques entre l'Espagne et le Maroc en lien respectivement avec un accord de libre-échange et le contentieux autour du Sahara occidental s'est traduite par deux épisodes d'afflux inhabituel de migrants à la frontière espagnole en février 2017 et mai 2021.
En second lieu, la frontière entre la Turquie et l'Union européenne , dans ses dimensions terrestre et maritime, est une zone particulièrement sensible et vulnérable à une tentative d'instrumentalisation.
En effet, pour répondre aux flux de franchissements irréguliers des frontières, l'Union européenne et la Turquie ont adopté le 18 mars 2016 une déclaration conjointe fondée sur deux principes : d'une part l'accueil par la Turquie de tout nouveau migrant en situation irrégulière rejoignant les îles grecques lorsqu'il ne demande pas l'asile ou que sa demande d'asile a été rejetée ; d'autre part l'installation d'un Syrien dans l'Union européenne depuis la Turquie pour chaque Syrien renvoyé en Turquie depuis les îles grecques. Par surcroît, l'accord prévoyait l'accélération du versement par l'Union d'une aide d'un montant de 6 Md€ destinée à financer les dispositifs turcs d'accueil des réfugiés jusqu'en 2018. Si l'adoption de cette déclaration commune n'a permis qu'un nombre limité de retours, elle a permis une réduction substantielle du nombre d'arrivées irrégulières en Europe, les franchissements irréguliers en mer Égée étant passés de 3 500 par jour à une quarantaine après la mise en oeuvre de la déclaration 39 ( * ) .
Si le principe de coopération entre l'Union européenne et la Turquie en matière migratoire a été réaffirmé 40 ( * ) par le Conseil européen dans sa déclaration du 25 mars 2021, la mise en oeuvre de la coopération a donné lieu à plusieurs périodes de tension dont en particulier un épisode d'instrumentalisation des flux migratoires à la fin du mois de février 2020, pendant lequel les autorités turques ont laissé plus de 15 000 migrants, principalement syriens, s'acheminer vers la frontière avec la Grèce pour accélérer le versement des fonds d'aide de l'Union et faire pression sur l'Union européenne pour qu'elle renforce son engagement en Syrie.
Par ailleurs, la République de Chypre connait depuis plusieurs années un phénomène de croissance du nombre d'entrées illégales sur son territoire. Elles ont atteint leur maximum historique en 2021 avec 11 330 entrées illégales en un an. Ces entrées, qui concernent la voie terrestre à hauteur de 93%, correspondent à des traversées irrégulières de la ligne verte qui sépare en deux le territoire de l'île. Cette nouvelle route migratoire repose sur des réseaux structurés qui organisent l'inscription de ressortissants extra-européens, notamment issus de pays d'Afrique subsaharienne, dans des universités situées au nord de l'île de Chypre, qui accueillent plus de 100 000 étudiants étrangers 41 ( * ) , puis leur acheminement par liaison aérienne vers l'aéroport d'Ercan, situé au nord de l'île et desservi par plusieurs compagnies aériennes turques. Les rapporteures relèvent que la poursuite de l'augmentation de la pression exercée sur cette route terrestre de Chypre , qui a concentré 8 376 entrées illégales entre janvier et mai 2022 (soit une augmentation de 108% par rapport à la même période en 2021), est d'autant plus préoccupante que la Turquie exerce une influence croissante sur le nord de Chypre et qu'il existe un risque que le phénomène migratoire sur l'île soit instrumentalisé en cas de durcissement des tensions en Méditerranée orientale.
Alors que la Commission européen a adopté le 14 décembre une proposition de règlement (UE) visant à faire face aux situations d'instrumentalisation dans le domaine de la migration et de l'asile 42 ( * ) , les rapporteures constatent que tant la concentration des franchissements irréguliers de frontière que les risques d'instrumentalisation des flux migratoires participent à faire de la Méditerranée un espace stratégique aux confins de la France et de l'Union européenne.
II. UN ESPACE FRAGILE
A. LA RIVE SUD DE LA MÉDITERRANÉE EST EXPOSÉE À UN RISQUE DE RÉSURGENCE DU DJIHADISME NOURRIT PAR LA DÉGRADATION DE LA SITUATION SÉCURITAIRE EN LIBYE
1. L'absence de solution politique durable depuis 2011 s'est traduite par une dégradation préoccupante de la situation sécuritaire sur le territoire libyen
Depuis la proclamation de la « libération » de la Libye par le président du Conseil national de transition (CNT) à Benghazi le 23 octobre 2011, la Libye a connu plus d'une décennie de déstabilisation profonde sur le plan sécuritaire sans qu'une solution politique durable et concertée ne semble en mesure d'être mise en oeuvre à moyen terme pour répondre à cette situation persistante de « faillite révolutionnaire » 43 ( * ) . L'intervention militaire de l'Organisation de l'Atlantique Nord (OTAN) menée du 23 mars au 31 octobre 2011 44 ( * ) sur le fondement des résolutions 1970 et 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies, l'opération Unified Protector , à laquelle les forces armées françaises ont participé dans le cadre de l'opération « Harmattan », a permis de rapidement faire chuter le régime autocratique dirigé depuis 1969 par Muammar Kadhafi. Cette victoire militaire nette de l'Alliance atlantique n'a toutefois pas été suivie d'un processus de stabilisation efficace dans un pays où des structures étatiques n'ont jamais été solidement établies.
Le report de l'élection présidentielle programmée le 24 décembre 2021 s'est traduit par la reconstitution de deux gouvernements qui revendiquent concurremment l'exercice légitime du pouvoir : d'une part le Gouvernement d'unité nationale (GNU), siégeant à Tripoli, dirigé depuis mars 2021 par Abdel Hamid Dbeibah qui revendique son maintien en place jusqu'à la tenue de nouvelles élections ; d'autre part le Gouvernement de stabilité nationale (GNS), siégeant à Syrte et dirigé par l'ancien ministre de l'intérieur et allié de Khalifa Haftar Fathi Bachaga, qui a été investi le 1 er mars 2022 à l'occasion d'une séance litigieuse de la Chambre des députés libyenne qui s'est tenue à Tobrouk (Cyrénaïque). Ce nouvel affrontement institutionnel en Libye, qui risque de remettre en cause les avancées obtenues lors des conférences internationales organisées à Berlin en juin 2020 et janvier 2021 et à Paris le 12 novembre 2021 45 ( * ) , fait écho aux nombreux conflits infranationaux qui ont contribué à la désorganisation du pays depuis 2011 dont en particulier les affrontements armés ayant opposé l'Armée nationale libyenne (ANL), dirigée par l'ancien général Khalifa Haftar à l'est du pays (Cyrénaïque), au Gouvernement d'accord national (GNA) dirigé par Fayez el-Sarraj entre 2016 et 2021 depuis Tripoli. Si le cessez-le-feu signé sous l'égide des Nations unies le 23 octobre 2020 a permis de réduire l'intensité des affrontements en Libye, l'instabilité durable sur le plan politique est susceptible de donner lieu à une nouvelle dégradation progressive de la situation sécuritaire, comme en témoignent les combats armés s'étant déroulés entre des milices rivales dans le centre-ville de Tripoli le 10 juin 2022.
La difficulté de la communauté internationale à trouver un compromis acceptable par l'ensemble des parties en Libye, aggravée de surcroît par la vacance prolongée entre novembre 2021 et septembre 2022 du poste d'envoyé spécial pour la Libye des Nations unies entre la démission de l'ancien ministre des affaires étrangères slovaque Jan Kubis 46 ( * ) et la nomination le 3 septembre 2022 du diplomate sénégalais A. Bathily, s'explique en partie par des raisons structurelles qui tiennent notamment à la partition historique du pays en trois régions (Tripolitaine, Cyrénaïque, Fezzan) qui ont conservé leur identité propre y compris pendant les périodes de consolidation du pouvoir central libyen par le roi Idriss (1951-1969), puis par Muammar Kadhafi (1969-2011). Ces divisions liées aux affiliations régionales, auxquelles se superposent d'autres divisions fondées sur des critères ethniques ou tribaux, entraînant une instabilité durable en Libye. Dans ce vaste territoire de plus d'1,7 M de km 2 aux confins de l'Égypte, de l'Algérie et de la Tunisie, la faillite des autorités publiques nourrit un risque d'atteinte grave et prolongée aux droits fondamentaux et de développement d'un trafic d'armes portant atteinte à la situation sécuritaire des pays de la région.
Sur le plan humanitaire, la situation demeure fortement dégradée au début de l'année 2022. Un récent rapport du secrétaire général de la mission d'appui des Nations unies en Libye (MANUL) en date du 20 mai 2022 rapporte « des meurtres, des disparitions forcées, des arrestations et des détentions arbitraires, des violences sexuelles liées au conflit, la traite d'êtres humains et des expulsions arbitraires et collectives de migrants et de demandeur d'asile » 47 ( * ) . Cette dégradation du contexte sécuritaire est particulièrement sensible pour les migrants retenus en Libye qui sont exposés à « des risques élevés de viol, de harcèlement sexuel et de traite par des groupes armés, des passeurs et des trafiquants internationaux » 48 ( * ) .
En second lieu, sur le plan sécuritaire, le prolongement d'une situation proche de la guerre civile pendant plus de dix ans et l'implication de nombreuses factions opposées dans les différentes phases de conflit se sont traduits par une prolifération des armes à feu en Libye, susceptible de nourrir le développement d'autres mouvements de déstabilisation par des groupes armés dans les pays du sud de la Méditerranée. À titre d'exemple, le nombre d'armes circulant en Libye était estimé en 2016 par l'ancien représentant spécial du secrétariat général des Nations unies (RSSGNU) en Libye Martin Kobler 49 ( * ) à 20 M, soit plus du triple du nombre d'habitants sur le territoire libyen (6 M).
2. Les pays d'Afrique du Nord constituent l'un des fronts d'un djihad international en recomposition depuis 2017
La reprise en juillet 2017 de la ville de Mossoul aux combattants de l'État islamique (EI) a constitué le point de départ de ce que les chercheurs Marc Hecker et Élie Tenenbaum ont qualifié de « cinquième acte » de la guerre contre le terrorisme 50 ( * ) . Cette nouvelle phase, qui coïncide avec un recul des emprises territoriales des mouvances djihadistes et la perte de leurs sanctuaires, correspond à un phénomène de reconfiguration du djihad international. Il continue de représenter une menace persistante dans plusieurs régions du monde, y compris le territoire national, comme en témoignent les sept attaques djihadistes recensées sur le sol français 51 ( * ) au cours de l'année 2021. Parallèlement à la menace représentée par une résurgence des attaques terroristes en Europe, les pays de la rive Sud de la Méditerranée sont particulièrement exposés au risque d'attaques djihadistes sur leur sol ayant un effet déstabilisateur sur la situation sécuritaire dans cette région qui est devenue l'un des « fronts du djihad » 52 ( * ) international.
L'Afrique du Nord a connu l'émergence de phénomènes djihadistes dès les années 1990 et la « décennie noire » de la guerre civile algérienne déclenchée en janvier 1992 par l'annulation du second tour des élections législatives. Dans ce contexte, les 3 000 combattants insurrectionnels qui se sont rassemblés au sein du Groupe islamique armé (GIA) ont non seulement contribué à la déstabilisation du pays dans les années 1990 mais également contribué à la création en janvier 2007 du mouvement Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) qui joue désormais un rôle moteur dans la propagation du terrorisme islamique dans les pays de la bande sahélo-saharienne 53 ( * ) . Si la traque des combattants d'AQMI a permis d'éliminer de nombreux cadres de l'organisation dans les années récentes, la persistance de maquis djihadistes sur les reliefs de Kabylie continue de faire peser une menace sur la sécurité de cette région comme en témoigne les trois attaques terroristes recensées en Algérie en 2021 54 ( * ) .
Le territoire libyen, devenu la « plaque tournante de la mouvance djihadiste nord-africaine » 55 ( * ) , est également directement exposé à des attaques terroristes sur son sol à l'image des attentats perpétrés par le groupe État islamique (EI) en mai 2018 à Tripoli et Ajdabiya. Par surcroît, le développement de groupes djihadistes sur le territoire libyen est un facteur de déstabilisation pour les pays voisins, dont notamment la Tunisie qui est depuis 2012 le principal pourvoyeur de combattants djihadistes étrangers au Levant (3 000 à 4 500 personnes) et en Syrie (1 000 personnes). La fragilité de la zone frontalière tuniso-libyenne a été à cet égard illustrée par la tentative de prise de la ville de Ben Guerdane en mars 2016 par des combattants locaux affiliés au groupe État islamique (EI). À l'ouest du territoire, la Tunisie doit faire face à l'implantation depuis 2013 de la katiba Okba Ibn Nafaa rattachée à AQMI. Si le Maroc semble moins affecté par ce risque que d'autres pays de la région, le démantèlement par les forces de sécurité marocaines de 36 réseaux terroristes entre 2015 et 2017 illustre le caractère transversal de la menace en Afrique du Nord.
Parmi les autres pays ayant subi une déstabilisation de leur situation sécuritaire sous l'influence de la désorganisation de la Libye depuis 2011, l'Égypte a également connu une résurgence des attaques terroristes sur son territoire. En premier lieu, le désert occidental égyptien, proche de sa frontière avec la Libye, a concentré plusieurs attaques revendiquées par divers groupes djihadistes entretenant des liens avec la Libye dont notamment le mouvement Ansar al-Islam, rattaché aux réseaux d'Al-Qaïda. Le risque de convergence de ces groupes avec d'autres groupes armés d'opposition aux régimes présents dans la vallée du Nil comme les mouvements Liwaa El Thawra et Hassm renforce le risque de déstabilisation que fait peser le développement du djihad dans ce pays. En parallèle, l'Égypte doit faire face à l'est de son territoire aux attaques de la wilaya du Sinaï de l'État islamique, qui a perpétré en novembre 2017 l'attentat contre la mosquée soufie d'Al-Rawda (plus de 300 morts) et qui constituait en 2019 la principale force djihadiste en Afrique du Nord avec 1 500 combattants selon l'administration américaine.
B. LA DÉGRADATION DE LA CONJONCTURE ÉCONOMIQUE APRÈS LA CRISE SANITAIRE FRAGILISE LA STABILITÉ SOCIALE ET POLITIQUE DES PAYS D'AFRIQUE DU NORD
1. Les difficultés d'approvisionnement provoquées par la guerre en Ukraine aggravent une situation économique encore perturbée par les conséquences de la crise sanitaire
Les économies des pays du sud de la Méditerranée ont été durablement affectées par les perturbations politiques intervenues depuis les révoltes de 2010 et 2011 ayant constitué les « printemps arabes », au point que la dernière décennie s'est traduite pour nombre de ces pays par une période de stagnation sur le plan économique voire de régression, à l'image de l'Algérie ou de la Tunisie dont les produits intérieurs bruts (PIB) respectifs sont passés entre 2011 et 2021 respectivement de 200 Md$ à 168 Md$ et de 48 Md$ à 47 Md$.
Cette stagnation économique des économies d'Afrique du Nord s'explique par une pluralité de facteurs qui sont liés, directement ou indirectement, à la difficulté de ces pays à faire évoluer leur modèle de croissance qui reste caractérisé par le développement insuffisant du secteur industriel et leur spécialisation dans des secteurs économiques à faible valeur ajoutée. À titre d'exemple, au sein de l'économie marocaine, le secteur industriel représente seulement 23% des emplois, soit dix points de moins que le secteur agricole (34%). Au sein de ce secteur industriel, les gains de productivité sont limités par le poids du secteur textile qui représente 40% de l'ensemble des emplois du secteur industriel, mais seulement 9% de la valeur ajoutée produite 56 ( * ) . Le même constat peut être fait pour l'économie algérienne, dans laquelle le secteur industriel ne représentait en 2019 que 25% du PIB, ou encore en Égypte où les biens de haute technologie ne représentaient en 2020 que 2,7% des marchandises exportées 57 ( * ) .
La difficulté des pays nord-africains à « remonter les chaînes de valeur » 58 ( * ) de l'économie mondiale a notamment pour conséquence de limiter les perspectives d'emploi dans ces économies, qui sont toutes affrontées au chômage. Celui-ci dépasse 9% dans l'ensemble de ces pays et a même atteint 17% en Tunisie en 2021.
C'est dans ce contexte que les pays d'Afrique du Nord ont dû affronter la crise sanitaire mondiale liée à l'épidémie de covid-19. Alors que les mécanismes de socialisation des dépenses médicales 59 ( * ) et les systèmes de santé dont disposent ces pays sont inégaux, les autorités publiques ont déployé d'importantes mesures préventives pour éviter la propagation du virus en décidant notamment de la fermeture des frontières et des liaisons aériennes et de périodes de confinement plus ou moins strictes au cours de l'année 2020 60 ( * ) . La réactivité des autorités publiques et la jeunesse des populations concernées se sont traduites par une limitation efficace de la propagation du virus comme en témoigne l'exemple de l'Égypte qui avait recensé à la fin du mois de juin 2021 moins de 300 000 cas de covid-19 et un nombre de décès limité à 15 600, alors qu'à la même date seuls 3% de la population égyptienne était vaccinée 61 ( * ) .
Pour autant, la paralysie de l'activité économique consécutive à la mise en oeuvre des mesures de lutte contre la propagation de l'épidémie a eu un effet direct et déstabilisateur sur de nombreux secteurs. En premier lieu, les restrictions sanitaires ont affecté les échanges réalisés dans le secteur informel qui a une importance particulière dans certains pays d'Afrique du Nord comme l'Algérie, où son poids est estimé à 30% de l'emploi, ou l'Égypte, où il représente plus de 50% de l'emploi et 40% du PIB. En second lieu, la perturbation des flux de circulation internationale des personnes engendrée par la crise sanitaire a eu des conséquences graves et probablement durables sur le secteur du tourisme qui représente également un enjeu économique central pour plusieurs pays de la région au premier rang desquels le Maroc, la Tunisie, ainsi que l'Égypte.
En Tunisie, alors que le pays avait accueilli en 2019 9 M de touristes et que le secteur, qui concentrait 7% de la croissance du pays, représentait à cette date 95 000 emplois directs et 185 000 emplois indirects, la crise sanitaire a aggravé la déstabilisation d'un secteur déjà fragilisé par la dégradation de la situation sécuritaire illustrée dès 2002 par l'attentat de la Ghriba à Djerba, puis surtout par les attentats du musée du Bardo et de Sousse ayant fait en 2015 plusieurs dizaines de morts dont la majorité était des touristes. La chute de 78% de l'activité touristique en 2020, inédite dans l'histoire du pays, s'est traduite par le licenciement de 80 000 salariés de l'hôtellerie et par un affaiblissement simultané de nombreuses entreprises dans les secteurs du transport ou de l'artisanat 62 ( * ) .
Cette situation de dégradation de la conjoncture économique et de déstabilisation à long terme de l'appareil productif des pays d'Afrique du Nord a été aggravée depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine par la Russie le 24 février 2022.
En effet, plusieurs pays de la rive sud de la Méditerranée entretiennent des liens commerciaux importants avec les deux belligérants, dont l'entrée en guerre aura des conséquences directes à moyen terme sur leur balance commerciale. En particulier, en matière de tourisme, les ressortissants Russes et Ukrainiens représentent au total 33% des touristes étrangers en Égypte et 25% en Tunisie 63 ( * ) , en conséquence de quoi, la conscription des ressortissants Ukrainiens et l'exclusion des banques russes des systèmes de paiement internationaux auront un impact significatif sur les revenus issus du tourisme des pays d'Afrique du Nord.
En parallèle, et de manière plus préoccupante, la hausse rapide du prix des céréales, le blé, le maïs et le soja, ayant connu des hausses respectives de leur cours de 36%, 24% et 19% entre le 1 er janvier et le 16 mai 2022, et les difficultés rencontrées par l'Ukraine pour trouver une voie d'acheminement à l'extérieur de ses récoltes de céréales fait peser sur les pays d'Afrique du Nord un risque de difficulté d'approvisionnement voire d'insécurité alimentaire 64 ( * ) .
Les pays de la rive sud se trouvent particulièrement exposés à cette déstabilisation du marché des céréales du fait de la situation d'importateurs nets de céréales de ces pays et de l'importance de l'Ukraine et la Russie parmi leurs fournisseurs ; ces deux pays représentant notamment une part importante des céréales importées au Maroc (20%), en Tunisie (40%) et en Égypte (50%).
Vulnérabilité des économies d'Afrique du Nord face à l'invasion russe de l'Ukraine
Source : Direction générale du trésor
2. La dégradation de la conjoncture fait peser un risque d'instabilité politique sur les pays d'Afrique du Nord du fait de la fragilité de leur situation socio-économique
La fragilisation de la situation économique des pays de la rive sud de la Méditerranée intervient dans un contexte particulier d'instabilité politique et sociale qui pourrait être renforcée par le risque de récession. En effet, alors que les pays d'Afrique du Nord ont connu, à l'exception notable de la Libye, une relative stabilisation de leur situation politique depuis l'épisode des printemps arabes en 2010 et 2011, les difficultés économiques rencontrées par ces pays avaient suscité, dès 2019, une résurgence des mouvements de contestation politique et sociale qui pourrait désormais être consolidée en cas de dégradation prolongée de la conjoncture économique.
En premier lieu, en Algérie, l'annonce de la candidature du président Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat en février 2019 avait provoqué des manifestations sociales importantes dont en particulier celles du 22 février 2019 ayant donné naissance au mouvement du Hirak 65 ( * ) . Alors que ni le retrait de la candidature du président Bouteflika le 1 er avril 2019, ni l'élection le 12 décembre 2019 du président Abdelmadjid Tebboune, avec une participation inférieure à 40%, n'avait mis fin aux manifestations, le mouvement a finalement décru sous l'effet conjugué des confinements décidés pour répondre à la crise sanitaire et d'un durcissement de la répression mise en oeuvre par les pouvoirs publics 66 ( * ) . Pour autant, l'absence de réforme en profondeur des institutions publiques crée une situation dans laquelle les revendications portées par les manifestants du Hirak pourraient donner lieu à de nouveaux mouvements sociaux à moyenne échéance.
En second lieu, en Tunisie, les institutions parlementaires issues de la constitution de janvier 2014, adoptée à la suite de la révolution de 2011, sont largement remises en cause, depuis que le 25 juillet 2021 le président de la République Kaïs Saïed a pris la décision d'exercer des pouvoirs exceptionnels. Après avoir immédiatement suspendu l'assemblée des représentants du peuple, le président Saïed a prononcé sa dissolution le 30 mars 2021, quelques semaines après avoir dissout en février 2022 le conseil supérieur de la magistrature. Alors que le référendum sur la réforme de la constitution organisé le 25 juillet 2022 a été approuvé à hauteur de 95%, mais avec une participation de seulement 31% et que de nouvelles élections législatives doivent se tenir en décembre 2022, la phase d'incertitude institutionnelle ouverte à l'été 2021 en Tunisie continue de constituer un risque pour la stabilité de ce pays à moyen terme.
En troisième lieu, en Égypte, alors que la proportion de la population vivant sous le seuil de pauvreté est passée de 25% à 33% en dix ans, des manifestations ont été organisées de manière coordonnée en septembre 2020 au Caire, ainsi que dans les gouvernorats de Guizeh, Minya, Assouan et Fayoum où les taux de pauvreté dépassent 50% de la population. Malgré les moyens déployés par les autorités publiques pour limiter la liberté d'expression, le « vendredi de la colère » organisé le 25 septembre 2020 a donné lieu à des appels au départ du président Sissi 67 ( * ) . Si ces manifestations ne mettent pas directement en cause la stabilité du régime égyptien, elles illustrent l'importance pour les autorités publiques de répondre rapidement aux problèmes d'approvisionnement en céréales soulevés à court terme par la guerre en Ukraine.
En conclusion, les rapporteures relèvent, à la suite de plusieurs des experts auditionnés, que la situation actuelle dans certains pays d'Afrique du Nord présente des similitudes avec celle qui prévalait à la fin de l'année 2010, à la veille des printemps arabes, et qu'il existe un risque non négligeable qu'une dégradation ponctuelle de la conjoncture économique joue un rôle de déclencheur d'une crise politique plus large qui aurait des conséquences géostratégiques pour la France et pour la stabilité à moyen terme des pays de la rive sud de la Méditerranée.
C. LE BASSIN MÉDITERRANÉEN EST EXPOSÉ À UN RISQUE ENVIRONNEMENTAL AIGU QUI POURRAIT AVOIR À MOYEN TERME D'IMPORTANTES CONSÉQUENCES SUR LE PLAN STRATÉGIQUE
1. La concentration des activités humaines en Méditerranée expose particulièrement cet espace aux effets du changement climatique
Espace maritime d'une relative exiguïté, ne représentant pas plus de 1% des eaux de la planète, la Méditerranée concentre une grande diversité d'activités économiques et commerciales qui font peser une pression croissante sur l'environnement naturel du bassin méditerranéen que le Groupe d'expert intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) des Nations unies a qualifié de « zone critique pour le changement climatique » ( climate change hotspot ) dans le deuxième volet de son sixième rapport d'évaluation publié en février 2022 68 ( * ) . Cette dégradation accélérée de l'environnement méditerranéen, dont les causes sont liées à l'activité humaine, pourrait également avoir d'importantes conséquences sur la stabilité des pays de la zone.
Les facteurs de pression environnementale sont multiples en Méditerranée. En premier lieu, l'intensification du trafic maritime a un caractère perturbateur du fait de la pollution de l'air et de l'eau qu'il provoque, ainsi que de l'introduction dans le bassin méditerranéen d'espèces allogènes susceptibles d'avoir un caractère invasif. Alors que dans les villes côtières, les émissions des navires sont devenues l'une des principales sources de pollution de l'air, on estime qu'une réglementation plus contraignante sur les émissions d'oxyde de soufre et d'oxyde d'azote des navires permettrait d'éviter chaque année entre 1 100 et 1 700 morts prématurées en Méditerranée et plus de 2 000 cas d'asthme chez les enfants 69 ( * ) .
En second lieu, alors qu'il constitue un facteur important de pression anthropique sur l'environnement du fait de la mobilisation importante qu'il suppose en termes de ressources en eau, en énergie et en denrées alimentaires, le tourisme connait une croissance soutenue en Méditerranée depuis les années 1970. Alors que les arrivées de touristes internationaux représentaient un flux annuel de 58 M en 1970, elles représentent un flux de 360 M de personnes en 2017 et devrait atteindre en 2030 un total de 500 M de personnes par an 70 ( * ) . Cet afflux touristique se dirige principalement vers les zones côtières qui concentrent 170 M d'arrivées par an et qui ont été largement affectées par l'attractivité du tourisme saisonnier balnéaire qui explique pour partie l'artificialisation croissante de ces espaces, les espaces artificialisés à moins d'un kilomètre des côtes ayant plus que doublé depuis 1975 dans les trois quart des pays concernés.
En troisième lieu, l'exploitation intensive des ressources naturelles en Méditerranée contribue à augmenter les pressions environnementales auxquelles le bassin est soumis. La pêche par capture, secteur qui représente annuellement 2,4 Md de tonnes de poissons et crustacés et emploie directement et indirectement un million de personnes en Méditerranée, puise dans un stock halieutique qui est considéré comme surexploité pour 78% des espèces. L'aquaculture en eaux saumâtres et marines connait parallèlement une croissance dynamique, notamment en Égypte et en Turquie, et a connu une multiplication par six de sa production en Méditerranée depuis les années 1990. Enfin, alors que la Méditerranée représente actuellement 4,6% des réserves mondiales de gaz et de pétrole situées principalement au large des côtes algériennes, libyennes et égyptiennes, la découverte de ressources énergétiques en Méditerranée orientale pourrait se traduire par une extension du secteur de l'exploitation des ressources naturelles en Méditerranée qui mobilise déjà plus de 200 plateformes en mer (offshore) .
En conséquence de cette pression résultant de l'accumulation d'activités humaines sur le pourtour méditerranéen, la Méditerranée connait un réchauffement climatique accéléré, dont la vitesse est estimée supérieure à hauteur de 20% au changement climatique sur le reste de la planète 71 ( * ) . La température de l'air y a augmenté de plus de 1,5°C depuis le début de l'ère industrielle (1850) contre 1,1°C sur l'ensemble de la planète. En cas de poursuite de la trajectoire actuelle, le réchauffement à horizon 2040 est estimé à 2,2°C. Ce réchauffement concerne également la température de l'eau, qui a connu un réchauffement de 0,4°C et qui pourrait atteindre 3,5°C d'ici à 2100. Parallèlement, l'absorption d'environ un tiers du dioxyde de carbone émis par l'activité humaine se traduit par un phénomène d'acidification des océans qui est particulièrement prononcé en Méditerranée et qui représente un risque pour un nombre important d'espèces marines.
La dégradation de l'environnement en Méditerranée représente également un risque pour la grande source de biodiversité représentée par le bassin qui concentre 17 000 espèces marines, soit 18% des espèces connues, dans un espace limité à 0,3% du volume océanique mondial. Les perturbations du milieu marin et la très forte pollution de la Méditerranée, qui connait la plus grande concentration de déchets plastiques au monde avec un volume de 8 à 12 M de tonnes de plastique annuelles rejetées en Méditerranée, mettent en péril cette « zone critique de la biodiversité » ( biodiversity hotspot ) où 32% des habitats marins sont considérés comme menacés.
Cette pression croissante sur le bassin méditerranéen et ses conséquences potentielles pour l'environnement ont conduit les États de la région à établir un cadre de coopération régional qui, malgré les avancées qu'il permet, n'est pas en mesure de tenir les objectifs globaux adoptés dans un cadre multilatéral. Première initiative régionale adoptée dans le cadre du programme pour les mers régionales du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), la convention pour la protection de la mer Méditerranée contre la pollution du 16 février 1976, dite Convention de Barcelone, est entrée en vigueur en 1978. Des amendements adoptés par les parties en juin 1995 ont élargi le champ de la Convention de Barcelone qui est devenue la convention sur la protection du milieu marin et du littoral de la Méditerranée. Réunissant 22 parties cocontractantes 72 ( * ) de l'ensemble du bassin méditerranéen, la Convention de Barcelone institue un cadre de coopération multilatérale, le « Plan d'action pour la Méditerranée » (PAM) à travers des réunions ministérielles organisées tous les deux ans (conférences des parties) et un secrétariat général. Ce dispositif a été progressivement complété par l'adoption de sept protocoles 73 ( * ) contraignants rattachés au cadre de la Convention de Barcelone.
