II. UNE OFFRE DE SOINS LOCALE QUI DEMEURE TRÈS EN DEÇÀ DES STANDARDS HEXAGONAUX
L'offre de soins disponible à Mayotte apparaît considérablement limitée. Cette insuffisance de l'offre emporte des conséquences très concrètes puisque 19 % des personnes ayant dû renoncer à des soins à Mayotte l'ont fait pour cette raison.
A. LE CENTRE HOSPITALIER DE MAYOTTE, ACTEUR QUASI EXCLUSIF DE L'OFFRE DE SOINS
1. Un acteur public quasi unique offreur de soins
Le centre hospitalier de Mayotte est le principal offreur de soins de l'île . Cela vaut pour les soins primaires , en l'absence d'une offre de ville suffisante, mais aussi et surtout pour l'activité hospitalière , le CHM étant le seul établissement de santé de Mayotte.
Le CHM et ses différents établissements structurent une offre de soins dans chacune des cinq zones identifiées sur le territoire.
Autour de son site principal , l'hôpital situé à Mamoudzou, le CHM dispose de quatre centres médicaux de référence (CMR), qui comprennent tous une activité de maternité et un accueil médical permanent , ainsi que douze centres de consultations périphériques (CCP) ou « dispensaires » 10 ( * ) .
Cette organisation permet un accès aux soins en proximité sur l'ensemble de l'île, avec un niveau de recours a priori hiérarchisé entre ces trois niveaux d'établissements.
Les sénatrices et sénateurs de la mission ont pu se rendre dans les différentes zones de découpage sanitaire de Mayotte et appréhender les trois niveaux de structure . Outre le site de Mamoudzou, les membres de la délégation ont visité le site Martial Henry, sur Petite-Terre, le centre médical de référence de Dzoumogné, celui de Mramadoudou mais aussi le dispensaire de Koungou.
Cartographie de l'offre de santé mahoraise : les établissements sanitaires
Source : Agence régionale de santé de Mayotte
Sites du Centre hospitalier de Mayotte
Source : Centre hospitalier de Mayotte
Concernant l'activité de médecine, chirurgie et obstétrique, celle-ci est essentiellement assurée sur le site principal : l'hôpital de Mamoudzou héberge presque les trois quarts des lits de l'offre hospitalière, avec 282 des 400 lits du CHM .
Une protection maternelle et infantile encore à consolider
La compétence en matière de protection maternelle et infantile a bien été transférée au département sur le modèle du droit commun applicable au niveau national.
Cependant, l'exercice de cette compétence est particulièrement difficile. Une mission d'appui de l'Inspection générale des affaires sociales en 2016 11 ( * ) estimait ainsi que « l'absence de moyens de fonctionnement et le défaut de pilotage sont patents ».
Cependant, les actions mises en oeuvre à l'issue de cette mission et les financements nouveaux n'ont pas permis d'atteindre une situation satisfaisante en 2022. La PMI peine encore aujourd'hui à assurer certaines missions essentielles, notamment de consultations ou de vaccinations infantiles.
Dans son rapport de juin 2022, la Cour des comptes 12 ( * ) indique que « Les financements de la protection maternelle et infantile (PMI) ont été totalement débloqués pour la période 2018-2020 alors que le schéma départemental n'était pas validé par l'exécutif local. Le programme des reconstructions et rénovations des PMI ne repose pas sur une analyse des besoins des territoires » .
Ainsi, la Cour souligne une « tardive montée en charge de cette compétence ».
Le département de Mayotte estime ne pas disposer des moyens appropriés pour assurer cette compétence, les financements n'étant pas suffisants au regard de la dynamique des naissances
2. Une offre hospitalière aux capacités globalement très inférieures au niveau hexagonal
Si l'offre de soins est assurée quasi exclusivement par l'hôpital, celui-ci n'est pour autant pas doté de capacités renforcées par rapport à la moyenne hexagonal.
Le CHM comptait en 2021 400 lits en médecine-chirurgie-obstétrique (MCO) .
À part pour l'activité de maternité, le nombre de lits disponibles est bien en deçà des ratios moyens constatés au niveau hexagonal . Le différentiel de capacité rapporté à la population recensée est considérable en MCO, le nombre de lits représentant à peine 40 % de la moyenne hexagonalE, avec 1,56 lit pour 1 000 habitants.
Capacités du Centre hospitalier de Mayotte par spécialité
Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après données CHM
En médecine, la capacité de Mayotte pour 1 000 habitants représente moins de 30 % de la moyenne hexagonale, un tiers pour ce qui est de la chirurgie .
