COMPTES RENDUS DES
AUDITIONS
DES COMMISSIONS
Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de
l'intérieur,
et Mme Amélie
Oudéa-Castéra,
ministre des sports et des jeux olympiques et
paralympiques
M. François-Noël Buffet , président . - Monsieur le ministre, Madame la ministre, chers collègues,
Laurent Lafon, président de la commission de la culture, est retenu hors de cette salle contre sa volonté, mais s'exprimera en visioconférence.
Samedi soir dernier, de graves incidents, qui n'ont heureusement pas fait de blessés graves, se sont produits en marge de la finale de la Ligue des champions, qui opposait, au Stade de France, les équipes de Liverpool et du Real Madrid : la gestion de cet événement a été qualifiée de « scandaleuse », voire de « honte nationale » par un certain nombre de responsables politiques.
C'est donc à la fois pour comprendre ce qui s'est passé, pour démêler les responsabilités des différents intervenants et pour en tirer les enseignements qui s'imposent que nous avons souhaité vous entendre conjointement.
Vous vous êtes tous deux déjà exprimés publiquement, mais les explications fournies font encore l'objet de critiques fortes, notamment de la part de personnes présentes sur les lieux.
Premier point : concernant les causes des incidents, vous avez incriminé, dès samedi soir, je vous cite, « des milliers de supporters britanniques, sans billet ou avec des faux billets », qui auraient « forcé les entrées et, parfois, violenté les stadiers ». Cela est toutefois contesté, notamment par des officiers de la police de Liverpool présents sur place. Nombre d'observateurs ont noté, au contraire, le calme des supporters britanniques, qui aurait contribué à l'absence d'incidents graves. Les services de renseignement de la préfecture avaient-ils mal anticipé l'attitude de ces supporters ?
Vous avez également évoqué tous deux un phénomène massif de faux billets, de l'ordre de 30 000 à 40 000. Depuis lors, l'Union européenne des associations de football (UEFA) a indiqué que seuls 2 800 billets avaient été identifiés comme falsifiés lors du passage des portiques, ce chiffre pouvant d'ailleurs être gonflé par des problèmes techniques. Comment ces fraudes - qui seraient donc bien plus limitées qu'annoncé - auraient-elles pu jouer le rôle déterminant que vous leur prêtez dans les incidents de samedi soir ? Par ailleurs, la presse s'est fait l'écho d'une note de renseignements de la division nationale de lutte contre le hooliganisme vous alertant, dès le mercredi 25 mai, de possibles risques liés à des billets falsifiés et à la présence de nombreux supporters sans billet. Cette alerte a-t-elle été dûment prise en compte ?
Autre point : la gestion du préfiltrage à l'arrivée du RER D, notamment des files en nombre insuffisant et un manque de personnel, alors que le dispositif était fluide à la sortie du RER B, qui était en grève ce jour-là. Il ne s'agissait pas d'une circonstance imprévue : les organisations syndicales de la ligne B avaient fait état, dès le mardi 24 mai, de leur intention de perturber le déroulement de la finale de la Ligue des champions en cessant le travail. Dans ces conditions, comment expliquer que le dispositif n'ait pas été adapté en conséquence, et que les moyens n'aient pas été redéployés à la sortie du RER D, par lequel sont arrivés une majorité de spectateurs ?
D'aucuns ont enfin évoqué l'intrusion de riverains du Stade de France, ainsi que des agressions et des vols de spectateurs à la fin du match, sans que l'on en sache beaucoup plus. Pouvez-vous préciser le nombre d'arrestations, de poursuites et de plaintes liées à cet événement ? Combien de procédures, avec quelles suites ? La plupart des personnes arrêtées auraient été des sans-papiers : est-ce le cas et si oui, comment l'expliquez-vous ?
Deuxième point : la question de la responsabilité des différents intervenants, notamment des services placés sous votre responsabilité, Monsieur le ministre de l'intérieur.
Le rapport que vous a adressé le préfet de police, au soir du 29 mai, exonère la police de toute responsabilité. L'organisation de la Ligue des champions relève certes de la responsabilité de l'UEFA, mais c'est la préfecture de police qui est pointée du doigt, notamment pour son usage qualifié de massif et d'indiscriminé des gaz lacrymogènes, ayant touché des familles, des enfants, des personnes de bonne foi munies de billets valides et qui, pour certaines d'entre elles, n'ont jamais pu entrer dans le Stade de France.
