B. UNE SITUATION SANITAIRE PARFOIS COMPARABLE À CELLE DE PAYS EN DÉVELOPPEMENT

1. Des conditions de vie extrêmement précaires à l'impact direct sur la santé de la population

L'état de santé dégradé que connaît le territoire n'est pas déconnecté de la situation matérielle concrète de la population mahoraise. « Département le plus pauvre » de France, avec un taux de pauvreté de 77,3 % en 2019 6 ( * ) , de loin supérieur à l'ensemble des régions hexagonales ou ultramarines, Mayotte se caractérise encore par des conditions de logement particulièrement difficiles.

Selon l'Insee 7 ( * ) , quatre logements sur dix demeuraient des constructions fragiles, notamment en tôle , bois, végétal ou terre. L'habitat précaire concernait 65 % des étrangers pour 25% des Français natifs de l'île en 2017.

Au-delà de l'accès à l'électricité, dont sont encore dépourvus 10 % des logements, différents indicateurs essentiels sont particulièrement éclairants et préoccupants quant à la difficulté d'assurer une bonne hygiène élémentaire et, partant, de permettre une amélioration de la condition sanitaire de la population.

L'Insee estime ainsi dans son dernier recensement que 54 % des résidences ne disposaient pas de toilettes à l'intérieur , quand 56 % étaient dépourvus de douche ou baignoire. Ces parts, déjà élevées pour les logements « en dur » (31 % et 33 %) sont écrasantes pour ce qui est des maisons en tôle : 92 % n'ont ni WC, ni douche .

Concernant l'accès à l'eau courante , l'Insee estime encore à 29 % le nombre de ménages qui n'en disposaient pas en 2017, soit une proportion identique à celle de 2012 (30 %) et un arrêt de la dynamique d'amélioration constatée depuis 2007, où ce taux atteignait 63 %.

Parmi les 29 % de ménages dépourvus d'accès intérieur à l'eau courante, l'accès à l'eau se fait selon des modes plus ou moins adaptés à une consommation d'eau de qualité satisfaisante. Ainsi, des modes d'usage partagés sont parfois organisés , principalement dans les cours ou en rachats d'eau à des tiers - pour des coûts parfois supérieurs au prix de vente du réseau. L'accès à l'eau par les bornes représente une part importante : 16 % des ménages n'ayant pas d'accès intérieur y ayant recours pour s'approvisionner.

Accès à l'eau à Mayotte

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après les données de l'Insee

Cependant, un accès particulièrement préoccupant demeure celui de l'utilisation des eaux de rivière ou ruisseau . En effet, il concerne près de 10 % des personnes n'ayant pas d'accès à l'eau à l'intérieur de leur logement.

Or, comme l'ont souligné les responsables du département de santé publique de l'ARS auprès des sénatrices et sénateurs, ces ruisseaux ou rivières ne permettent absolument pas des conditions satisfaisantes pour un usage alimentaire ou d'hygiène .

En effet, ils sont des lieux de déversement de déchets , avec en conséquence des polluants importants, mais aussi et surtout sont des lieux de vie des animaux , de ruissellement de boues et d' écoulement, notamment lors de pluies, d'eaux usées et d'évacuation des toilettes de fortune aux abords des logements en tôle . Cette eau impropre à la consommation est pourtant souvent utilisée , faute d'accès convenable à une alternative, y compris comme eau de biberon.

C'est dans ce contexte que Mayotte a vu la résurgence de maladies comme le choléra à la fin des années 1990, ou connaît encore des épidémies de fièvres typhoïdes ou d' hépatite A .

2. Une action de l'agence régionale de santé en faveur d'un accès à l'eau potable : l'exemple des bornes fontaines

L'île de Mayotte n'est pas équipée de fontaines publiques de distribution d'eau potable et gratuite .

Après l'apparition du choléra à Mayotte, il avait été décidé en 2001 en complément d'une campagne de vaccination et de mesures d'hygiène, de l'installation de 80 bornes fontaines. 56 bornes fontaines étaient effectivement installées en 2016.

Les membres de la commission présents à Mayotte ont pu se rendre sur plusieurs points d'accès de bornes fontaines et voir leur fonctionnement sur place. L'accès à ces bornes, initialement pris en charge par les communes, a fait place à des cartes prépayées , du fait de factures impayées de certaines communes. Le tarif pratiqué est le même qu'au compteur 8 ( * ) . Ce sont souvent les enfants qui sont chargés d'aller chercher de l'eau. L'accès aux bornes peut enfin être compromis en cas de pluies intenses.

L'ARS de Mayotte prend en charge l'installation de ces bornes , dont l'accès et la maintenance basique sont parfois facilités par la Croix-Rouge. L'installation d'une borne fontaine, dont le coût est estimé à 15 000 euros, se heurte parfois à des problèmes pratiques de disponibilité du foncier , même pour une parcelle de quelques mètres, mais aussi à l'opposition de certains élus locaux.

• Si Mayotte compte aujourd'hui une centaine de bornes, l'ARS estime les besoins à 240 bornes fontaines.

Cette solution alternative d'accès à l'eau, si elle n'est pas pleinement satisfaisante, est un réel apport en termes de santé, réduisant la consommation d'eau de rivière, avec également une réduction des conflits de voisinage sur ce motif.

Lacune cependant constatée de ces accès directs à de l'eau potable et de bonne qualité, les contenants utilisés sont souvent issus d'une réutilisation de barils . Or, faute de lavage adapté, ils contiennent parfois encore des substances toxiques de leurs précédents usages industriels.

Enfin, il a été souligné que l'accès aux bornes fontaines pouvait être rendu difficile par la présence de contrôles de police sur les trajets conduisant au centre de rechargement des cartes ou même parfois aux abords de certaines bornes.

Les bornes fontaines comme lieu de prévention et d'action
en santé communautaire

Les bornes fontaines constituent des lieux de rassemblement autour de « communautés d'usage », bien identifiées et que les services de l'agence régionale de santé tentent de mettre à profit pour réaliser des actions de prévention.

Ainsi, durant la pandémie de covid-19, ces points de rencontre étaient des relais importants d'information, que l'ARS tente de continuer à mobiliser.

L'action de l'ARS en faveur d'un meilleur accès à l'eau se concrétise également par la mise à disposition de points de distribution ou rampes d'eau . Celles-ci jouent un rôle déterminant, particulièrement en cas de pénuries d'eau.

Dans le cadre de l'épidémie de covid-19 , le ministère des solidarités et de la santé avait donné consigne d'assurer un accès à l'eau potable aux plus précaires dans les bidonvilles. L'ARS avait ainsi mobilisé 400 000 euros au sein du fonds d'intervention régional et 120 rampes avaient été installées en 2020 9 ( * ) .

Recommandation : Renforcer, avec les collectivités locales, le réseau des bornes fontaines soutenu par l'agence régionale de santé et assurer des points d'accès gratuit à l'eau potable sur le territoire.


* 6 Insee, Fichier localisé social et fiscal (Filosofi) et Enquête “Budget de Famille 2017 (extension DOM)” pour la Guadeloupe, la Guyane et Mayotte.

* 7 Mayotte en 2017, Recensement de la population - Tableaux détaillés, paru le 5 août 2019, Pierre Thibault (Insee).

* 8 1,4 euro le m3 quand l'eau à la revente peut avoisiner les 25 euros le m3.

* 9 Rapport d'activité 2020 du fonds d'intervention régional.

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