Capacités hospitalières en MCO à Mayotte et dans l'Hexagone
en nombre de lits pour 1 000 habitants
Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après données Drees
La part prépondérante du CHM dans l'activité de l'île apparaît de manière éclatante dans la consommation des soins .
Cette consommation, qui connaît une progression dynamique avec un taux annuel de 2,4 % entre 2014 et 2018 13 ( * ) , est assumée pour 72 % par le centre hospitalier de Mayotte . Viennent ensuite le privé lucratif, sur l'offre de dialyse (15 %), mais aussi dans une proportion non négligeable, des soins réalisés hors du département, les « fuites extraterritoriales », représentant 13 %.
Ainsi, en termes d'activité, 40 070 séjours étaient dénombrés en MCO 14 ( * ) en 2021 quand, avant la crise sanitaire, en 2019, l'établissement totalisait 39 148 séjours sur l'année, alors en progression annuelle de 4,3 %, pour 354 lits en MCO.
Surtout, la croissance particulièrement soutenue de l'activité est appelée à se poursuivre au regard de la démographie de l'île.
Les centres périphériques représentaient, en 2019, 278 179 actes médicaux ou consultations.
Si cette activité est considérable, elle est structurée au niveau de l'activité hospitalière de manière très différente de l'Hexagone.
• Selon le CHM, en taux standardisés, « le recours à la chirurgie et à la médecine est deux fois inférieur à celui de la métropole. Le recours à l'obstétrique est deux fois supérieur à celui de la métropole ».
3. Un financement encore nécessairement hors du droit commun
a) Des ressources en progression
Dans le contexte d'une pression extrême en termes de besoins de santé et d'investissements importants pour accroître l'offre de soins, le CHM dispose aujourd'hui d'un financement dérogatoire au droit commun . Ne s'applique ainsi pas à Mayotte le financement à l'activité assis sur la tarification et la facturation des actes réalisés.
Le CHM est ainsi aujourd'hui financé sous le régime qui préexistait jusqu'au début des années 2000, celui de la « dotation globale ».
Une dotation annuelle de fonctionnement (DAF) est versée chaque année par l'assurance maladie pour le fonctionnement du CHM.
Évolution de la dotation annuelle de
fonctionnement
et des dotations FIR au CHM
en milliers d'euros
Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après les données du CHM, rapport financier 2021
Assez logiquement au regard de son activité et des besoins de santé, les recettes du centre hospitalier de Mayotte ont progressé de manière très importante.
• La dotation annuelle de fonctionnement a augmenté de près de 40 % entre 2016 et 2021.
Les versements au CHM issus du FIR ont augmenté de 70 % entre 2016 et 2019 et atteignent en 2021 plus de 4,3 fois le montant de 2016 .
Sur le dernier exercice, l'augmentation visible des recettes issues du fonds d'intervention régional correspondent aux financements nécessaires pour l'avion sanitaire, l'hélicoptère et l'hospitalisation à domicile (HAD) en année pleine.
b) Un mode de financement peu viable
Pour dynamiques qu'elles soient, les ressources attribuées ne semblent pas nécessairement adaptées durablement au financement du CHM .
Le financement dérogatoire sur le mode de la dotation globale, qui peut sembler plus pratique à certains égards, est surtout retenu à Mayotte face à une situation de fait concernant les droits des patients à l'assurance maladie.
En effet, la part substantielle de personnes recevant des soins au CHM n'ayant pas de droits ouverts à l'assurance maladie ni d'accès à l'aide médicale d'État non applicable à Mayotte prive le CHM de toute possibilité de facturation réelle des actes réalisés.
La contribution exigée dans certains cas pour les non assurés pour les consultations et dispensations de médicaments (10 ou 25 euros selon les cas) n'est qu'une ressource marginale et ne correspond aucunement à la charge pour l'hôpital.
La conséquence immédiate de la dotation globale, négociée avec le ministère, est que le montant de la dotation globale versée au CHM ne suit pas l'évolution de l'activité pourtant très dynamique .
La dotation annuelle de financement ne permet pas non plus une prise en compte réelle de certaines missions d'intérêt général (MIG) et leur financement approprié. En outre, comme souligné par la Caisse de sécurité sociale de Mayotte (CSSM), le maintien de la dotation globale ne permet pas non plus de déclinaison de plans nationaux de gestion et de maîtrise des coûts .
Le CHM doit pouvoir trouver un mode de financement qui ne soit naturellement pas le seul reflet de son activité mais puisse intégrer la progression de celle-ci autant que les paramètres sociaux particuliers que connaît le territoire .