La coopération internationale a permis certaines avancées importantes dans le bassin méditerranéen dont notamment la réduction du nombre d'accidents provoquant des pollutions aux hydrocarbures en mer, l'amélioration de la qualité de l'eau de baignade notamment au large des pays de la rive nord où 90% des eaux de baignade sont considérées comme bonnes ou excellentes, ainsi que la constitution coordonnée d'un réseau commun d'aires spécialement protégées d'importance méditerranéenne (ASPIM).
Malgré ces avancées, les pays du bassin méditerranéen ne sont pas actuellement en mesure de tenir les objectifs internationaux adoptés dans le cadre de la Convention de Barcelone comme en témoigne l'état de dégradation avancée de l'environnement en Méditerranée. À titre d'exemple, si les zones de protection de la biodiversité représentent désormais 9% de la superficie marine en Méditerranée, seulement 10% des zones concernées bénéfice effectivement de la mise en oeuvre d'un plan de gestion alors que les objectifs internationaux adoptés à Aichi en octobre 2010 74 ( * ) prévoyaient d'atteindre en 2020 une proportion de 10% des espaces côtiers protégés et gérés efficacement et équitablement.
2. La dégradation accélérée de l'environnement autour du bassin méditerranéen aura des conséquences économiques et sociales susceptibles de déstabiliser à moyen terme les pays concernés
Au-delà des dégâts profonds causés au patrimoine naturel, le changement climatique accéléré par l'accumulation des activités humaines en Méditerranée rétroagit sur les conditions d'exercice de ces activités et fragilise des équilibres parfois fragiles au sein des sociétés riveraines du bassin méditerranéen.
En premier lieu, sur le plan économique, la surexploitation des stocks halieutiques et la montée de la température de la mer déstabilisent les nombreux secteurs économiques qui dépendent de la mer autour du bassin méditerranéen. Dans un rapport en date de 2017, la Banque mondiale estimait à ce titre que le coût associé à la dégradation de l'environnement au Maroc était de 3,5% du PIB, dont 1,3% pour la seule dégradation de la qualité de l'eau et 0,3% pour la dégradation des zones côtières 75 ( * ) . Dans le domaine spécifique de la pêche, les espèces de grande taille sont menacées en Méditerranée par l'essor des espèces d'origine tropicale. À titre illustratif, la diminution de la taille et de l'abondance du plancton en Méditerranée a réduit la taille moyenne des sardines dans le golfe du Lion de 15 à 11 cm, ce qui limite largement leur valeur commerciale. Parallèlement, l'acidification de la mer et la fréquence des vagues de chaleur marine risquent d'entraîner des épisodes de mortalité massive affectant les filières conchylicoles à l'image de ceux intervenus pendant l'été 2018 dans l'Hérault 76 ( * ) . La modification du climat en Méditerranée risque également d'avoir des conséquences à moyen terme sur le tourisme balnéaire et de plongée qui sera affecté par la fréquence des canicules et la dégradation des zones côtières.
En second lieu, sur le plan social, l'augmentation de la fréquence des crises climatiques pourrait nourrir des déplacements de population qui auront un effet déstabilisateur sur les pays du sud de la Méditerranée. L'intensification des épisodes d'inondation ou de cyclones de type tropical, à l'image de l'ouragan méditerranéen ( medicane ), Apollo ayant frappé la Sicile en octobre 2021, pourrait dégrader les milieux côtiers et avoir des conséquences importantes pour les populations nombreuses vivant sur le littoral.
Les estimations de la Banque mondiale 77 ( * ) selon lesquelles le nombre de déplacés climatiques à l'intérieur de leurs frontières nationales devrait atteindre 216 M en 2050 illustrent le fait que les équilibres sociaux dans certains pays de la rive sud du bassin méditerranéen pourraient être lourdement affectés par les effets du changement climatique qui risque de fragiliser des structures politiques et économiques déjà atteintes par les difficultés économiques et sociales préalablement décrites.
Alors que 20 M de personnes vivent à moins de cinq mètres au-dessus du niveau de la mer sur les côtes méditerranéennes, certains pays sont particulièrement exposés à ces conséquences du changement climatique, à l'image de l'Égypte où une élévation d'un mètre du niveau de la mer se traduirait par l'inondation de 25% du delta du Nil et 13% des terres agricoles. À l'échelle de l'Afrique du Nord, une telle élévation du niveau de la mer affecterait 37 M de personnes 78 ( * ) .
Par suite, les conséquences économiques et sociales associées à la dégradation de l'environnement dans cette région du monde particulièrement exposée au changement climatique auront des répercussions en termes géostratégiques et, comme le souligne l'Alliance nationale de recherche pour l'environnement (AllEnvi), « la montée du niveau de la mer posera aussi d'épineux problèmes de souveraineté, de sécurité des populations très côtières, de sécurité alimentaire, de bouleversements d'écosystèmes, de migrations pour de nombreux pays » 79 ( * ) .
III. UN ESPACE DISPUTÉ
A. LES LUTTES D'INFLUENCE QUI S'INTENSIFIENT À LA PÉRIPHÉRIE DU BASSIN MÉDITERRANÉEN CONSTITUENT UNE MODALITÉ D'AFFRONTEMENT INDIRECT ENTRE LES PUISSANCES IMPLIQUÉES
1. La lenteur du processus d'adhésion à l'Union européenne soumet les pays des Balkans à la pression croissante de l'influence des puissances extérieures
a) La crédibilité de l'Union européenne dans les Balkans occidentaux est affaiblie par l'absence de perspective d'adhésion à moyen terme après un processus de rapprochement de près de dix ans
Les Balkans occidentaux, constitués selon le périmètre retenu par l'Union européenne de l'Albanie, de la Bosnie-Herzégovine, du Kosovo, de la Macédoine du Nord, du Monténégro et de la Serbie, occupent un espace stratégique à la frontière nord du pourtour méditerranéen. Alors que plusieurs des pays des Balkans occidentaux ont un accès direct à la mer Adriatique, ils bénéficient également, à travers le canal d'Otrante, d'une liaison directe avec la mer Ionienne et le reste du bassin méditerranéen. Cette région fortement marquée par les guerres en ex-Yougoslavie, entourée d'États membres de l'Union à l'Ouest et à l'Est depuis l'entrée dans l'Union européenne de la Bulgarie et de la Roumanie en 2007, fait l'objet d'une politique particulière de l'Union européenne qui y a des intérêts économiques et stratégiques.
Dans ses conclusions adoptées à l'issue du sommet de Thessalonique des 19 et 20 juin 2003, le Conseil européen a formellement consacré la « perspective européenne » de l'ensemble des pays des Balkans occidentaux, c'est-à-dire leur vocation à devenir membre de l'Union à l'issue d'un processus d'intégration permettant la convergence de ses pays avec les critères politiques, économiques et administratifs subordonnant l'entrée dans l'Union. Pour favoriser cette convergence, l'Union européenne a adopté avec chaque État de la région des accords de stabilisation et d'association pour fixer un cadre structurel à leurs relations avec l'Union. En outre, les pays de la région ont bénéficié d'un rattachement aux réseaux transeuropéens des transports et de l'énergie et ils bénéficient tous, à l'exception du Kosovo, d'un accord prévoyant pour leurs citoyens un régime d'exemption de visa pour voyager dans l'Union 80 ( * ) .
Parallèlement, l'ancrage des pays des Balkans occidentaux dans le camp occidental a progressé par l'adhésion à l'Alliance atlantique de l'Albanie et de la Croatie (2009), puis du Monténégro (2017) et de la Macédoine du Nord (2020). Enfin, la politique européenne vis-à-vis des Balkans occidentaux s'appuie sur des instruments financiers permettant d'apporter un soutien substantiel comme en témoigne l'aide européenne d'un montant de 3,3 Md€ en réponse à la crise sanitaire ou encore l'aide à la reprise économique fixée à 9 Md€ sur la période 2021-2027 81 ( * ) .
Cependant, malgré l'entrée dans l'Union européenne de la Croatie en 2013, le bilan de la politique d'intégration dans les Balkans occidentaux près de dix ans après le sommet de Thessalonique témoigne de la persistance de blocages institutionnels qui ralentissent le processus d'adhésion. Ainsi parmi les pays des Balkans occidentaux, seuls la Serbie et le Monténégro ont ouvert les négociations d'adhésion avec l'Union et ils n'ont clôturé à titre provisoire respectivement que deux et trois chapitres de négociations sur les trente-cinq qui composent les négociations d'adhésion. Dans le cas de l'Albanie et de la Macédoine du Nord, les négociations d'adhésion ont été ouvertes le 19 juillet 2022 par la convocation simultanée des deux premières conférences intergouvernementales afférentes à ces deux pays. L'ouverture de ces négociations, permise par la forte implication de la diplomatie française au premier trimestre 2022 au cours de la présidence française du Conseil de l'Union (PFUE), était une priorité alors qu'à la date d'ouverture des négociations, cela faisait plus de deux ans que les ministres des affaires étrangères avaient consacré dans les conclusions du Conseil en date du 25 mars 2020 leur accord pour l'ouverture de ces négociations. Ce retard dans l'ouverture des négociations, qui est lié à un contentieux bilatéral entre la Bulgarie et la Macédoine du Nord portant sur la reconnaissance des « origines bulgares » de la Macédoine du Nord, a été d'autant plus préjudiciable qu'il est intervenu après que la Macédoine du Nord a adopté en 2019 une réforme constitutionnelle pour résoudre un différend avec la Grèce relative à son appellation.
Les raisons de la situation de blocage actuelle de la politique d'élargissement dans les Balkans sont multiples. En premier lieu, elle relève de l'émergence d'un phénomène de « fatigue de l'élargissement » au sein des pays déjà membres de l'Union. En second lieu, elle s'explique par le maintien de divergences profondes entre les situations économiques des pays des Balkans et ceux de l'Union européenne : les PIB par habitant des pays de la zone vont de 47% pour le Monténégro, à 26% pour le Kosovo, de la moyenne au sein de l'Union. Selon des extrapolations en date de 2019, la durée nécessaire pour que ces pays atteignent la moyenne de l'Union se situerait entre 60 et 200 ans. En troisième lieu, la politique à adopter dans les Balkans occidentaux ne fait pas l'objet d'un consensus entre les États membres. Sur ce sujet, les États membres sont divisés entre les pays favorables à une adhésion rapide, en assouplissant si nécessaire les critères d'adhésion, et les pays favorables au fait d'exercer une pression plus forte sur les États candidats de la région pour accélérer le processus de réforme institutionnelle et permettre une adhésion sans assouplissement des critères actuels. La division des États membres sur ce sujet est par ailleurs illustrée par le fait que l'indépendance du Kosovo n'est pas reconnue par cinq États membres de l'Union 82 ( * ) .
Les divisions de l'Union européenne et l'absence d'avancée concrète dans le processus d'adhésion portent atteinte à la crédibilité de l'Union dans la région et a des conséquences sur la popularité de l'Union européenne dans les pays des Balkans : à titre d'exemple, la proportion des sondés faisant confiance à l'Union européenne en Macédoine du Nord est passée de 46% en 2019 à 9% en mars 2022 83 ( * ) .
Si le projet de « communauté politique européenne » évoqué par le Président de la République française au Parlement européen le 9 mai 2022 a notamment pour objet de répondre à ces dysfonctionnements de la procédure actuelle d'adhésion, les rapporteures relèvent l'urgence de réformer la politique européenne dans les Balkans occidentaux pour assurer le maintien de l'influence européenne, au regard notamment de l'influence croissante exercée dans ces pays par des puissances extérieures.
État d'avancement des candidatures à l'Union des pays des Balkans occidentaux
Monténégro . Le Monténégro a présenté sa candidature en décembre 2008. Il a obtenu le statut de pays candidat en décembre 2010. Les négociations d'adhésion ont débuté en juin 2012.
Serbie . La Serbie a présenté sa candidature en décembre 2009. Elle a obtenu le statut de pays candidat en mars 2012. Les négociations d'adhésion ont débuté en janvier 2014.
Macédoine du Nord . La Macédoine du Nord a présenté sa candidature en mars 2004. Elle a obtenu le statut de pays candidat en décembre 2005. Les négociations d'adhésion ont débuté en juillet 2022.
Albanie . L'Albanie a présenté sa candidature en avril 2009. Elle a obtenu le statut de pays candidat en juin 2014. Les négociations d'adhésion ont débuté en juillet 2022.
Bosnie-Herzégovine . La Bosnie-Herzégovine a présenté sa candidature en février 2016. Le pays n'a pas obtenu le statut de candidat.
Kosovo . Le Kosovo n'a pas encore présenté de candidature.
b) Les puissances extérieures exercent une influence croissante dans les Balkans occidentaux en s'appuyant sur une coopération dans les domaines économique, diplomatique et sécuritaire
Le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022 a illustré l'importance géostratégique des Balkans occidentaux, qui sont particulièrement vulnérables à l'infiltration par les réseaux d'influence russes qui y ont diffusé des messages de désinformation sur le déroulement de la guerre et les motifs de son déclenchement.
La Serbie, en dépit de son vote en faveur de la résolution de l'Assemblée générale des Nations unies (AGNU) condamnant l'invasion russe de l'Ukraine 84 ( * ) , a revendiqué le fait d'adopter une position neutre dans le conflit et elle a refusé d'appliquer les mesures de rétorsions économiques adoptées à l'échelle de l'Union européenne, alors même que la Serbie a ouvert des négociations d'adhésion avec l'Union en 2014. La signature en avril 2022 d'un accord relatif à la livraison de gaz en Serbie par la Russie, justifié notamment par la dépendance de la Serbie à la Russie à hauteur de 90% pour son gaz, illustre les leviers dont disposent les puissances extérieures pour exercer dans cette région une influence de nature à perturber le processus d'intégration à l'Union européenne. Parmi ces puissances extérieures, l'influence chinoise et turque croît dans la région à côté de celle exercée traditionnellement par la Russie.
En premier lieu, la Russie s'appuie sur la Republika Srpska et sur la Serbie pour exercer une influence culturelle, diplomatique et militaire dans les Balkans occidentaux. En Bosnie-Herzégovine, les autorités russes appuient la paradiplomatie de la Republika Srpska, entité fédérée dont les revendications sécessionnistes ont été renforcées depuis l'arrivée au pouvoir en 2006 de Milorad Dodik. La Russie a ainsi bénéficié de sa proximité culturelle et religieuse avec les Serbes de Bosnie-Herzégovine, l'Église orthodoxe jouant un rôle de facilitateur diplomatique, pour nouer plusieurs partenariats directs avec la Republika Srpska : les ministères de l'intérieur russe et de la Republika Srpska coopèrent depuis 2004 ce qui a permis à la police de la Republika Srpska d'obtenir des transferts de technologie et la coopération a été consolidée par la signature en 2015 d'un mémorandum d'assistance entre les deux parties. En Serbie, la Russie exerce également une influence diplomatique et stratégique en s'appuyant sur sa proximité culturelle avec ce pays. Sur le plan diplomatique, la Russie a soutenu la Serbie dans sa campagne internationale contre la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo. Sur le plan militaire, les deux pays ont signé en 2013 un partenariat stratégique et ont organisé depuis plusieurs exercices en commun. Sur le plan économique, il est à relever qu'au-delà de la dépendance énergétique de la Serbie aux exportations de gaz russe, les deux pays ont signé un accord de libre-échange en 2000 et que la Serbie bénéficie depuis 2019 d'un accord commercial avec l'Union économique eurasiatique.
En deuxième lieu, la Chine est un acteur plus récent dans cette région qui développe des partenariats économiques et sécuritaires de nature à renforcer la portée de son influence sur le pourtour méditerranéen. Sur le plan économique, la Chine s'appuie dans la région sur son format « 16+1 », anciennement « 17+1 » jusqu'au retrait de la Lituanie en 2021, qui réunit des pays d'Europe centrale et orientale incluant l'ensemble des pays des Balkans occidentaux à l'exception du Kosovo qui n'est pas reconnu par la Chine. Dans le cadre de son plan d'investissement massif des « nouvelles routes de la soie » ( Belt and Road Initiative ou BRI), la Chine a investi 14,6 Md$ dans les Balkans occidentaux entre 2015 et 2019, dont 10 Md$ en Serbie 85 ( * ) . Malgré son implication relativement récente dans la région, la Chine représente déjà 20% des stocks d'investissements directs à l'étranger (IDE) en Europe de l'Est. Alors que ces investissements prennent le plus souvent la forme de prêts, ils sont susceptibles de présenter un risque de ralentissement des réformes de gouvernance dans les pays de la région. À titre d'exemple, la Chine est devenu le premier bailleur de fonds bilatéral du Monténégro en lui accordant un prêt de 1,1 Md€ pour la construction d'une autoroute, ce qui représente 25% de son PIB. Parallèlement la Chine renforce également sa présence régionale sur les plans diplomatique et culturel. Elle a financé à ce titre l'ouverture dans les Balkans occidentaux de « classes Confucius » dans les écoles primaires et secondaires pour consolider son influence. Sur le plan sécuritaire, les ministres de l'intérieur chinois et serbes ont adopté en mai 2019 un mémorandum prévoyant une coopération entre les deux pays dans le domaine de la lutte contre la cybercriminalité qui prévoit des exercices conjoints de certaines unités de police. Ce rapprochement a eu des conséquences diplomatiques et il est à relever que la Serbie est le seul pays des Balkans à avoir soutenu la Chine aux Nations unies sur la question du traitement de la minorité ouïgour au Xinjiang.
En troisième lieu, la Turquie entend décliner sa logique de puissance régionale dans les Balkans occidentaux, en s'appuyant notamment sur le développement de liens culturels avec la communauté musulmane présente dans les Balkans. Dans une perspective « néo-ottomane » qui est en cohérence avec le reste de son action internationale, la Turquie a soutenu la restauration des monuments de la période ottomane dans les Balkans et finance des actions de soutien à la culture et à la langue turque dans la région et valorisant son passé ottoman 86 ( * ) . Parallèlement, la Turquie a noué des relations bilatérales nourries avec l'Albanie et le Kosovo, avec lesquels elle est liée par des accords de coopération militaire respectivement depuis 1992 et 2012.
En conclusion, les rapporteures relèvent qu'alors que l'Union européenne demeure le principal partenaire des pays de la région sur le plan stratégique et économique, l'Union européenne représentant 69% des échanges commerciaux des Balkans en 2019, il existe un risque que les puissances extérieures soient en mesure d'influencer la perception de l'action de l'Union européenne par les populations des pays concernés. Les sondages récents réalisés en Serbie avant l'invasion de l'Ukraine estimaient par exemple que 60% des citoyens serbes avaient une image positive de la Russie contre 27% seulement pour l'Union européenne 87 ( * ) . La crédibilité de l'Union européenne et la consolidation de son influence dans cette zone suppose de renforcer sa capacité à valoriser son action dans les Balkans occidentaux.
2. L'internationalisation de la guerre civile en Libye illustre le risque de « moyen-orientalisation » des conflits en Méditerranée
Depuis l'intervention armée des forces de l'Alliance atlantique en 2011 ayant conduit à la chute du régime de Muammar Kadhafi, la Libye s'est trouvée au centre des stratégies d'influence de plusieurs pays qui entendent défendre leurs intérêts en Méditerranée. Au-delà des importantes ressources énergétiques du pays, qui constituent la première réserve pétrolière d'Afrique avec un volume estimé à 48 Md de barils 88 ( * ) , la position stratégique de la Libye dans le voisinage immédiat des pays du sud de l'Europe a justifié l'immixtion dans la guerre civile libyenne de nombreux acteurs étrangers. Par leurs interventions indirectes en Libye, les puissances globales ou régionales impliquées en Méditerranée ont contribué à empêcher l'émergence d'une solution politique à long terme, chaque pays soutenant des camps opposés dans la guerre civile. Ces interventions extérieures en Libye ont eu par conséquent pour effet d'instrumentaliser la guerre civile libyenne qui est devenue un moyen d'affrontement indirect entre puissances rivales, participant, selon la formule de l'amiral Ausseur, à « une forme de moyen-orientalisation de la géopolitique du bassin méditerranéen » 89 ( * ) . Dans le cas de la Libye, cette internationalisation du conflit a concerné en premier lieu trois acteurs de la région qui se sont particulièrement investis pour exercer une influence sur l'évolution du pays : la Russie, la Turquie, et, dans une moindre mesure, l'Égypte.
En premier lieu, la Russie a déployé des moyens diplomatiques et paramilitaires pour défendre ses intérêts stratégiques et économiques en Libye, qui avait été menacés par l'intervention des forces de l'OTAN en 2011. En effet, alors que la Russie, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, avait fait le choix de s'abstenir et de ne pas opposer son veto à l'adoption le 17 mars 2011 de la résolution 1973 du Conseil de sécurité sur le fondement de laquelle les forces de l'Alliance sont intervenues militairement en Libye, la chute du régime de Muammar Kadhafi a représenté une perte économique importante pour la Russie. Au-delà des pertes subies par les entreprises russes exerçant une activité dans le secteur de l'énergie en Libye comme Gazprom et Lukoil, les entreprises industrielles de défense russes avait des liens forts avec l'ancien régime libyen et les pertes associées à sa chute sont estimées à 6,5 Md$ 90 ( * ) .
Pour faire contrepoids à l'influence exercée par les Frères musulmans et par la Turquie auprès du Gouvernement d'accord national (GNA) installé à Tripoli, la Russie a fait le choix à partir de 2015 de soutenir l'Armée nationale libyenne (ANL) représentée par Khalifa Haftar qui s'est rendu à Moscou dès juin 2016 et a été reçu à bord du porte-avion russe Amiral Kouznetsov au large de la Libye en janvier 2017, où il a échangé lors d'une visioconférence avec le ministre de la défense russe. Outre cette reconnaissance officielle apportée à Khalifa Haftar, la Russie s'est impliquée militairement sur le sol libyen par le biais de miliciens du groupe Wagner, qui a déployé 1 200 hommes en Libye qui ont joué un rôle important dans l'offensive de l'Armée nationale libyenne (ANL) en Tripolitaine au printemps 2019. Si ce soutien n'a pas permis à l'Armée nationale libyenne (ANL) de prendre Tripoli, la Russie est intervenue activement au mois de mai 2020 en déployant huit avions de combat (six MiG-29 et deux Sukhoï SU-24) en Libye pour faire barrage à l'éventualité d'une contre-offensive dirigée contre les troupes de Khalifa Haftar dans la région de Syrte où se trouve la base aérienne d'al-Jufra.
Enfin, depuis l'échec des troupes de l'Armée nationale libyenne (ANL) pour prendre Tripoli, il est à relever que la Russie exerce une fonction de médiateur pour laquelle elle s'appuie sur le fait qu'elle a maintenu des liens avec l'ensemble des interlocuteurs en Libye, y compris auprès du Gouvernement d'accord national (GNA) dont l'ancien vice-président du conseil présidentiel Ahmed Maetig qui a été reçu à Moscou en juin 2020. En adoptant cette position de médiateur et en dialoguant avec les différents acteurs impliqués dans la guerre civile, la Russie se place dans une position stratégique pour défendre ses intérêts, y compris économiques, dans le processus de reconstruction de la Libye.
Source : FMES, 2022, Atlas stratégique de la Méditerranée et du Moyen-Orient, (c) P. Orcier
En deuxième lieu, la Turquie a renforcé son influence dans le bassin méditerranéen par une intervention militaire risquée en Libye qui lui a permis de jouer un rôle décisif dans la résistance du Gouvernement d'accord national (GNA) face à l'offensive de l'Armée nationale libyenne (ANL) contre Tripoli. Cette intervention militaire, approuvée par un vote du parlement turc le 2 janvier 2020, a permis à la Turquie de réaffirmer sa présence sur un territoire avec lequel elle entretient des liens historiques dans la mesure où la Tripolitaine était placée sous le contrôle de l'Empire ottoman jusqu'à la guerre italo-turque de 1911-1912. Alors que cette intervention militaire ne bénéficiait pas du soutien de la population turque, qui y était défavorable à hauteur de 58%, elle a finalement joué un rôle décisif pour empêcher les troupes de l'Armée nationale libyenne (ANL) de prendre Tripoli 91 ( * ) . L'efficacité de l'engagement opérationnel de la Turquie dans la guerre civile s'explique d'abord par le déploiement rapide de mercenaires syriens dont le nombre atteignait déjà 2 000 le 15 janvier 2020 avant d'être porté à 3 800 au printemps de la même année. Les succès de l'armée turque en Libye s'explique ensuite par l'utilisation sur ce théâtre des drones Bayraktar TB2 qui ont joué un rôle déterminant lors de la contre-offensive du Gouvernement d'accord national (GNA) et ont notamment permis la destruction de neuf systèmes de défense anti-missile russes Pantir S-1.
Depuis le cessez-le-feu d'octobre 2020, le maintien d'une présence militaire sur le territoire libyen et la proximité de la Turquie avec les autorités du Gouvernement d'unité national (GNU), et en particulier avec Abdel Hamid Dbeibah, donnent à la Turquie des perspectives de renforcement de sa coopération économique et financière avec la Libye. En matière énergétique, la Turquie a signé à ce titre en novembre 2019 un accord avec le Gouvernement d'accord national (GNA) sur l'établissement de contrats d'infrastructure après la fin de la guerre civile. En septembre 2020, la Turquie a engagé des négociations avec le Gouvernement d'accord national (GNA) et la National Oil Corporation (NOC) libyenne sur la production d'électricité et la construction de pipelines. Plus récemment, la Turquie a continué de resserrer ses liens économiques avec la Libye en annonçant en février 2021 l'ouverture d'un centre logistique en Libye pour faciliter les exportations agricoles et de biens manufacturés vers l'ouest de la Libye puis en août 2021 en signant un accord avec la banque centrale libyenne pour faciliter la coopération dans le secteur bancaire.
En troisième lieu, l'Égypte s'est également impliquée dans le conflit civil en Libye pour défendre ses intérêts sécuritaires et économiques. La stabilité politique de la Libye constitue en effet un enjeu direct pour l'Égypte qui partage avec le territoire libyen une frontière longue de 1 115 kilomètres qui constitue une zone de trafics d'armes ayant un effet déstabilisateur en Égypte. Par ailleurs, le régime du président al-Sissi a mis en place une stratégie affirmée de lutte contre le mouvement des Frères musulmans à l'intérieur et à l'extérieur des frontières égyptiennes. Alors que les Frères musulmans ont été déclarés organisation terroriste par les autorités égyptiennes en novembre 2013, l'un des objectifs de l'implication de l'Égypte dans la guerre civile libyenne était d'empêcher l'établissement d'un pouvoir dominé par les Frères musulmans et susceptible de servir de refuge aux Frères musulmans égyptiens.
Dans le but d'affaiblir le Gouvernement d'accord national (GNA), qui était perçu comme proche des Frères musulmans, l'Égypte a rapidement soutenu les troupes de l'Armée nationale libyenne (ANL) en apportant son soutien politique à Khalifa Haftar dès le mois de mai 2014. Si elle n'est jamais intervenue directement dans le conflit, l'Égypte a néanmoins été l'un des acteurs importants de l'internationalisation de la guerre civile en fournissant des armes et une formation militaires aux unités de l'Armée nationale libyenne (ANL). L'Égypte a également mis à disposition deux bases aériennes proches de la frontière, dont notamment la base de Sidi Barrani, pour faciliter les frappes aériennes menées par les Mirage 2000 de l'armée de l'air des Émirats arabes unis (EAU) 92 ( * ) .
Depuis le retrait des troupes menées par Khalifa Haftar en juin 2020, l'Égypte a cessé de soutenir l'hypothèse d'une solution militaire et elle entend jouer un rôle de médiateur entre les différentes parties prenantes, comme en témoigne le déroulement au Caire en octobre 2021 des négociations entre la Chambre des représentants située à Tobrouk (Cyrénaïque) et le Haut Conseil d'État (Tripolitaine). Pour s'adapter à la dynamique de paix engagée par la signature du cessez-le-feu du 23 octobre 2020, l'Égypte entend désormais réduire le poids des Frères musulmans au sein du pouvoir libyen par une diplomatie d'influence et elle est impliquée pour assurer la place de l'Égypte dans la reconstruction de la Libye. À ce titre, la chambre économique égypto-libyenne a estimé à 2 M le nombre de travailleurs égyptiens qui seront impliqués dans la reconstruction des infrastructures affectées par la guerre. Sur le plan diplomatique, ce rapprochement a été matérialisé en avril 2021 par la visite à Tripoli du premier ministre égyptien Moustapha Madbouly, accompagné par onze membres de son gouvernement, qui s'est traduite par la signature de onze accords de coopération dans de nombreux domaines politiques, économiques et culturels 93 ( * ) .
Les rapporteures relèvent pour conclure que les multiples interventions internationales en Libye depuis 2011 illustrent non seulement la volonté croissante des puissances impliquées dans la région de défendre leurs intérêts économiques et diplomatiques y compris par le biais d'affrontements indirects, mais également le risque de marginalisation des pays occidentaux comme en témoigne la place centrale du dialogue bilatéral russo-turc dans la stabilisation de la situation politique et la reconstruction de la Libye.
B. LE RISQUE D'UN AFFRONTEMENT MILITAIRE DIRECT DANS LE BASSIN MÉDITERRANÉEN EST RENFORCÉ PAR LA DÉGRADATION DU CONTEXTE STRATÉGIQUE EN MÉDITERRANÉE ORIENTALE
1. La présence militaire turque à Chypre contribue au maintien d'un risque d'affrontement armé en Méditerranée orientale
a) Plus de quarante-cinq ans après l'intervention militaire de la Turquie, le règlement de la question chypriote reste entravé par l'absence de perspective de solution politique
Dès le XVI e siècle, la proximité de l'île de Chypre avec les côtes turques, la distance la plus courte de l'île avec le continent étant de 70 kilomètres seulement, a fait de ce territoire un point stratégique comme en atteste sa conquête par le sultan ottoman Selim II en 1571 pour sécuriser le port commercial de Mersin. Après avoir été cédée à la Couronne britannique en 1878, l'île a accédé à son indépendance en 1960. La Grèce, le Royaume-Uni et la Turquie se voit alors accordé le statut de « garant » de l'équilibre constitutionnel de l'île et le droit d'intervenir militairement pour défendre cet équilibre. Le rôle spécifique joué par les Britanniques dans l'Histoire de l'île justifie le maintien sur son territoire de la base aérienne d'Akrotiri et la base navale de Dhékélia gérées respectivement par la Royal Air Force et par la Royal Navy .
