RAPPORT

I. LES ORIGINES DE L'INFLATION : UNE HAUSSE SPECTACULAIRE DES MATIÈRES PREMIÈRES

A. UNE AUGMENTATION TRÈS FORTE DES PRIX À LA CONSOMMATION DES PRODUITS ALIMENTAIRES

1. Une inflation alimentaire de presque 6 %...
a) Les produits alimentaires voient en un an leurs prix progresser de 5,7 %

En juin 2022, les prix à la consommation étaient supérieurs de 5,8 % à leur niveau constaté un an auparavant 1 ( * ) . Le mois précédent, ils l'étaient de 5,2 %, traduisant une accélération du phénomène d'inflation, tirée essentiellement par les prix de l'énergie et de l'alimentation.

Ce pourcentage d'inflation globale agrège plusieurs dimensions (alimentation, tabac, énergie, services, etc.). En particulier, l'inflation observée sur les produits alimentaires s'est établie à 5,8 % 2 ( * ) (contre 4,3 % le mois précédent), se traduisant donc par une perte de pouvoir d'achat des ménages, frappant durement et prioritairement les plus modestes. Selon l'UFC Que Choisir 3 ( * ) , en mai, le taux de l'inflation était même supérieur pour les 20 % les moins aisés (hausse de 7,1 %) à ce qu'il était pour les 20 % les plus aisés (5,1 %), alors que les premiers consacrent généralement l'intégralité de leurs revenus à leur consommation (ce qui signifie qu'ils ne disposent quasiment pas d'épargne pour absorber le choc).

Ces niveaux d'inflation sur les produits alimentaires sont inédits depuis une trentaine d'années .

En outre, l'inflation devrait continuer à croître jusqu'à la fin de l'été. Selon l'Insee, elle s'établirait aux environs « de 7 % en septembre, avant de se stabiliser globalement entre 6,5 % et 7 % en fin d'année 4 ( * ) ». La poursuite de cette hausse résulterait principalement de celle des produits alimentaires et manufacturés. En fin d'année, l'institut anticipe que les répercussions des hausses des prix de production agricole s'atténueront.

Inflation d'ensemble et contributions par poste

( inflation en glissement annuel, en % )

Source : Insee.

b) L'inflation touche également les produits non-alimentaires

En juin 2022, l'inflation du prix des services s'est établie à 3,2 % (stable par rapport au mois précédent), et celle des produits manufacturés à 2,6 % (contre 3 % en mai). Certains produits comme les chaussures verraient leurs prix augmenter de 5 % en 2022 5 ( * ) .

Selon une étude du site LSA 6 ( * ) , spécialiste de la consommation, les produits non-alimentaires vendus en ligne en avril 2022 verraient également leurs prix fortement augmenter : + 69 % pour les smartphones, + 7 % pour les aspirateurs, + 14 % pour les tronçonneuses, + 25 % pour les sèche-cheveux.

2. ... qui se constate concrètement dans les rayons alimentaires...

L'inflation des prix est une réalité concrète, directement observable sur les tickets de caisse des consommateurs. Selon l'INSEE, sur un an, elle s'est par exemple établie à + 18,3 % pour les poissons frais, + 12,1 % pour les volailles, + 17,7 % pour les huiles et graisses et + 7,3 % pour les légumes frais .

L'objet du présent rapport n'est pas de passer en revue l'intégralité des catégories de produits, mais l'observation du prix de 150 produits « prisés » des Français , réalisée auprès de 6 304 drives par un site spécialisé dans la grande consommation 7 ( * ) , donne des résultats frappants :

• les 4 tranches de « blanc de poulet » Fleury Michon (160g) ont augmenté de 30,4 % entre janvier et mai 2022 (de 1,55 € à 2,02 €) ;

• la confiture de framboise « Bonne Maman » (370g) a augmenté de 24 % (de 1,96 € à 2,43 €) ;

• le paquet d'1kg de spaghettis « Barilla » a augmenté de 19,6 % (de 1,83 € à 1,53 €) ;

• les steaks hachés « le pur Boeuf de Charal » ont augmenté de 17,1 % (de 8,17 € à 9,65 €) ;

• la boîte de conserve de 840g de saucisses lentilles « William Saurin » a augmenté de 16,9 % (de 2,13 € à 2,49 €) ;

• le paquet de farine fluide d'1 kg « Francine » a augmenté de 15,8 % (de 0,95 € à 1,10 €) ;

• le bipack 2x250g de café « Carte noire » a augmenté de 13,7 % (de 6,14 € à 6,98 €).

Au global, selon l'IRI 8 ( * ) , la hausse des viandes surgelées a atteint 20,9 % sur un an, celle des pâtes alimentaires 17,0 %, celle des viandes hachées 15,5 % et celle des moutardes 13,7 % .