Il est essentiel que vous nous apportiez des explications circonstanciées sur le schéma d'intervention des forces de l'ordre retenu pour cet événement, notamment sur les consignes en matière d'usage des gaz lacrymogènes et la répartition des missions entre les agents de la direction de la sécurité publique et les unités de forces mobiles (UFM). D'après la presse, la doctrine d'usage en la matière pourrait être modifiée en prévision des grands événements sportifs à venir l'année prochaine et l'année suivante. Est-ce le cas ?
Par ailleurs, certains journalistes auraient été contraints de supprimer des images qu'ils avaient prises des événements. Ces faits sont-ils avérés ? Des consignes en ce sens ont-elles effectivement été données aux forces de l'ordre ? Et si tel est le cas, comment les justifier ?
S'agissant de l'intrusion de jeunes riverains et des exactions qu'ils auraient commises à l'issue du match, comment expliquer qu'ils n'aient pas été repérés en amont par les forces de police et que des dispositions particulières n'aient pas été prises pour sécuriser les sorties du Stade de France à la fin du match ?
Enfin, la France a déjà accueilli, par le passé, des manifestations sportives de cette ampleur, sans qu'elles donnent lieu aux débordements dont, malheureusement, le monde entier a été témoin samedi soir. Notre pays accueillera la finale de la coupe du monde de rugby l'année prochaine et les jeux Olympiques l'année d'après. Comment faire pour que ces débordements ne se reproduisent pas ?
M. Laurent Lafon , président . - Je vous prie d'excuser mon absence de cette salle : je suis soumis à l'isolement pour un test positif au covid. Je remercie à mon tour pour leur venue M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur, et Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques - que je félicite pour sa nomination et que notre commission aura l'occasion de recevoir bientôt.
Comme l'a indiqué le président de la commission des lois, la gravité des faits qui se sont déroulés samedi, à proximité immédiate de Paris, dans le futur stade olympique, ne pouvait nous laisser indifférents. Une compétition prestigieuse entachée, des milliers de personnes empêchées d'accéder au stade, certaines molestées, des actes de délinquance en grand nombre. Le Sénat devait remplir son devoir de contrôle à deux ans des jeux Olympiques et Paralympiques à Paris.
Nous avons de nombreuses questions à vous poser, mais l'une d'elles s'impose, à mon sens : ces incidents étaient-ils prévisibles et donc évitables ?
Nous devons comprendre les échanges entre l'État, l'UEFA, le consortium du Stade de France, la RATP et la SNCF. Deux événements ont eu un effet important sur l'organisation du match : la grève sur le RER B, connue depuis plusieurs jours, et la fausse billetterie identifiée par la division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH) dans une note en date du 25 mai, soit trois jours avant la finale.
Le 13 novembre 2021 - il y a donc seulement six mois - le match France - Kazakhstan avait été délocalisé au Parc des Princes, car des travaux étaient programmés sur la ligne B du RER et le risque de saturation des autres moyens de transport avait été considéré comme trop important. La grève de la RATP sur cette ligne a eu des effets similaires. Un report de la finale a-t-il été envisagé et le risque de saturation bien évalué ? À défaut de pouvoir reporter la rencontre, des mesures exceptionnelles auraient-elles pu être envisagées comme la réquisition de conducteurs sur la ligne B, la régulation des flux en amont de la ligne D, à Paris-Nord ou l'organisation de transports alternatifs par bus ? Comment avez-vous essayé de prévenir ce risque prévisible de saturation ?
Concernant l'accès au stade, vous avez indiqué que le club de Liverpool avait demandé l'établissement de billets papier que vous avez jugés aisément falsifiables. Pourquoi ne pas avoir exigé de l'UEFA l'établissement de billets électroniques infalsifiables ? Là encore, le risque était identifié et, pourtant, rien ne semble avoir été fait.
Je laisserai mes collègues vous poser d'autres questions, mais je ne saurais éluder l'inquiétude qu'a suscité chez nombre de sénateurs cet échec de samedi dernier quant à l'organisation des jeux Olympiques à Paris en 2024. Quelles leçons allez-vous en tirer ? Organiser la finale de la C hampions League avait valeur de test. L'originalité revendiquée des Jeux de Paris tient à ce que l'événement se déroule autant dans les rues que dans les stades, avec un immense rassemblement populaire. Je pense, en particulier, à la cérémonie d'ouverture, qui doit rassembler plusieurs centaines de milliers de personnes le long de la Seine. N'est-il pas nécessaire de réfléchir à un format plus raisonnable pour éviter un nouveau fiasco qui entacherait la crédibilité de notre pays ?