À partir des années 1950, la promotion par les nationalistes Grecs de l' Enosis (c'est-à-dire de la fusion de l'île avec la Grèce) est combattue par la Turquie. En particulier, le dirigeant turc Adnan Menderes promeut comme solution alternative celle de la partition de l'île ( Taksim ) et propose en 1957 à la Grèce et au Royaume-Uni un projet de division de l'île le long du 35 e parallèle 94 ( * ) . Les Britanniques ayant maintenu l'unité territoriale de l'île jusqu'à son indépendance, les années 1950 sont marquées à partir de 1958 par des affrontements intercommunautaires entre la communauté grecque qui représente 80% des habitants de l'île et la communauté turque qui en représente 20%. Ces affrontements violents justifieront l'intervention en 1963, sous mandat du Conseil de sécurité, des « casques bleus » des Nations unies pour une opération de maintien de la paix qui dure depuis plus de cinquante ans 95 ( * ) .
Le 15 juillet 1974, le coup d'État organisé par les Chypriotes grecs de l'EOKA ( Ethniki Organosis Kyprion Agöniston ) contre le président Makarios a donné lieu à partir du 20 juillet 1974 à l'intervention de l'armée turque, l'opération Attila, et à l'établissement par les Nations unies d'une zone tampon démilitarisée le long d'une ligne verte passant par la capitale Nicosie et stabilisée par la Force des Nations unies chargée du maintien de la paix à Chypre (UNFICYP). Depuis 1974, l'île est donc traversée par cette démarcation qui sépare la communauté grecque installée au sud de l'île et la communauté turque installée au nord de l'île sur un territoire qui représente 37% de sa superficie totale. Alors que la partie sud de l'île est administrée par les autorités de la République de Chypre, membre depuis le 1 er mai 2004 de l'Union européenne, la partie nord de l'île est occupée, depuis la proclamation du 15 novembre 1983, par l'autoproclamée « République turque de Chypre du Nord » (RTCN) qui n'est reconnue à l'échelle internationale que par la Turquie et dont la survie est subordonnée aux aides économiques turques dont elle est destinataire. Si au mitan des années 2000 la politique de rapprochement de la Turquie avec l'Union européenne a motivée l'adoption d'une attitude constructive des autorités de Chypre-Nord, le rejet par la communauté grecque de l'île lors du référendum organisé le 24 avril 2004 du projet de règlement des Nations unies, dit plan « Annan », qui prévoyait l'unification de l'île et l'établissement d'une confédération et qui a reçu une majorité favorable au sein de la communauté turque de l'île, a été suivi d'un durcissement de la position turque sur la question chypriote.
La question chypriote joue par ailleurs un rôle important dans la politique turque et dans sa stratégie extérieure. En premier lieu, sur le plan géographique, Chypre est appréhendée par les autorités turques depuis 1983 comme une île « qui perce le milieu de la Turquie comme un poignard » 96 ( * ) , selon l'expression utilisée par le premier ministre turc Turgut Özal. Cette image trouve son fondement dans le « syndrome de l'encerclement » diffusé en Turquie dans les années 1950 et selon lequel la présence turque à Chypre est un moyen essentiel de contrebalancer l'isolement de la Turquie aux confins du « lac grec » que constituerait la mer Égée. En deuxième lieu, sur le plan militaire, la Turquie s'appuie sur les infrastructures installées sur l'île qui joue un rôle de « porte-avion insubmersible » des forces armées turques qui y disposent de deux aérodromes à Pinarbasi et Geçitkale, situés respectivement au nord-ouest et au nord-est de Nicosie. La présence militaire turque sur l'île constitue donc non seulement un vecteur de protection de la minorité turque de l'île mais également un « glacis » qui rend difficile toute tentative d'offensive vers la Turquie depuis l'île. Enfin en troisième lieu, sur le plan politique, la question chypriote a été élevée au statut de « cause nationale » ( milî Dâva ) par les partis politiques turcs et elle fait partie des rares sujets consensuels au sein du paysage politique turc.
L'importance stratégique que représente Chypre-Nord pour la Turquie explique le fait que les autorités turques aient maintenu dans la partie nord de l'île, depuis les combats de 1974, 35 000 militaires stationnés sur un territoire de seulement 3 350 km 2 soit trois fois plus que le nombre de militaires des forces armées chypriotes, réunis dans une garde nationale qui compte seulement 12 000 militaires.
Source : FMES, 2022, Atlas stratégique de la Méditerranée et du Moyen-Orient, (c) P. Orcier
b) Le durcissement de la position de la Turquie vis-à-vis de Chypre participe de la dégradation de l'environnement stratégique en Méditerranée orientale
L'élection d'Ersin Tatar le 18 octobre 2020 comme nouveau dirigeant des autorités autoproclamées de Chypre-Nord est intervenue dans un contexte de réinvestissement de la question chypriote par le parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir en Turquie. Après avoir prôné une solution bicommunautaire sur le modèle fédéral belge, les autorités turques défendent désormais ouvertement une solution politique à deux États, en contradiction avec la position tenue par l'ensemble des membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. Dans ce contexte, la réunion de négociation organisée à Genève du 27 au 29 avril 2021 dans le format « 5+1 » 97 ( * ) n'ont pas permis d'aboutir à des avancées sur le règlement diplomatique de la question chypriote.
Dans un environnement international où les États-Unis ont affirmé leur volonté de réintégrer la Turquie à la communauté atlantique et où le Royaume-Uni entretient ses relations avec la Turquie depuis sa sortie de l'Union européenne, le durcissement de la position turque à Chypre s'est traduite par « une série de faits accomplis territoriaux » 98 ( * ) consacrés par la visite au nord de l'île du président turc R. T. Erdogan le 20 juillet 2021 à l'occasion du 47 e anniversaire de l'intervention militaire turque à Chypre.
Sur le plan civil, E. Tatar a annoncé la seconde phase, après une première phase intervenue en 2019, de réouverture de la ville de Varosha, zone rattachée à l'agglomération de Famagouste anciennement habitée par des Chypriotes grecs forcés à l'exil, en contradiction avec les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies qui a notamment déclaré qu'il « considère inadmissibles les tentatives d'installation, dans une partie quelconque de Varosha, de personnes autres que les habitants de ce secteur » 99 ( * ) . La poursuite de ce plan de réouverture, dont l'objet est de faire de Varosha un lieu d'attractivité touristique à Chypre-Nord, est susceptible d'exacerber les tensions intercommunautaires sur l'île dans les années à venir.
Sur le plan militaire, l'hypothèse de l'ouverture d'une base navale turque à Chypre-Nord a fait l'objet d'études prospectives par des experts turcs et la Turquie a récemment renforcé sa présence militaire au nord de l'île en déployant des drones Bayraktar TB2 sur la base aérienne de Geçitkale. Ce renforcement de la présence militaire turque s'inscrit enfin dans un climat de tensions et de confusion alimenté par la Turquie à l'image des tirs dirigés par un navire turc contre des garde-côtes chypriotes en patrouille près du port de Kato Pyrgos le 16 juillet 2021.
2. Les tensions accumulées autour de la délimitation des espaces maritimes renforce le risque d'escalade militaire en Méditerranée orientale
a) La découverte de gisements gaziers en Méditerranée orientale a exacerbé les différends soulevés par le phénomène de territorialisation de la Méditerranée
La territorialisation des espaces maritimes, c'est-à-dire leur délimitation pour les placer sous l'autorité d'États souverains, est un phénomène ancien dont l'architecture actuelle repose essentiellement sur la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) signé à Montego Bay le 10 décembre 1982 et entrée en vigueur le 16 novembre 1994. Aux termes de cette convention, les États disposent non seulement d'une mer territoriale pouvant s'étendre sur une distance allant jusqu'à 12 milles marins des côtes, mais également d'une « juridiction », c'est-à-dire de l'exclusivité pour exploiter les ressources naturelles de la surface, de la colonne d'eau, du sol et du sous-sol, sur une zone économique exclusive (ZEE) située entre les eaux territoriales et internationales et limitée, en l'absence d'autre rivage, par la ligne des 200 milles nautiques au-delà de la ligne de base.
Dès la signature de la Convention de Montego Bay dans les années 1980, un relatif consensus s'est dégagé sur le fait que l'espace méditerranéen n'était pas adapté, du fait de son exiguïté, aux règles de territorialisation prévues par le droit international, comme en témoigne la réserve de la majorité des États méditerranéens 100 ( * ) lorsque la Libye fit le choix de revendiquer publiquement sa souveraineté sur les eaux du golfe de Syrte en 1973. La délimitation des espaces maritimes dans le bassin méditerranée est perçue dès cette époque comme un facteur de « balkanisation de la Méditerranée » 101 ( * ) résultant d'une volonté d'appliquer en Méditerranée un droit de la mer inadaptable et inadapté à cet espace. La fragilité de l'architecture fixée par la Convention de Montego Bay en Méditerranée est encore renforcée par le fait que de nombreux pays riverains ne sont pas signataires de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, dont notamment Israël, la Turquie, la Syrie et la Libye qui ne sont pas liées par les dispositions de cette Convention.
Du fait des multiples chevauchements entre les ZEE qui résultent de l'application mécanique des règles de délimitation en Méditerranée, l'établissement de ZEE repose sur l'adoption d'accords bilatéraux par les États riverains concernés. En l'absence d'accord, les ZEE revendiquées par les États peuvent partiellement s'interpénétrer, ce qui donne lieu à la présence en Méditerranée de « zones grises » revendiquées par plusieurs pays, comme c'est par exemple le cas entre l'Algérie, l'Espagne et l'Italie en Méditerranée occidentale, qui nuisent à la sécurité juridique et opérationnelle des acteurs susceptibles d'intervenir dans ces espaces.
Plusieurs États riverains du bassin méditerranéen ont négocié des accords bilatéraux à partir des années 1990 pour fixer les délimitations entre leurs espaces maritimes, dont notamment l'accord de 2003 entre Chypre et l'Égypte sur la délimitation de leur ZEE, l'accord frontalier entre Chypre et le Liban adopté en 2007 avant d'être suspendu en 2010 ou encore l'accord de délimitation de la frontière maritime entre Chypre et Israël en 2010.
Parallèlement, le phénomène de territorialisation est renforcé dans le bassin levantin par l'affirmation de revendication croissante de la Turquie. Ces revendications s'appuient notamment sur la stratégie de la « Patrie bleue » ( Mavi Vatan ), consacrée par le président Erdogan en septembre 2019 et en application de laquelle la Turquie revendique un large espace de 462 000 km 2 autour de la péninsule anatolienne, en contradiction avec les droits souverains revendiqués par la Grèce et par Chypre. Développée au sein de l'administration militaire turque par les amiraux C. Gürdeniz, C. Yayci et S. Polat, la doctrine de la « Patrie bleue » est construite autour de l'idée que la vulnérabilité de l'Empire ottoman aurait résulté de son incapacité à devenir une puissance maritime et a pour objectif de faire de la Turquie une grande puissance maritime sur le plan militaire et économique en faisant émerger une « civilisation bleue » ( Mavi Uygarluk ) 102 ( * ) .
Dans le sillage de cette stratégie, la Turquie a progressivement durci ses positions en Méditerranée orientale et a notamment signé en septembre 2011 avec l'autoproclamée République turque de Chypre-Nord (RTCN) un accord de délimitation de leur frontière maritime servant de fondement à la revendication par Chypre-Nord de sa propre ZEE, non reconnue par les autorités de la République de Chypre, où la compagnie pétrolière turque TPAO a lancé des activités de forage. Plus récemment, les tensions en Méditerranée orientale ont été ravivées par la signature en novembre 2019 d'un accord entre la Turquie et le Gouvernement d'accord national (GNA) libyen relatif à la délimitation de leur frontière maritime commune. Cet accord, que la Commission européenne a dénoncé comme ayant « ignoré les droits souverains de la Grèce » et « porté atteinte aux droits souverains des États tiers » 103 ( * ) , non seulement ne reconnait pas les îles grecques de Rhodes, Karpathos et de Crète mais aurait également pour effet en cas d'application de créer une solution de continuité entre les espaces maritimes grecs et chypriotes. En réaction à l'adoption de cet accord, la Grèce a signé en août 2020 un accord avec l'Égypte relatif à leur frontière maritime qui délimite des ZEE pour la Grèce et l'Égypte qui chevauchent celles revendiquées par la Turquie et la Libye, en contradiction expresse avec les délimitations prévues par l'accord de novembre 2019 104 ( * ) . Ces différends portent atteinte à la stabilité de la zone et à l'exploitation de ces ressources naturelles, que les entreprises énergétiques poursuivent en faisant escorter leurs bâtiments par des navires militaires.
Enfin, la découverte depuis les années 2000 d'importantes réserves gazières dans le sous-sol méditerranéen a joué un rôle de catalyseur des tensions déjà existantes entre les pays riverains sur la question de la délimitation des espaces maritimes. La première séquence de découverte de ces gisements a été ouverte par la découverte en 1999 du gisement « Gaza Marine » au large des eaux territoriales de la bande de Gaza. Elle se poursuit avec les découvertes dans les années 2000 de gisements au large des côtes israéliennes dont notamment le gisement Léviathan en 2010 et dans les eaux chypriotes avec le gisement « Aphrodite » découvert en 2011. Une nouvelle séquence de découverte de gisements est engagée en 2015 par la découverte du champ gazier « Zohr » à 150 kilomètres des côtes égyptiennes. Ces réserves représentent dans leur ensemble une ressource limitée à l'échelle de la planète, avec 1% des réserves mondiales en gaz naturel et en pétrole, mais suffisamment importantes, avec 1,7 Md de barils de pétrole et 3 452 Md de mètres cube de gaz naturel, pour accentuer les enjeux et les différends relatifs à la fixation des délimitations des espaces maritimes.
Au-delà des revenus potentiels représentés par ces réserves énergétiques, la découverte de ces gisements gaziers représente un enjeu géostratégique majeur en matière de diversification des pays fournisseurs d'hydrocarbures, notamment en direction de l'Europe. Cet aspect soulève la question de la construction d'infrastructure pour acheminer vers l'Europe les ressources exploitées dans le bassin levantin. Les deux principales infrastructures envisageables sont soit de relier les gisements à la Turquie par le terminal de Ceyhan, soit de relier les gisements à la Grèce en passant par le sud de Chypre et par la Crète avec le projet de gazoduc de 2 000 kilomètres EastMed , dont certains tronçons seraient sous-marins. Malgré l'accord annoncé en janvier 2020 entre la Grèce, Chypre et Israël pour soutenir ce projet, et avant la fin des études de faisabilité prévue à la fin de l'année 2022, les États-Unis ont retiré au début de l'année 2022 leur soutien à la réalisation de cette infrastructure, en invoquant des incertitudes sur sa viabilité économique et la durée nécessaire à sa construction.
C'est dans ce contexte que, en janvier 2019, le premier « Forum du gaz en Méditerranée orientale » (EMGF) s'est tenu au Caire, avec le soutien des États-Unis et en présence des ministres de l'énergie de l'Égypte, de Chypre, de la Grèce, de l'Italie, d'Israël, de la Jordanie et de la Palestine. Depuis mars 2021, la France a intégré ce forum qui s'est constitué en organisation régionale depuis 2020. L'absence de la Turquie, de la Syrie et du Liban de cette organisation, ainsi que l'adhésion comme observateur des Émirats arabes unis en décembre 2020, illustre la dimension stratégique prise par les questions énergétiques en Méditerranée orientale qui explique la résurgence des différends et des tensions interétatiques qui contribue à la dégradation de l'environnement stratégique dans le bassin méditerranéen.
b) La multiplication des incidents maritimes alimente le risque de déclenchement d'un conflit militaire en Méditerranée orientale
L'intensification des tensions entre les pays riverains consécutive à la découverte des réserves en gaz dans le bassin levantin et au durcissement des positions de la Turquie s'est traduite par une militarisation croissante de la Méditerranée orientale qui induit une concentration des incidents maritimes dans cette zone au détriment de sa stabilité et de la sécurité collective 105 ( * ) .
Si dès 2008 des vaisseaux chypriotes avaient subi un épisode de harcèlement infligé par la flotte turque alors qu'ils effectuaient des missions de recherche d'hydrocarbure, ces incidents se sont multipliés depuis qu'en février 2018 le navire d'exploration « Saipem 12000 », affrété par la société italienne ENI, a été intercepté par des navires militaires turcs alors qu'il traversait des eaux revendiquées par Chypre-Nord en se rendant dans sa zone de travail, dite block 3 , au large de Chypre 106 ( * ) . De nouveaux incidents ont été répertoriés depuis dont notamment les violations en 2019 et 2020 des ZEE chypriotes et grecques par plusieurs navires turcs dont l' Oruç Reis , le Barbaros et le Yavuz 107 ( * ) . L'incident survenu le 10 juin 2020 avec l'illumination au large des côtes libyennes de la frégate française Courbet par des navires turcs est une autre illustration de la détermination de la Turquie à s'affirmer dans le bassin méditerranéen. Cette réaffirmation de la Turquie s'est à nouveau illustrée au début de l'année 2021 par l'organisation du 25 février au 7 mars de l'exercice « Mavi Vatan 2021 » au cours duquel les forces armées turques ont fait manoeuvrer en mer Égée et en Méditerranée 87 navires, 27 avions, 20 hélicoptères accompagnés de drones armés et non armés.
Conséquemment, la militarisation de la Méditerranée orientale est un des facteurs principaux d'escalade dans le bassin méditerranée comme l'illustre le fait que dans son Atlas stratégique 2022 , la Fondation méditerranéenne d'études stratégiques (FMES), dont le directeur général a été entendu par les rapporteures, a retenu comme hypothèse de conflit celui d'un conflit entre la Turquie et la Grèce et Chypre dans cette zone, qui pourrait être déclenché par la prise d'îlots grecs en mer Égée ou par des actions hostiles contre des navires de prospection gazière 108 ( * ) . Cette vulnérabilité potentielle de la Grèce face à l'attitude assertive de la Turquie rend nécessaire la consolidation des positions grecques et chypriotes de manière à décourager toute tentative de fait accompli de la part de la Turquie. L'exercice conjoint mené le 5 février 2022 en Méditerranée par le porte-avion Charles de Gaulle, le porte-aéronefs italien ITS Cavour et le groupe aéronaval de l' USS Harry Truman participe de cette stratégie de stabilisation qui est essentielle pour assurer la stabilité des espaces maritimes disputés dans l'est du bassin méditerranéen.
La dégradation des relations bilatérales gréco-turques depuis le début de l'année 2022, marquée notamment par les accusations des autorités turques, démenties par la Grèce, du verrouillage d'avions de combat turcs par un système anti-aérien grec en août, et par les déclarations ouvertement menaçantes et répétées publiquement au cours du mois de septembre par le président R. T. Erdogan concernant certaines îles en mer Égée revendiquées par la Turquie en contradiction avec la souveraineté territoriale de la Grèce, illustre l'importance de la présence militaire française comme facteur de réassurance de ses alliés grecs et chypriotes et de stabilisation de la région.
DEUXIÈME PARTIE - LA MILITARISATION DES RELATIONS INTERNATIONALES EN MÉDITERRANÉE
I. LE RISQUE DE RECUL DE L'INFLUENCE OCCIDENTALE
A. LES PAYS MÉDITERRANÉENS DE L'UNION EUROPÉENNE CONVERGENT POUR ÉTABLIR UNE NOUVELLE STRATÉGIE COMMUNE EN MÉDITERRANÉE EN RÉPONSE À L'ÉCHEC DE L'OBJECTIF D'INTÉGRATION ÉCONOMIQUE DU PROCESSUS DE BARCELONE
1. La portée limitée des initiatives européennes successives pour stabiliser la région et engager une intégration économique entre les deux rives de la Méditerranée a porté atteinte à la crédibilité de l'Union européenne dans cette zone
La volonté des pays européens de se doter d'une stratégie commune pour structurer leurs relations avec les pays méditerranéens n'est pas nouvelle et l'année 2022 marque le cinquantenaire de la première politique à vocation économique adoptée par la Communauté économique européenne (CEE) vis-à-vis du bassin méditerranéen, la politique méditerranéenne globale (PMG) 109 ( * ) . Alors que la guerre froide a fait obstacle au développement des échanges à l'échelle régionale, le début des années 1990 est marqué par plusieurs initiatives européennes de coopération à l'image de la Conférence pour la sécurité et la coopération en Méditerranée (CSCM) lancée par l'Espagne et l'Italie et inspirée de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) ; ou du Forum méditerranéen de Tanger, soutenu par la France. Ces initiatives de portée limitée aboutissent avec le lancement à la fin de l'année 1995 du « processus de Barcelone ».
La conférence de Barcelone des 27 et 28 novembre 1995, qui réunit les États membres de l'Union européenne ainsi que douze pays tiers méditerranéens 110 ( * ) , donne naissance au Partenariat euro-méditerranéen (PEM) qui constitue le cadre global de coopération de l'Union dans le bassin méditerranéen se fixant pour objectif ambitieux la constitution d'un espace de paix, de stabilité et de prospérité pour les États de la région. Le partenariat est construit sur trois volets qui visent à favoriser une dynamique d'intégration régionale entre les économies et les sociétés civiles de part et d'autre de la Méditerranée : en premier lieu un partenariat politique et de sécurité pour assurer la paix et la stabilité de la région, fondées notamment sur le respect de la Charte des Nations unies, sur l'adhésion aux accords de désarmement et sur la lutte contre le terrorisme, en second lieu un partenariat économique et financier ayant pour objectif l'instauration à terme d'une zone de libre-échange (ZLE) pour les produits manufacturés, enfin en troisième lieu un partenariat social, culturel et humain fondé sur les échanges culturels et l'association de la société civile au Partenariat euro-méditerranéen (PEM).
Malgré les importantes ambitions affichées au moment de sa création, la portée du Partenariat euro-méditerranéen (PEM) a été limitée d'une part du fait de la difficulté à trouver un consensus entre les pays associés au processus, comme en témoigne l'impossibilité d'adopter la « Charte pour la paix et la stabilité » malgré la relance par la France de ce projet en 1999, et d'autre part du fait de la mise en place par l'Union européenne à partir de 2003 de la politique européenne de voisinage (PEV) qui fixe un cadre politico-juridique unifié pour l'accès à l'aide européenne pour l'ensemble des pays de la périphérie de l'Union, ce qui limite la spécificité du partenariat avec les pays de la rive sud de la Méditerranée.
En réponse à ces critiques et dans l'objectif de redynamiser la coopération euro-méditerranéenne, la France a organisé le 15 juillet 2008, dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union, la conférence de lancement de l'Union pour la Méditerranée (UpM), dont l'objectif est de renforcer le volet politique de l'action des pays européens en Méditerranée en s'appuyant sur six projets concrets 111 ( * ) . Cependant, face aux nouveaux blocages provoqués par les divergences politiques entre les pays du sud de la Méditerranée et du fait de ses moyens financiers limités, l'Union pour la Méditerranée (UpM) n'a pas permis de relancer efficacement le processus d'intégration du bassin méditerranéen soutenu par l'Union européenne depuis le milieu des années 1990 112 ( * ) .
Plus de vingt-cinq ans après le lancement du processus de Barcelone, les rapporteures relèvent que les objectifs ambitieux fixés par les pays européens n'ont pas été atteints. La coopération entre les deux rives a échoué à « faire de la Méditerranée un espace commun de paix, de stabilité et de prospérité, grâce au renforcement du dialogue politique et de sécurité, de la coopération économique, financière, sociale et culturelle » 113 ( * ) , selon les termes de la déclaration finale de la conférence de Barcelone de novembre 1995.
Or, comme l'ont souligné plusieurs des personnalités auditionnées, la crise économique et financière de 2008 puis la crise sanitaire de 2020 ont nourri un sentiment d'éloignement entre les pays méditerranéens et il existe aujourd'hui un risque réel de divergence entre les trajectoires économiques, politiques et sociales des pays de la rive nord et de la rive sud 114 ( * ) . Pour répondre à ce risque, les pays de l'Union européenne peuvent s'appuyer sur l'importance de ses liens économiques avec les pays de la rive sud de la Méditerranée. Alors que dans le cadre du Partenariat euro-méditerranéen (PEM), le programme MEDA a permis le versement d'une aide totale de 10 Md€ entre 1995 et 2006 à destination des pays de la rive sud, l'Union européenne demeure un partenaire économique de référence pour les pays du bassin méditerranéen, notamment au Maghreb où l'Union européenne représente 64% des exportations du Maroc, 45% des exportations de l'Algérie et 71% des exportations de la Tunisie. Par suite, les rapporteures relèvent l'importance cruciale pour l'Union européenne de maintenir sa présence au sud du bassin méditerranéen et à lutter contre les récits diffusés par certaines puissances étrangères qui remettent en cause le caractère mutuellement bénéfique de la coopération euro-méditerranéenne.
Il est en outre à relever que l'inertie relative des initiatives européennes de coopération dans le bassin méditerranéen est notamment liée au fait que les approches globales adoptées par l'Union ont souvent été paralysées par le maintien de dissensions importantes entre les pays riverains de la Méditerranée au sujet de différends d'importance régionale ou globale comme le conflit au Sahara occidental, la question chypriote ou encore le conflit israélo-palestinien. L'efficacité opérationnelle des instruments issus du processus de Barcelone a également été affectée par les conséquences des printemps arabes qui ont mis fin à partir de 2011 au régime de « stabilité autoritaire », selon l'expression de l'ancien ministre des affaires étrangères Hubert Védrine, qui prévalait dans plusieurs pays du sud du bassin méditerranéen 115 ( * ) .
Enfin, parallèlement au processus de Barcelone, plusieurs pays ont lancé en octobre 1990 le groupe « 5+5 » qui réunit des États du sud de l'Europe (Portugal, Espagne, France, Italie, Malte) et du nord de l'Afrique (Mauritanie, Maroc, Algérie, Tunisie, Libye). Relancé en janvier 2001 à Lisbonne après dix ans de gel, le groupe « 5+5 » est une initiative informelle qui permet d'organiser des réunions au niveau ministériel sans s'appuyer sur un secrétariat permanent. Créé à l'origine dans le domaine des affaires étrangères et dédié essentiellement à des questions de sécurité, le groupe « 5+5 » a créé en 2004 une initiative « 5+5 Défense » et se décline désormais en douze secteurs ministériels 116 ( * ) et permet de nourrir un dialogue utile entre les deux rives de la Méditerranée occidentale 117 ( * ) . Le format du groupe « 5+5 » est à ce titre celui qui a été choisi par la France pour organiser le « Sommet des deux rives » qui s'est tenu à Marseille les 23 et 24 juin 2019 sur le fondement des travaux préparatoires effectués par cent personnalités de la société civile désignées par chacun des États du groupe.
2. La France converge avec ses partenaires méditerranéens de l'Union européenne pour établir une nouvelle stratégie commune en Méditerranée
a) L'Espagne est un allié solide de la France en Méditerranée occidentale
La sortie de son isolement politique à la fin des années 1970, consacrée par l'adhésion à l'Alliance atlantique en 1982 puis à la Communauté économique européenne (CEE) en 1986, a rétabli l'Espagne au rang de puissance régionale qui compte parmi ces sphères privilégiées d'influence, au même titre que l'Amérique latine, la Méditerranée occidentale.
L'Espagne, qui accueille d'importantes communautés originaires d'Afrique du Nord, entretient des relations diplomatiques étroites avec les pays du Maghreb avec lesquels elle a signé une série de traités bilatéraux de coopération : traité avec le Maroc en 1991, avec la Tunisie en 1995 puis avec l'Algérie en 2002. Ces relations diplomatiques se traduisent par des liens économiques forts notamment en matière énergétique qui s'appuient sur d'importantes infrastructures transfrontalières à l'image du gazoduc entre l'Espagne et l'Algérie inauguré en 1996 ou de l'interconnexion entre les réseaux électriques espagnols et marocains au niveau du détroit de Gibraltar 118 ( * ) . Ces liens, au même titre que l'attachement traditionnel de l'Espagne au multilatéralisme, justifient le rôle moteur joué par l'Espagne dans la coopération euro-méditerranéenne illustrée notamment par la promotion faite en 2004 par l'ancien président du gouvernement José Luis Rodriguez Zapatero d'une « alliance des civilisations » 119 ( * ) .
Il est toutefois à relever que les relations des autorités espagnoles entretiennent avec les pays du Maghreb une relation complexe susceptible d'être perturbée par les positions prises par l'Espagne sur certains dossiers de politique internationale dont notamment la question du Sahara occidental. Cette instabilité a été illustrée dans la période récente par la décision annoncée le 8 juin 2022 par les autorités algériennes de suspendre le traité de coopération bilatérale de 2002 en réaction au rapprochement de l'Espagne avec la position du Maroc sur la question du Sahara occidental. Cette décision, assortie de restrictions sur les transactions commerciales qui auront un effet limité sur les livraisons de gaz du fait de l'existence de contrat à long terme dans ce secteur, illustre la marge de manoeuvre réduite de l'Espagne pour maintenir simultanément de bonnes relations avec l'ensemble de ses partenaires nord-africains.
L'Espagne constitue par ailleurs un partenaire solide pour la France dans la région de la Méditerranée occidentale où les deux pays collaborent notamment dans le cadre des différentes formations sectorielles du groupe « 5+5 ». La présence de l'Espagne dans plusieurs projets capacitaires européens auxquels participe la France, dont en particulier le projet d'Eurodone MALE et le projet de système de combat aérien du futur (SCAF), participe au renforcement de la coopération opérationnelle entre les forces armées des deux pays.
Néanmoins, en dépit des nombreuses convergences entre la France et l'Espagne en Méditerranée, il est à relever que l'influence de l'Espagne dans la zone est actuellement oblitérée par un important déficit d'investissement capacitaire dans les forces armées espagnoles. En effet, la crise économique et financière de 2008 s'est traduite par un affaiblissement durable de l'Espagne sur le plan financier qui a eu pour conséquence une importante réduction du budget de défense qui est passé de 15 Md€ en 2008 à 13 Md€ en 2016. Près de quinze ans après la crise financière, le déficit d'investissement continue de peser sur le maintien en condition opérationnelle des équipements de l'armée espagnole et alors que les dépenses militaires ne représenteront en 2022 que 1% du PIB espagnol, le chef du gouvernement espagnol Pedro Sanchez a fixé en juin 2022 comme objectif d'atteindre en 2029 seulement le seuil de 2% du PIB qui s'applique à l'ensemble des membres de l'OTAN.
b) Le renforcement récent des relations bilatérales entre la France et l'Italie constitue un levier de consolidation de leur stratégie commune en Méditerranée centrale
La « Méditerranée élargie » 120 ( * ) constitue, avec l'Europe et l'Alliance atlantique, l'un des trois axes principaux de la politique extérieure traditionnelle de l'Italie. Sur le plan économique et commercial, l'Italie a développé des liens essentiels avec les pays de la rive sud notamment à travers les activités de la société énergétique « ENI » qui reste contrôlée par l'État italien et qui opère au Maroc, en Algérie, en Tunisie, en Libye et en Égypte, l'ensemble de ces pays étant des fournisseurs énergétiques, en gaz ou en pétrole, de l'Italie 121 ( * ) . Au-delà de ces intérêts économiques, le passé colonial de l'Italie en Libye explique la sensibilité particulière des autorités italiennes sur le règlement du conflit libyen et la stabilisation de ce territoire, tandis que la Tunisie et l'Égypte constituent deux autres partenaires privilégiés des autorités italiennes en Méditerranée centrale.