Source : IRI.

Ces hausses spectaculaires sont à mettre en regard de la hausse tarifaire de 3,5 % obtenue par les fabricants de marques nationales au 1 er mars 2022 ; il est donc plausible que, pour certains produits, les hausses constatées dans les rayons soient supérieures à la hausse du prix d'achat effectivement supportée par le distributeur (autrement dit, que certaines hausses permettent un accroissement de la marge des enseignes).

En moyenne, les prix des marques nationales ont augmenté de 4,16 %, et ceux des produits « premiers prix » et des produits vendus sous marque de distributeurs ont augmenté respectivement de près de 10 % et de 7 %. Pour ces deux dernières catégories, un élément d'explication de la hausse plus élevée réside dans le fait que le pourcentage des matières premières agricoles dans le tarif total y est plus élevé que pour les marques nationales (la marque « MDD » ou « premier prix » est moins valorisée dans le tarif que dans le cas du Nutella ou du Coca-Cola, le tarif total est donc plus sensible aux variations du prix des matières premières agricoles (MPA)). L'autre élément d'explication, développé infra plus en détail, est que les distributeurs craignent davantage la rupture d'approvisionnement en MDD qu'en marque nationale, et consentent donc des hausses de tarif plus élevées.

Il peut par ailleurs être noté que les quatre catégories de produits de grande consommation qui ont vu leur prix de vente le plus diminuer sont les détachants (- 6,9 %), les assouplissants (- 6,9 %), les produits pour lave-vaisselle (- 2,3 %) et les soins du linge (- 1,6 %) , ce qui atteste encore une fois de l'effet de bord de la loi Egalim plusieurs fois mis en avant par le Sénat : la grande distribution fait désormais des produits DPH (droguerie parfumerie hygiène) des produits d'appel, puisqu'il est devenu plus difficile de le faire sur les produits alimentaires (seuil de revente à perte relevé, encadrement des promotions sur ces produits, etc.).

3. ... qui reste inférieure à celle constatée dans d'autres pays voisins...

Le niveau d'inflation en France, bien qu'élevé, reste inférieur à celui constaté dans la zone euro . En moyenne, l'augmentation des prix y atteint 8,6 % en juin 2022 9 ( * ) (contre 5,8 % en France 10 ( * ) ) ; les produits alimentaires, en particulier, augmenteraient de 8,9 % (contre 5,7 % en France).

Selon Eurostat, l'inflation serait de 8,2 % en Allemagne, de 10,5 % en Belgique, de 10 % en Espagne , de 8,5 % en Italie, de 10,3 % au Luxembourg et de 9,9 % aux Pays-Bas.

Si l'une des explications réside dans les mesures publiques de soutien du pouvoir d'achat des Français (comme le bouclier tarifaire sur l'électricité et le gaz et la remise de 18 centimes d'euros par litre de carburant), il semble également que le taux français moins élevé résulte de la plus grande rudesse des négociations commerciales entre industriels et distributeurs (cf. infra , partie II, pour une analyse détaillée), les seconds n'acceptant qu'une partie des hausses de tarifs demandées par les premiers.

4. ... et qui devrait s'accroître à la rentrée 2022, soit une hausse de 30 euros par mois du panier moyen

L'ensemble des acteurs interrogés par le groupe de suivi convergent vers l'hypothèse d'une inflation des produits de grande consommation située entre 7 et 10 % en septembre 2022 . Cette augmentation résulterait de la poursuite de l'envolée de certaines matières premières (agricoles et industrielles), mais également d'un effet « calendrier » : les renégociations commerciales en cours en juillet 2022, qui devraient aboutir à une hausse des tarifs fournisseurs d'environ 4-5 % (cf. infra ), visent à tenir compte de l'augmentation du coût des intrants intervenue en mars-avril 2022.

Par conséquent, la poursuite de la hausse du prix des matières premières en mai-juin-juillet 2022 devrait, vraisemblablement, conduire à de nouvelles renégociations de tarifs , cette fois en août-septembre 2022.

Par ailleurs, la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE) estime que les fournitures scolaires pourraient augmenter de 10 à 40 % lors de la rentrée 2022 (en sus d'une hausse du coût de la restauration scolaire qui pourrait se situer entre 5 et 10 %).

Au total, d'après l'Observatoire de l'inflation du magazine 60 millions de consommateurs, l'inflation de 7 % des produits alimentaires devrait entraîner une dépense supplémentaire de 30 euros par ménage et par mois (38 euros pour une famille, 21 euros pour un couple sans enfant).

