B. DES COÛTS QUI EXPLOSENT

La presse est confrontée à une double hausse de ses coûts, d'une part structurelle, conséquence d'une baisse des tirages jugée inéluctable, d'autre part de la conjoncture actuelle particulièrement défavorable.

1. Des coûts fixes à adapter, notamment sur l'outil industriel

L'économie de la presse imprimée repose sur des coûts fixes importants. Or, face à un marché en baisse forte et régulière, ces coûts fixes ont tendance à augmenter rapidement.

Ils concernent en premier lieu la rédaction . Ainsi, les contrats passés avec les journalistes l'ont été pour la plupart à une époque où le secteur était profitable, les conditions salariales ne se sont depuis pas adaptées à une situation moins favorable. Le nombre de journalistes de la PQR a ainsi baissé de 8,5 % entre 2010 et 2019, alors même que la qualité du travail rédactionnel constitue la meilleure garantie d'avenir pour le secteur.

Le principal défi pour la PQR réside cependant dans l'adaptation de son outil industriel .

Le parc des rotatives de toute la presse d'information politique et générale est caractérisé par une surcapacité grandissante, qui le rend inadapté : les imprimeries constituent des postes importants de coûts fixes qui grèvent les comptes des groupes de presse et fragilisent toute la chaîne de valeur.

La PQN a su anticiper ce mouvement, avec le soutien de l'État, dans le cadre du « plan IMPRIME » lancé après les États généraux de la presse écrite en 2008, complété par le « plan 3M » en 2014. À l'issue de ce mouvement, rompant avec la tradition historique de la possession de leur outil industriel, tous les titres nationaux d'information politique et générale sont désormais imprimés de façon mutualisée chez un prestataire extérieur , l'imprimeur Riccobono, qui assure l'impression à Paris et dans les sites d'impression décentralisés de province. Seuls les titres du groupe Amaury disposent encore de leur outil d'impression dédié, ainsi que quelques titres dans le Sud avec le groupe MOP.

S'agissant de la PQR, le modèle reste encore largement celui d'une imprimerie appartenant au groupe de presse et imprimant principalement ses titres. Ainsi, en 2020, la PQR dispose encore de 24 centres sur l'ensemble du territoire, alors que la PQN est imprimée par cinq centres répartis sur le territoire et trois pour Amaury.

Alors que la presse locale ne dispose pas de mêmes leviers que les principaux titres de la presse quotidienne nationale pour moderniser son activité, l'État a accompagné les éditeurs avec le plan dit PRIM, qui a pour objet la restructuration à l'horizon 2025 de l'outil industriel d'impression.

L'engagement public s'élève à 36 millions d'euros , soit 30 % de l'investissement total de 116 millions d'euros nécessaire. Le 8 juillet 2021, les groupes de presse et les organisations syndicales ont trouvé un accord sur les modalités du plan en signant l'accord collectif sur les mesures sociales d'accompagnement et l'accord EDEC, cadre national pour l'accompagnement du plan réseau imprimerie. Dans le cadre du plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) relevant du dispositif PRIM, le cofinancement de l'État consiste en la prise en charge d'une partie des coûts liés au congé de reclassement d'un nombre maximal de 480 salariés des entreprises, dans la limite d'une participation publique de 75 000 € maximum par salarié dans la limite de l'enveloppe allouée.

À terme, ce plan doit permettre de fermer le tiers des imprimeries et d'assurer le reclassement ou le départ en retraite de 60 % des effectifs, soit environ 1 500 personnes .

2. La crise du papier

Selon les documents dont a pu prendre connaissance le Rapporteur, la hausse des prix consomme parfois plus de la totalité des marges pourtant limitées dégagées par les groupes de presse locale .

La crise, née de la très forte hausse des coûts du papier, a été évoquée par la totalité des personnes entendues par la mission d'information , et a en partie motivé sa création. Elle apparait en réalité comme une nouvelle étape dans une série de nouvelles préoccupantes depuis des années pour le secteur, confronté à une crise au long cours de son modèle économique et frappé par la pandémie en 2020 et 2021.

La hausse du coût des matières premières est commune à l'ensemble des secteurs industriels, et se traduit par une inflation comprise entre 5 % et 7 % en France en 2022. L'objet de ce rapport n'est pas d'en établir les causes, multiples, mais d'en mesurer l'impact dans un domaine précis, celui de la presse quotidienne régionale.