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur . - C'est avec le souci de la transparence et un profond respect pour la représentation nationale que nous prenons la parole devant vous. Le Gouvernement n'a rien à cacher et se réjouit de pouvoir expliquer ce qui s'est passé samedi soir. Une fête du sport a été gâchée et nous regrettons des débordements, parfois inacceptables. Pour les fans de football, dont je suis - j'ai été arbitre pendant de longues années -, c'est une blessure dans notre fierté nationale. Avons-nous évité le pire ? Oui. Aurions-nous pu anticiper davantage ? Sans doute.
Je regrette les critiques dont ont été la cible les fonctionnaires de la République qui sont sous ma responsabilité : c'est au ministre de répondre aux parlementaires et aux médias. Seuls les lâches se défaussent sur leurs subordonnés. Ma confiance pour les personnes que j'ai l'honneur de commander depuis deux ans est complète. Comme le disait le président Mitterrand, il n'est point d'honneur sans difficultés.
La finale devait se tenir à Saint-Pétersbourg, mais la situation géopolitique a conduit à ce qu'elle soit organisée dans un autre pays. La France s'est portée candidate pour accueillir cet événement dont la responsabilité relève de l'UEFA et de la Fédération française de football. Il faut habituellement dix-huit mois pour organiser ce type d'événements ; la France l'a fait en trois mois.
Une grève de la RATP a été annoncée quelques jours auparavant, ce qui a déplacé de nombreux spectateurs vers le RER D, où le flux de voyageurs a été trois fois et demie plus important que lors de la finale de la Coupe de France, quelques jours auparavant, pourtant classée plus dangereuse par la division nationale de lutte contre le hooliganisme.
La gare du RER B est pour ainsi dire faite pour acheminer des spectateurs au Stade de France, avec des sorties et un espace plus vastes. Celle du RER D a un cheminement plus étroit, avec un goulet d'étranglement sous l'autoroute, tout particulièrement pour l'accès aux tribunes britanniques, où ont eu lieu les débordements.
Quel était le dispositif de sécurité ? Pas moins de 6 800 policiers et gendarmes et quelques dizaines de pompiers avaient été mobilisés ; c'est l'événement sportif qui a le plus mobilisé d'effectifs depuis que je suis ministre de l'intérieur.
Dix UFM, chacune forte de quatre-vingts policiers des compagnies républicaines de sécurité (CRS) ou gendarmes mobiles, ont été déployées dans le périmètre du Stade de France, à la suite de la note de renseignement qui prévoyait plusieurs centaines de détenteurs de faux billets et de très nombreux supporters anglais venus à Paris sans billet, encouragés par l'entraîneur de Liverpool lui-même.
Deux « fan zones » ont été installées, l'une cours de Vincennes, pour 40 000 supporters anglais, l'autre à Saint-Denis pour ceux du Real Madrid. Aucune des deux, qui ont accueilli jusqu'à 50 000 personnes dès 14 h, n'a connu de débordement majeur.
L'aéroport Charles-de-Gaulle a été sécurisé, une grande majorité de supporters espagnols ayant emprunté des avions affrétés, contrairement aux supporters anglais. Même chose pour les Champs-Élysées, qui servent souvent de lieu de rendez-vous. Des UFM ont également été déployées dans Paris, notamment dans les gares ou les stations Châtelet-les-Halles et Nation.
S'agissant de la Seine-Saint-Denis, Monsieur le
président de la commission des lois, nous avions déployé
326 effectifs de sécurité publique
- à ne pas
confondre avec les presque 6 000 effectifs d'ordre public. Il faut
comparer ces 326 policiers en tenue, en civil ou en brigade
anticriminalité (BAC) aux 164 qui avaient été
déployés pour la finale de la Coupe de France. Pour une
manifestation comptant, en principe, le même nombre de spectateurs, nous
avons doublé les effectifs. Pour répondre clairement à
votre question : il y avait suffisamment d'effectifs de forces de l'ordre
pour cet événement.
Permettez-moi de retracer le déroulé précis de la soirée. À 18 h 45, alors que de nombreux spectateurs arrivaient sans incident, une bagarre éclate sur le barrage de la passerelle de l'Écluse et deux tentatives d'intrusion sont signalées dans un parking de VIP et dans le village de l'UEFA au nord de la « fan zone ». La police intervient très vite et treize individus sont interpellés, en particulier ceux qui avaient tenté de pénétrer sur le parking.
