B. LA SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET LA PROTECTION DES POPULATIONS VULNÉRABLES
1. Débat conjoint : le rétablissement des droits de l'Homme et de l'État de droit reste indispensable dans la région du Caucase du Nord - cas signalés de prisonniers politiques en Fédération de Russie
Le mardi 21 juin s'est tenu un débat conjoint ayant pour thèmes « Le rétablissement des droits de l'Homme et de l'État de droit reste indispensable dans la région du Caucase du Nord » et « Cas signalés de prisonniers politiques en Fédération de Russie ». Une résolution a été adoptée sur le premier thème, puis une résolution et une recommandation ont été adoptées sur le second thème.
Concernant le premier thème, « Le rétablissement des droits de l'Homme et de l'État de droit reste indispensable dans la région du Caucase du Nord », M. Frank Schwabe (Allemagne - SOC) a rappelé, au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme, que dans la région russe du Caucase du Nord, les journalistes, les défenseurs des droits de l'Homme, les personnes LGBTI, les femmes qui refusent de se soumettre aux exigences des « valeurs traditionnelles » et quiconque s'oppose à un régime autoritaire risquent d'être persécutés, torturés et même de perdre la vie. Les organisations de défense des droits de l'Homme, telles que Memorial, et les médias indépendants ont été réduits au silence.
De nombreux cas de violations des droits de l'Homme documentés dans des rapports antérieurs de l'Assemblée n'ont pas été résolus et les autorités n'ont pas mené d'enquêtes efficaces. Des informations crédibles sur les enlèvements, la torture, les mauvais traitements, les disparitions forcées, les exécutions extrajudiciaires et d'autres violations graves des droits de l'Homme continuent d'affluer.
La commission des questions juridiques et des droits de l'Homme a invité tous les États à examiner attentivement les demandes d'asile émanant de la région, en particulier celles émanant de membres de groupes vulnérables. Ils ne sont pas en sécurité ailleurs en Fédération de Russie et peuvent nécessiter une protection même à l'étranger.
Elle a encouragé la Cour européenne des droits de l'Homme à continuer de traiter en temps utile les demandes introduites par les victimes de violations graves des droits de l'Homme qui auraient été commises par la Fédération de Russie jusqu'au 16 septembre 2022, en particulier celles concernant la région du Caucase du Nord, même en l'absence de toute coopération du Gouvernement russe.
Enfin, la commission a décidé de poursuivre le dialogue avec la société civile du Caucase du Nord afin de promouvoir les valeurs du Conseil de l'Europe, y compris la démocratie, les droits de l'Homme et l'État de droit.
Puis, concernant le second thème « Cas signalés de prisonniers politiques en Fédération de Russie », Mme Thorhildur Sunna Aevarsdottir (Islande - SOC) a présenté, au nom de la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme, un rapport dans lequel elle a fait part de sa consternation face au nombre important et croissant de prisonniers politiques dans la Fédération de Russie. La Cour européenne des droits de l'Homme a rendu de multiples arrêts dans lesquels elle a constaté des violations de la Convention européenne des droits de l'Homme qui découlent de l'arrestation et de la détention arbitraires de responsables politiques de l'opposition, de militants de la société civile et de citoyens ordinaires qui manifestent pacifiquement.
Dans plusieurs affaires, elle a également conclu à des violations de l'article 18 de la Convention, qui interdit le détournement de pouvoir pour restreindre les droits tirés de la Convention. Nombre de ces arrêts établissent des faits qui correspondent clairement à la définition de « prisonnier politique » donnée par l'Assemblée dans sa Résolution 1900 (2012).
La commission a également considéré que les listes de prisonniers politiques tenues à jour par le Centre des droits de l'Homme Memorial sont crédibles. Il y a donc une présomption que les personnes qui y figurent soient des prisonniers politiques, qu'ils convient donc de libérer.
Le problème des prisonniers politiques découle de causes structurelles et systémiques qui ont été aggravées au fil des ans avec l'adoption de lois restrictives, y compris pendant la guerre d'agression en cours contre l'Ukraine.
Enfin, la commission a proposé une série de recommandations aux autorités russes, notamment la libération de tous les prisonniers politiques.