Parallèlement à la défense de ses intérêts économiques et commerciaux, l'Italie perçoit également la Méditerranée comme une zone essentielle pour la défense de ses intérêts stratégiques. L'afflux de réfugiés vers l'île de Lampedusa depuis 2015 a fait de la question migratoire l'un des sujets centraux de la vie politique italienne comme en témoigne la campagne électorale pour les élections législatives qui se sont déroulées en septembre 2022.
En matière de défense, la flotte italienne continue de constituer, après la Marine nationale française, la deuxième flotte européenne en Méditerranée. L'Italie continue de s'appuyer par ailleurs sur une alliance solide avec les États-Unis et elle accueille sur son territoire l'état-major de la VI e flotte de l' US Navy à Gaete ainsi que 15 000 militaires américains. Il est cependant à relever que sur le plan budgétaire, l'Italie reste en deçà des exigences de l'Alliance atlantique avec des dépenses militaires estimées à 1,5% de son PIB soit 30 Md€ en 2022 et qui ne devrait atteindre le seuil de 2% du PIB qu'en 2028 selon la trajectoire adoptée par la majorité parlementaire en mars 2022. Ce déficit d'investissement intervient en outre dans un contexte dans lequel les forces italiennes sont mobilisées de manière croissante pour des missions de sécurité civile, ce qui s'est traduit par une importante réduction des effectifs de militaires italiens projetés en opération extérieure qui est passé de 12 000 au début des années 2000 à 5 500 en 2022.
L'Italie est un partenaire essentiel de politique étrangère pour la France, notamment en Méditerranée. La relance des relations bilatérales franco-italiennes, engagée par l'organisation du 35 e sommet bilatéral à Naples le 27 février 2020 et consacrée par la signature le 26 novembre 2021 du traité du Quirinal, constitue une opportunité de renforcer la convergence entre les deux pays pour établir une stratégie commune en Méditerranée. Sur le plan militaire, le traité du Quirinal prévoit notamment la relance du Conseil franco-italien de défense et de sécurité (2+2) qui associe les ministres de la défense et des affaires étrangères des deux pays. Sur le plan diplomatique, l'article 1 du traité consacre expressément la convergence franco-italienne dans la zone méditerranéenne en ces termes « reconnaissant que la Méditerranée est leur creuset commun, les Parties développent des synergies et renforcent leur coordination sur les questions relatives à la sécurité, au développement socio-économique, à l'intégration, à la paix et la protection des droits de l'Homme dans la région, et à la lutte contre l'exploitation de la migration irrégulière. Elles promeuvent une utilisation juste et durable des ressources énergétiques. Elles s'engagent également à favoriser une approche européenne commune dans les politiques de voisinage au Sud et à l'Est de l'Union européenne. » 122 ( * )
c) La France constitue le premier allié de la Grèce et de Chypre face aux risques de tension en Méditerranée orientale
L'absence de traité international de délimitation des territoires maritimes en mer Égée, conjuguée au fait que la Turquie n'a pas signé le traité de Montego Bay, place la Grèce et Chypre au centre des tensions relatives à la territorialisation de la Méditerranée orientale préalablement décrites.
En dépit du partage territorial partiel résultant notamment des stipulations de plusieurs conventions internationales signées au début du XXe siècle, certaines îles en mer Égée continuent de faire l'objet d'un différend territorial entre la Turquie et la Grèce et la question de l'exploitation des ressources en Méditerranée orientale, qui constitue depuis les années 1970 un sujet de tensions entre les autorités grecques et turques, serait facilitée par l'amélioration des relations bilatérales entre les deux pays. Ainsi dès le printemps 1974, le navire turc de recherche océanographique Candarli a mené une mission de prospection à proximité d'îles grecques en étant escorté de 32 navires de guerres turcs et un nouvel épisode de tension est intervenu en mars 1987 lorsque la Grèce a mis ses forces armées en état d'alerte pour répondre à l'envoi du navire de prospection turc Sismik I au large de ses eaux territoriales 123 ( * ) . C'est dans ce contexte que doit être replacé l'envoi en juillet 2020 par la marine turque de 18 navires de guerre pour escorter un navire de recherche d'hydrocarbure au large de Kastellorizo. En réaction à cette manoeuvre, la France, qui constitue l'un des principaux soutiens à la Grèce au sein de l'Union européenne, a déployé au mois d'août 2020 deux avions de combat, le porte-hélicoptère amphibie Tonnerre et la frégate La Fayette en Méditerranée orientale. Enfin en janvier 2021, le parlement grec a adopté une décision étendant les eaux territoriales grecques à 12 milles en mer Ionienne, à l'ouest du territoire.
La pression exercée par la Turquie sur la Grèce par ses revendications maritimes et par les violations répétées de sa souveraineté aérienne et maritime justifie le dynamisme de la diplomatie grecque qui s'appuie sur plusieurs formats de discussion trilatéraux en présence de Chypre, notamment avec l'Égypte, Israël et les Émirats arabes unis. La Grèce est par ailleurs un des membres fondateurs en 2019 du Forum du gaz en Méditerranée orientale (Égypte, Chypre, Grèce, Italie, Israël, Jordanie, Palestine ; France depuis 2021). En parallèle de cette stratégie d'alliance, la tentative de relance du dialogue entre la Grèce et la Turquie illustrée par la visite à Istanbul le 13 mars 2022 du premier ministre grec a été suspendue par des déclarations publiques hostiles du président R. T. Erdogan au printemps 2022 en réaction à l'allocution prononcée par le premier ministre grec devant le Congrès des États-Unis.
En dépit de la déstabilisation durable de l'économie grecque par la crise économique et financière de 2008 et par la crise de l'euro, la Grèce continue d'investir une part importante de son PIB dans le secteur de la défense avec un niveau d'investissement estimé à 3,8% de son PIB en 2022 soit le niveau le plus élevé de l'Alliance atlantique. Les investissements de la Grèce dans le secteur de la défense ont par ailleurs bénéficié aux grands groupes français du secteur au premier rang desquels d'une part Dassault Aviation qui a vendu à la Grèce en mars 2022 six avions Rafale qui s'ajoutent aux 18 appareils acquis en 2018 et d'autre part Naval Group qui a vendu à la marine grecque en mars 2022 trois frégates de défense et d'intervention (FDI) « Belharra » avec une option d'acquisition pour un quatrième bâtiment.
Source : FMES, 2022, Atlas stratégique de la Méditerranée et du Moyen-Orient, (c) P. Orcier
Ces contrats d'armements consacrent la densification et la consolidation des relations bilatérales franco-grecques dans le cadre de l'accord de partenariat stratégique dans le domaine de la sécurité et de la défense entre la France et la Grèce signé le 28 septembre 2021. Ce partenariat, qui a été décliné par l'adoption d'une feuille de route par les chefs d'état-major des deux armées en décembre 2021 suivie notamment d'un nouveau plan de coopération bilatérale entre les marines grecque et française adopté le 10 février 2022, prévoit notamment la participation régulière à des exercices communs et l'établissement d'échanges réguliers entre les centres opérationnels.
La situation géographique de la République de Chypre, ainsi que la partition du territoire de l'île à la suite de l'intervention militaire turque de 1974, place également ce pays en première ligne face aux revendications turques en mer Égée. Alors que la taille limitée de l'île se traduit par un budget militaire réduit à environ 500 M€ annuels, Chypre s'appuie largement sur ses partenariats internationaux en matière de défense et accueille sur son territoire 3 260 militaires britanniques et 1 150 militaires grecs.
Dans un contexte de relative dégradation des relations stratégiques entre la Turquie et les États-Unis depuis leurs divergences sur le dossier syrien et le rapprochement de la Turquie et la Russie sur le plan capacitaire, la diplomatie américaine a annoncé le 16 septembre 2022 la levée complète de son embargo sur les armes qu'elle appliquait vis-à-vis de la République de Chypre depuis 1987. Cette décision intervient dans le sillage de la signature entre Chypre et les États-Unis en novembre 2019 d'une déclaration d'intention ayant pour objet le renforcement des relations bilatérales en matière de sécurité.
En parallèle, Chypre a signé en avril 2017 avec la France un accord de coopération en matière de défense entré en vigueur en 2020 en application duquel la Marine nationale effectue régulièrement des exercices conjoints avec la marine chypriote. Ce partenariat renforcé a en outre été illustré par l'annonce en juin 2022 de l'acquisition par Chypre auprès d'Airbus de six hélicoptères H145M destinés à la garde nationale chypriote.
B. LA PRÉSENCE MILITAIRE AMÉRICAINE CONSTITUE UN INSTRUMENT DE SÉCURISATION DES INTÉRÊTS OCCIDENTAUX EN MÉDITERRANÉE ET LE DÉSENGAGEMENT RELATIF DES ÉTATS-UNIS POURRAIT ACCÉLÉRER LA DÉSTABILISATION DE LA ZONE
1. Depuis la guerre froide, les États-Unis déploient d'importantes capacités militaires en Méditerranée pour y sécuriser leurs intérêts
La présence militaire des États-Unis en Méditerranée est un héritage de la guerre froide pendant laquelle la VI e flotte a joué un rôle important pour prévenir les tentatives soviétiques d'extension de son influence, à l'image de l'envoi dès 1946 du cuirassé USS Missouri à Istanbul pour garantir la Turquie et la Grèce de toute tentative d'intervention soviétique. Plus de trente ans après la disparition de l'Union soviétique, et alors que le bassin méditerranéen n'est plus le « lac de l'OTAN » qu'il était pendant la guerre froide, les États-Unis conservent des intérêts essentiels dans cette zone notamment pour assurer la liberté de circulation maritime dans la région et sécuriser les points d'acheminement des ressources énergétiques, dont notamment le canal de Suez et le détroit de Gibraltar.
Parallèlement à la dégradation du contexte stratégique, l'organisation de la chaîne de commandement de l'armée américaine dans le bassin méditerranéen a également été complexifiée, ce qui crée un risque de manque de coordination entre les différents centres de décision, la Méditerranée étant désormais partagée entre trois commandements militaires régionaux ( Combatant Commands ou COMCOMs) distincts : l'EUCOM pour l'Europe du Sud, la Turquie et Israël ; le CENTCOM, commandement en charge du Moyen-Orient, pour l'Égypte, la Syrie et la Jordanie ; enfin l'AFRICOM pour les pays du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie, Libye). Outre les risques de tensions liés à un manque de coordination entre les différents commandements régionaux, cette fragmentation de la chaîne de décision, qui s'ajoute aux risques de divergence entre le département d'État, le Pentagone et la présidence des États-Unis, nuit à l'établissement d'une stratégie globale et cohérente des États-Unis dans le bassin méditerranéen 124 ( * ) .
La fin de la guerre froide ne s'est donc pas traduite par un retrait des forces américaines de la région et il est à relever que la VI e flotte continue notamment de disposer de quatre destroyers de défense aérienne stationné dans la base de Rota en Espagne ainsi que d'un bâtiment de commandement et d'avions de patrouille maritime. Alors que des militaires américains sont déployés dans plusieurs pays européens du bassin méditerranéen (Italie, Espagne, Grèce) et des rives sud et est (Turquie) de la Méditerranée, l'armée américaine peut s'appuyer sur un vaste réseau de bases militaires qui borde, outre les pays du Levant, aussi bien la Méditerranée orientale avec des bases en Grèce (Souda Bay, Larissa, Stefanovikis, Alexandroupolis) et en Turquie (Incirlik, Kurecik) que la Méditerranée centrale et occidentale avec des bases en Italie (Aviano, Vincenza, Gaete, Naples, Sigonella) et en Espagne (Rota, Moron).
Les États-Unis continuent donc d'exercer un rôle stabilisateur et de garantir la sécurité régionale par leur présence militaire permanente, qui est complétée par le déploiement régulier d'un groupe aéronaval dans le bassin méditerranéen qui permet également de resserrer son partenariat stratégique avec certains alliés à l'image de l'exercice conjoint organisé en février 2022 entre le porte-avion Charles de Gaulle de la Marine nationale, le porte-aéronefs italien ITS Cavour et le groupe aéronaval de l' USS Harry Truman . Le déploiement de bâtiments américains dans des ports alliés, à l'image de l'accueil par le port grec de Rhodes en avril 2019 du destroyer USS Ross illustre le caractère stratégique de la présence de l' US Navy en Méditerranée.
En parallèle, les autorités américaines ont intensifié dans les années récentes leur coopération avec les forces armées marocaines et tunisiennes notamment dans le cadre de l'exercice annuel African Lion coordonné par les Marine Corps . Le renforcement des liens avec l'armée tunisienne s'est notamment appuyé sur la présence d'une base américaine à Bizerte dédiée aux activités de renseignement par drone.
Source : FMES, 2022, Atlas stratégique de la Méditerranée et du Moyen-Orient, (c) P. Orcier
2. Le « pivot asiatique » de la diplomatie américaine et son retrait dans le conflit syrien pourraient se traduire par un désengagement relatif des États-Unis en Méditerranée
La Méditerranée continue de constituer un point d'ancrage stratégique pour la défense des intérêts américains et l'hypothèse d'une « Méditerranée post-américaine » risquerait de se faire au profit de pays concurrents (Russie, Chine) ou ennemi (Iran) des États-Unis. Plusieurs spécialistes américains des relations internationales défendent à ce titre le maintien d'une présence américaine en Méditerranée pour être en mesure d'exercer un « nouveau containment » face à la Russie, Chine et l'Iran.
Toutefois, la nécessité pour les États-Unis de maintenir leur présence en Méditerranée se heurte à plusieurs obstacles qui pourraient se traduire à moyen terme par la poursuite du relatif désengagement de Washington dans la zone.
En premier lieu, la volonté des États-Unis d'intervenir militairement à l'extérieur de leur frontière est désormais incertaine dans un contexte dans laquelle la « fatigue de la guerre » est largement répandue dans l'opinion publique américaine. De ce point de vue, la non-intervention de l'armée américaine en Syrie pendant l'été 2013 en dépit de l'usage par le régime de B. Al Assad d'armes chimiques a illustré la réticence des États-Unis à s'engager dans de nouveaux conflits en Méditerranée et au Moyen-Orient 125 ( * ) .
En second lieu, alors que les États-Unis s'appuient traditionnellement en Méditerranée sur ses relations avec la Turquie, qui constitue un pivot entre l'Europe et le Moyen-Orient au sein de l'Alliance atlantique, les relations turco-américaines se sont détériorées dans la période récente. Cette divergence est notamment liée d'une part au rapprochement des États-Unis avec les forces kurdes (YPG) dans le conflit syrien alors qu'Ankara estime que ces forces constituent un soutien du parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) contre lequel elle lutte sur son territoire, et d'autre part au fait qu'au cours de l'année 2019 la Turquie a acquis le système de défense anti-aérien S-400 russe, provoquant la suspension de la livraison par les États-Unis de 120 avions de combat F-35 de nouvelle génération.
Enfin en troisième lieu, le maintien de la présence militaire et de l'engagement stratégique américains en Méditerranée se heurte aux autres priorités de la politique extérieure américaine qui ont émergé depuis les mandats du président B. Obama (2009-2017). À l'échelle mondiale, la politique étrangère américaine poursuit son « pivot asiatique » vers l'Indopacifique en application duquel le bassin méditerranéen risque de passer au second plan de ses préoccupations. À l'échelle régionale, le président J. Biden se concentre depuis sa prise de fonction en janvier 2021 sur la renégociation de l'accord sur le nucléaire avec l'Iran, ce qui favorise l'inertie des États-Unis sur leur stratégie en Méditerranée 126 ( * ) , qui ne constitue pas leur priorité stratégique.
II. LE RÉINVESTISSEMENT DES PUISSANCES GLOBALES
A. LA RUSSIE S'APPUIE DEPUIS PLUSIEURS ANNÉES SUR UN RENFORCEMENT DE SA PRÉSENCE MILITAIRE ET SUR UN RENOUVELLEMENT DE SES INSTRUMENTS D'INFLUENCE POUR ACQUÉRIR UNE POSITION CENTRALE EN MÉDITERRANÉE
1. Depuis 2015, les interventions militaires directes et indirectes de la Russie autour du bassin méditerranéen ont consolidé la présence des forces armées russes en Méditerranée
La politique russe en Méditerranée est traditionnellement orientée par la volonté de la Russie de s'assurer un accès pérenne aux mers chaudes, au nom de laquelle la première expédition russe en mer Égée a été organisée dès le XVIII e siècle sous l'autorité de l'impératrice Catherine II. L'importance des flux commerciaux et énergétiques transitant par le bassin méditerranéen en fait une zone stratégique pour la Russie : avant le déclenchement de la guerre en Ukraine le 24 février 2022, les détroits turcs entre la mer Noire et la mer Méditerranée servaient de lieu de transit à un flux de 3 M de barils de pétrole par jour exportés depuis la Russie et la mer Caspienne, soit 3% du commerce mondial 127 ( * ) .
Cette importance stratégique explique le renforcement considérable de la présence militaire russe en Méditerranée depuis plusieurs années. Alors que les navires russes disposent de facilités navales dans plusieurs ports méditerranéens notamment au nord de l'Afrique en Algérie (Annaba), en Libye (Tobrouk) et en Égypte (Alexandrie), le réinvestissement de la Méditerranée par l'armée russe s'est traduit par un déploiement conséquent des forces russes dans la zone. À l'été 2022, l'armée russe disposait à ce titre dans la zone Méditerranée de 13 000 militaires, dont 40% sous le statut de mercenaire du « groupe Wagner », de 40 chasseurs-bombardiers, de quatre frégates et de deux sous-marins associés à plusieurs sites de missiles antiaériens, antinavires et de frappe contre la terre 128 ( * ) . La présence massive des forces armées russes, permise notamment par le retrait relatif des forces américaines, résulte notamment de l'intervention de la Russie dans plusieurs conflits armés intervenus récemment autour du bassin méditerranéen dont en particulier les conflits syrien et libyen.
En premier lieu, en Syrie, l'opération militaire directe des forces armées russes à partir de 2015 au soutien du régime de B. Al Assad s'est traduite par une implantation militaire durable de la Russie en Méditerranée orientale. En permettant au régime de B. Al Assad de multiplier par quatre la superficie des territoires sous son contrôle entre 2015 et 2017, l'intervention militaire en Syrie a placé la Russie dans une position centrale pour le règlement politique du conflit civil syrien et a renforcé l'influence du processus de paix dit « d'Astana », placé depuis 2017 sous l'égide de la Russie, de l'Iran et de la Turquie. Il est par ailleurs à relever que le rôle joué par la Russie dans ce conflit a été rendu possible par la prise de contrôle par la Russie de la Crimée en 2014, eu égard au rôle central joué par la base de Sébastopol en mer Noire qui a servi, entre 2015 et 2016, à l'acheminement de 700 000 tonnes d'armes, de munitions et d'équipement militaire à travers la mise en place du « Tartous Express », voie maritime de 2 150 km reliant la Crimée aux côtes syriennes en traversant les détroits turcs des Dardanelles et du Bosphore.
Cette intervention militaire d'ampleur, qui a mobilisé entre 2015 et 2019 plus de 63 000 militaires russes et a impliqué 1 500 combattants employés par le « groupe Wagner », société militaire privée entretenant des liens importants avec les autorités russes, a permis à la Russie de consolider sa présence militaire sur le territoire syrien. Dans le domaine aérien, l'armée russe a conservé et a agrandi sa base aérienne de Hmeimim et elle a signé un accord en août 2015 avec le régime syrien prévoyant le déploiement d'un groupe aérien pour une période indéfinie sur cette base. Dans le domaine naval, alors que le port de Tartous sert d'ancrage opérationnel à la marine russe depuis septembre 2013, l'intervention militaire dans le conflit syrien s'est traduite par la signature le 18 janvier 2017 d'un accord entre la Russie et le régime de B. Al Assad prévoyant l'installation d'une base navale russe à Tartous pouvant accueillir en Syrie 11 navires de guerre, y compris des navires à propulsion nucléaire, pour une durée de 49 ans avec une option de prolongation pour 25 ans supplémentaires 129 ( * ) . Enfin il est à relever que l'opération militaire russe en Syrie a permis aux forces russes de tester 231 types de matériels dont des avions, des missiles de croisière et des systèmes sol-air.
En second lieu, l'intervention indirecte de la Russie dans le conflit libyen illustre la volonté de Moscou de jouer un rôle stratégique dans l'ensemble du bassin méditerranéen. Cette intervention indirecte, analysée dans la première partie de ce rapport, a permis à la Russie de jouer un rôle de médiateur dans le règlement du conflit libyen en s'appuyant sur des moyens limités à l'intervention de 1 200 mercenaires du groupe Wagner qui ont toujours conservé leur autonomie opérationnelle vis-à-vis de l'Armée nationale libyenne (ANL) de Khalifa Haftar et ont efficacement défendu les intérêts de la Russie notamment en se concentrant prioritairement sur les installations pétrolières et en investissant à l'été 2020 le champ pétrolifère de Sharara 130 ( * ) .
Source : FMES, 2022, Atlas stratégique de la Méditerranée et du Moyen-Orient, (c) P. Orcier
2. Le dynamisme de la diplomatie russe autour de la Méditerranée a renforcé sa capacité d'influence dans l'ensemble du bassin méditerranéen dans la période récente
Parallèlement au réinvestissement militaire de la Méditerranée par les forces armées russes, la diplomatie russe a également renforcé son influence autour du bassin méditerranéen en préservant la relation bilatérale avec la Turquie, essentielle à l'accès des navires de guerre russe à la Méditerranée depuis la mer Noire, et en exerçant sa diplomatie d'influence sur les pays des deux rives de la Méditerranée.
Malgré leurs oppositions sur plusieurs théâtres d'opérations autour de la Méditerranée (Syrie, Libye, Haut-Karabakh), la Russie et la Turquie entretiennent depuis plusieurs années une relation complexe et ont toujours maintenu un dialogue qui leur a permis de défendre leurs intérêts communs. La qualité de la relation avec la Turquie constitue un enjeu stratégique essentiel pour la Russie du fait du statut des détroits turcs des Dardanelles et du Bosphore, voie d'accès à la Méditerranée depuis la mer Noire, qui est fondé sur le traité de Montreux de 1936 en application duquel en temps de paix la libre circulation des navires de commerce est garantie en temps de paix, les navires de guerre devant être notifiés aux autorité turques, tandis que la Turquie conserve la possibilité de fermer unilatéralement les détroits en temps de guerre si elle s'estime menacée. Le rapprochement diplomatique entre la Russie et la Turquie s'est accéléré depuis la tentative de coup d'État contre le président R. T. Erdogan en juillet 2016 131 ( * ) .
Sur le plan énergétique, ce rapprochement s'appuie notamment sur deux importants projets d'infrastructures particulièrement importants eu égard au fait que la Turquie importe 72% de l'énergie qu'elle consomme 132 ( * ) . Le premier est le gazoduc TurkStream , construit par la société russe Gazprom et inauguré en janvier 2020, reliant la Russie à la Turquie sous la mer Noire. Le second est la centrale nucléaire d'Akkuyu, première centrale nucléaire civile turque construite par la société russe Rosatom à partir de 2018 et qui doit entrer en service en 2023.
Sur le plan capacitaire, les pressions exercées par les États-Unis qui a suspendu la livraison d'avions de combat F-35 n'ont pas dissuadé la Turquie d'acquérir en 2019 le système de défense anti-aérien russe S-400.
Sur le plan diplomatique enfin, la Russie et la Turquie coopèrent pour défendre leurs intérêts mutuels autour du bassin méditerranéen et notamment dans le cadre du conflit syrien pour le règlement duquel la Russie et la Turquie supervise avec l'Iran, depuis 2017, le processus de paix d'Astana.
En complément de son rapprochement avec la Turquie, la diplomatie russe exerce depuis plusieurs années pour défendre ses intérêts dans l'ensemble du bassin méditerranéen une diplomatie d'influence offensive qui s'appuie notamment sur des instruments de manipulation de l'information.
En premier lieu, dans les pays du sud de l'Europe, la diplomatie d'influence vise prioritairement les pays du bassin méditerranéen au premier rang desquels l'Italie, qui a reçu le soutien de la Russie en 2020 face à l'épidémie de covid-19, et Chypre où est apparu à l'automne 2017 le parti russophone Ego o Politis .
En deuxième lieu, dans les Balkans occidentaux, la stratégie russe a un effet déstabilisateur notamment en Serbie où elle dispose de relais d'influence efficace pour diffuser un discours de remise en cause de la crédibilité de l'action de l'Union qui s'appuie notamment sur la lenteur du processus d'adhésion des pays de cette région. La portée de ces campagnes est illustrée par le fait que des sondages réalisés en Serbie avant l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022, estimait les opinions positives vis-à-vis de la Russie à 60% dans la population serbe contre seulement 27% pour l'Union européenne 133 ( * ) .
En troisième lieu, au Maghreb, la Russie s'appuie sur sa relation de proximité avec les autorités algériennes avec lesquelles elle a passé un accord de partenariat stratégique en 2001. Cet accord est intervenu dans un contexte de proximité de l'Algérie avec les industriels de défense russes, la Russie d'une part ayant construit six sous-marins de classe « Kilo » pour la marine algérienne entre 1987 et 2019 et d'autre part représentant 67% des importations d'armement de l'armée algérienne 134 ( * ) . Il est enfin à relever que la capacité d'influence de la Russie sur les pays du Maghreb a été illustrée par le fait qu'en avril 2022, lors du vote à l'Assemblée générale des Nations unies sur la suspension de la Russie du Conseil des droits de l'homme qui est intervenu quelques jours après la révélation des exactions commises par l'armée russe à Boutcha, la Libye est le seul État du Maghreb ayant voté en faveur de la résolution, la Tunisie s'étant abstenu, le Maroc n'ayant pas pris part au vote et l'Algérie s'étant prononcée contre la suspension de la Russie.
B. LES INVESTISSEMENTS ÉCONOMIQUES DE LA CHINE AUTOUR DU BASSIN MÉDITERRANÉEN LUI ONT PERMIS DE RENFORCER SA POSITION STRATÉGIQUE EN MÉDITERRANÉE
1. La Chine a renforcé sa présence économique en Méditerranée au cours des dernières années en investissant notamment dans des infrastructures maritimes
Depuis son ouverture au commerce international et son insertion dans les chaînes de valeurs mondiales, symbolisées par son adhésion à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001, la sécurisation des routes du commerce maritime international est devenue un objectif stratégique pour la Chine. Ce « basculement thalassocratique » de la puissance chinoise, selon la formule du sinologue F. Gipouloux, s'est traduit par un renouvellement de la stratégie maritime de la Chine sur les plans civils et militaires, souligné par la volonté exprimée dès 2012 par le président Hu Jintao de faire de la Chine une « puissance maritime » 135 ( * ) .
La présence chinoise en Méditerranée s'explique dès lors par la volonté de la Chine de décliner sa stratégie d'influence dans l'ensemble des régions du monde. Le bassin méditerranéen constitue à ce titre une zone d'intérêt particulier pour Pékin dans la mesure où d'une part il constitue le principal corridor d'acheminement de marchandises entre la Chine et l'Union européenne, qui transite par voie maritime à hauteur de 80% 136 ( * ) et d'autre part il permet à la Chine de s'implanter économiquement dans des pays de la rive sud de la Méditerranée qui sont éloignés de sa sphère traditionnelle d'influence.
Le programme de « nouvelle route de la soie » ( Belt and Road Initiative ou BRI), évoqué pour la première fois en 2013 par le président Xi Jinping, constitue à l'origine un levier de sécurisation de ses approvisionnements par des investissements dans des infrastructures de transports terrestres et maritimes pour relier l'Asie, l'Afrique et l'Europe. Ce programme, dont le périmètre a été progressivement élargi par les autorités chinoises qui font un usage pragmatique de leur capacité d'investissement pour favoriser leurs intérêts, désigne désormais un ensemble protéiforme d'initiatives économiques, commerciales, géopolitiques et diplomatiques de la Chine à travers le monde 137 ( * ) . Le renforcement de la présence économique des investisseurs chinois correspond à la déclinaison régionale de cette stratégie géoéconomique d'ampleur mondiale. Il est à ce titre à relever que les investissements directs à l'étranger (IDE) de la Chine dans les pays méditerranéens ne représentent que 7% de l'ensemble des IDE chinois hors paradis fiscaux, ces investissements étant par ailleurs concentrés à hauteur de 76% dans cinq pays qui sont par ordre d'importance la France, Israël, l'Italie, la Turquie et l'Algérie.
Le renforcement des investissements chinois en Méditerranée est en premier lieu visible dans le secteur des infrastructures maritimes dans lequel les sociétés chinoises jouent désormais un rôle moteur en s'appuyant notamment sur plusieurs groupes chinois au premier rang desquels la China Ocean Shipping Company (COSCO) qui constitue à la fois le troisième transporteur de conteneurs au monde (13% de part de marché) et le premier opérateur de terminaux portuaire mondial (16% de part de marché). COSCO, qui a fusionné en 2016 avec la société China Shipping , a renforcé depuis le début des années 2000 sa présence autour du bassin méditerranée et a désormais des intérêts dans neuf terminaux portuaires en Méditerranée situés en Égypte (Port-Saïd, Damiette), en France (Fos-Marseille), en Turquie (Ambarli), en Grèce (Le Pirée), en Italie (Vado Ligure) et en Espagne (Valence) 138 ( * ) .
D'autres acteurs économiques chinois participent à la construction des infrastructures maritimes, sans en assurer nécessairement l'exploitation, à l'image de la China Harbour Engineering Company (CHEC) impliquée dans la construction d'infrastructures portuaires en Égypte (Port-Saïd), à Malte (La Valette), en Israël (Ashod) et en Algérie (Cherchell) 139 ( * ) . Ces investissements permettent par ailleurs une modernisation des infrastructures commerciales autour de la Méditerranée et il est à relever qu'entre 2010 et 2019 le débit annuel du port du Pirée est passé de 1 M à 6 M de conteneurs EVP.