Jusqu'à 18 h 45, les arrivées sont importantes. Par la ligne 13, cela se fait sans difficulté. Mais, entre 19 h et 19 h 45, les pressions deviennent très importantes dans le goulet étroit entre la gare du RER D et l'endroit où a lieu le préfiltrage : la préfecture de police y a dénombré jusqu'à 15 000 personnes.
Le Stade de France a décidé, depuis la dernière finale de la Coupe de France, d'expérimenter le préfiltrage en prévision de la coupe du monde de rugby, en plaçant des stadiers - qui étaient 1 600 en tout contre 1 300 pour ce dernier match - bien en amont. Cela s'était très bien passé la première fois.
Rappelons que ce ne sont pas les services de police qui contrôlent les billets, même si des gendarmes mobiles avaient été placés en appui des stadiers pour ne laisser passer personne sans billet valable.
La Fédération française de football pourrait vous le confirmer, c'est le club de Liverpool qui a demandé que soient vendus des billets papier, alors que tous les billets, avant la finale, étaient des billets électroniques. Sur les 20 000 billets auxquels ils avaient droit, Madrid en a demandé très peu en papier, tandis que Liverpool les a demandés quasi intégralement sous ce format.
Monsieur le ministre de l'intérieur brandit deux billets.
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur . - Voici deux billets papier : l'un vrai, l'autre faux. Les stadiers ont un stylo chimique qui permet de distinguer les deux en raturant un carré situé au verso.
Ce préfiltrage n'a posé de problème que pour les supporters britanniques arrivés par le RER D et se rendant dans les virages qui leur étaient réservés : d'après les équipes de la Fédération française de football et du Stade de France, entre 57 et 70 % des billets étaient faux, souvent à l'insu des personnes les ayant achetés, tant ils sont ressemblants. De nombreux autres n'avaient pas de billet.
Il faut distinguer deux types de fraudes qui ont fait l'objet d'un signalement par le préfet de police au parquet de Bobigny. Certaines personnes ont acheté à la sauvette pour 50 livres de faux billets grossiers qui auraient pu leur permettre - s'il n'y avait pas eu de préfiltrage - de passer les contrôles avant le tourniquet où le QR-code doit être lu. D'autres ont acheté, en toute bonne foi, pour 800 à 1 200 euros, des billets très ressemblants sur des sites frauduleux ou dans des bars où l'on vend des billets officiels. C'est à ces derniers que se rapporte le chiffre de 2 700 donné par l'UEFA.
C'est ce qui explique, avec la grève du RER B, qu'il soit arrivé trois fois plus de personnes par le RER D que d'habitude, et qu'elles se soient massées dans un passage étroit devant les stadiers, qui devaient faire face à ce grand nombre de faux billets. C'est cette accumulation qui a conduit aux débordements.
Côté espagnol, alors qu'il y avait en théorie le même nombre de supporters - 20 000 -, il n'y a eu aucun faux billet et les spectateurs ont pu entrer sans aucun problème.
Lorsque le préfiltrage a été levé pour des raisons d'ordre public, les supporters ont tenté de scanner aux tourniquets 2 889 faux billets. D'après Orange, prestataire de la connectique des contrôles, plusieurs billets ont été dupliqués des centaines de fois - jusqu'à 750 et 744 fois pour deux d'entre eux, avec le même numéro de place. Comme, dans la confusion, des gens sont entrés sans contrôle, il y a eu des témoignages sur les réseaux sociaux de personnes à qui la même place a été attribuée. Je vous transmettrai bien sûr tous les documents que je vous présente ici.
Mais revenons au premier problème : 15 000 personnes qui s'agglutinent, y compris des femmes, des enfants et des personnes à mobilité réduite, dans le passage sous l'autoroute. Le préfet de police prend alors la décision de lever le filtrage pour éviter des écrasements et les bousculades. C'est cette décision qui a permis d'éviter les drames que nous avons déjà connus dans ce genre de situations.
À 19 h 45, soit une heure et quart avant le coup d'envoi, les 15 000 personnes accumulées, plus ceux qui arrivent encore par le RER D, se retrouvent devant le Stade de France et se précipitent vers les barrières. Devant le nombre très important de personnes - 5 à 6 000 - qui poussent les portes d'urgence conçues pour céder à 300 kilos, le préfet de police décide de rapatrier les gendarmes mobiles qui encadraient le préfiltrage et les sorties du RER D de l'autre côté des grilles pour éviter des écrasements, des intrusions et l'envahissement du terrain qui aurait empêché le match de se tenir. C'est ce qui explique la délinquance sur le mail : il n'y a pas ou plus de forces de police présentes.