Au cours du débat, M. Jacques Maire (Hauts-de-Seine - La République en Marche) , au nom du groupe ADLE , a rappelé la nécessité de défendre ceux qui se battent pour incarner les valeurs du Conseil de l'Europe. Il a ensuite détaillé la situation en Russie où de nouvelles lois criminalisent toute remise en cause de la position officielle russe de 15 ans de prison. Dénonçant ces pratiques totalitaires, il a invité la Cour européenne des droits de l'Homme a jugé les cas pendant concernant la Fédération de Russie, ne serait-ce que pour reconnaître aux victimes ce statut. Enfin, il a appelé à soutenir les opposants et les prisonniers politiques en Russie, rappelant que M. Alexeï Navalny a été transféré dans un quartier de haute sécurité d'une prison connue pour les actes de torture.
M. Bernard Fournier (Loire - Les Républicains) a commencé par rendre hommage à M. Jacques Maire, qui s'est particulièrement investi sur le cas de M. Alexeï Navalny, puis a indiqué que la Russie compte aujourd'hui 447 prisonniers politiques dont l'Assemblée doit continuer de demander la libération. Il a ensuite renouvelé ses craintes concernant la situation des Tatars de Crimée. Enfin, il a rappelé que la Russie reste soumise jusqu'au 16 septembre 2022 à la Convention européenne des droits de l'Homme et qu'à ce titre elle devra rendre des comptes concernant le maintien en détention de prisonniers politiques. La société civile russe doit savoir que le Conseil de l'Europe reste à ses côtés.
Mme Nicole Trisse (Moselle - La République en Marche), présidente de la délégation française, a expliqué que le président russe a choisi de bafouer les valeurs du Conseil de l'Europe au nom du fantasme de la « Grande Russie ». Aujourd'hui, le nombre de prisonniers politiques ne cesse d'augmenter. Il est nécessaire que l'Assemblée continue de se tenir aux côtés du peuple russe. Elle a rappelé les critères permettant de caractériser un prisonnier politique et appelé à ne pas oublier ces héros ordinaires.
M. Didier Marie (Seine-Maritime - Socialiste, Écologiste et Républicain) a regretté que les résolutions adoptées par le passé pour lutter contre les persécutions en Russie n'aient eu aucun effet concret. Malgré l'exclusion de la Fédération de Russie du Conseil de l'Europe, celle-ci reste partie à la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Elle doit donc coopérer avec le Comité européen de prévention de la torture. Enfin, il a appelé les États membres du Conseil de l'Europe à examiner avec soin et bienveillance les demandes d'asile émanant de résidents du Caucase du Nord.
2. Débat conjoint : conséquences humanitaires et migrations internes et externes en lien avec l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine - protection et prise en charge des enfants migrants ou réfugiés non accompagnés ou séparés - justice et sécurité pour les femmes dans les processus de paix et de réconciliation
Le mercredi 22 juin s'est tenu un débat conjoint ayant pour thèmes « Conséquences humanitaires et migrations internes et externes en lien avec l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine », « Protection et prise en charge des enfants migrants ou réfugiés non accompagnés ou séparés » et « Justice et sécurité pour les femmes dans les processus de paix et de réconciliation ». Trois résolutions ont respectivement été adoptées sur chacun de ces thèmes.
Concernant le premier thème, « Conséquences humanitaires et migrations internes et externes en lien avec l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine », M. Pierre-Alain Fridez (Suisse - SOC) a présenté un rapport au nom de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées.
Ce rapport se penche sur le plus important mouvement de populations depuis la seconde guerre mondiale en Europe , causé par l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine. Il salue l'admirable et inédite solidarité des États membres du Conseil de l'Europe, qui ont accueilli, à la mi-mai 2022, plus de 6 millions de réfugiés, dont plus de 3 millions en Pologne, et loue les efforts remarquables de l'Ukraine elle-même, qui s'occupe de 7 à 9 millions de personnes déplacées tout en menant des combats pour défendre son territoire et les valeurs de la démocratie partagées par le reste de l'Europe.
En soulignant le rôle important joué par les organisations internationales et l'Union européenne pour coordonner leurs efforts et répondre aux besoins et aux défis en temps réel, le rapport examine les différentes solutions mises en place par l'Ukraine et les pays frontaliers dans le cadre de leurs obligations internationales et régionales, ainsi que les défis auxquels les autorités et les personnes déplacées et réfugiées elles-mêmes sont confrontées.