Au-delà de l'intérêt strictement économique pour les entreprises chinoises d'investir dans les infrastructures maritimes en Méditerranée, la volonté de la Chine de consolider sa capacité d'influence dans l'ensemble des régions du monde, y compris en Méditerranée, se traduit par une « diplomatie de l'infrastructure » 140 ( * ) qui permet à la Chine de renforcer sa présence stratégique dans le bassin méditerranéen.
2. Le renforcement de la présence économique chinoise en Méditerranée sert de point d'appui à la Chine pour consolider sa capacité d'influence stratégique autour du bassin méditerranéen
En premier lieu, au sein de l'Union européenne, la Chine a décliné avec les pays d'Europe du sud son modèle de « diplomatie de coopération groupée » 141 ( * ) en organisant à partir du milieu des années 2010 des forums sectoriels associant six pays d'Europe du sud (Italie, Espagne, Portugal, Grèce, Chypre et Malte). Après une première conférence ministérielle sur la coopération agricole organisée à Rome en 2013 avec des représentants de ces six pays et de la Chine, ce format a été à nouveau utilisé par Pékin à l'occasion de l'organisation en novembre 2015 d'une conférence sur la coopération maritime à Xiamen. En l'absence de mécanisme de coopération formel entre la Chine et l'Europe du sud, les autorités chinoises poursuivent l'approfondissement de leurs relations bilatérales avec les pays méditerranéens de l'Union dont en particulier la Grèce, l'Italie et l'Espagne.
La présence économique chinoise dans le port du Pirée a permis à la Chine de dynamiser ses relations avec la Grèce qui ont été renforcées au cours de l'année 2015 consacrée par les deux pays comme une « année de coopération maritime Grèce-Chine ». En Italie, les investissements chinois dans le port de Vado Ligure ont permis une augmentation de 68% de son trafic en 2018 et ont contribué à la décision prise en mars 2019 par les autorités italiennes de signer un protocole d'accord bilatéral d'association au programme des nouvelles routes de la soie (BRI) 142 ( * ) . En Espagne, la Chine entretient historiquement de bonnes relations avec les autorités publiques qui se sont traduites par la signature d'un partenariat stratégique global en novembre 2005 tandis que les liens économiques entre les deux pays se sont renforcés dans les années 2000. Alors que la Chine est devenue après la crise économique et financière de 2008 le deuxième créancier international de l'Espagne, COSCO a pris le contrôle en 2017 de la société de gestion du port méditerranéen de Valence. Si l'Espagne a refusé de signer un protocole d'association bilatéral au programme des nouvelles routes de la soie (BRI), elle a adopté en novembre 2018 à l'occasion de la visite officielle du président Xi une déclaration conjointe avec la Chine sur le renforcement de leur partenariat stratégique global assortie de trois protocoles d'accord et d'une dizaine de contrats commerciaux 143 ( * ) .
En second lieu, dans les Balkans occidentaux, où elle est présente depuis le rapprochement dans les années 1960 entre le dirigeant albanais E. Hodja et le parti communiste chinois, la Chine a renforcé ses liens économiques dans les deux dernières décennies et elle est désormais le troisième partenaire commercial de la Bosnie-Herzégovine et du Monténégro et le quatrième de la Serbie 144 ( * ) . Au-delà du renforcement de leurs échanges commerciaux, la Chine a également renforcé sa capacité d'influence en Serbie où elle a ouvert un institut Confucius en 2006 et investit dans les infrastructures avec l'octroi en 2017 d'un prêt d'un milliard de dollars à la Serbie pour la construction d'une ligne rapide vers la Hongrie.
En troisième lieu, dans les pays du Maghreb, la Chine a substitué une stratégie de renforcement de sa présence économique à la convergence idéologique qui l'a rapproché des pays nord-africains dans les années 1950, comme en témoigne la présence de délégations du Front de libération nationale (FLN) algérien, du Néo-Destour tunisien et de l'Istiqlal marocain à la conférence de Bandung en 1955 aux côtés du premier ministre chinois Zhou Enlai. La présence chinoise au Maghreb est essentiellement économique et les échanges commerciaux entre la Chine et les cinq pays de cette zone (Maroc, Mauritanie, Algérie, Tunisie, Libye) ont atteint en 2018 17 Md$ 145 ( * ) . Structurés depuis sa création en 2000 par le Forum sur la coopération sino-africaine (FCSA), les liens économiques entre la Chine et le Maghreb s'appuient notamment sur les investissements dans les infrastructures à l'image de l'accord de financement adopté en 2016 par la Chine et l'Algérie pour la construction d'un port à El Hamdania. Alors que l'Algérie constitue traditionnellement le premier partenaire de la Chine en Afrique du Nord, la Chine a également renforcé sa présence au Maroc dans les années récentes en augmentant de 195% le volume des IDE chinois vers le Maroc entre 2011 et 2015 et par l'adoption en mai 2016 d'un partenariat stratégique entre la Chine et le Maroc.
En parallèle, il est à relever que cette diplomatie d'influence chinoise en Méditerranée est accompagnée par un renforcement progressif de la présence militaire chinoise dans cette zone qui pourrait se traduire à moyen terme par l'installation d'une base sur le littoral méditerranéen pour assurer une présence permanente en Méditerranée de la People Liberation Army Navy (PLAN).
L'élément déclencheur de ce renforcement a été la difficulté pour la Chine d'évacuer rapidement 35 000 ressortissants lors de l'éclatement de la guerre civile libyenne en 2011. L'opération d'évacuation de 600 ressortissants chinois au Yémen en mars 2015 a confirmé l'importance stratégique pour la Chine de développer la capacité de ses forces navales à intervenir en dehors de sa sphère traditionnelle d'influence. Par suite, la marine chinoise a réalisé en mai 2015 son premier exercice militaire en Méditerranée à l'occasion de l'exercice « Joint Sea », organisé conjointement avec l'armée russe, à laquelle ont participé deux frégates et un pétrolier-ravitailleur chinoise 146 ( * ) .
L'ouverture en 2017 d'une base militaire chinoise à Djibouti illustre la capacité de la Chine de s'appuyer sur ses investissements économiques pour consolider ses positions stratégiques. À ce titre, l'hypothèse de l'ouverture d'une base militaire navale chinoise dans le bassin méditerranéen semble crédible à moyen terme dès lors que de nombreux ports dans lesquelles ont investi des opérateurs chinois pourraient être converties en bases duales, c'est-à-dire à usage civil et militaire.
III. LA RÉAFFIRMATION DES ACTEURS RÉGIONAUX
A. LA VOLONTÉ DE LA TURQUIE D'AFFIRMER SON STATUT DE PUISSANCE RÉGIONALE SE TRADUIT PAR SON IMPLICATION DIPLOMATIQUE CROISSANTE EN MÉDITERRANÉE ET PAR LE RENFORCEMENT DE SES MOYENS MILITAIRES
1. L'émancipation relative de la Turquie vis-à-vis de ses partenaires de l'Alliance atlantique et le dynamisme de sa diplomatie dans son voisinage ont renforcé la capacité d'influence de la Turquie dans le bassin méditerranéen
La position de la Turquie à la frontière entre l'Europe, l'Asie et le Moyen-Orient en a fait un des partenaires stratégiques de l'Alliance atlantique depuis son entrée dans l'OTAN en 1952. Toutefois, depuis l'arrivée au pouvoir du parti de la justice et du développement (AKP) en 2002, la Turquie a connu un renouveau de sa politique étrangère dont une des premières illustrations a été le rejet par le parlement turc le 1 er mars 2003 de la demande des États-Unis de déployer 62 000 sur le territoire turc pour attaquer l'Irak 147 ( * ) . Cette émancipation de la diplomatie turque, qui s'est accentuée au cours des deux décennies suivantes, correspond à une prise de conscience progressive par la Turquie de sa capacité à exercer une diplomatie stratégiquement autonome au service de ses seuls intérêts.
En Méditerranée, le renouveau diplomatique de la Turquie s'est traduit par la mise en oeuvre dans son environnement immédiat de la doctrine « zéro problème avec les voisins », formulée dès 2001 par A. Davutoglu qui a ensuite été conseiller de R. T. Erdogan (2003-2009), ministre des affaires étrangères (2009-2014) puis premier ministre (2014-2016) de la Turquie. Pendant les années 2000, la Turquie a consolidé ses relations économiques et politiques avec les pays du bassin méditerranéen (Syrie, Liban, Égypte, Libye, Tunisie, Algérie, Maroc) 148 ( * ) . En parallèle, la Turquie, qui entend jouer un rôle de médiation dans le Caucase, se distingue du bloc occidental en ne condamnant pas le choix fait en août 2008 par la Russie de reconnaître les républiques séparatistes en Ossétie du Sud et en Abkhazie 149 ( * ) .
La tentative de coup d'État de l'été 2016 dirigé contre R. T. Erdogan va accélérer le processus de diversification de ses alliances par la Turquie qui s'appuie également sur la mise en avant de l'islam politique qu'elle oppose au modèle autoritaire des régimes égyptien, saoudien et émiratis. La fin des années 2010 est également marquée par un rapprochement de la Russie illustré par l'acquisition en 2019, en dépit de la pression exercée par les États-Unis contre ce contrat, de systèmes de défense anti-aériens russe S-400.
Pour autant, la diversification de ses alliances n'a pas remis en cause l'appartenance à l'OTAN de la Turquie, qui entend se positionner comme État-pivot entre l'Occident et le Moyen-Orient. La présence en Turquie (Izmir) de l'état-major pour l'armée de terre de l'Alliance (LANDCOM) ainsi que d'un contingent de 2 000 aviateurs et militaires américains sur la base aérienne d'Incirlik témoigne du maintien d'un partenariat stratégique entre la Turquie et les États-Unis, qui s'appuie sur leurs relations avec la Turquie pour contenir l'expansion de l'influence russe en Méditerranée.
La politique turque en Méditerranée illustre à ce titre la volonté de la Turquie de faire reconnaitre par l'ensemble de ses partenaires son statut de puissance régionale, en menant une « diplomatie de puissance émergente » 150 ( * ) qui défend ses intérêts propres. Parallèlement, la stratégie régionale de la Turquie doit tenir compte de sa dépendance aux importations d'hydrocarbures qui représentent 90% de sa consommation, alors même que la demande énergétique turque connait une croissance annuelle de 7%. La doctrine de la « Patrie bleue » ( Mavi Vatan ) doit être replacée dans ce double contexte et correspond à la volonté de la Turquie d'une part de forcer ses partenaires à tenir compte de ses revendications territoriales en Méditerranée orientale et d'autre part de bénéficier d'une partie des réserves énergétiques substantielles découvertes dans le bassin levantin bordé par la façade méditerranéenne de la Turquie longue de 6 000 km.
Plus récemment, le rôle de médiateur joué par la Turquie depuis le déclenchement de la guerre d'Ukraine, dont témoigne notamment la signature à Istanbul le 22 juillet 2022 d'un accord entre l'Ukraine et la Russie négocié sous l'égide de la Turquie et des Nations unies sur l'exportation de céréales ukrainiennes par la mer Noire, est une nouvelle illustration de la volonté pour Ankara d'acquérir un nouveau statut dans la gouvernance internationale en exerçant une diplomatie de puissance régionale autonome en Méditerranée.
2. Les interventions militaires turques autour de la Méditerranée et le renforcement de son industrie d'armement ont consolidé la stratégie régionale assertive de la Turquie
Parallèlement au renouveau de son positionnement diplomatique et à son affirmation comme puissance régionale, la seconde moitié des années 2010 s'est traduite par une importante militarisation de la politique extérieure de la Turquie qui s'est traduite d'une part par son implication directe ou indirecte sur des théâtres de crise méditerranéens et d'autre part par le renforcement de son industrie de défense.
En premier lieu, en rupture avec la tradition kémaliste de non-intervention, la Turquie est intervenue de manière croissante dans des opérations militaires extérieures. Cet investissement militaire dans la région a d'abord été illustré par la participation des troupes turques au conflit en Syrie avec les opérations « Bouclier de l'Euphrate » (août 2016 à mars 2017), « Rameau d'olivier » (janvier à mars 2018) puis l'opération « Source de paix » en octobre 2019 pour établir une zone de sécurité à la frontière syro-turque. Pour affaiblir l'action du parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dont la Turquie estime qu'il met en péril l'intégrité du territoire turc, l'armée turque est également intervenue militairement sur le territoire de l'Irak en juin 2020 151 ( * ) .
Au-delà de cet investissement direct dans son voisinage immédiat, la Turquie est également intervenue militairement en Libye, où elle a soutenu à partir de 2020 le Gouvernement d'accord national (GNA) face à l'offensive de l'Armée nationale libyenne (ANL) en déployant 2 000 mercenaires syriens en leur promettant notamment l'obtention de la nationalité turque. Plus récemment, la Turquie a activement soutenu l'Azerbaïdjan dans le cadre de la guerre du Haut-Karabagh qui l'a opposé aux forces arméniennes entre septembre et novembre 2020.
En second lieu, la volonté d'émancipation de la diplomatie turque a été accompagnée d'une stratégie industrielle de développement par la Turquie de sa base industrielle et technologique de défense (BITD) qui fournissait en 2002 24% des équipements de l'armée turque et qui en fournit désormais 70%.
Ce renforcement de l'industrie d'armement turc, qui a été accéléré par la volonté des autorités de disposer d'une capacité autonome de prise de décision stratégique 152 ( * ) , est visible dans de nombreux domaines et repose sur le dynamisme des dépenses publiques de défense de la Turquie qui atteignent en 2020 2,8% du PIB. En matière terrestre, les industries turques ont notamment développé le char Altay, les missiles air-sol Mizrak-U et les blindés BMC Kirpi. En matière navale, l'industrie turque produit sous licence allemande des sous-marins T-214 et a mis à l'eau en janvier 2021 la frégate TCG Istanbul construite avec 70% de technologies turques 153 ( * ) .
Il est enfin à relever que c'est dans le domaine aérien que le développement de l'industrie d'armement turque a été la plus remarquée avec le développement du petit drone tactique armé Bayraktar TB2, conçu en 2014 pour la gendarmerie turque et qui a été depuis exporté dans treize pays 154 ( * ) dont l'Azerbaïdjan, le Qatar, l'Ukraine et le Maroc.
Source : FMES, 2022, Atlas stratégique de la Méditerranée et du Moyen-Orient, (c) P. Orcier
B. L'ÉGYPTE S'APPUIE SUR SA POSITION STRATÉGIQUE AU SUD DU BASSIN LEVANTIN POUR DÉVELOPPER SON INFLUENCE INTERNATIONALE EN MÉDITERRANÉE
1. L'Égypte s'est récemment rapprochée de ses partenaires levantins pour développer son influence internationale en Méditerranée
La découverte en 2015 du gisement Zohr, premier gisement gazier de la mer du Levant avec 850 Md de m 3 de réserves prouvées, puis du gisement gazier Nour (283 Md de m 3 ) en juin 2018, ont placé l'Égypte au centre des conséquences géopolitiques induites par la présence d'importantes réserves d'hydrocarbures en Méditerranée orientale 155 ( * ) . Ces réserves représentent un avantage stratégique essentiel pour l'Égypte alors que la croissance de la demande mondiale de gaz est estimée à 50% durant les vingt prochaines années et que l'Égypte est le pays le plus peuplé du monde arabe avec 103 M d'habitants.
La présence sur la côte méditerranéenne de l'Égypte de deux usines de liquéfaction installées à Edkou et Damiette est également un avantage décisif pour les autorités égyptiennes qui ont pour objectif de faire de l'Égypte le principal carrefour stratégique ( hub ) pour l'énergie en Méditerranée orientale. Alors que la diversification des sources d'énergie est devenue une priorité des pays européens depuis le déclenchement de la guerre d'Ukraine le 24 février 2022, l'Égypte a noué depuis 2018 plusieurs partenariats régionaux dans le domaine de l'énergie.
Alors que l'Union européenne a adopté en avril 2018 un partenariat énergétique avec l'Égypte, Le Caire et Nicosie ont adopté un accord en septembre 2018 prévoyant la construction d'un gazoduc sous-marin de 645 km reliant les gisements chypriotes à l'usine de liquéfaction d'Edkou pour permettre des exportations vers le marché européen. L'Égypte accueille par ailleurs le siège du Forum du gaz en Méditerranée orientale (EMGF) créé en janvier 2019 et réunissant, outre l'Égypte, Chypre, la Grèce, Italie, Israël, la Jordanie et la Palestine, ainsi que la France qui a adhéré au forum en mars 2021.
Il est à relever qu'au-delà des retombées économiques liées à son repositionnement dans le secteur de l'énergie, ce Forum a également une dimension stratégique dès lors qu'il permet d'isoler la Turquie, rivale de l'Égypte dans le bassin levantin, et de consolider les bonnes relations que l'Égypte entretient avec la Grèce et Chypre d'une part, des manoeuvres aéronavales conjointes étant organisées depuis 2015, et avec Israël d'autre part, les armées égyptiennes et israéliennes ayant renforcé leur collaboration dans le Sinaï pour lutte contre les groupes djihadistes 156 ( * ) .
2. L'intervention indirecte de l'armée égyptienne en Libye et la diversification de ses alliances internationales témoignent de la volonté de l'Égypte d'exercer une influence stratégique en Méditerranée
Il est en premier lieu à relever que l'armée joue un rôle particulier dans l'appareil d'État égyptien depuis le coup de force de juillet 2013 du maréchal Abdel Fattah al-Sissi qui est demeuré depuis à la tête du pouvoir exécutif égyptien. Si les dépenses annuelles de défense de l'Égypte sont relativement limitées (4 Md$ soit 1,3% du PIB), elles sont complétées par l'aide militaire américaine qui atteint 1,3 Md$ par an. Par ailleurs, l'Égypte a consenti à des investissements capacitaires importants depuis 2014 notamment au bénéfice de l'industrie française 157 ( * ) qui a signé des contrats pour céder à l'Égypte 54 avions Rafale, quatre corvettes Gowind, une frégate multi-mission (FREMM), des missiles air-air Mica et de croisière Scalp ainsi que deux porte-hélicoptères de classe Mistral.
Dans le sillage de ce renforcement de l'armée égyptienne, la présence militaire de l'Égypte dans le bassin méditerranéen a été renforcée par l'implication indirecte des autorités égyptiennes dans le conflit civil libyen à partir de 2014. En effet, l'Égypte a soutenu à partir de mai 2014 l'Armée nationale libyenne (ANL) dirigée par K. Haftar en estimant qu'elle serait le partenaire le plus pertinent pour lutter contre les groupes djihadistes et sécuriser la frontière égypto-libyenne longue de 1 115 km. L'Égypte s'est investie indirectement dans le conflit en fournissant des armes et une formation aux militaires de l'ANL, en organisant des opérations des forces spéciales et des services de renseignement et en autorisant les Émirats arabes unis à utiliser sa base aérienne de Sidi Barrani pour effectuer des raids sur le sol libyen.
Si le soutien du Caire à K. Haftar a été contré par l'implication de la Turquie au gouvernement de Tripoli, l'Égypte a fait évoluer son implication en Libye depuis le retrait des troupes de l'ANL en juin 2020 et elle entend désormais poursuivre son objectif de lutte contre l'islam politique par d'autres moyens en exerçant un rôle de médiateur entre les parties en présence, à l'image des négociations organisées en octobre 2020 au Caire entre des membres de la Chambre des représentants basée à Tobrouk (est) et des membres du Haut Conseil d'État situé à Tripoli (ouest) 158 ( * ) .
Cette volonté d'exercer une influence à l'échelle régionale est également visible dans le rapprochement accéléré de l'Égypte et de la Chine depuis l'accession au pouvoir du maréchal A. F. al-Sissi. En effet, alors que les deux pays ont signé dès décembre 2014 un partenariat stratégique intégral, l'Égypte et la Chine ont approfondi leurs relations dans de nombreux secteurs notamment sur les plans politique, économique, sécuritaire et stratégique. Ce partenariat s'est notamment traduit sur le plan économique par la signature par l'Égypte en 2016 d'un protocole d'adhésion au projet des nouvelles routes de la soie (BRI), sur le plan sécuritaire par l'arrestation puis le rapatriement forcé par les autorités égyptiennes d'étudiants ouïgours se trouvant sur son territoire et sur le plan militaire par les premières manoeuvres conjointes des marines chinoises et égyptiennes en septembre 2015 à Alexandrie 159 ( * ) . Cette diversification par l'Égypte de son réseau d'alliance témoigne de sa volonté de consolider sa marge de manoeuvre pour poursuivre ses intérêts stratégiques en Méditerranée.
C. L'ALGÉRIE REVENDIQUE UN RÔLE D'ACTEUR RÉGIONAL EN MÉDITERRANÉE EN S'APPUYANT SUR LA DIVERSIFICATION DE SES ALLIANCES STRATÉGIQUES
1. Le rapprochement de l'Algérie avec la Chine est un contrepoids à l'alliance traditionnelle entre l'Algérie et la Russie sur le plan capacitaire
Si l'Algérie revendiquait à l'époque de la guerre froide une stratégie de non-alignement, le rapprochement effectué avec l'Union soviétique pendant la présidence de H. Boumédiène (1965-1978), ainsi que la rupture temporaire des relations diplomatiques avec les États-Unis dans le sillage de la guerre des Six Jours (1967) a contribué à la mise en place d'un partenariat stratégique entre l'Algérie et l'URSS puis, depuis 1991, avec la Russie.
Ce partenariat se traduit notamment par une coopération dans le domaine capacitaire, dans un contexte où les dépenses militaires constituent le premier budget de l'État en Algérie avec 9,7 Md$, soit 6,5% du PIB. La Russie bénéficie dans ce cadre des principaux contrats d'armement et a construit pour l'armée nationale populaire depuis la fin des années 1980 six sous-marins de classe « Kilo » équipés de missiles de croisière navale « Kalibr » d'une portée théorique de 1 500 km, mais limitée pour les versions exportées. Cette collaboration stratégique explique également l'abstention de l'Algérie lors du vote à l'Assemblée générale des Nations unies le 2 mars 2022 sur la résolution condamnant l'agression russe en Ukraine.
En parallèle de ce partenariat stratégique avec la Russie, l'Algérie entretient depuis son indépendance une relation privilégiée avec la République populaire de Chine qui a établi des relations diplomatiques avec le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) dès 1958 et qui a soutenu les combattants algériens entre 1958 et 1962.
Dans la période récente, l'Algérie et la Chine ont renforcé leurs liens à la fois en matière stratégique et économique. Sur le plan économique, la Chine a dépassé depuis 2012 la France au rang de premier partenaire commercial de l'Algérie. Les entreprises chinoises sont par ailleurs très impliquées dans le secteur de la construction en Algérie depuis le début des années 2000 et elles ont contribué à édifier de nombreux projets d'infrastructures, dont notamment le nouvel aéroport d'Alger, la grande mosquée d'Alger, le stade olympique d'Oran ou encore l'opéra d'Ouled Fayet 160 ( * ) . Alors que l'Algérie a adhéré en 2018 au projet des nouvelles routes de la soie (BRI), la Chine a également signé un accord avec l'Algérie en 2016 sur la construction du port en eau profonde d'El Hamdania d'une capacité de 6,5 M d'EVP et financée par un crédit chinois de long terme 161 ( * ) .
Sur le plan stratégique, l'Algérie a diversifié ses fournisseurs d'armement en s'équipant de manière croissante auprès d'industriels chinois comme en témoigne le fait que l'Algérie a représenté entre 2014 et 2018 11% des exportations chinoises d'armement tandis que la Chine constitue désormais, avec 15% des importations, le deuxième fournisseur de l'armée nationale populaire (ANP).
2. La volonté de l'Algérie de jouer un rôle stabilisateur dans son environnement régional est obérée par la dégradation persistante de ses relations avec le Maroc
Après un relatif effacement sur la scène internationale lié à la déstabilisation de sa situation intérieure pendant la décennie noire (1992-2002), le premier mandat du président A. Bouteflika (1999-2004) a correspondu à un renouveau de l'action extérieure de l'Algérie qui s'appuie traditionnellement sur une diplomatie des bons offices 162 ( * ) illustrée par exemple par la signature à Alger d'un accord de paix entre l'Érythrée et l'Éthiopie le 12 décembre 2000.
Dans la période récente, l'Algérie entend continuer à jouer un rôle de médiateur pour contribuer à la stabilisation du pourtour méditerranéen, en s'impliquant notamment dans le règlement politique de la crise libyenne, Alger ayant accueilli une réunion des ministres des affaires étrangères des pays voisins de la Libye en août 2021, et dans le comité de suivi de l'accord de juin 2015 entre le gouvernement malien et les groupes du Nord, qu'elle copréside avec les Nations unies.
Il est toutefois à relever que la volonté affichée par l'Algérie de jouer un rôle stabilisateur en Méditerranée est fragilisée par la dégradation persistante de ses relations bilatérales avec le Maroc du fait de leur conflit relatif au statut du Sahara occidental, dont le territoire est contrôlé à 80% par le Maroc, mais où l'Algérie soutient les indépendantistes du Front Polisario.
Les frontières terrestres sont fermées depuis 1994 entre le Maroc et l'Algérie du fait de leur opposition sur la question sahraouie, et les relations bilatérales ont connu un regain de tensions à l'été 2021 avec la décision des autorités algériennes de rompre ses relations diplomatiques avec le Maroc en août 2021 et de fermer son espace aérien aux avions civils et militaires marocains à partir de septembre 2021.
Enfin, alors qu'en novembre 2021 l'Algérie a accusé le Maroc d'être responsable de la mort de trois ressortissants algériens au Sahara occidental, l'hypothèse d'une escalade militaire présente un risque important dont les effets seraient très déstabilisateurs pour la région.
Source : FMES, 2022, Atlas stratégique de la Méditerranée et du Moyen-Orient, (c) P. Orcier
TROISIÈME PARTIE - RECOMMANDATIONS À L'ÉCHELLE DE LA FRANCE, DE L'UNION EUROPÉENNE ET DE L'ALLIANCE ATLANTIQUE
I. RENFORCER LA RÉSILIENCE DE LA FRANCE EN CAS DE CONFLIT EN MÉDITERRANÉE
A. LA FRANCE EST UNE PUISSANCE NAVALE DANS LE BASSIN MÉDITERRANÉEN OÙ ELLE DÉFEND SES INTÉRÊTS STRATÉGIQUES
1. La stabilité de l'espace méditerranéen est un enjeu stratégique pour la France sur les plans économique, diplomatique et militaire
Le bassin méditerranéen est un espace essentiel pour les intérêts français, aussi bien civils que militaires, liés aux mille sept cents kilomètres de littoral méditerranéen qui bordent la partie sud-est du territoire national.
La façade méditerranéenne sert à ce titre de voie d'entrée à d'importants flux de marchandises et d'informations, et elle est un élément structurant de nos relations diplomatiques avec les pays de la rive sud du bassin et de notre coopération militaire avec nos alliés dans l'ensemble du bassin méditerranéen.
Sur le plan économique, les ports français en Méditerranée, au premier rang desquels le port de Marseille qui fait partie des sept grands ports maritimes (GPM) métropolitains placés sous l'autorité de l'État 163 ( * ) , constituent l'une des voies d'entrées en France pour les marchandises en provenance d'Asie, ainsi que pour les ressources énergétiques transitant par le bassin méditerranéen. Cette position stratégique se traduit, d'une part, par la nécessité d'assurer la continuité du trafic maritime commercial en Méditerranée pour sécuriser les approvisionnements de l'économie française et, d'autre part, par une importance significative de l'activité économique des gens de mer dans le développement des régions du littoral méditerranéen. À titre illustratif, on estime que le complexe industrialo-portuaire de Marseille-Fos représente 41 500 emplois salariés répartis dans 1 500 établissements situés dans 62 communes du département des Bouches-du-Rhône 164 ( * ) .
L'importance économique de la Méditerranée pour les entreprises françaises est par ailleurs renforcée par le positionnement du port de Marseille comme pôle ( hub ) du réseau de câbles sous-marins de communication en Méditerranée alors que le marché pour les services d'installation de ces câbles est estimé à 200 M€ dans le bassin méditerranéen et que deux entreprises françaises, Louis Dreyfus Armateurs et Orange Marine, ont développé une expertise spécifique dans les secteurs de la pose et du maintien des câbles sous-marins.
Sur le plan diplomatique, la Méditerranée constitue également un espace central de la politique extérieure de la France autour duquel s'articule sa relation avec les pays de la rive sud du bassin. L'implication commune dans les institutions issues du processus de Barcelone et la coopération sur des projets d'intérêts commun en Méditerranée constituent l'un des axes du dialogue diplomatique de la France avec les pays du Maghreb.
À ce titre, le voyage officiel du Président de la République à Alger et à Oran du 25 au 27 août 2022, auquel le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a participé et qui s'est traduit par l'adoption d'une déclaration conjointe du Président de la République française et du président algérien A. Tebboune en faveur d'un partenariat renouvelé entre les deux pays, est une nouvelle illustration de l'implication de la diplomatie française pour apaiser les relations bilatérales franco-algériennes et resserrer les liens culturels et économiques entre les deux pays, y compris dans le secteur stratégique de l'approvisionnement énergétique, rendu critique par le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022 et l'application de sanctions contre le secteur énergétique russe à l'échelle de l'Union européenne.
Enfin sur le plan militaire, la Méditerranée est également un important espace de coopération pour l'armée française, notamment dans le domaine naval, qui y mène régulièrement des exercices avec des alliés de la rive nord comme de la rive sud du bassin méditerranéen.
Au sud-est du bassin méditerranéen, cette coopération opérationnelle a récemment été illustrée par l'édition 2021 de l'exercice Cleopatra (21 au 25 mars 2021) auquel ont participé le porte-hélicoptère amphibie Mistral pour la Marine nationale ainsi que, pour la marine égyptienne, un porte-hélicoptère, une corvette et un patrouilleur et par l'organisation du 17 au 19 février 2022 de l'exercice Ramses 22 qui a permis à des Rafale de l'armée de l'air égyptienne et à une corvette Gowind égyptienne d'interagir avec le groupe aéronaval (GAN) déployé en Méditerranée.
Dans le bassin levantin et en mer Égée, la Marine nationale mène une coopération suivie et privilégiée avec les marines italiennes, grecques et chypriotes comme l'illustre l'initiative quadripartite lancée en 2020 par Chypre, la France, l'Italie et la Grèce dans le cadre de laquelle a été organisé en octobre 2021 l'exercice Eunomia 21 qui a réuni la frégate de type La Fayette (FLF) française Aconit , un patrouilleur chypriote, une frégate italienne et une frégate grecque, ainsi qu'un ravitailleur A330 Phénix de la base d'Istres et deux Rafales de la base aérienne projetée (BAP) au Levant et des chasseurs F-16 de l'armée grecque.