La mission Igas de 2017 recommandait une transition vers la tarification à l'activité (T2A) en cinq ans , avec un versement complémentaire pour la prise en charge des non-assurés dans l'attente d'un déploiement de l'AME. Alors que la T2A est aujourd'hui un mode de financement de l'hôpital public en cours de réforme, cette bascule n'est plus évidente . Cependant, le CHM pourrait utilement trouver à s'insérer dans les réflexions en cours sur un financement mêlant l'activité et les enjeux populationnels du territoire.
Un financement mixte , prenant en compte les missions d'intérêt général, la situation de précarité du département et ses besoins de santé, mais aussi l'activité réalisée pour les assurés et l'activité réalisée pour les non-assurés et devant être financée par subvention dérogatoire, doit pouvoir être trouvé.
Une étude cofinancée par la direction générale de l'offre de soins (DGOS) et l'agence française de développement (AFD) porte actuellement sur l'évolution du financement du CHM, avec pour enjeu une « dynamisation » du mode de financement actuel.
4. Une offre privée limitée mais en développement
La commission a pu également s'intéresser à la structuration d'établissements de santé privés à Mayotte. Aujourd'hui limitée, cette offre est cependant en rapide développement et plusieurs projets d'envergure sont à l'étude ou déjà avancés .
Les acteurs de l'offre privée ont insisté sur la conception de leur implantation comme complémentaire de l'offre publique et non comme une concurrence à celle-ci, en cherchant à combler des lacunes d'offre ou des axes identifiés au sein du projet régional de santé.
Le groupe Clinifutur est particulièrement investi dans le développement de l'offre de soins privée à Mayotte. Le centre de dialyse MayDia , qu'il gère, assure en l'absence d'opérateur public présent sur la prise en charge de l'insuffisance rénale chronique en centre lourd , au sein même du centre hospitalier de Mamoudzou, de deux unités médicales d'hémodialyse et de deux unités d'auto-dialyse, à Kawéni et Mramadoudou. Avec 250 à 270 patients pris en charge sur l'année , le centre de dialyse estime aujourd'hui son seuil de capacité atteint .
Au-delà de cette activité sectorielle déjà bien établie et toujours en développement, le groupe a un projet d'ouverture d'une clinique à Chirongui . Cette dernière fonctionnerait sur la base de missions médicales .
Le groupe Les Flamboyants, également rencontré à La Réunion, projette lui d'ouvrir un établissement consacré à la psychiatrie et à la rééducation fonctionnelle , suivant un objectif de prévention des AVC et de développement de la prise en charge en orthopédie.
Deux points ont été particulièrement soulignés concernant l'attractivité pour l'installation d'une offre privée plus dense à Mayotte.
Le premier, concernant les personnels, est relativement semblable aux problématiques constatées dans le service public. Ainsi, si les postes ouverts sont particulièrement intéressants au regard des actes pratiqués et pathologies traitées, l'attractivité est aussi liée à des éléments de conforts matériels, comme le logement, et à une sécurité davantage garantie .
Le second concerne les établissements eux-mêmes et leur modèle économique . Avec un coefficient géographique calqué sur La Réunion, les activités ne seraient aujourd'hui pas rentables selon les acteurs rencontrés, qui demandent un passage de 1,31 à 1,65. Autre lacune sur ce point, la prise en charge des non affiliés soignés dans ces établissements.
Au-delà de leur développement propre, les acteurs rencontrés, qui se présentent comme un « service public déguisé », ont souligné l'enjeu pour des groupes privés implantés à La Réunion de s'implanter à Mayotte comme une nécessité pour réduire la pression sur Mayotte et réduire, en conséquence, la désorganisation qu'ils constatent sur l'offre réunionnaise.
En outre, ils soulignent leur capacité à attirer, par la structuration d'établissements de santé privés, de nouveaux professionnels libéraux sur l'île.
Concernant la facilitation d'installation d'établissements privés, l'ARS de Mayotte a souligné la disparition des activités de santé de la liste des activités éligibles aux zones franches d'activité nouvelle génération (ZFANG). Dans un contexte de pénurie de professionnels de santé, l'intégration à ce champ de dispositifs de fiscalité dérogatoire est vue comme un potentiel accélérateur de développement.
* 10 Initialement financés par la collectivité, les dispensaires ont vu leur charge transférée à l'assurance maladie en 2004.
* 11 Inspection générale des affaires sociales, « Mission d'appui au Département de Mayotte sur le pilotage de la protection de l'Enfance », février 2016.
* 12 Cour des comptes - Chambres régionales et territoriales des comptes, « Quel développement pour Mayotte ? - Mieux répondre aux défis de la démographie, de la départementalisation et des attentes des Mahorais », juin 2022.
* 13 Centre hospitalier de Mayotte, projet d'établissement 2021-2025.
* 14 Données du Centre hospitalier de Mayotte.