Comme on l'a vu, le modèle économique de la PQR repose encore très largement sur l'impression d'exemplaires vendus dans le réseau, portés ou postés. Dans un contexte général d'inflation, cette caractéristique devient une faiblesse qui l'expose plus que la presse quotidienne nationale, même si cette dernière en supporte également les conséquences, comme tous les types de presse.

Dans l'ensemble de la presse, les achats de papier passent de 1,2 milliard de tonnes en 2009 à 537 millions en 2019 , soit une diminution de 55 % en 10 ans. Cette baisse est de 43 % dans la presse locale, ce qui traduit bien une moindre diminution des tirages et une pagination qui a moins diminué que dans d'autres familles de presse. La presse locale représente ainsi 30 % des volumes de papier utilisés dans la presse.

Selon les données statistiques du ministère, les achats de papier représentaient 225 millions d'euros pour la presse locale en 2009, soit 7,5 % du chiffre d'affaires et environ 10 centimes par exemplaire.

En 2019, soit avant la hausse post crise pandémique, la même famille de presse a consacré 122 millions d'euros aux achats de papier, soit 5,3 % de son chiffre d'affaires et huit centimes par exemplaire . Les dépenses liées aux frais d'impression dans leur ensemble représentent en 2009 14,2 % du chiffre d'affaires et 21 centimes par exemplaire, contre respectivement 21,7 % et 29 centimes par exemplaire en 2009.

Dépenses liées au papier dans la presse locale

2009

2019

Dépenses liées au papier

En valeur absolue (millions d'euros)

225

122

En % du chiffre d'affaires

7,5 %

5,3 %

Par exemplaire

10 c

8 c

Total des frais d'impression

En valeur absolue (millions d'euros)

653

324

En % du chiffre d'affaires

21,7 %

14,2 %

Par exemplaire

29 c

21 c

Ainsi, que ce soit en valeur absolue ou en coût par exemplaire, les frais liés à l'impression ont diminué en 10 ans de 28 %, et ceux du papier de 20 %.

Ce mouvement s'explique par plusieurs facteurs, certains spécifiques à tel ou tel titre. D'un côté, la rationalisation des techniques d'impression, de l'autre, la baisse de la pagination. Les marges de manoeuvre ainsi dégagées ont permis de libérer des ressources pour améliorer les contenus ou assurer le développement numérique des titres.

C'est dans ce contexte qu'est intervenue une très violente hausse des prix .

L'indice des prix du papier était de 92 début 2010, et est demeuré relativement stable jusqu'à la fin 2020 autour de 100 14 ( * ) . Il s'établit en mai 2022 à près de 150, en très forte croissance depuis le début 2021.

Il est difficile d'évaluer le supplément de charge pour l'ensemble de la presse, qui dépend largement des contrats déjà passés comme des efforts qui pourront être réalisés pour réduire la consommation. Les estimations de la mission d'information s'établissent à un chiffre compris entre 80 et 100 millions d'euros supplémentaires pour toute la presse quotidienne, le double pour toute la filière. Toutes choses égales par ailleurs, si il était intégralement supporté par les éditeurs de presse locale, il reviendrait en valeur absolue à des montants proches de ceux constatés en 2010 , soit autour de 210 millions d'euros , pour des tirages inférieurs de plus de 30 %.

La hausse des prix du papier possède des racines à la fois conjoncturelles , liées aux prix de l'énergie, mais également structurelles , qui relèvent de l'organisation industrielle du secteur. Parmi les raisons invoquées, la principale semble être le fort développement de la livraison de colis à domicile, qui nécessite des volumes sans cesse croissants de carton , devenu plus avantageux à produire que le papier lui-même en décroissance avec la baisse de diffusion des journaux. Par ailleurs, la France a également largement perdu sa base industrielle , désormais limitée à une usine dans les Vosges qui a pris récemment la décision de consacrer l'une de ses deux lignes de production exclusivement au carton. La presse, mais également la filière du livre, souffrent donc d'un manque d'anticipation dans le maintien de filières nationales et européennes de production dédiées, en cours depuis des années, mais qui a commencé à produire ses effets dès la fin de la crise pandémique.