Les rapporteures relèvent enfin la forte implication diplomatique de la France en faveur de la stabilisation durable de la situation politique et sécuritaire au Liban. La France, qui déploie un contingent de 650 militaires dans la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL), entretient des liens historiques d'amitié et de coopération avec ce pays dont la situation de déstabilisation a été aggravée par la double explosion intervenue dans le port de Beyrouth pendant l'été 2020.
2. La défense de la façade méditerranéenne du territoire national repose sur la mobilisation des forces armées qui disposent de plusieurs points d'appui pour se projeter en Méditerranée
Le littoral méditerranéen de la France, façade maritime bordant le territoire national, est placé sous la surveillance d'un dispositif de défense dans lequel l'ensemble des forces de l'armée française est susceptible d'intervenir, aussi bien l'armée de terre par l'élément national d'urgence que l'armée de l'air et de l'espace à travers la posture permanente de sûreté (PPS) ainsi que la Marine nationale dont le centre des opérations de la Méditerranée (CENTOPS MED) situé à Toulon a notamment pour objectif, en coopération avec nos alliés en Méditerranée, de prévenir les autorités avec un préavis maximal en cas d'approche de compétiteur vers les côtes françaises.
La façade méditerranéenne de la France est à ce titre surveillée en permanence par 19 sémaphores situés le long de la côte et en Corse, auxquels s'ajoutent des avions de patrouille maritime qui survolent régulièrement la zone. En cas de menace, plusieurs unités de la Marine nationale (avion de patrouille maritime Atlantique 2, patrouilleur de haute-mer, frégate de type La Fayette, sous-marins nucléaires d'attaque, frégates multi-missions, frégate de défense aérienne, bâtiment de commandement et de ravitaillement, porte-hélicoptères amphibies) peuvent être mobilisées dans des délais allant de quatre heures à dix jours selon l'urgence requise par la situation.
En complément de ces dispositifs qui permettent d'assurer la défense du territoire national en cas d'acte hostile dirigé vers le territoire national, l'armée française déploie également des forces dans l'espace méditerranéen où elle est en mesure de défendre ses intérêts, par exemple en cas de crise nécessitant une opération d'évacuation de ressortissants, et de développer une capacité d'appréciation autonome de la situation en mer, notamment en Méditerranée orientale 165 ( * ) .
Dans ce contexte, le déploiement en Méditerranée du 1 er février au 7 avril 2022 (mission Clemenceau 22 ) du groupe aéronaval (GAN) composé du porte-avions (PA) Charles de Gaulle avec ses 22 avions de combat Rafale , ses deux avions de guet aérien E-2C Hawkeye et trois hélicoptères, escorté par la frégate de défense aérienne (FDA) Forbin , les frégates multi-missions (FREMM) Alsace et Normandie, ainsi qu'un sous-marin nucléaire d'attaque (SNA), a permis à la France de réaffirmer son attachement à la liberté de circulation en mer et dans les airs et de resserrer l'interopérabilité avec les alliés de la France dans le bassin méditerranéen, le groupe aéronaval ayant intégré pendant l'ensemble du déploiement une frégate américaine, une frégate grecque et un détachement d'hélicoptères belges.
Plus récemment, au cours de l'été 2022, la Marine nationale a maintenu sa présence en Méditerranée pour soutenir la posture dissuasive de l'OTAN sur son flanc sud et pour assurer l'appréciation autonome de situation de la France en déployant en permanence une frégate en Méditerranée orientale (FREMM Provence puis Languedoc ) ; en déployant une frégate pendant la première quinzaine de juillet en Méditerranée centrale pour escorter le groupe aéronaval américain Truman ; en déployant le bâtiment base de plongeurs démineurs (BBPD) Pluton en mer Adriatique et en déployant un avion de patrouille maritime Atlantique 2 à La Sude.
Source : FMES, 2022, Atlas stratégique de la Méditerranée et du Moyen-Orient, (c) P. Orcier
B. LA FRANCE PEUT RENFORCER SES MÉCANISMES D'ANTICIPATION CIVILS ET MILITAIRES POUR ÊTRE PRÊTE À FAIRE FACE À TOUTE ÉVENTUALITÉ EN MÉDITERRANÉE
Dans son discours aux armées du 13 juillet 2022, le Président de la République a annoncé la présentation en 2023 d'un nouveau projet de LPM. Alors qu'il a également déclaré que ce projet de loi serait fondé sur des retours d'expérience menés « dans l'intimité des équipes », sans être précédé par « des exercices théoriques », les rapporteures estiment qu'il est essentiel que la future trajectoire tienne compte de la militarisation de la politique étrangère dans le bassin méditerranéen.
Alors que l' Actualisation stratégique , en date de janvier 2021, avait déjà identifié la Méditerranée comme « un espace potentiellement ouvert à des conflits de toutes sortes », la présentation de la nouvelle LPM intervient dans un contexte dans lequel « dans le domaine naval, le réarmement au niveau mondial est sans précédent au cours des dernières décennies », comme le soulignait le chef d'état-major de la Marine lors de son audition devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat le 27 octobre 2021.
La Méditerranée n'est pas le seul théâtre sur lequel la Marine nationale est amenée à renforcer sa présence, au regard notamment de l'importance stratégique croissante prise par le golfe de Guinée et par l'espace Indopacifique. Il existe donc un risque de tension entre les moyens dont disposent nos armées, en particulier la Marine nationale, et leur déploiement simultané sur plusieurs théâtres.
À ce titre, alors que la commission avait préalablement identifié plusieurs renoncements capacitaires intervenus dans le cadre de la programmation actuellement en vigueur 166 ( * ) , il est essentiel que la prochaine LPM poursuive la trajectoire de réarmement des forces en tenant compte du contexte actuel de dégradation de la situation stratégique et de militarisation des relations internationales dans le bassin méditerranéen.
Recommandation n°1. Poursuivre la trajectoire de réarmement des forces armées dans le cadre de la future loi de programmation militaire (LPM) en tenant compte de la dégradation du contexte stratégique en Méditerranée.
Situé à la préfecture maritime de Brest, le MICA Center est un centre de sécurité maritime de référence qui pilote le dispositif de coopération navale volontaire (CNV) auquel ont adhéré la plupart des grands armateurs français. Ce dispositif permet aux navires civils de disposer d'évaluations sécuritaires hebdomadaires pour s'adapter aux risques en mer. Ce dispositif de coopération navale volontaire est un espace capital d'échanges entre la Marine nationale et les armateurs qui peut servir de levier pour sensibiliser les navires commerciaux aux risques en cas de déclenchement d'un conflit en Méditerranée.
En cas de crise, la résilience française des bâtiments civils reposerait sur l'activation du dispositif de contrôle naval obligatoire (CNO) en application duquel, en cas de circonstances exceptionnelles, les navires civils français peuvent être obligés de suivre les instructions du commandement de zone maritime (CZM) concerné. En l'absence d'exercice de simulation de l'activation du dispositif de contrôle naval obligatoire, qui n'a pas été activé en Méditerranée depuis plus de trente ans , les rapporteures relèvent qu'il est important de mettre en place un dialogue structuré entre les représentants de la Marine nationale et ceux des armateurs pour préciser les procédures à mettre en place en cas d'activation du dispositif et s'assurer de son caractère opérationnel en cas de conflit armée en Méditerranée menaçant la sécurité des bâtiments civils français.
Recommandation n°2. Consolider le dispositif de coopération navale volontaire (CNV) pour assurer la réactivité et la sécurité de la marine civile française en cas de crise en Méditerranée.
En dépit de l'adoption en février 2022 d'une Stratégie ministérielle de maîtrise des fonds marins , et sous réserve de la mise en oeuvre par la Marine nationale des capacités de l'Ifremer, les armées ne disposent actuellement d'aucun équipement pouvant atteindre les 6 000 mètres de profondeur. Les rapporteures s'associent à ce titre aux constats et aux recommandations formulées en juin 2022 par la mission d'information sénatoriale sur l'exploration, la protection et l'exploitation des fonds marins 167 ( * ) .
Au regard de l'importance critique du réseau de câbles sous-marins de communication, la capacité de la Marine nationale à surveiller ce réseau, voire à intervenir le cas échéant en cas d'acte hostile dirigé contre cette infrastructure est un point essentiel pour assurer la résilience de la France face à une tentative d'attaque hybride de cette nature en Méditerranée.
Par suite, les rapporteures estiment qu'il est essentiel que la trajectoire fixée par la future LPM tienne compte de cet enjeu de sécurité émergeant pour doter la France avant 2025 de drones sous-marins ayant une capacité d'exploration atteignant 6 000 mètres de profondeur .
Recommandation n°3. Moderniser les capacités de la Marine nationale pour être en mesure de réagir en cas d'attaque hybride dirigée contre le réseau de câbles sous-marins de communication en Méditerranée.
II. MODERNISER LA STRATÉGIE DE L'UNION EUROPÉENNE DANS LE BASSIN MÉDITERRANÉEN
A. L'INFLUENCE DE L'UNION EUROPÉENNE EN MÉDITERRANÉE EST LIMITÉE PAR SON APPROCHE ESSENTIELLEMENT ÉCONOMIQUE DU BASSIN MÉDITERRANÉEN
L'Union européenne, qui compte parmi ses membres huit pays ayant au moins une façade méditerranéenne, est un acteur structurant de la rive nord du bassin méditerranéen. Ses États membres riverains de la Méditerranée organisent régulièrement depuis 2016 des rencontres plurilatérales au sein du groupe informel « MED7 » réunissant Chypre, Malte, la Grèce, l'Espagne, le Portugal, l'Italie et la France, devenu « MED9 » en 2021 pour inclure la Croatie et la Slovénie.
Au-delà de son influence au nord du bassin méditerranéen, l'Union européenne est devenue depuis les années 1990 un acteur dans l'ensemble du bassin. À ce titre, dans le sillage du lancement du processus de Barcelone en 1995 puis de la politique européenne de voisinage en 2004, l'Union européenne a renforcé ses liens bilatéraux avec les pays tiers de la rive sud en signant entre le milieu des années 1990 et le milieu des années 2000 des accords d'association (AA) avec la Tunisie (1995), le Maroc (1996), l'Égypte (2001) et l'Algérie (2002).
La nature des relations entre l'Union européenne et les pays de la rive sud reste essentiellement économique, comme en témoigne la communication du 9 février 2021 « Un nouveau programme pour la Méditerranée » de la Commission européenne et du Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité qui, en dépit d'un chapitre consacré à la paix et à la sécurité, reste centrée sur la coopération bilatérale en matière d'investissement économique, ce document prévoyant la mobilisation de fonds européens à hauteur de 7 Md€ pour la période 2021-2027 en faveur de « la relance socio-économique à long terme de la région » 168 ( * ) .
Cette approche essentiellement économique s'explique notamment par le champ de compétence de l'Union européenne, qui est limité sur les questions de politique extérieure. Elle rencontre deux limites principales.
La première est liée au réarmement et à la militarisation des relations internationales en Méditerranée. Dans un contexte stratégique dégradé, l'action de l'Union sur le terrain économique risque d'avoir une portée limitée pour assurer la pérennité de l'influence de l'Union auprès des pays de la rive sud du bassin.
La seconde est le risque , identifié comme prioritaire par plusieurs interlocuteurs entendus par les rapporteures, que l'Union européenne soit en train de « perdre la bataille des récits » ( narratives ) en Méditerranée . En effet, le réarmement de la zone s'est accompagné d'un durcissement des stratégies d'influence confinant dans certains cas à la guerre informationnelle, qui est particulièrement forte dans le voisinage immédiat de l'Union européenne, aussi bien dans les pays des Balkans occidentaux que dans les pays d'Afrique du Nord. Ce risque a été illustré dès 2020 par la difficulté pour l'Union européenne de valoriser à sa hauteur l'aide apportée pendant la crise sanitaire, qui s'élève à 1,2 Md€ en Afrique du Nord 169 ( * ) , face à des récits plus assertifs et à une communication plus efficace d'autres acteurs globaux comme la Chine. Plus récemment, la tentative de la Russie de rendre l'Union européenne responsable des risques potentiels d'approvisionnement en céréales dans les pays de la rive sud du bassin méditerranéen est une nouvelle alerte qui justifie un renforcement des instruments dont l'Union dispose pour répondre à cette manipulation de l'information qui fragilise notre influence dans l'espace méditerranéen.
B. L'UNION EUROPÉENNE DOIT RÉAGIR AVEC FERMETÉ ET AVEC SOLIDARITÉ FACE AUX TENTATIVES DE DÉSTABILISATION EN MÉDITERRANÉE ORIENTALE, RENFORCER SES INSTRUMENTS DE LUTTE CONTRE LA DÉSINFORMATION ET MAINTENIR SA PRÉSENCE MILITAIRE EN MÉDITERRANÉE CENTRALE
Dans la Boussole stratégique 170 ( * ) adoptée par le Conseil de l'Union le 21 mars 2022 et endossée par le Conseil européen le 24 mars 2022, l'Union européenne identifie parmi les menaces émergentes auxquelles elle doit être en mesure de répondre les « stratégies hybrides, cyberattaques, campagnes de désinformation, l'ingérence directe dans nos élections et nos processus politiques, la contrainte économique et l'instrumentalisation des flux migratoires irréguliers ».
Pour répondre à ces menaces, la Boussole stratégique prévoit notamment la création en 2022 d'une « boîte à outils relative aux activités de manipulation de l'information et d'ingérence menées depuis l'étranger », puis son déploiement en 2023 et 2024. Ce renforcement des instruments de l'Union face à la manipulation de l'information par des puissances étrangères s'appuiera sur la division de la communication stratégique du service européen pour l'action extérieure (STRAT.2) créée en 2015 et ses groupes d'intervention ( task forces ) dédiés au voisinage oriental, aux Balkans occidentaux et au voisinage méridional.
Les rapporteures soulignent, à la suite de plusieurs responsables et experts qu'elles ont entendus, que l'accélération et le renforcement des capacités de l'Union européenne à répondre à cette guerre informationnelle est une priorité dans l'espace méditerranéen. La guerre en Ukraine est perçue par certains pays hostiles comme une occasion de décrédibiliser l'Union européenne et de l'éloigner de ses partenaires méditerranéens. À ce titre, le renforcement de la capacité de l'Union à opposer un récit alternatif au récit antioccidental doit être mis en oeuvre de manière rapide et déterminée.
Recommandation n°4. Accélérer le déploiement de la « boîte à outils » européenne de lutte contre la désinformation pour renforcer les instruments de réponse aux manipulations de l'information par des puissances étrangères, en particulier dans les Balkans occidentaux et en Afrique du Nord.
Les divisions susceptibles d'apparaître entre les différents États membres de l'Union est l'un des risques majeurs pour la cohérence et pour la crédibilité de sa politique extérieure en Méditerranée.
À ce titre, le manque de coordination entre l'action diplomatique de la France et celle de l'Italie dans le dossier libyen entre 2011 et 2019 a contribué à affaiblir le processus de paix mené sous l'égide des Nations unies et à renforcer la position des puissances extérieures en Libye, dont en particulier la Russie et la Turquie 171 ( * ) . Le manque de solidarité entre les États membres constitue dans ce contexte à la fois un objectif pour les pays hostiles et un facteur d'affaiblissement de l'influence de l'Union dans le bassin méditerranéen.
Les rapporteures relèvent par surcroît que les élections législatives qui se sont tenues en Italie en septembre 2022 et la campagne qui les ont précédées illustrent les risques qui pèsent sur la pérennité de certains rapprochements stratégiques au niveau intra-européen et soulignent l'importance de construire un consensus large et durable entre les États-membres sur la nécessaire solidarité à l'échelle de l'Union européenne sur les questions méditerranéennes.
Au regard du niveau de tensions et de la gravité des conséquences potentielles en cas d'escalade en Méditerranée orientale, la préservation de l'unité entre les membres de l'Union européenne sur ce dossier doit être un objectif prioritaire. Alors que la vente à la marine turque par la société allemande ThyssenKrupp Marine Systems de six sous-marins U-214T commandés en 2009 et dont le premier a été mis à l'eau en 2019 a fait l'objet de critiques de la part des autorités grecques, l'appel public de la ministre des affaires étrangères allemande A. Baerbock au respect de la souveraineté de la Grèce sur ses îles en mer Égée lors son voyage en Grèce en juillet 2022 témoigne de la capacité de l'Union à adopter une position commune en faveur du respect du droit international dans cette zone.
Alors que les relations entre la Grèce et la Turquie ont connu un regain de tensions au mois de septembre 2022 à la suite de déclarations du président R. T. Erdogan remettant en cause la souveraineté de la Grèce sur certaines îles en mer Égée et évoquant la possibilité pour la Turquie « d'arriver subitement la nuit », l'unité des membres du Conseil européen face au risque d'escalade est une priorité.
Les rapporteures soulignent à ce titre que la capacité de l'Union européenne à dissuader toute tentative d'escalade ou de fait accompli dans cette région repose en premier lieu sur la crédibilité de sa réponse et, partant, sur l'unité entre ses membres.
Recommandation n°5. Garantir l'unité et la solidarité du Conseil européen face aux tentatives de déstabilisation en Méditerranée orientale pour limiter le risque d'escalade ou de fait accompli.
À la suite de l'opération « EUNAVFOR MED Sophia » mise en oeuvre par l'Union européenne entre 2015 et 2020 en Méditerranée centrale pour limiter les flux d'immigration illégale, et dans le cadre de son action en faveur d'un processus de paix en Libye mené sous l'égide des Nations unies, le Conseil de l'Union a institué le 31 mars 2020 l'opération de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) « EUNAVFOR MED Irini » 172 ( * ) dont le mandat s'étend jusqu'au 31 mars 2023.
Cette opération militaire, dans laquelle sont impliqués 24 États membres, s'appuie sur des moyens maritimes, aériens et satellitaires et a pour tâche principale de faire respecter l'embargo sur les armes vers ou depuis la Libye décidé par le Conseil de sécurité des Nations unies 173 ( * ) et pour tâches secondaires de surveiller, de recueillir des informations sur l'exportation illicite de pétrole depuis la Libye ; de former les garde-côtes et la marine libyenne ; de contribuer au démantèlement des réseaux de trafic d'êtres humains.
La France est l'un des premiers contributeurs de l'opération Irini à laquelle elle a participé en 2021 en fournissant notamment huit personnes détachées à l'état-major de l'opération situé à Rome, quinze semaines de patrouilleur de haute mer en soutien direct de l'opération et des vols de surveillance maritime et d'AWACS au rythme d'un par mois.
Il est tout d'abord à relever, comme le souligne le groupe d'experts des Nations unies sur la Libye dans un rapport en date de mars 2021, que l'embargo des Nations unies sur les armes en Libye « est d'une inefficacité totale », les violations de cet embargo étant « généralisées et flagrantes ». Cette inefficacité de l'embargo s'explique notamment par le fait que le droit de la mer limite de manière restrictive les possibilités d'arraisonnement des bâtiments en haute mer 174 ( * ) .
Néanmoins, les rapporteures relèvent, à la suite de plusieurs des personnes auditionnées, que l'existence d'une présence militaire européenne en Méditerranée centrale est précieuse à plusieurs titres. En premier lieu, l'opération Irini permet de documenter les violations de l'embargo sur les armes en Libye et l'opération a établi depuis son lancement 40 rapports spéciaux transmis au groupe d'experts des Nations unies sur la Libye. En second lieu, la présence de bâtiments et d'avions européens en Méditerranée centrale permet de développer la capacité d'appréciation autonome de la situation de l'Union européenne et de ses États membres dans la zone. Enfin en troisième lieu, la présence d'une opération militaire de l'Union européenne en Méditerranée renforce l'interopérabilité entre les forces des différents États membres et démontre l'unité de l'Union en matière de respect du droit international dans le bassin méditerranéen.
Pour ces différents motifs, auxquels s'ajoutent l'utilité des tâches secondaires du mandat de l'opération Irini qui contribuent à réguler la gestion des flux migratoires dans le bassin méditerranéen, les rapporteures recommandent de prolonger le mandat de l'opération pour maintenir la présence militaire de l'Union en Méditerranée centrale au-delà du 31 mars 2023.
Recommandation n°6. Prolonger le mandat de l'opération Irini pour consolider la capacité d'appréciation autonome de situation et la présence militaire de l'Union européenne en Méditerranée orientale.
III. RATIONALISER LA COOPÉRATION ENTRE L'ALLIANCE ATLANTIQUE ET L'UNION EUROPÉENNE EN MÉDITERRANÉE
A. LES ALLIÉS JOUENT UN RÔLE STRUCTURANT DANS L'ESPACE MÉDITERRANÉE QUI CONSTITUE LE FLANC SUD DE L'ALLIANCE ATLANTIQUE
Le renforcement de la présence de l'Alliance en Méditerranée et la réflexion sur son rôle dans le bassin méditerranéen, situé en marge de l'espace euroatlantique stricto sensu , ont émergé dans les années 1990 dans le sillage de la fin de la guerre froide. Dans un contexte marqué par la dislocation de l'Union soviétique et la diversification des objectifs assignés à l'Alliance, l'ancien secrétaire général de l'OTAN J. Solana estimait dans un article publié en 1997 que l'Alliance avait eu, depuis son origine, « une forte dimension méditerranéenne » 175 ( * ) .
Sur le plan politique, ce renforcement de la dimension méditerranéenne de l'Alliance s'est traduit par le lancement en 1994 du Dialogue méditerranée (DM) qui réunit depuis 2000, outre les pays de l'OTAN, l'Algérie, l'Égypte, Israël, la Jordanie, la Mauritanie, le Maroc et la Tunisie dans un forum informel d'échanges stratégiques décliné sur le plan opérationnel par un programme de coopération pratique.
Sur le plan opérationnel, le début du XXI e siècle a été marqué par l'implication de l'OTAN dans plusieurs opérations extérieures en dehors de la zone euroatlantique situées soit en marge du bassin méditerranéen, à l'image de la présence de l'Alliance en Afghanistan comme autorité de commandement de la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS) entre 2003 et 2014, puis avec la mission Resolute Support entre 2015 et 2021, soit sur le pourtour méditerranéen avec l'opération Unified Protector menée par l'Alliance atlantique en Libye entre mars et octobre 2011.
Depuis novembre 2016, l'opération Sea Guardian , qui a succédé à l'opération Active Endeavour , constitue le principal vecteur de déploiement des forces de l'Alliance en Méditerranée. Placé sous l'autorité du commandement maritime allié (MARCOM) situé à Northwood (Royaume-Uni), cette opération, qui repose sur des contributions des États membres qui varient selon ses besoins opérationnels, remplit trois fonctions : l'appui de la connaissance de la situation maritime ; l'appui à la lutte contre le terrorisme maritime et la contribution à la constitution de capacités de sûreté maritime.
B. LA CONVERGENCE D'ANALYSE ENTRE L'UNION EUROPÉENNE ET L'OTAN POURRAIT SE TRADUIRE PAR UNE COOPÉRATION PLUS EFFICACE EN MÉDITERRANÉE
Le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022 s'est traduit par un recentrage de l'OTAN sur sa fonction originelle de défense du territoire de ses États membres sur le flanc est de l'Alliance.
Pour autant, la résurgence d'une menace directe à l'est de l'espace euroatlantique ne saurait se traduire par une disparition de l'Alliance de l'espace méditerranéen dont les enjeux stratégiques sont en lien direct avec la sécurité des pays de l'Alliance.
En effet, dans une approche globale de la sécurité atlantique, la stabilité du bassin méditerranéen est en premier lieu un facteur de consolidation de la sécurité des pays du sud de l'Europe face aux conséquences, notamment sur le plan migratoire, que pourrait avoir pour ces pays le déclenchement d'une crise dans les pays de la rive sud du bassin. En second lieu, l'influence croissante de la Russie et de la Chine dans l'espace méditerranéen impose à l'Alliance de maintenir sa présence dans cette région au risque de voir son influence réduite au profit de celle de ses compétiteurs globaux 176 ( * ) .
Les rapporteures relèvent que cette analyse globale de l'importance de la présence occidentale en Méditerranée est partagée par l'Union européenne et par l'OTAN, dans la mesure où elle est présente à la fois dans la Boussole stratégique endossée par le Conseil européen le 25 mars 2022 et dans le Concept stratégique adopté par les membres de l'OTAN à l'occasion du sommet de Madrid le 29 juin 2022, ces deux documents ayant été publiés postérieurement au déclenchement de la guerre en Ukraine.
Pour autant, alors qu'une nouvelle déclaration commune UE-OTAN, faisant suite aux deux déclarations adoptées en 2016 et en 2018, est annoncée depuis la fin de l'année 2021, cette déclaration n'a toujours pas été adoptée à la date d'examen de ce rapport en septembre 2022. Les rapporteures relèvent que l'adoption de ce document contribuerait à clarifier la répartition des rôles et la complémentarité entre les deux organisations, en particulier dans l'espace méditerranéen où l'Union européenne aura une importance croissante à long terme suite à la réorientation des priorités américaines vers l'Asie.
Parallèlement, les rapporteures relèvent qu'alors que les opérations Sea Guardian (OTAN) et Sophia (UE) étaient liées par un accord de collaboration qui permettait des échanges de renseignements, l'opération Irini (UE) ne fait pas l'objet d'un accord de collaboration avec l'opération Sea Guardian alors que cette coopération opérationnelle contribuerait au rapprochement entre les deux organisations.
Recommandation n°7. Rationaliser la coopération entre l'Union européenne et l'OTAN en Méditerranée. Sur le plan stratégique, en adoptant une nouvelle déclaration commune UE-OTAN qui tienne compte des enjeux spécifiques à la Méditerranée. Sur le plan opérationnel, en adoptant un accord de collaboration entre les opérations Irini et Sea Guardian .
CONCLUSION
La fragilisation de l'environnement stratégique en Méditerranée est un processus multifactoriel dont le déclenchement de la guerre en Ukraine a révélé la complexité sur le plan diplomatique autant que militaire.
Pour autant, la dégradation du contexte stratégique méditerranéen n'est pas un phénomène isolé : elle est le reflet d'une dégradation globale du contexte stratégique et de l'émergence d'un monde multipolaire dans lequel les logiques de puissances prennent une place croissante .
La Méditerranée, de ce point de vue, condense les facteurs de tensions. Les luttes, directes ou indirectes, que se livrent les puissances globales ou régionales dans le bassin méditerranéen doivent être replacées dans un processus de recomposition stratégique plus large.
Les logiques révisionnistes à l'oeuvre en mer Égée doivent être mises en parallèle avec le discours public tenu par les autorités russes depuis 2014 et avec les tensions croissantes observées autour de la territorialisation de la mer de Chine. La présence en Libye de mercenaires mis au service des intérêts turcs ou russes s'inscrit dans un mouvement plus large de diffusion de nouvelles méthodes de déstabilisation dont l'efficacité a été éprouvée par la Russie en Afrique sub-saharienne avec la présence avérée du groupe Wagner au Mali et en Centrafrique. Le réarmement naval de puissances régionales comme l'Algérie ou l'Égypte, enfin, intervient dans un contexte de réarmement mondial illustré par la Chine qui se dote actuellement de son troisième porte-avion et qui construit en quatre ans l'équivalent de la Marine française 177 ( * ) .
La Méditerranée est un espace critique. Sa situation de carrefour des flux commerciaux, informationnels et humains et la fragilité de son pourtour sur le plan environnemental et sur le plan socio-économique en font un lieu privilégié d'affrontement, direct et indirect, entre les puissances de la région.
Le durcissement des revendications en Méditerranée se traduit par une militarisation des relations internationales dans cette région. Cette militarisation est le résultat non seulement du réarmement accéléré de certains pays de la zone, mais également de l'internationalisation croissante des conflits dans le bassin méditerranéen qui nourrit un risque de « moyen-orientalisation » de la Méditerranée.
Les puissances occidentales, dont la France, ont un rôle stabilisateur à jouer dans l'espace méditerranéen. Pour être en mesure de jouer ce rôle, la troisième partie de ce rapport propose des pistes pour renforcer la résilience de la France en cas de conflit en Méditerranée, pour moderniser la stratégie de l'Union européenne dans cet espace et l'adapter aux nouvelles réalités stratégiques de cette région, et enfin pour rationaliser la coopération entre les deux principales organisations internationales occidentales présentes en Méditerranée que sont l'Union européenne et l'Alliance atlantique.
À l'occasion de la visite en France du premier ministre grec le 12 septembre 2022, le Président de la République a déclaré que la France « ne laisserait s'installer aucun désordre, en particulier en Méditerranée orientale ». Cette conviction, qui est aussi celle des rapporteures, suppose que la France, l'Union européenne et l'Alliance atlantique se donnent collectivement les moyens de réinvestir pleinement l'espace stratégique méditerranéen qui est de première importance pour nos intérêts et notre sécurité.
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mardi 27 septembre 2022, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de Mmes Catherine Dumas et Isabelle Raimond-Pavero.
M. Christian Cambon, président . - Nous examinons maintenant le rapport d'information de nos collègues Isabelle Raimond-Pavero et Catherine Dumas sur le réarmement et la dégradation de l'environnement stratégique en Méditerranée.
Mme Catherine Dumas, rapporteure . - Le déclenchement de la guerre en Ukraine, le 24 février dernier, a remis en cause un certain nombre d'équilibres, que nous croyions acquis depuis longtemps, et engagé une recomposition stratégique qui dépasse largement l'Europe orientale.
Les réactions observées dans l'espace méditerranéen depuis le début de l'année sont, à cet égard, révélatrices des mutations souterraines, qui sont en train de modifier en profondeur notre environnement immédiat, sans que nous en prenions toujours pleinement la mesure.
Le recul de notre influence dans les pays du pourtour méditerranéen est en passe de se réaliser. Nous devons prendre collectivement conscience du sentiment d'éloignement entre les deux rives de la Méditerranée et le combattre, car il y va des intérêts et de la sécurité de notre pays.
La position ambiguë de la Turquie depuis le début de la guerre exprime la complexité de la recomposition en cours dans le bassin méditerranéen. En refusant d'appliquer les sanctions économiques européennes contre la Russie, en monnayant son soutien à l'entrée de la Suède et de la Finlande dans l'Otan, la Turquie a démontré une nouvelle fois sa volonté d'émancipation vis-à-vis du bloc occidental. Dans le même temps, l'habileté de sa diplomatie lui a permis de jouer un rôle de médiateur et de favoriser la conclusion de l'accord de juillet dernier entre les deux belligérants sur l'exportation des céréales ukrainiennes par voie maritime. La Turquie se veut un État pivot au sein de l'Alliance atlantique, un pays charnière en mesure de monnayer sa participation à l'Alliance.