Les besoins actuels pour assurer une vie digne et tournée vers l'avenir des personnes déplacées et réfugiées sont colossaux, bien supérieurs aux ressources disponibles. Par ailleurs, les conséquences à long terme de cette crise humanitaire sont indéniables. Alors que la société civile joue un rôle fondamental dans l'accueil au sens large des personnes déplacées et réfugiées et que le pouvoir central a un rôle essentiel à jouer en matière de coordination, le poids principal de la gestion de la crise humanitaire repose sur les villes et les régions, notamment en termes d'infrastructures.
Le rapport préconise une série de mesures pérennes qui trouvent leurs sources dans les instruments du Conseil de l'Europe, afin que l'Ukraine et les pays d'accueil puissent répondre aux besoins urgents et à plus long terme.
Concernant le deuxième thème, « Protection et prise en charge des enfants migrants ou réfugiés non accompagnés ou séparés », Mme Mariia Mezentseva (Ukraine - PPE/DC) a présenté un rapport au nom de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées.
L'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine depuis le 24 février 2022 ainsi que l'augmentation des arrivées de demandeurs d'asile et de migrants par la mer Méditerranée ont provoqué une augmentation rapide du nombre d'enfants migrants ou réfugiés non accompagnés ou séparés en Europe.
Cette situation préoccupe vivement les États membres du Conseil de l'Europe qui ont l'obligation positive, en vertu de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, de protéger la vie privée et familiale, en particulier des enfants migrants ou réfugiés non accompagnés ou séparés qui sont particulièrement vulnérables et nécessitent une protection plus élevée.
Les enfants migrants ou réfugiés non accompagnés ou séparés devraient être considérés comme des enfants et leur intérêt supérieur devrait être garanti quel que soit leur statut migratoire. Une attention particulière devrait être accordée aux victimes de violence, d'abus et de traite des êtres humains, ainsi qu'aux enfants ayant des besoins spéciaux, y compris des besoins médicaux et psychologiques.
Les États membres devraient adopter des solutions de protection alternatives, à titre de mesures provisoires, jusqu'au moment où les enfants pourront être réunis avec les membres de leur famille, en particulier la prise en charge par parenté, le placement en famille d'accueil et la prise en charge familiale avec des conditions de vie supervisées et indépendantes.
Sur le même thème, Mme Sibel Arslan (Suisse - SOC) a présenté un rapport pour avis au nom de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable. Dans ce rapport, elle a indiqué que la commission soutenait pleinement l'appel lancé à tous les États membres pour qu'ils adoptent une approche commune selon laquelle les enfants migrants ou réfugiés non accompagnés ou séparés devraient, avant tout, être considérés comme des enfants. Il convient à cet égard de redoubler d'efforts pour que ces enfants bénéficient de la protection qui leur est due et pour que d'autres possibilités de prise en charge leur soient proposées, en fonction de leurs besoins.
En 2022, malgré l'accueil sans précédent réservé aux réfugiés ukrainiens, notamment aux enfants, par de nombreux gouvernements européens, ainsi que par le grand public, de nombreuses inquiétudes ont été soulevées quant à leur sécurité et leur protection. Des enseignements doivent être tirés de cette expérience. Il est nécessaire de garantir un soutien durable aux enfants migrants ou réfugiés, quelles que soient les priorités politiques changeantes des pays de destination et les bouleversements économiques et sociaux dont ils sont l'objet. L'application des bonnes pratiques devrait également concerner les enfants migrants ou réfugiés originaires d'autres parties du monde. Il est en outre essentiel de s'attaquer aux causes profondes des migrations massives d'enfants non accompagnés ou séparés de leur famille.
Concernant le troisième thème, « Justice et sécurité pour les femmes dans les processus de paix et de réconciliation », Mme Yevheniia Kravchuk (Ukraine - ADLE) a présenté un rapport au nom de la commission sur l'égalité et la non-discrimination.
La commission a examiné l'état de la justice et de la sécurité pour les femmes, pendant et après les conflits, et a formulé des recommandations quant à la manière dont elles pourraient être mieux protégées, davantage associées aux négociations de paix et mieux représentées au cours des procédures de justice transitionnelle. Elle a mis en lumière, notamment, les effets négatifs durables de la guerre pour les femmes dans les pays de l'ex-Yougoslavie, et aussi l'importance grandissante des femmes dans les mécanismes politiques, juridiques et sociaux visant à établir la justice, la paix et la réconciliation, y compris les cours pénales internationales.