Du reste, selon un schéma économique désormais bien établi, l'inflation pourrait s'auto-entretenir compte tenu du fait que les hausses de revenus (indexation des pensions, primes, hausse du SMIC, etc.) entraînent généralement une hausse de la demande qui, si l'offre ne peut suivre, se traduit par un surcroît d'inflation.

5. Pour lutter contre les effets de l'inflation, améliorer le pouvoir d'achat des Français par des mesures structurelles
a) Étudier l'opportunité au cas par cas de supprimer le « SRP+ 10 », pour rendre du pouvoir d'achat

L'inflation est un phénomène économique relativement classique et multi-documenté, qui agit en cascade d'un bout à l'autre de la chaîne de valeur. Ses sous-jacents étant aujourd'hui de nature exogène et internationale (reprise mondiale, aléas climatiques extrêmes, guerre en Ukraine), cela complique la lutte contre ses origines. Par conséquent, les diverses mesures annoncées par le Gouvernement visent essentiellement à tenter de lutter non pas contre l'inflation, mais contre ses effets sur le pouvoir d'achat (chèque inflation, revalorisation du SMIC, indexation des pensions, etc.).

Une mesure pouvant conduire à une diminution des prix de certains produits dans les rayons gagnerait toutefois à être expertisée : la fin, au cas par cas selon les produits, de l'obligation faite aux distributeurs de réaliser 10 % de marge obligatoire sur les marques nationales alimentaires .

La loi Egalim 11 ( * ) a en effet prévu, à titre expérimental, le relèvement de 10 % du seuil de revente à perte 12 ( * ) (mesure surnommée « SRP+ 10 ») pour les denrées alimentaires revendues en l'état au consommateur. Concrètement, un distributeur achetant un produit au tarif d'1 € ne peut le revendre au consommateur à un prix de vente final inférieur à 1,10 €. L'objectif de la mesure était de « contraindre » les distributeurs à réaliser de plus grandes marges sur ces produits 13 ( * ) , afin qu'ils utilisent cette « manne » supplémentaire pour accepter d'acheter, par ailleurs, des produits agricoles à un tarif plus élevé.

Illustration emblématique du « ruissellement » théorique, le SRP+ 10 ne semble avoir que très partiellement atteint son objectif , ainsi qu'un rapport du Sénat l'a démontré en 2019 14 ( * ) : s'il s'est effectivement traduit par une hausse des prix pour les consommateurs finaux, le retour aux agriculteurs semblait inexistant, ce qui implique de s'interroger sur l'usage qui a été fait de ce surcroît de marges, évalué selon les sources à 600 millions d'euros.

Une analyse de l'usage de la manne issue du SRP+ 10 opportunément annoncée
par le Gouvernement en période de forte inflation,
malgré les demandes répétées du Sénat

À cet égard, les membres du groupe de suivi saluent l'annonce par le Gouvernement de lancer des travaux visant à répondre à cette question, mais déplorent qu'elle soit intervenue si tardivement, en pleine période de tensions, alors qu'une telle analyse est non seulement demandée par le Sénat depuis plusieurs années (sans réponse du Gouvernement), mais constitue en outre une obligation légale auquel ce dernier doit se conformer : la loi Egalim 2 l'oblige en effet à remettre au Parlement un rapport sur ce sujet précis d'ici le 1 er octobre 2022.

Le SRP+ 10 semble même avoir eu des effets pervers dans certains cas, y compris pour ceux qu'il était censé protéger. Afin d'éviter que le prix de vente de certains produits d'appel dépasse un seuil psychologique considéré comme important pour les consommateurs (par exemple 1,99€), certains distributeurs ont accentué la pression lors des négociations commerciales pour diminuer le tarif d'achat , de telle sorte que le prix de vente final, même majoré de 10 %, reste inférieur à ce seuil. Dans le cas emblématique de la fraise gariguette, par exemple, le SRP+ 10 s'est traduit par une baisse de 10 % du tarif d'achat aux agriculteurs...

L'expérimentation a toutefois été prolongée jusqu'au 15 avril 2023 15 ( * ) .

Partant du constat que cette mesure ne semble pas efficace, et qu'elle présente de dangereux effets de bord, la loi Egalim 2 a prévu qu'un arrêté du ministre de l'agriculture puisse exclure les fruits et légumes de ce mécanisme, lorsqu'il se traduit notamment par une baisse du revenu du producteur agricole et que la demande est formulée par l'interprofession représentative.

Cet arrêté n'est toujours pas intervenu ; or il semblerait qu'au sein de l'interprofession, ce soit précisément certains acteurs de la grande distribution qui s'opposent le plus fermement à la transmission de cette requête au ministre... alors qu'elle serait de nature à rendre du pouvoir d'achat aux consommateurs et à corriger un effet pervers préjudiciable aux agriculteurs. La Fédération du commerce coopératif et associé (FCA), quant à elle, a indiqué aux rapporteurs son soutien à cette mesure de suppression.