Ce succès diplomatique a sans doute joué un rôle dans le récent raidissement turc. Il y a quelques semaines, le président turc a publiquement menacé la Grèce d'envahir certaines îles en mer Égée. Nous étions alors présentes en Grèce et y avons ressenti la forte inquiétude de la population. Cette escalade verbale nous concerne directement. Rappelons que la France est liée, depuis septembre dernier, à la Grèce par une clause d'assistance mutuelle, en vertu de laquelle toute militarisation du conflit en Méditerranée orientale aurait des conséquences directes pour nos armées.
Cet exemple turc, les revirements successifs et le niveau de tension qu'ils engendrent sont révélateurs d'une zone en pleine recomposition. Afin d'éclaircir la nature et la portée de ces évolutions, Isabelle Raimond-Pavero et moi-même avons auditionné des chercheurs en géopolitique et en économie du développement, des responsables militaires de chaque état-major, des diplomates spécialisés dans l'étude de cette région, ainsi que des agents en poste dans les institutions de l'Union européenne.
Nous avons, par ailleurs, été reçues en déplacement, il y a quelques semaines, en Grèce puis à Chypre, où nous avons pu à la fois échanger directement avec les responsables civils et militaires de ces deux partenaires, prendre la mesure sur le terrain d'un état de tension dont peu de Français soupçonnent l'existence, à seulement quelques heures de vol de Paris. Je voudrais souligner que l'initiative de la commission des affaires étrangères du Sénat s'agissant de ce rapport d'information a été partout particulièrement saluée.
Dans le nord de Chypre, la Turquie se sert de l'île comme d'un porte-avions insubmersible au service de ses intérêts dans le bassin levantin : 35 000 militaires turcs et 350 chars sont stationnés dans un périmètre de moins de 4 000 km 2 en contact direct avec le territoire de l'Union européenne. Un sacré levier d'influence, pour ne pas dire un moyen de pression ! L'installation de drones Bayraktar TB2, désormais bien connus après les guerres d'Azerbaïdjan et d'Ukraine, nourrit le risque d'escalade dans cette zone de vives tensions.
Mme Isabelle Raimond-Pavero, rapporteur . - En première partie de notre rapport, nous dressons un état des lieux documenté des principaux enjeux stratégiques qui structurent actuellement le bassin méditerranéen. Ces enjeux s'expliquent par deux caractéristiques de la Méditerranée liées à sa position géographique stratégique à l'interface entre trois continents : l'Europe, l'Asie et l'Afrique.
Première caractéristique : la Méditerranée est un carrefour. Cette voie de circulation est vitale pour notre continent. Elle concentre les marchandises, les ressources énergétiques, les flux d'information et d'êtres humains.
La Méditerranée est d'abord un carrefour pour les marchandises, car elle concentre, à elle seule, 25 % des flux du commerce mondial, alors que sa surface représente moins de 1 % des mers et océans du globe. L'espace méditerranéen concentre également les flux de ressources énergétiques, dont les derniers mois nous ont montré qu'ils étaient d'une importance stratégique essentielle.
Deux leçons sont à retenir de la guerre d'Ukraine. La première est que l'Europe ne peut plus se permettre de dépendre d'un seul fournisseur sur le plan énergétique. La diversification engagée par l'Union européenne permet de donner une place croissante à nos fournisseurs énergétiques méditerranéens. Les circonstances actuelles nous forcent à voir notre approvisionnement énergétique avec des yeux neufs. Nous ne pouvons plus ignorer que près de 3 500 milliards de mètres cubes de gaz naturel dorment en Méditerranée orientale, au large des côtes des pays alliés que sont Chypre, Israël ou l'Égypte. L'entrée de la France dans le Forum du gaz en Méditerranée orientale, en 2021, est un atout stratégique dans les circonstances actuelles pour défendre les intérêts de l'Europe face aux tentatives d'éviction des puissances extraoccidentales.
La liberté de circulation en mer n'est pas un concept abstrait. L'épisode de blocage des céréales ukrainiennes démontre l'importance de sécuriser nos canaux d'approvisionnement. La guerre d'Ukraine fait peser une menace sur la sécurité alimentaire mondiale, il y va de notre indépendance. Le canal de Suez voit, à ce titre, passer chaque année près de 50 millions de tonnes de pétrole brut, transportées du Sud vers le Nord. Toute déstabilisation du trafic maritime dans la région a des répercussions immédiates sur nos approvisionnements.
La Méditerranée est aussi un carrefour pour l'information. Les données internationales, dont nous faisons un usage quotidien au moyen des nouvelles technologies, transitent à plus de 98 % par des câbles sous-marins de communication. L'espace méditerranéen concentre une densité particulièrement élevée de câbles sous-marins de communication, notamment au large des côtes françaises. La ville de Marseille est aujourd'hui une station pivot - un hub - du réseau de câbles reliant l'Asie à l'Europe.
La Méditerranée est historiquement un carrefour pour les migrations. Malgré le reflux important constaté depuis le pic de 2015, la voie maritime demeure le principal vecteur pour les franchissements irréguliers de frontières de l'Union européenne avec 56 % des entrées irrégulières, et la situation se dégrade.
À moyen terme, plusieurs facteurs structurels augmenteront ce flux. La croissance démographique rapide des pays de la rive sud, la dégradation accélérée de l'environnement dans certaines régions ou encore la déstabilisation de régimes politiques fragiles provoquent de nouvelles crises. Nous devons, dès à présent, nous donner les moyens nécessaires pour les affronter.
Nous faisons face aux manipulations des flux migratoires à des fins géopolitiques. L'épisode du printemps dernier, à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, a mis en lumière ce phénomène. La Méditerranée constitue à cet égard une façade particulièrement exposée et plusieurs épisodes de manipulation des flux migratoires y sont observés. La mer Égée constitue un point particulier d'attention à souligner. Au mois de février 2020, la Grèce a subi une tentative de déstabilisation à ses frontières, pendant laquelle les autorités turques ont laissé s'acheminer vers les frontières de l'Union européenne plus de 15 000 migrants, en exerçant une pression diplomatique. La capacité de l'Europe à répondre de manière déterminée et solidaire à ces tentatives de déstabilisation est essentielle pour la cohésion de notre Union en Méditerranée.
Nous attirons votre attention sur le fait que nos interlocuteurs grecs ont unanimement salué le travail effectué par les agents de Frontex, en soutien de leur dispositif, afin de consolider la protection des frontières de l'Union et de lutter contre les réseaux de passeurs. La montée en puissance de l'agence Frontex, dont nous avions auditionné l'an passé en commission le directeur exécutif, est nécessaire et traduit une prise de conscience de ces enjeux. Mais il reste beaucoup à faire. Alors que les réseaux de passeurs évoluent et que de nouvelles routes se créent à l'image de la route terrestre de Chypre, il est indispensable de rester mobilisés pour être efficace contre les attaques hybrides, fondées sur une instrumentalisation de vies humaines. Il nous a d'ailleurs été dit qu'on observait une augmentation très nette des inscriptions d'étudiants dans les universités du nord de Chypre dans le but de rejoindre le sud de l'île et de s'installer au sein de l'Union européenne.
Seconde caractéristique marquante de cette zone : la Méditerranée est fragile.
Premièrement, sur le plan sécuritaire. Une des causes en est l'incapacité de la communauté internationale à trouver une solution politique durable à la guerre civile en Libye qui a cours depuis plus de dix ans. Cet État failli, aux portes du continent européen, contribue au climat d'insécurité sur la rive sud de la Méditerranée. L'instabilité durable dans ce pays alimente à la fois des réseaux criminels organisés et des groupes djihadistes répartis dans plusieurs pays du pourtour méditerranéen. Un seul chiffre suffit à résumer cette dégradation : à ce jour, il y a trois fois plus d'armes en circulation que d'habitants sur le territoire libyen. Le terrorisme islamiste est une menace aiguë pour le bassin méditerranéen. L'Union européenne, comme les pays d'Afrique du Nord, constitue un front du djihad international. La France est plus que jamais une cible pour les groupes terroristes.
La Méditerranée est aussi fragile sur le plan socioéconomique. Les pays de la rive sud du bassin ont subi la crise sanitaire avec une violence particulière. Ils font face aux conséquences économiques de la guerre en Ukraine. Ces pays continuent de souffrir de la stagnation de leur économie depuis les printemps arabes et d'un taux de chômage élevé. L'augmentation des prix des céréales ne doit pas se traduire par une crispation sociale dans des sociétés rendues vulnérables par l'accumulation des crises.
Enfin, la Méditerranée est fragile sur le plan environnemental. Un tiers des habitats marins sont déjà menacés en Méditerranée. La surpêche y concerne près de 80 % des espèces recensées. Cette fragilisation représente un défi stratégique. Elle a des conséquences directes sur l'augmentation des flux migratoires à moyen terme ou la remise en cause de la sécurité alimentaire de certaines populations de la région.
Mme Catherine Dumas, rapporteure . - La deuxième partie de notre rapport présente un panorama structuré des forces en présence dans la région.
Ne nous voilons pas la face, ce que nous avons trouvé est inquiétant, en raison de l'importance des investissements capacitaires consentis par plusieurs pays de la zone et du durcissement des rapports de force. C'est une véritable militarisation des relations internationales en Méditerranée qui se met en place !
Nous sentons bien tous que le monde est entré dans une période d'instabilité et de plus grande violence. Mais avons-nous conscience que le bassin méditerranéen, le coeur de notre civilisation, est une des régions où le phénomène mondial de réarmement est le plus dynamique ? Tandis que la marine française prévoit d'augmenter son tonnage de seulement 3,5 % entre 2008 et 2030, la marine turque prévoit, elle, une augmentation dix fois plus rapide, à hauteur de 33 % !
Sur la rive sud du bassin, le rythme du réarmement est encore plus marqué. Les taux de croissance sont de 120 % pour la marine algérienne et jusqu'à 170 % pour la marine égyptienne !
Je vous renvoie au corps du rapport concernant cet état des lieux très préoccupant. Je voudrais insister sur quatre acteurs particulièrement symptomatiques de la dégradation du contexte stratégique en Méditerranée.
En premier lieu, il faut souligner le recul relatif de la présence américaine dans cet espace, alors même que la Méditerranée a longtemps été considérée comme étant le « lac de l'OTAN ».
Certes, l'armée américaine continue d'être largement présente en Méditerranée avec la Sixième flotte ; elle dispose de bases militaires réparties sur l'ensemble du pourtour méditerranéen, de l'Espagne à la Turquie en passant par l'Italie et la Grèce. Mais beaucoup de nos interlocuteurs ont fait état d'un recul de la Méditerranée dans les préoccupations stratégiques américaines.
Ce recul est lié à deux facteurs : le rejet de l'opinion publique américaine à l'égard des interventions militaires à l'extérieur, notamment en Méditerranée et au Moyen-Orient ; et la volonté des États-Unis de réorienter leur politique extérieure vers de nouveaux théâtres dans le sillage du « pivot asiatique » opéré depuis le président Obama.
De ce point de vue, la décision des États-Unis de ne pas intervenir en Syrie en 2013, malgré l'usage d'armes chimiques par le régime de Bachar al-Assad a été un révélateur majeur du manque de détermination de Washington à intervenir dans la région.
Nous nous trouvons donc actuellement dans une situation où malgré une présence militaire encore importante en Méditerranée, les États-Unis n'ont plus la même capacité à stabiliser la zone.
Dans ce contexte, l'Europe doit faire face à ses nouvelles responsabilités. Dès à présent, nous devons adapter la stratégie militaire européenne au désengagement progressif des États-Unis.
À l'inverse, comme par un jeu de vases communicants, on constate l'affirmation croissante dans le bassin méditerranéen de la Russie et de la Chine.
La Russie a tiré un bénéfice considérable de la réserve des États-Unis dans la guerre en Syrie. Depuis l'intervention directe de ses troupes en Syrie, elle n'a cessé de s'enhardir dans cette région. Elle s'y est réinvestie de manière accélérée sur les plans diplomatique et militaire.
Sur le plan diplomatique, la Russie a réussi à se rapprocher de la Turquie, tout en conservant des relations étroites avec plusieurs pays de la rive sud du bassin, au premier rang desquels l'Algérie. Je voudrais souligner que la marine algérienne est équipée de six sous-marins russes de classe Kilo, armés de missiles de croisière Kalibr, d'une portée de plus de 1 000 kilomètres.
Sur le plan militaire, la Russie dispose aujourd'hui en Syrie d'une base aérienne à Hmeimim et d'une base navale à Tartous, qui permettent d'asseoir sa présence militaire en Méditerranée orientale.
La présence chinoise en Méditerranée est, quant à elle, encore plutôt économique. Cependant, la Chine dispose désormais de moyens de pression considérables sur certains pays de la zone, notamment dans les Balkans. De plus, la flotte militaire chinoise a réalisé en 2015 ses premiers exercices militaires en Méditerranée et l'hypothèse de l'ouverture d'une base militaire dans cet espace n'est pas à exclure à moyen terme.
Enfin, je voudrais revenir sur le raidissement préoccupant de la politique extérieure de la Turquie dans la région : elle s'appuie sur la doctrine nationaliste de la « Patrie bleue » pour revendiquer des eaux contestées en mer Égée et remettre en cause les droits souverains de la Grèce et de Chypre.
Cette doctrine révisionniste sert de prétexte à la Turquie pour imposer la prise en compte de ses revendications en matière de répartition des ressources énergétiques, récemment découvertes dans ce bassin.
Après un relatif apaisement entre 2020 et 2022, nous connaissons aujourd'hui une période particulièrement tendue, que j'ai déjà évoquée.
Surtout, la militarisation de la politique extérieure turque ne s'arrête pas à la Méditerranée orientale. Ainsi en Libye, où son intervention militaire a été décisive en 2020 pour éviter la chute de Tripoli.
Mme Isabelle Raimond-Pavero, rapporteur . - J'en viens à nos trois préconisations à l'échelle de la France.
L'espace méditerranéen est d'une importance cruciale pour notre pays. Il concentre nos intérêts sur les plans stratégique, économique et diplomatique.
Sur le plan économique, les ports méditerranéens jouent un rôle à la fois pour assurer notre approvisionnement et pour acheminer les marchandises exportées vers l'étranger.
Sur le plan diplomatique, la visite récente en Algérie du Président de la République, Emmanuel Macron, illustre l'importance de la dimension méditerranéenne de notre stratégie internationale.
Sur le plan stratégique, le littoral méditerranéen, long de 1 700 kilomètres, est une des façades de notre territoire national. Il est l'objet d'une surveillance continue assurée par la Marine nationale.
Le bassin méditerranéen est le lieu où se concentre notre coopération militaire avec nos principaux alliés dans la zone. Des exercices sont fréquemment organisés en Méditerranée avec les marines égyptienne, italienne, grecque ou chypriote, pour ne citer qu'elles.
Pour répondre à la dégradation de l'environnement stratégique en Méditerranée, il est impératif de poursuivre le réarmement de nos armées.
Notre première recommandation est d'augmenter le budget de notre défense. La programmation militaire que nous examinerons l'année prochaine doit être le levier pour accélérer notre trajectoire de réarmement dans un environnement stratégique très dégradé.
Cette proposition est complétée par deux recommandations plus spécifiques : la première a pour objet de renforcer le dispositif de sauvegarde des navires civils en cas de crise en Méditerranée ; la seconde de moderniser et de renforcer nos moyens de lutte en cas d'attaque contre les câbles sous-marins de communication concentrés en Méditerranée.
Mme Catherine Dumas, rapporteure . - Passons aux recommandations concernant l'Union européenne et l'Alliance atlantique.
L'Union européenne est largement présente en Méditerranée, mais cette présence est essentiellement économique. Ce biais économique risque de devenir un handicap dans le contexte de militarisation des relations internationales que nous venons de décrire.
Il est urgent que l'Europe prenne conscience de la nécessité de défendre non seulement ses intérêts, mais également ses valeurs, en utilisant tous les instruments dont elle dispose. Le monde méditerranéen de demain n'attendra pas ceux qui ont des états d'âme et qui ne sont pas prêts à se défendre.
Et pourtant - c'est notre conviction profonde - en Méditerranée, ce ne sont pas seulement nos intérêts économiques qui sont menacés, mais aussi nos valeurs communes. L'Union européenne doit impérativement démontrer sa capacité à s'adapter à un monde dans lequel le rapport de force se substitue à la libéralisation des échanges.
L'Europe doit aujourd'hui affronter trois défis en Méditerranée. Le premier est un défi stratégique, lié au retrait prévisible des Américains dans les années à venir. Le deuxième est un défi politique, lié à la difficulté des institutions de l'Union européenne à penser une défense européenne, enracinée dans une chaîne de décision politique concrète et cohérente. La France se situe, depuis plusieurs années, à la pointe de cette revendication. Nos interlocuteurs ont d'ailleurs manifesté leur forte attente à l'égard de notre pays, afin qu'il porte cette évolution à l'échelle européenne. Enfin, le troisième défi est idéologique. La pandémie de covid-19 a démontré le potentiel déstabilisateur des réseaux sociaux et de la manipulation de l'information qui s'y déploie. Les pays méditerranéens sont aujourd'hui un théâtre privilégié de cette lutte d'influence, qui vise à décrédibiliser l'Europe et ses valeurs. Si nous ne réagissons pas, les puissances hostiles présentes dans la zone risquent d'imposer, de manière durable, le récit d'une Europe indifférente au sort des populations de la rive sud du bassin.
C'est pourquoi nous formulons comme principale recommandation, à l'échelle de l'Union européenne, d'accélérer et de consolider le déploiement d'instruments de lutte contre la manipulation de l'information dans les Balkans et en Afrique du Nord. Alors que l'Union européenne fournit une aide substantielle à ces pays et y construit des partenariats mutuellement bénéfiques, nous perdons pour l'instant la « bataille des récits ».
Cette recommandation est complétée par deux autres. La première : d'assurer la solidarité des membres du Conseil européen face aux tentatives de déstabilisation en Méditerranée orientale. La seconde appelle à prolonger la présence militaire européenne en Méditerranée centrale.
La Méditerranée est depuis plusieurs décennies un théâtre d'intérêt pour l'Alliance atlantique, qui coopère avec ses alliés dans la zone au travers du Dialogue méditerranéen. L'adoption récente, en mars 2022, de la Boussole stratégique , premier livre blanc de défense européenne, démontre la convergence des analyses entre l'Union européenne et l'Otan (Organisation du traité de l'Atlantique Nord). Les deux organisations ont désormais clarifié leur intention de renforcer leur présence en Méditerranée afin de limiter l'expansion de l'influence des puissances concurrentes dans cette région. Toutefois, nous avons constaté que la convergence des analyses ne se traduit pas suffisamment par une coopération opérationnelle sur le terrain.
Nous recommandons de rationaliser ces relations entre l'Union européenne et l'Otan en Méditerranée, en commençant par adopter la nouvelle déclaration conjointe entre les deux organisations, annoncée initialement pour la fin de l'année 2021.
Mme Isabelle Raimond-Pavero, rapporteur . - En conclusion, la dégradation du contexte stratégique en Méditerranée n'est pas un processus isolé du reste de notre environnement stratégique. Bien au contraire, au cours des auditions menées pour préparer ce rapport, nous avons été plus d'une fois frappées par le fait que l'espace méditerranéen est un miroir de la dégradation globale de l'environnement stratégique. Le déclenchement de la guerre en Ukraine n'est pas seulement une perturbation conjoncturelle dans le cours de relations internationales durablement pacifiées.
Les logiques révisionnistes à l'oeuvre en Méditerranée sont comparables à celles qui existent en Europe orientale depuis plusieurs années.
Le recours, par plusieurs puissances méditerranéennes, à des milices privées en Libye s'inscrit dans un phénomène plus large. Cette reconfiguration des moyens de faire la guerre au XXI e siècle va bien au-delà du bassin méditerranéen, comme en témoigne la présence déstabilisatrice du groupe Wagner en Centrafrique et au Mali.
En matière de réarmement, la militarisation des relations internationales en Méditerranée répond à une dynamique globale. En Asie, la marine chinoise construit actuellement en quatre ans l'équivalent de la marine française.
La recomposition stratégique, à laquelle nous assistons dans le bassin méditerranéen, laisse apparaître un affrontement entre deux blocs. Comme dans d'autres régions du monde où la paix et la sécurité sont menacées par la volonté de certaines puissances de contester l'ordre établi, la Méditerranée est aujourd'hui le théâtre d'un affrontement entre deux systèmes de valeur opposés.
Ce que nous avons le devoir de défendre, et que certaines puissances veulent faire disparaître en Méditerranée, sont d'abord nos valeurs de liberté, d'émancipation individuelle et de démocratie.
À l'heure où les stratèges américains ont les yeux rivés sur l'Indopacifique et considèrent la Méditerranée comme un théâtre secondaire, nous nous retrouvons en première ligne pour défendre notre modèle.
Nous devons être à la hauteur de cette responsabilité historique et répondre sans attendre aux défis stratégiques qui émergent dans le bassin méditerranéen.
En vue de l'examen de la prochaine loi de programmation militaire (LPM), ce rapport apportera une contribution utile aux travaux de la commission. Au-delà du détail des matériels, il est essentiel que la prochaine programmation militaire tienne compte de la réalité nouvelle de notre environnement stratégique. Un diagnostic lucide permet de donner aux armées des moyens à la hauteur de la difficulté de leur mission et de faire face aux enjeux internationaux.
M. Christian Cambon, président . - Je vous remercie pour ce rapport qui reflète un travail approfondi fondé sur de nombreuses auditions et cette mission sur le terrain qui a été très utile. Il permet à la commission de compléter son dispositif d'étude, aux côtés des travaux déjà conduits sur l'Italie, Israël, la Palestine, le Liban, ou la Jordanie, qui a fait l'objet d'une mission il y a un an et demi. Ce dispositif d'étude enrichit utilement nos réflexions avant l'examen du budget, mais surtout de la future LPM, puisqu'il n'y aura pas de Livre blanc et que nous ne sommes pour l'instant pas associés à la revue stratégique.
Tout le monde comprend bien - ce rapport ne fait que souligner une constatation que nous avons faite - que le bassin méditerranéen reste pour nous une priorité. L'accumulation des forces armées, les tensions, les puissances régionales qui cherchent à y affirmer leur volonté, y compris en dépassant largement l'application du droit international - je pense notamment aux visées de la Turquie sur les eaux territoriales de Chypre et même de la Grèce - sont évidemment des éléments d'inquiétude. La Méditerranée orientale est un véritable foyer de déstabilisation ; la situation du Liban n'est pas pour nous rassurer, celle de la Syrie non plus.
Cependant, je voudrais être certain que les efforts de la France seront à la hauteur des enjeux, au moment où un renforcement, notamment sur le plan naval, des forces en présence est constaté. La commission entendra bientôt le chef d'état-major de la marine, qui a déjà eu l'occasion d'exprimer ici ses inquiétudes sur le rythme du réarmement naval à l'échelle mondiale.
Attention à ne pas créer un écart entre les paroles et les actes. Je pense notamment à la promesse de partenariat stratégique que nous avons faite à la suite des livraisons de Rafale et de frégates de défense et intervention (FDI) à la Grèce. Comme son nom l'indique, un partenariat stratégique est un travail de long terme, où on doit être constamment à leur écoute, mais aussi à leur appui. Certes, nous le faisons avec nos moyens ; rappelons que la marine nationale réalise de nombreuses escales en Grèce, ce qui est absolument unique. Cependant, je pense que si la Marine nationale ne dispose plus à terme des moyens nécessaires, il sera difficile de poursuivre ce partenariat.
J'ai compris lors du discours du Président de la République aux armées à l'Hôtel de Brienne, du 13 juillet dernier, qu'il n'avait évidemment pas l'intention de lancer un Livre blanc, ce qui peut se comprendre compte tenu de l'urgence de la situation internationale. Mais on ne peut pas faire l'économie de la participation du Parlement. Nous avons beaucoup bataillé, y compris lors de l'actualisation de la LPM : nous ne voulons pas, pour cette nouvelle revue stratégique, hériter d'un texte déjà ficelé, conçu dans les antichambres ministérielles.
Je verrai prochainement le ministre des armées, Sébastien Lecornu. La volonté de travailler avec le Parlement est affirmée, mais, pour l'instant, on n'en voit pas de concrétisation.
Ces rapports, qui sont une forme d'avertissement, rappellent notre demande d'être partie prenante dans ce travail. Des questions importantes doivent être posées à la fois sur le nord du bassin méditerranéen, sur la Méditerranée orientale que vous venez très justement de décrire et, bien sûr, sur le Maghreb qui nous inquiète, au regard des difficultés que nous pressentons aussi bien en Libye, en Algérie afin de retrouver des rapports plus équilibrés, ou encore au Maroc.
Les tensions parfois faiblissent. En ce moment, elles sont plutôt en phase de croissance et les incidents se multiplient. Souvenons-nous que la France a été prise à partie : la frégate Courbet avait ainsi été illuminée par un radar d'un bâtiment de la marine turque.
Tout cela justifie l'attention que nous portons à cette région. Je vais réunir prochainement le bureau de la commission pour établir le programme de l'année 2023 et je pense qu'un autre sujet viendra compléter notre réflexion sur ces points.
Je remercie les deux rapporteurs pour ce très beau travail.
M. Joël Guerriau . - Je voudrais saluer l'excellent rapport qui vient de nous être présenté et remercier nos collègues pour ce travail.
À la fin du XX e siècle, le mur de Berlin était tombé et nous pensions que la guerre froide était finie. Un avenir de paix s'annonçait à l'aube d'un XXI e siècle, source d'espoir. Or, les conflits du XXI e siècle n'ont pas connu d'aboutissement heureux et perdurent : en Syrie, Bachar al-Assad est toujours au pouvoir ; en Libye, les milices se développent et créent de l'insécurité ; au Mali, les problèmes sécuritaires persistent malgré notre intervention. Cela me rend assez pessimiste. Effectivement, nous devons prendre des mesures. Les pays méditerranéens au sein de l'Europe doivent travailler davantage entre eux. Il s'agit de l'Espagne, de l'Italie, de la Grèce, de Malte et de Chypre. Nous devrions prendre la tête d'une forme de club, dont l'objectif serait de renforcer la cohérence et les actions à des fins de défense et de sécurité en Méditerranée de ses membres. Nous n'y arriverons pas seuls.
J'ai bien entendu les remarques sur la marine. J'y ajoute mon expérience en tant qu'officier de réserve de la marine, qui m'a permis d'observer des situations préoccupantes.
Mme Isabelle Raimond-Pavero, rapporteur . - Les autorités militaires et civiles de nos partenaires que nous avons rencontrées attendent de la France qu'elle prenne une position de chef de file au sein de l'Union européenne pour réaliser cette cohésion. En effet, un durcissement des stratégies d'influence des puissances extraméditerranéennes a lieu et des alliances entre différents blocs se mettent en place. Il est donc urgent que l'Union européenne se renforce afin de faire face à ces nouvelles alliances.
M. Christian Cambon, président . - J'ai proposé à la commission d'approfondir ces sujets, tout d'abord en organisant une audition du nouvel ambassadeur de Turquie, qui m'assurait des intentions pacifiques de son pays. Il faut l'entendre en audition ; malgré l'existence de désaccords, la participation des représentants de ce pays peut nourrir les travaux de la commission et chacun pourra ainsi s'exprimer.
Par ailleurs, une grande vigilance doit être observée à l'égard des développements qui interviendront en Italie ; nous venons de voter l'adoption du traité du Quirinal, mais l'évolution de la situation doit être surveillée avec attention, tout comme celle du Maghreb. Je serai d'ailleurs ce soir aux côtés du président du Sénat pour accueillir le président du Parlement égyptien.
Encore une fois, notre présence en Méditerranée doit être renforcée sans pour autant négliger l'Indopacifique. Alors que les forces américaines se désengagent du bassin méditerranéen, la France dispose-t-elle des moyens nécessaires pour compenser cette situation ? Une démarche plus européenne permettrait à d'autres pays de travailler encore plus avec nous.
De nombreuses questions se posent dans un contexte de guerre à trois heures de Paris avec un partenaire, la Turquie, qui joue un jeu ambigu, mais qui a une place essentielle puisque ce pays détient la souveraineté sur les détroits et va disposer de deux porte-avions.
Le Sénat devra s'exprimer clairement sur ces sujets. J'invite d'ailleurs les rapporteurs pour avis à vérifier, dans le cadre de l'examen du budget, l'inscription des dépenses afférentes et que la LPM est bien appliquée. Mes inquiétudes seront peut-être démenties, mais face au déficit budgétaire important et à la dette publique insondable, certains pourraient pousser l'idée dangereuse que les armées ont été trop bien dotées et qu'il faudrait y réduire la voilure.
Nous devons nous mobiliser pour confirmer la fin de la décroissance permanente des instruments de politique extérieure de la France.
Les recommandations sont adoptées.
La commission adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES ET DES DÉPLACEMENTS
Jeudi 16 juin 2022
- Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE)
Lundi 20 juin 2022
- Armateurs de France : M. Jean-Philippe CASANOVA , délégué général ;
- État-major de l'armée de terre : Général Geoffroy DE LAROUZIÈRE , chef du pôle relations internationales.
Mardi 28 juin 2022
- Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) : M. Bertrand LE MEUR , directeur stratégie de défense, prospective et contre-prolifération ;
- Fondation pour la recherche stratégique : Mme Agnès LEVALLOIS , maître de recherche ;
- Alliance Sorbonne Université : Amiral (2S) Christophe PRAZUCK , directeur de l'Institut de l'océan ;
- Fondation méditerranéenne d'études stratégiques (FMES) : Amiral (2S) Pascal AUSSEUR , directeur général.
Mercredi 29 juin 2022
- Service européen pour l'action extérieure (SEAE) : Mme Rosamaria GILI , cheffe de division Maghreb ;
- Institut de recherche pour le développement : M. Jean-Yves MOISSERON , directeur de recherche ;
- Institut français des relations internationales : Mme Dorothée SCHMID , responsable du programme Turquie contemporaine et Moyen-Orient ;
- Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne : Mme Claire RAULIN , représentante permanente auprès du comité politique et de sécurité (COPS).
Mardi 5 juillet 2022
- Ministère de l'Europe et des affaires étrangères : M. Christophe LÉONZI , ambassadeur chargé des migrations.
Jeudi 7 juillet 2022
- État-major de l'armée de l'air et de l'espace : Général Dominique TARDIF , Sous-chef activité ;
- Représentation permanente de la France auprès de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) : Mme Muriel DOMENACH , représentante permanente de la France au Conseil de l'Atlantique Nord.