Les femmes doivent être en mesure de jouer un rôle plus important au sein des plus hautes instances décisionnelles et dans les pourparlers de paix. Il faut mettre fin à la discrimination à l'égard des femmes et des filles dans les sociétés d'après-conflit, et partager et appliquer les bonnes pratiques en la matière.
Sur le même thème, Mme Boriana Aberg (Suède - PPE/DC) a présenté un rapport pour avis, au nom de la commission des questions politiques et de la démocratie. Celle-ci a approuvé les conclusions et l'analyse du rapport de Mme Yevheniia Kravchuk, qui sont conformes à ses propres travaux relatifs à la prévention et au règlement des crises et des conflits.
M. Bernard Fournier (Loire - Les Républicains), s'exprimant au nom du groupe PPE/DC, a expliqué que l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine est à l'origine du plus important mouvement de population en Europe depuis la seconde guerre mondiale. Il s'est félicité de la mobilisation des États membres pour accueillir les réfugiés ukrainiens et a souligné l'engagement des collectivités territoriales françaises qui ont très vite mis à disposition des hébergements. Il a appelé à garantir les droits de tous les réfugiés sans discrimination en rapport notamment avec l'appartenance ethnique ou l'orientation sexuelle, et à assurer la protection des enfants qui sont particulièrement vénérables. Enfin, il a appelé les États membres du Conseil de l'Europe à oeuvrer pour faciliter l'accès à l'emploi des réfugiés.
M. Jacques Le Nay (Morbihan - Union centriste) a souhaité que l'Assemblée manifeste son soutien envers les populations ukrainiennes déplacées ou réfugiées en adoptant les résolutions proposées. Il a également appelé à renforcer les ressources allouées à la banque de développement du Conseil de l'Europe pour accroître sa capacité d'intervention. Il s'est ensuite félicité du soutien financier de l'Union européenne et de l'activation de la directive européenne sur la protection temporaire. Enfin, il s'est inquiété du sort des mineurs non accompagnés qui doivent pouvoir être accueillis dans des structures adaptées et être protégés contre les trafiquants et le travail forcé.
Mme Nicole Trisse (Moselle - La République en Marche), présidente de la délégation française, a souhaité revenir plus particulièrement sur la prise en charge des enfants migrants non accompagnés ou séparés pour énoncer un certain nombre de principes. Tout d'abord, il ne peut y avoir de différence entre les enfants migrants et des enfants non migrants qui doivent bénéficier de la même protection. De plus, les mineurs ne doivent pas être mélangés avec des adultes et il est nécessaire de renforcer les systèmes d'aide à l'enfance pour permettre une prise en charge adaptée des mineurs. Enfin, il est nécessaire de bien préparer le mineur à devenir un adulte autonome. Pour conclure, elle s'est déclarée favorable à la création d'un réseau européen des familles d'accueil.
3. Débat d'actualité : l'accord du Royaume-Uni sur les demandeurs d'asile et la réaction critique du gouvernement concernant la décision de la Cour européenne des droits de l'Homme
À la demande du groupe socialiste, l'Assemblée parlementaire a tenu un débat actualité sur l'accord du Royaume-Uni sur les demandeurs d'asile et la réaction critique du gouvernement concernant la décision de la Cour européenne des droits de l'Homme.
M. Bernard Fournier (Loire - Les Républicains) a dénoncé la réaction critique des autorités britanniques à la suite de la décision de la Cour européenne des droits de l'Homme appelant à suspendre le renvoi vers le Rwanda d'un demandeur d'asile irakien entré illégalement sur le territoire du Royaume-Uni. Il a expliqué que cette décision est provisoire, en attendant que la Cour se prononce sur la recevabilité et le fond de l'affaire, et qu'elle se fonde bien sur le règlement de la Cour, écartant par là toute forme d'opacité, contrairement à ce qu'a laissé entendre la ministre de l'Intérieur britannique Mme Priti Patel. Plus grave, le gouvernement britannique a présenté un projet de loi qui aura pour conséquence de remettre en cause la primauté des décisions et arrêts de la Cour. Jugeant dangereux le chemin emprunté par le Royaume-Uni, il s'est interrogé sur la crédibilité du Conseil de l'Europe face à d'autres États membres qui remettent en cause les décisions de la Cour si l'une des plus anciennes démocraties d'Europe s'en affranchit.