3. La prise en compte de la contrainte environnementale : la fin du régime d'exception pour le financement de CITEO

Si les sommes en jeu ne sont pas comparables avec celles évoquées suite à la hausse des prix du papier, la question de la fin de la contribution en nature des éditeurs de presse au financement de CITEO au début de l'année 2023 a été très régulièrement mentionnée lors des auditions menées par le Rapporteur. Elle se traduirait en effet par le versement d'une « co-contribution » représentant une charge supplémentaire d'une vingtaine de millions d'euros pour la filière.

Le 3° de l'article L. 541-10-1 du code de l'environnement soumet le secteur des impressions au régime de la responsabilité élargie du producteur (REP). Elle est basée sur le principe « pollueur-payeur » : les entreprises, c'est-à-dire les personnes responsables de la mise sur le marché français de certains produits, sont responsables de l'ensemble du cycle de vie de ces produits depuis leur conception et doivent le versement d'une « éco-contribution » à un éco-organisme en charge du recyclage des déchets. La REP transfère ainsi tout ou partie des coûts de gestion des déchets vers les producteurs. Le financement est assuré par une contribution financière versée à l'éco-organisme de la filière papiers graphiques CITEO. Ce n'est pourtant pas ce dernier qui assure la gestion opérationnelle du recyclage, mais les collectivités locales , qui doivent percevoir une compensation de la part de l'organisme au titre de leurs investissements.

La France a choisi d'inclure les publications de presse dans le cadre du REP de la filière à compter du 1 er janvier 2017. Ce choix, volontaire en termes de respect de l'environnement, n'a pas été retenu par tous nos partenaires européens. Il impose ainsi aux éditeurs de participer au financement des mécanismes de collecte et de recyclage.

L'article 8 bis §4 de la directive 2008/98/CE modifiée prévoit que les producteurs soumis à un principe de REP couvrent au moins 50 % des coûts de prévention et gestion des déchets issus de leurs produits au travers d'une contribution financière , ces dispositions devant entrer en vigueur au plus tard le 5 janvier 2023.

Les publications de presse bénéficient jusqu'à présent d'un régime dérogatoire : la contribution peut être versée en tout ou partie sous forme de prestations en nature . Elle prend alors la forme d'une mise à disposition d'encarts publicitaires destinés à informer le consommateur sur la nécessité de favoriser le geste de tri et le recyclage ciblé uniquement sur le papier. 2018 a été la première année de mise en oeuvre concrète de ce dispositif de contribution en nature, en vue de communiquer sur le geste de tri des papiers. 376 éditeurs de presse ont bénéficié de ce dispositif pour un montant des contributions en nature facturées représentant 21,7 millions d'euros . Cela représente 89 % du secteur d'activité de la presse.

Cette contribution en espaces publicitaires a été utilisée par CITEO, au travers de campagnes de sensibilisation au tri des papiers avec des créations personnalisées (notamment avec la presse magazine et la presse régionale) ainsi que des créations standardisées (presse et web). Avec près de 3 500 insertions dans plus de 700 titres de presse, ces publicités ont ciblé 93 % de la population française.

L'article 72 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire a cependant mis un terme à ce régime dérogatoire au 1 er janvier 2023 afin de mettre le droit français en conformité avec le droit européen . Ainsi, l'article L. 541-10-19 du code de l'environnement prévoit maintenant que : « jusqu'au 1 er janvier 2023, les publications de presse, au sens de l'article 1 er de la loi n° 86-897 du 1 er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse, soumises au régime de responsabilité élargie du producteur peuvent verser leur contribution à la prévention et la gestion de leurs déchets sous forme de prestations en nature . »

Or, le niveau de couverture des coûts de la filière REP des papiers est estimé à ce jour entre 20 % et 40 % du coût. Il n'est donc pas possible de maintenir un principe d'exemption de contribution financière pour les éditeurs de presse au-delà de 2023.

Dès lors, à droit constant, les éditeurs devront assurer un financement à CITEO de l'ordre de 20 millions d'euros , qui reviendra in fine aux collectivités locales en charge de la gestion des déchets et du recyclage.

Certains éditeurs estiment pourtant que le dispositif actuel de contribution en nature aurait pu être maintenu, sans que cela ne contrevienne aux dispositions de la « directive déchets ». Ils arguent pour ce faire de l'absence de définition précise de la notion de « contribution financière » dans la directive et souhaiteraient donc que soit reconnue la possibilité de poursuivre le versement en nature.


* 14 Données tirées des séries statistiques de l'INSEE : https://www.insee.fr/fr/statistiques/serie/010534136

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