Ce chiffre de 2 800 faux billets repérés aux tourniquets des trois portes par lesquelles devaient entrer 20 000 supporters anglais, représente plus de 10 % du total - et chacun a vu les images montrant des personnes, dont le billet ne fonctionnait pas, passer au-dessus ou en dessous du tourniquet, et qui ne sont pas comptées.
Sur le mail, les effectifs procèdent alors à des opérations de maintien de l'ordre ; à la fin de la première mi-temps, il n'y a plus de difficultés. À la fin de la seconde, alors que Liverpool a perdu, l'évacuation se passe sans problème. Chacun retourne aux transports dans lesquels se produisent des actes de délinquance, car l'ordre public n'est plus assuré entre le stade et le RER D. Aucun problème dans les « fan zones », sinon, à Nation, où un tenancier de restaurant demande l'intervention de la police contre des supporters avinés qui dévastent son établissement.
Comment arrive-t-on à 30 à 40 000 spectateurs de plus que les 75 000 que peut contenir le Stade de France ? Nous n'avons jamais dit que toutes ces personnes avaient un faux billet, mais que certains n'en avaient pas et que d'autres avaient un faux.
Pour ceux qui ne croient pas la préfecture de police, nous avons d'autres sources. La Fédération française de football a indiqué officiellement que si l'UEFA avait édité 75 000 billets, on avait constaté la présence de 110 000 personnes aux abords du Stade de France : 79 200 personnes ont pris les transports en commun selon la RATP et la SNCF ; 21 000 sont venues en bus affrétés ; 6 000 sont arrivées en taxi ou par des véhicules avec chauffeur, selon les chiffres des diverses compagnies ; 4 100 ont emprunté leur véhicule particulier, d'après le comptage dans les parkings. Cela aboutit, à 5 000 personnes près, à nos chiffres.
Nous regrettons à ce propos de n'avoir pu utiliser les drones pour disposer de meilleures images. D'après nos chiffres, 27 000 personnes ont pris la ligne 13, 37 000 le RER D - ce qui est démesuré par rapport au chiffre habituel -, 6 500 ont pris la partie du RER B gérée par la SNCF à partir de Paris-Nord et 10 500 la partie gérée par la RATP. Cela fait déjà 80 000 personnes ayant pris les transports publics. Si l'on compte les taxis, les VTC, les cars, les bus et les véhicules particuliers, on arrive à un chiffre entre 109 000 et 117 000, soit 34 800 ou 42 800 de plus que les 75 000 que peut contenir le Stade de France.
Soit ils sont entrés de manière surnuméraire, soit ils ont été expulsés, soit ils ont été bloqués au préfiltrage. Ceux qui n'ont pas réussi à entrer dans le stade ont dû s'en éloigner rapidement, car la 4G n'y fonctionne pas très bien et il leur était ainsi difficile de suivre le match depuis leur téléphone portable.
Certains se demandent ce que sont devenues ces 35 000 personnes en plus. Eh bien, la SNCF indique que, dès 22 h 52, soit peu après la fin de la mi-temps, de nombreux supporters reprennent les transports, et notamment le RER D. En effet, le coup d'envoi a été décalé, et le déroulement du match aussi jusqu'à la fin du match. Cela a d'ailleurs été une prouesse pour les deux entreprises de transports publics de parvenir à adapter les circulations de trains aux horaires changeants de la soirée.
Dès 22 h 45 - ou 22 h 52 d'après la SNCF -, selon des images de vidéoprotection que je ne peux vous fournir pour des raisons de protection des libertés, mais que vous pourrez sans doute vous procurer, les quais du RER, notamment de la station La Plaine-Stade de France, étaient pleins de maillots rouges.
Malheureusement, la SNCF a dû faire venir très rapidement des trains qui, dès 22 h 52, repartaient à Paris dans des conditions très différentes de celles d'un match normal - en général, tout le monde attend la fin du match pour partir...
Je ferai un comparatif avec la finale de la Coupe de France, organisée quelques jours auparavant, plus dangereuse a priori que la finale de la Champions League selon la division nationale de lutte contre le hooliganisme. Sans faire injure aux sénateurs des départements concernés, chacun sait que certains clubs de supporters des deux clubs de football qui se sont opposés en finale de la Coupe de France posent des problèmes très importants. Nous avions mis l'accent sur l'ordre public et très peu d'incidents se sont déroulés, alors qu'il y avait plus de billets vendus que pour la finale de la Champions League .