Recommandation : étendre à de nouvelles filières alimentaires la possibilité de demander au ministre d'exclure leurs produits du mécanisme de relèvement de 10 % du seuil de revente à perte, sans que l'unanimité au sein de l'interprofession ne soit requise.

Par ailleurs, transmettre au plus vite au Parlement le bilan de l'expérimentation du SRP+ 10.

b) Privilégier des mesures structurelles à la politique des chèques

Le souhait du Gouvernement de signer divers chèques aux Français n'est pas une solution : ce sont des mesures ponctuelles très onéreuses, des sparadraps sur des jambes de bois , caduques presque aussitôt qu'elles ont été adoptées.

Alors que l'inflation des produits alimentaires devrait augmenter à la rentrée le panier moyen des Français de 30 euros par mois environ (si elle est de 7 %, 45 euros si elle est de 10 %), la solution réside bien plus dans la juste rémunération du travail, et dans les allègements de fiscalité , que dans l'augmentation des dépenses publiques.

Il n'y a que la rétribution du travail qui permette aux consommateurs de faire face durablement à la hausse des prix : celle-ci ne concerne en effet pas que l'alimentaire, qui ne représente d'ailleurs que 15 % environ de leur budget, mais aussi les autres postes de dépenses (logement, énergie, notamment). Par conséquent, un chèque ponctuel ne pallie les effets que d'une petite partie de l'inflation supportée par les ménages .

À noter, du reste, que l'amputation du pouvoir d'achat liée à l'évolution des prix de l'énergie (électricité, chauffage, carburant) est bien plus élevée que celle liée à l'alimentaire.

Le Sénat s'est constamment prononcé en faveur des mesures d'incitation au travail, comme la défiscalisation des heures supplémentaires.

Par ailleurs, cette meilleure rémunération passe également par une baisse durable des charges afin d'augmenter le salaire net des salariés et des indépendants, mais aussi des retraités ( via l'annulation de la hausse de CSG qu'ils subissent depuis quelques années).

Si des mesures ponctuelles devaient toutefois s'avérer nécessaires, elles devraient davantage prendre la forme d'une baisse de la fiscalité (par exemple de la TVA sur la TICPE) que d'une politique du chéquier.


* 1 Insee, Informations rapides, 13 juillet 2022, n° 182 : « En juin 2022, les prix à la consommation augmentent de 0,7 % sur un mois et de 5,8 % sur un an ».

* 2 Dans la suite du rapport, ce chiffre de 5,8 % n'est parfois pas repris tel quel : il s'agit d'effets de périmètres, compte tenu du fait que le chiffrage avancé par certaines fédérations ou associations résulte, lui, d'analyses faites auprès de leurs adhérents.

* 3 https://www.quechoisir.org/actualite-pouvoir-d-achat-mai-2022-hausse-des-prix-dans-tous-les-rayons-n101 180/ .

* 4 Insee, Note de conjoncture, juin 2022 : « Guerre et Prix ».

* 5 Insee, Note de conjoncture, juin 2022 : « Guerre et Prix ».

* 6 https://www.lsa-conso.fr/e-commerce-les-prix-des-produits-non-alimentaires-s-envolent-etude-exclusive,408 416 .

* 7 https://www.olivierdauvers.fr/2022/05/09/linflation-toujours-pas-stabilisee-loin-sen-faut/ .

* 8 Baromètre inflation de l'IRI, citée par LSA : https://www.lsa-conso.fr/l-inflation-alimentaire-frole-les-5-2-en-juin-selon-iri,415 216.

* 9 Eurostat, euroindicateurs, 73/2022, 1 er juillet 2022.

* 10 À noter toutefois qu'Eurostat estime le taux d'inflation français à 6,5 %, et non à 5,8 % comme l'Insee.

* 11 Article 15 de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous. C'est sur le fondement de cet article qu'a été prise l'ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018 relative au relèvement du seuil de revente à perte et à l'encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires.

* 12 Article L. 442-5 du code de commerce.

* 13 La demande pour certains de ces produits, considérés comme des produits d'appel, semble avoir une faible élasticité-prix : la hausse de quelques centimes du prix de vente du pot de Nutella ou de la bouteille de Coca-Cola n'entraînerait pas de baisse de la consommation.

* 14 Rapport d'information de MM. Daniel Gremillet, Michel Raison et Mme Anne-Catherine Loisier, fait au nom de la commission des affaires économiques n° 89 (2019-2020) - 30 octobre 2019.

* 15 Article 125 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique.

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