Mardi 12 juillet 2022
- État-major de la Marine : Amiral Pierre VANDIER , chef d'état-major de la Marine (CEMM).
Mardi 19 juillet 2022
- Ministère de l'Europe et des affaires étrangères : Mme Anne GUÉGUEN , Directrice de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient.
Contribution écrite
- Ministère de l'intérieur : M. Jean MAFART , directeur des affaires européennes et internationales.
DÉPLACEMENT EN GRÈCE DU 29 AOÛT AU 31 AOÛT 2022
Lundi 29 août 2022
- Ambassade de France en Grèce : M. Nicolas CROIZER , premier conseiller ; M. Nikola GULJEVATEJ , deuxième conseiller ; Mme Cécile CANDAT , conseillère politique ;
- Ministère de la protection du citoyen : M. Dimitrios MALLIOS , chef de la direction des étrangers et de la protection des frontières.
Mardi 30 août 2022
- Think-tank ELIAMEP : M. George PAGOULATOS , directeur général et M. George TZOGOPOULOS , chercheur ;
- Ministère de la marine marchande et de la politique insulaire : Vice-amiral d'escadre Géorgios ALEXANDRAKIS , chef des garde-côtes ;
- Cabinet du premier ministre : M. Thanos DOKOS , conseiller à la sécurité nationale ;
- Ministère des affaires étrangères : M. Dimitrios KARABALIS , directeur Russie.
Mercredi 31 août 2022
- Ministère des affaires étrangères : M. Nikolaos PAPAGEORGIOU , directeur Turquie ;
- Parlement hellénique : MM. Georges KOUMOUTSAKOS et Spilios LIVANOS , membres de la commission de la défense nationale et des affaires étrangères
- Représentants des entreprises françaises du secteur de l'armement (Thalès, Dassault Aviation, MBDA, Naval Group) ;
- Ministère de la défense : M. Konstantinos BALOMENOS , directeur des affaires stratégiques.
DÉPLACEMENT À CHYPRE DU 1 ER AU 2 SEPTEMBRE 2022
Jeudi 1 er septembre 2022
- Ambassade de France à Chypre : Mme Virginie CORTEVAL , numéro deux ;
- Chambre des représentants : Mme Annita DEMETRIOU , présidente ;
- Chambre des représentants : M. Harris GEORGIADES , président de la commission des affaires étrangères et européennes ;
- Représentants de la Force des Nations unies à Chypre (FNUCHYP) .
Vendredi 2 septembre 2022
- Ministère de la défense : M. Andreas ELIADES , conseiller diplomatique du ministre de la défense ; Colonel Constantinos CONSTANTINOU , directeur de la politique de défense et des affaires internationales ;
- Chambre des représentants : M. Marinos SIZOPOULOS , président de la commission de la défense ;
- Représentants du Joint Rescue & Coordination Center (JRCC) de Larnaca ;
- Marine nationale française : Capitaine de vaisseau Laurent SAUNOIS , commandant de la frégate multi-missions (FREMM) Languedoc .
* 1 F. Braudel, 1977, La Méditerranée. L'Espace et l'Histoire
* 2 A.-G. Lemonnier, février 1957, « La Méditerranée mer essentielle » in Revue Défense Nationale, n°144
* 3 É. Reclus, 1876, Nouvelle Géographie universelle (I). L'Europe méridionale
* 4 F. Braudel, 1977, La Méditerranée. L'Espace et l'Histoire
* 5 J.-F. Léger, A. Parent, mai-juin 2021, « Basculement démographique en Méditerranée : le Sud devenu la première puissance » in Population & Avenir, n°753
* 6 Le Maroc n'était pas représenté pendant le vote, la Tunisie et l'Égypte se sont abstenues tandis que l'Algérie a voté contre la résolution
* 7 Le premier porte-conteneur, l'«IdealX », a été mis en service aux États-Unis en avril 1956 et a ouvert la voie dans les années 1960 à une standardisation rapide du commerce maritime international.
* 8 Institut français des relations internationales (IFRI), F. Nicolas, 24 avril 2020, « Commerce mondial : les nouvelles routes maritimes »
* 9 M. Brun, E. Lemaître-Curri, printemps 2022, « Mare Nostrum » in Confluences Méditerranée, n°120
* 10 Pour rappel, neuf des dix premiers ports mondiaux sont situés en Asie, dont sept sur le seul territoire chinois.
* 11 L'équivalent vingt pied (EVP), qui correspond à un conteneur d'une longueur de 6,1 mètres, est l'unité de mesure standard du trafic maritime « conteneurisé »
* 12 Espagne, France, Monaco, Italie, Malte, Slovénie, Croatie, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Albanie, Grèce, Chypre, Turquie, Syrie, Liban, Israël, Territoires palestiniens, Égypte, Libye, Tunisie, Algérie, Maroc
* 13 78% des importations françaises se font par voie maritime.
* 14 On estime que la croissance de la demande énergétique dans la zone ASEAN entre 2020 et 2025 sera de 50%. Cf. Business France, janvier 2021, « La transition énergétique en ASEAN : quels marchés pour quelles opportunités ? »
* 15 Armateurs de France, 2017, « Objectif 2025. Cap sur la croissance bleue »
* 16 European Community Shipowners' Associations (ECSA), 2020, « The Economic Value of the EU Shipping Industry »
* 17 J.-P. Rodrigue, 2013, The Geography of Transport Systems , 3 e édition
* 18 M.-C. Doceul, 2018, « Choke point », Géoconfluences
* 19 P. Tourret, printemps 2022, « Les passages maritimes méditerranéens : continuité stratégique, utilité globale et enjeux nationaux » in Confluences Méditerranée, n° 120
* 20 M.-C. Doceul, S. Tabarly, mars 2018, « Le canal de Suez, les nouvelles dimensions d'une voie de passage stratégique », Géoconfluences
* 21 Fermé une première fois brièvement en 1956 dans le contexte de « l'expédition de Suez », le canal a de nouveau été fermé entre 1967 et 1975 à la suite de la guerre des Six Jours.
* 22 P. Tourret, printemps 2022, « Les passages maritimes méditerranéens : continuité stratégique, utilité globale et enjeux nationaux » in Confluences Méditerranée, n° 120
* 23 N. Marei, ISEMAR, mai 2008, « Enjeux maritimes et portuaires du détroit de Gibraltar »
* 24 P. Tourret, printemps 2022, « Les passages maritimes méditerranéens : continuité stratégique, utilité globale et enjeux nationaux » in Confluences Méditerranée, n° 120
* 25 L'Union internationale des télécommunications (UIT) définit un câble sous-marin comme « un câble posé dans le fond marin, ou ensouillé à faible profondeur, destiné à acheminer des communications ».
* 26 C. Morel, décembre 2019, « La mise en péril du réseau sous-marin international de communication » in Flux, n°118
* 27 Federal Communication Commission (FCC), 17 septembre 2015, « Improving Outage Reporting for Submarine Cables and Enhancing Submarine Cable Outage Data » [Notice of proposed rulemaking]
* 28 A. De Neve, J. Henrotin, 2006, « La Network-Centric Warfare : de son développement à Iraqi Freedom » in Stratégique, n°86-87
* 29 SGDSN, avril 2017, Chocs futurs. Étude prospective à l'horizon 2030 : impacts des transformations et ruptures technologiques sur notre environnement stratégique et de sécurité
* 30 C. Morel, mars 2017, « Les câbles sous-marins : un bien commun mondial ? » in Études, n°4236
* 31 C. Morel, novembre 2020, « L'État et le réseau mondial de câbles sous-marins de communication », thèse de doctorat de l'université de Lyon
* 32 Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), juin 2019, « L'état d'internet en France », Rapport d'activité 2019, tome 3
* 33 Art. 3 du protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer du 15 novembre 2000, additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée
* 34 M. Poirier, printemps 2022, « Les enjeux stratégiques de l'immigration clandestine en Méditerranée » in Confluences Méditerranée, n°120
* 35 Cour des comptes européennes, 2021, rapport spécial, Soutien de Frontex à la gestion des frontières extérieures : pas assez efficace jusqu'ici
* 36 Conclusions du Conseil européen en date du 25 juin 2021, point 13.
* 37 Conclusions du Conseil européen en date du 22 octobre 2021, point 21.
* 38 Compte rendu du 8 décembre 2021.
* 39 B. Gaillard, 7 avril 2021, « Crise migratoire : qu'est devenu l'accord entre l'Union européenne et la Turquie ? », Toute l'Europe.
* 40 Déclaration des membres du Conseil européen en date du 25 mars 2021, point 13.
* 41 T. Chabre, 15 décembre 2020, « Chypre-Nord, au coeur des préoccupations turques », The Conversation
* 42 Commission européenne, 14 décembre 2021, 2021/0427 (COD), Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil visant à faire face aux situations d'instrumentalisation dans le domaine de la migration et de l'asile
* 43 B. Mikaïl, automne 2021, « Libye, une faillite révolutionnaire ? », in Confluences Méditerranée, n°118.
* 44 OTAN, 2 novembre 2011, « Operation UNIFIED PROTECTOR Final Mission Stats », www.nato.int.
* 45 Organisée conjointement par la France, l'Allemagne, l'Italie, le conseil présidentiel de transition et le gouvernement d'unité national libyen, et le secrétaire général des Nations unies, la conférence s'est tenue à Paris le 12 novembre 2021 et a donné lieu à une déclaration commune des participants.
* 46 J.-P. Filiu, 2 juillet 2022, « La Libye sans représentant de l'ONU depuis sept mois », Le Monde.
* 47 Mission d'appui des Nations unies en Libye (MANUL), 20 mai 2022, Rapport du secrétaire général, point 59.
* 48 Mission d'appui des Nations unies en Libye (MANUL), 20 mai 2022, Rapport du secrétaire général, point 73.
* 49 Nations unies, 7 juin 2016, Déclaration du représentant spécial du secrétariat général des Nations unies (RSSGNU) Martin Kobler au Conseil de sécurité.
* 50 M. Hecker, É. Tenenbaum, avril 2021, La guerre de vingt ans. Djihadisme et contre-terrorisme au XXI e siècle, Robert Laffont.
* 51 Centre de recherche de l'école des officiers de la Gendarmerie nationale (CREOGN), A. Rodde, janvier 2022, « Terrorisme en France. Panorama des mouvances radicales en 2021 ».
* 52 IFRI, M. Hecker, É. Tenenbaum, janvier 2019, « Quel avenir pour le djihadisme ? Al-Qaïda et Daech après le califat ».
* 53 M. Benraad, 2021, « Al-Qaïda au Maghreb islamique : entre transmutations d'une insurrection djihadiste et géopolitique évolutive de sa "vengeance de sang" », in Hérodote, n°180.
* 54 Institute for Economics & Peace (IEP), mars 2022, Global Terrorism Index.
* 55 IFRI, M. Hecker, É. Tenenbaum, janvier 2019, « Quel avenir pour le djihadisme ? Al-Qaïda et Daech après le califat ».
* 56 J.-Y. Moisseron, K. Guesmi, 2021, « Une évaluation des politiques européennes en direction de l'industrie au Maroc », in Maghreb-Machrek, n°248-249.
* 57 Données de la Banque mondiale.
* 58 Direction générale du Trésor, février 2022, « Les économies émergentes dans les chaînes de valeur mondiales », Trésor-Éco, n°301.
* 59 À titre d'exemple, on estime qu'en Égypte les deux tiers des dépenses de santé sont laissées à la charge des ménages.
* 60 D. Schmid, septembre 2020, « Afrique du Nord et Moyen-Orient face au Covid-19. Une immunité opportuniste » in IFRI, septembre 2020, RAMSES 2021. Le grand basculement ?
* 61 J.-Y. Moisseron, septembre 2021, « L'Égypte post-covid. Une accumulation de crises » in IFRI, septembre 2021, RAMSES 2022. Au-delà du Covid.
* 62 M. Hellal, septembre 2021, « Tunisie : une économie du tourisme en crise. D'un modèle à l'autre ? » in IFRI, septembre 2021, RAMSES 2022. Au-delà du Covid.
* 63 Direction générale du trésor, mai 2022, « Conséquences de l'invasion de l'Ukraine par la Russie sur les économies émergentes », Trésor-Éco, n°306.
* 64 P. Razoux, juin 2022, « Les conséquences de la guerre en Ukraine dans le bassin méditerranéen » in Revue Défense Nationale, n°851.
* 65 Le nom « Hirak » est tiré d'une racine signifiant « mouvement » en arabe.
* 66 A. Belkaïd, été 2022, « Algérie : une restauration musclée » in Politique étrangère, n°2022/2.
* 67 J.-Y. Moisseron, septembre 2021, « L'Égypte post-covid. Une accumulation de crises » in IFRI, septembre 2021, RAMSES 2022. Au-delà du Covid.
* 68 GIEC, février 2022, 6 e rapport d'évaluation (AR6), 2 e volet, Changement climatique : impacts, adaptation et vulnérabilité.
* 69 E. Lemaître-Curri, F. Guerquin, printemps 2022, « La mer Méditerranée entre changements climatiques et dégradations environnementales : quels défis pour la coopération ? » in Confluences Méditerranée, n°120.
* 70 Plan Bleu, 2020, Rapport sur l'état de l'environnement et du développement en Méditerranée.
* 71 M. Brun, E. Lemaître-Curri, printemps 2022, « Mare Nostrum » in Confluences Méditerranée, n°120.
* 72 Albanie, Algérie, Bosnie-Herzégovine, Chypre, Croatie, Égypte, Espagne, France, Grèce, Israël, Italie, Liban, Libye, Malte, Maroc, Monaco, Monténégro, Slovénie, Syrie, Tunisie, Turquie et Union européenne.
* 73 Protocole relatif à la prévention de la pollution de la mer Méditerranée par les opérations d'immersion effectuées par les navires et les aéronefs de 1976 ; Protocole relatif à la protection de la mer Méditerranée contre la pollution d'origine tellurique de 1980 ; Protocole relatif à la protection de la Méditerranée contre la pollution résultant de l'exploration et de l'exploitation du plateau continental, du fond de la mer et son sous-sol de 1994 ; Protocole relatif aux aires spécialement protégées et à la diversité biologique en Méditerranée de 1995 ; Protocole relatif à la prévention de la pollution de la mer Méditerranée par les mouvements transfrontières de déchets dangereux et leur élimination de 1996 ; Protocole relatif à la coopération en matière de prévention de la pollution par les navires et, en cas de situation critique, de lutte contre la pollution de la mer Méditerranée de 2002 ; Protocole relatif à la gestion intégrée des zones côtières de la Méditerranée de 2008.
* 74 PNUE, 2010, Plan stratégique pour la diversité biologique 2011-2020, objectif 11.
* 75 Banque mondiale, L. Croitoru, M. Sarraf, janvier 2017, Le coût de la dégradation de l'environnement au Maroc.
* 76 La canicule de 2018 s'est traduite par la perte de toutes les moules et d'un tiers des huîtres de l'étang de Thau.
* 77 Banque mondiale, 2021, Groundswell, deuxième partie, Agir face aux migrations climatiques internes.
* 78 Plan Bleu, 2020, Rapport sur l'état de l'environnement et du développement en Méditerranée.
* 79 AllEnvi, D. Lacroix, O. Mora, N. de Menthière, A. Béthinger, octobre 2019, Rapport d'étude, La montée du niveau de la mer : conséquences et anticipation d'ici 2100, l'éclairage de la prospective.
* 80 F. Marciacq, mars 2019, « L'Union européenne a-t-elle encore une stratégie en matière d'élargissement ? »
* 81 F. Marciacq, septembre 2021, « L'Union européenne et les Balkans occidentaux. Convergence sur fond de rivalité de puissance » in IFRI, septembre 2021, RAMSES 2022. Au-delà du Covid.
* 82 Chypre, Espagne, Grèce, Roumanie, Slovaquie.
* 83 Audition du ministre des affaires étrangères de Macédoine du Nord par la commission des affaires étrangères du Parlement européen le 21 mars 2022.
* 84 Résolution ES-11/1 de l'Assemblée générale des Nations unies adoptée le 2 mars 2022
* 85 Institut de recherche stratégique et militaire (IRSEM), A. Sainovic, juillet 2020, « Le positionnement stratégique des États des Balkans occidentaux face aux puissances extérieures », Note de recherche n°103
* 86 F. Bieber, N. Tzifakis, juin 2019, « The Western Balkans as a Geopolitical Chessboard ? Myths, Realities and Policy Options »
* 87 F. Marciacq, septembre 2021, « L'Union européenne et les Balkans occidentaux. Convergence sur fond de rivalité de puissance » in IFRI, septembre 2021, RAMSES 2022. Au-delà du Covid
* 88 E. Dupuy, 29 septembre 2021, « Libye : fragiles espoirs de paix »
* 89 Fondation méditerranéenne d'études stratégiques (FMES), P. Ausseur, 2022, Atlas stratégique de la Méditerranée et du Moyen-Orient, « Préface », p. 13
* 90 A. Mohammedi, automne 2021, « Stratégies russes en Libye : le déploiement d'une politique étrangère multifacette » in Confluences Méditerranée, n°118
* 91 S. Ramani, automne 2021, « Turkey's Evolving Strategy in Libya : A Winning Gambit for Erdogan ? » in Confluences Méditerranée, numéro 118
* 92 H. Mourad, automne 2021, « Égypte : affaiblir les islamistes en Libye » in Confluences Méditerranée, numéro 118
* 93 Les accords de partenariat couvrent les secteurs de la main d'oeuvre, de l'investissement, de l'industrie, des infrastructures, des transports, de la communication, de l'énergie, du logement, de la santé, de l'éducation, des médias et de la culture.
* 94 Y. Dahech, septembre 2021, « Chypre-Nord, l'abcès. Une vitrine des ambitions régionales de la Turquie » in IFRI, septembre 2021, RAMSES 2022. Au-delà du Covid.
* 95 Résolution 186 du 4 mars 1964 du Conseil de sécurité des Nations unies.
* 96 P. Blanc, 2013, « Chypre : un triple enjeu pour la Turquie » in Hérodote, numéro 148
* 97 Chypriotes grecs, Chypriotes turcs, Grèce, Royaume-Uni, Turquie et Secrétariat général des Nations unies
* 98 IFRI, D. Schmid, Y. Dahech, juillet 2021, « La méthode turque en Méditerranée. L'emprise sur Chypre-Nord »
* 99 Résolution 553 du 15 juin 1984 du Conseil de sécurité des Nations unies
* 100 M. Pellen-Blin, P. Dézéraud, G. Valin, été 2019, « La territorialisation de la Méditerranée à l'origine des nouveaux équilibres stratégiques » in Revue Défense Nationale, n°822
* 101 P. Dézéraud, printemps 2022, « Méditerranée : la délicate rencontre entre territorialisation de l'espace maritime et concept de bien commun de l'humanité » in Confluences Méditerranée, n°120
* 102 IFRI, A. Denizeau, avril 2021, « Mavi Vatan, la “Patrie bleue”. Origines, influences et limites d'une doctrine ambitieuse pour la Turquie »
* 103 Commission européenne, 19 octobre 2021, Rapport 2021 sur la Turquie
* 104 N. Rebière, printemps 2022, « Le gaz en Méditerranée orientale, un déterminant dans la géopolitique régionale » in Confluences Méditerranée, n°120
* 105 T. Josseran, printemps 2022, « La Mavi Vatan jusqu'où ? Le grand dessein de la Turquie en Méditerranée » in Confluences Méditerranée, n°120
* 106 N. Mazzucchi, été 2019, « Méditerranée orientale : les hydrocarbures de la discorde » in Revue Défense Nationale, n°822
* 107 A. Diakopoulos, juin 2022, « La “Patrie bleue” de la Turquie : un défi pour l'Europe en Méditerranée orientale » in Revue Défense Nationale, n°851
* 108 FMES, 2022, Atlas stratégique 2022, p. 276 et suivantes
* 109 À vocation essentiellement économique, la politique méditerranéenne globale (PMG) a été adoptée par les États membres lors du sommet des chefs d'État et de gouvernement organisé à Paris du 19 au 21 octobre 1972.
* 110 Algérie, Chypre, Égypte, Israël, Jordanie, Liban, Malte, Maroc, Syrie, Tunisie, Turquie et Autorité palestinienne
* 111 Dépollution de la Méditerranée, autoroutes maritimes et terrestres, protection civile en réponse aux catastrophes naturelles, université euro-méditerranéenne, énergie solaire, initiative européenne de développement des affaires
* 112 J.-F. Daguzan, hiver 2016, « Les politiques méditerranéennes de l'Europe : trente ans d'occasions manquées » in Politique étrangère, 2016/4
* 113 Déclaration finale de la Conférence ministérielle euro-méditerranéenne de Barcelone, 27-28 novembre 1995
* 114 J.-F. Daguzan, hiver 2020, « La France et l'UE en Méditerranée : entre esprit de système et réalités » in Politique étrangère, 2020/4
* 115 J.-F. Daguzan, hiver 2018, « Les politiques française et européenne face au défi du changement stratégique » in Les cahiers de l'Orient, n°129
* 116 Affaires étrangères, intérieur, transports, défense, tourisme, éducation, énergie et environnement, recherche et enseignement supérieur, agriculture, eau, finances, culture
* 117 A. Benantar, 2021, Le complexe de sécurité de la Méditerranée occidentale
* 118 B. Pellistrandi, été 2019, « L'Espagne et la Méditerranée : les défis d'une politique étrangère pour une démocratie » in Revue Défense Nationale, n°822
* 119 Selon la formule utilisée à la tribune des Nations unies en septembre 2004 à l'occasion de la 59 e session de l'Assemblée générale
* 120 La notion de « Méditerranée élargie », utilisée par les auteurs italiens, couvre les pays de la rive sud du Maghreb jusqu'à l'Afghanistan en incluant la région des Balkans
* 121 J.-P. Darnis, été 2019, « L'Italie en Méditerranée : projection en défense vis-à-vis de la rive sud » in Revue Défense Nationale, n°822
* 122 Traité entre la République française et la République italienne pour une coopération bilatérale renforcée du 26 novembre 2021, art. 1 § 3
* 123 C. Bricout, M. Laville, 2021, « Les relations gréco-turques en eaux troubles » in Les Cahiers de la Revue Défense Nationale, 2021/HS3
* 124 M. Quessard, été 2019, « Méditerranée orientale : l'impossible poursuite du désengagement américain ? » in Revue Défense Nationale, n°822
* 125 P. Ausseur, juillet-septembre 2022, « Regard sur la Méditerranée orientale » in Moyen-Orient, n°55
* 126 M. Quessard, 2021, « L'administration Trump et les enjeux stratégiques américains en Méditerranée orientale : l'impossible poursuite du désengagement ? » in Politique américaine, n°37
* 127 T. Bruyère-Isnard, 2021, « Le retour de la Russie en Méditerranée orientale » in Les Cahiers de la Revue Défense Nationale
* 128 P. Ausseur, été 2022, « La Méditerranée et la guerre en Ukraine : la rupture est aussi au sud » in Revue Défense Nationale, n°852
* 129 A. Pouvreau, été 2019, « La stratégie de la Russie en Méditerranée » in Revue Défense Nationale, n°822
* 130 A. Mohammedi, automne 2021, « Stratégies russes en Libye : le déploiement d'une politique étrangère multifacette » in Confluences Méditerranée, n°118
* 131 A. Pouvreau, mars 2017, « La perspective d'évolution des relations russo-turques dans le nouvel environnement géostratégique » in Revue Défense Nationale, n°798
* 132 N. Rebière, printemps 2018, « Les relations russo-turques au prisme des enjeux énergétiques » in Confluences Méditerranée, n°104
* 133 F. Marciacq, septembre 2021, « L'Union européenne et les Balkans occidentaux. Convergence sur fond de rivalité de puissance » in IFRI, septembre 2021, RAMSES 2022. Au-delà du Covid
* 134 FMES, A. Mohammedi, 2 décembre 2020, « Russie-Algérie : un partenariat flexible et pragmatique »
* 135 Rapport du président Hu Jintao au 18 e Congrès du Parti communiste chinois le 8 novembre 2012
* 136 A. Ekman, 2016, « La Chine en Méditerranée : un nouvel activisme » in Politique étrangère, n°2016/4
* 137 S. Belguidoum, F. Souiah, été 2019, « Les nouvelles routes de la soie en Méditerranée » in Confluences Méditerranée
* 138 T. Pairault, X. Richet, novembre 2021, Présences économiques chinoises en Méditerranée
* 139 T. Pairault, 2019, « La route maritime de la soie et les terminaux portuaires en Méditerranée » in Monde chinois, n°58
* 140 P. Tourret, été 2019, « Les nouvelles routes de la soie en Méditerranée, construction d'un mythe contemporain ou réalité préoccupante ? » in Confluences Méditerranée, n°109
* 141 IFRI, A. Ekman, février 2018, « La Chine en Méditerranée : une présence émergente »
* 142 R. Castets, été 2019, « Stratégies chinoises sur les rives Nord de la Méditerranée » in Revue Défense Nationale, n°822
* 143 M. Esteban, U. Armanini, été 2019, « L'Espagne : le chemin vers la Chine passe par l'Europe » in Confluences Méditerranée, n°109
* 144 C. Chiclet, été 2019, « Les Balkans et la Chine : les intermittences d'une longue histoire » in Confluences Méditerranée
* 145 Y. H. Zoubir, été 2019, « Les relations de la Chine avec les pays du Maghreb : la place prépondérante de l'Algérie » in Confluences Méditerranée, n°109
* 146 M. Péron-Doise, été 2019, « La nouvelle visibilité de la présence maritime chinoise en Méditerranée » in Revue Défense Nationale, n°822
* 147 D. Billion, printemps 2017, « 25 ans de politique extérieure turque : la quête de sens stratégique » in Confluences Méditerranée, n°1000
* 148 J. Marcou, été 2019, « Dilemmes et ambitions de la Turquie en Méditerranée » in Revue Défense Nationale, n°822
* 149 A. Sémon, 2022, « La politique d'alliance de la Turquie : de l'alignement sur l'Occident à la recherche de l'autonomie stratégique » in Les Cahiers de la Revue Défense Nationale, n°2022/HS2
* 150 J. Jabbour, 2020, « La Turquie : une puissance émergente qui n'a pas les moyens de ses ambitions » in Politique étrangère, n°2020/4
* 151 A. Pouvreau, avril 2020, « Les forces armées turques face aux nouveaux défis stratégiques » in Revue Défense Nationale, n°829
* 152 A. Pouvreau, octobre 2018, « Vision stratégique et politique d'armement de la Turquie » in Revue Défense Nationale, n°813
* 153 A. Sémon, 2021, « La militarisation de la diplomatie turque depuis 2016 » in Les Cahiers de la Revue Défense Nationale, n°2021/HS3
* 154 E. Armanet, juin 2022, « Drones : vers un déclassement de la France ? » in Air&Cosmos, n°2787
* 155 H. Mourad, été 2019, « Nouvelle dynamique régionale en Méditerranée orientale » in Revue Défense Nationale, n°822
* 156 R. Lombardi, été 2019, « L'Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » in Revue Défense Nationale, n°822.
* 157 H. Mourad, hiver 2015-2016, « France-Égypte : les raisons d'un réchauffement » in Confluences Méditerranée, n°96.
* 158 H. Mourad, automne 2021, « Égypte : affaiblir les islamistes en Libye » in Confluences Méditerranée, n°118.
* 159 E. Aoun, T. Kellner, été 2019, « Les relations sino-égyptiennes à l'ère Xi-al Sissi ou la cristallisation d'une forte convergence géopolitique » in Confluences Méditerranée, n°109.
* 160 Y. H. Zoubir, été 2019, « Les relations de la Chine avec les pays du Maghreb : la place prépondérante de l'Algérie » in Confluences Méditerranée, n°109.
* 161 ISEMAR, P. Tourret, décembre 2021, « Le Maghreb, état des lieux maritime et portuaire ».
* 162 K. A. Abderrahim, 2022, « L'Algérie à la recherche d'une diplomatie égarée » in Politique étrangère, n°2022/2.
* 163 v. décret du 9 octobre 2008 instituant le grand port maritime de Marseille.
* 164 INSEE, décembre 2016, Le cluster industrialo-portuaire de Marseille-Fos. Ancrage territorial et ouverture internationale.
* 165 G. Boidevezi (entretien), octobre 2021, « Comme en mer de Chine, on assiste à une territorialisation de la Méditerranée », Mer et Marine.
* 166 Sénat, commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, rapport d'information n°697 (2020-2021), au rapport de C. Cambon, J.-M. Todeschini, P. Allizard, M.-A. Carlotti, O. Cigolotti, H. Conway-Mouret, M. Gréaume, J. Guerriau, C. Perrin, Y. Vaugrenard, A. Cazabonne, 16 juin 2021, L'actualisation de la loi de programmation militaire 2019-2025.
* 167 Rapport d'information de M. Teva ROHFRITSCH, fait au nom de la MI Fonds marins n° 724 (2021-2022) - 21 juin 2022.
* 168 Commission européenne, Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, 9 février 2021, JOIN(2021)2, communication conjointe au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, « Un partenariat renouvelé avec le voisinage méridional. Un nouveau programme pour la Méditerranée ».
* 169 Dont 79 M€ en Algérie, 264 M€ en Égypte, 65 M€ en Libye, 456 M€ au Maroc et 330 M€ en Tunisie.
* 170 Conseil de l'Union, 21 mars 2022, 7371/22, Une boussole stratégique en matière de sécurité et de défense - Pour une Union européenne qui protège ses citoyens, ses valeurs et ses intérêts, et qui contribue à la paix et à la sécurité internationales.
* 171 J.-P. Darnis, 3 mai 2019, « Le face-à-face franco-italien en Libye : un piège pour l'Europe », Le Grand Continent.
* 172 Décision (PESC) 2020/472 du Conseil du 31 mars 2020 relative à une opération militaire de l'Union européenne en Méditerranée (EUNAVFOR MED IRINI).
* 173 v. notamment les résolutions 1970 (2011) et 2292 (2016) du Conseil de sécurité des Nations unies
* 174 En particulier, les navires de guerre jouissent en haute mer de l'immunité complète de juridiction.
* 175 J. Solana, mars 1997, « NATO and the Mediterranean » in Mediterranean Quarterly
* 176 T. Tardy, 8 juin 2022, « Que reste-t-il du flanc sud de l'OTAN ? », Le Rubicon.
* 177 Audition de l'amiral C. Prazuck, chef d'état-major de la Marine, devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat le 11 avril 2018