Pour la finale de la Coupe de France, il y avait 162 policiers de sécurité publique contre 326 pour la finale de la Champions League et 810 membres des forces de l'ordre chargés de l'ordre public pour la première, contre 1 170 pour la seconde. Lors de la finale de la Coupe de France, il y a eu zéro agression contre les forces de l'ordre, contre dix lors de la finale de la Champions League , et zéro stadier blessé contre dix, dont un très gravement. Trois plaintes ont été déposées à l'occasion de la première contre trente-cinq lors de la seconde. On a dénombré vingt et une interpellations lors de la première, contre quatre-vingt-une lors de la seconde, dont vingt-neuf aux abords immédiats du Stade de France. La moitié de ces personnes, dont certaines ont été interpellées pour avoir sauté par-dessus les grilles, étaient des citoyens britanniques. On en dénombre aussi parmi les cinquante-deux personnes interpellées hors du stade, notamment sur un parking. Sur quatre-vingt-une interpellations, on recense vingt-cinq étrangers hors Union européenne. Sur Paris et la Seine-Saint-Denis, cent-cinq interpellations ont été réalisées, conduisant à soixante-treize gardes à vue. Je veux rappeler ici que le ministre de l'Intérieur ne décide pas des poursuites judiciaires.
Que pouvons-nous faire immédiatement, notamment vis-à-vis des personnes flouées et de ceux qui, citoyens britanniques ou espagnols, n'ont pu déposer plainte ? Je proposerai qu'à partir de lundi, ils puissent le faire dans leur pays. Je dépêcherai des policiers français à Madrid et, je l'espère, à Liverpool, sinon à Londres, et nous proposerons une plateforme informatique en espagnol et en anglais, ainsi que des lettres de plainte déjà rédigées dans ces langues, pour pouvoir répondre à chacune des plaintes. Monsieur le président de la commission des lois, nous vous communiquerons les résultats des dépôts de plainte.
Le parquet de Bobigny s'est saisi des faits de faux billets, édités de manière massive et industrielle, je le maintiens. Je constate à ce propos que l'UEFA diligente elle-même une enquête sur ce sujet. D'autres pays ont tout loisir de mener également des enquêtes. Je n'en ai pas connaissance, mais nous serions au rendez-vous de la coopération si tel était le cas.
Évidemment, nous tirerons des leçons pour l'avenir - la ministre des sports y reviendra.
Pour ce qui relève de l'ordre public, qu'avons-nous mal fait ? Nous avons sans doute sous-estimé le nombre de policiers ou l'action de sécurité publique. Nous n'avions pas prévu que la situation dégénérerait et qu'il faudrait lever les barrages d'ordre public, ce qui livrait une partie de l'espace entre le RER D et le Stade de France, comptant peu de policiers, à un certain nombre de personnes qui, profitant de la confusion, ont commis des violences. Il faut prévoir beaucoup plus de policiers de sécurité publique. Chacun voit qu'un policier d'ordre public casqué et équipé n'est pas là pour intervenir contre des actes de délinquance. Certains l'ont fait, et je les en remercie, mais ce n'est pas leur travail ni la réglementation. Nous tirerons toutes les conclusions nécessaires pour le match France-Danemark, pour lequel la quasi-intégralité des billets sont électroniques, ainsi que pour les matchs et autres compétitions futurs.
La ville de Saint-Denis et la préfecture de police de Paris doivent disposer de caméras de vidéoprotection sur l'ensemble du RER D menant au Stade de France. Actuellement, ce sont surtout la ligne 13 du métro et le RER B qui sont vidéosurveillés. Dont acte. Je mettrai des moyens dès le mois prochain pour équiper l'ensemble de cet axe.
Nous devons aussi anticiper les afflux très importants et non prévus, qu'il s'agisse d'un attentat, d'une panne ou d'un incendie, en prévoyant un dispositif d'urgence particulier contre l'insécurité publique.
Concernant l'ordre public, soyons clairs : les décisions prises ont sauvé des vies. Il y a eu des gestes inappropriés et disproportionnés d'un certain nombre de policiers ou de gendarmes mobiles. Deux signalements ont été faits à l'Inspection générale de la police nationale (IGPN). J'ai évidemment donné instruction à celle-ci de les étudier. Les Espagnols et les Anglais pourront également saisir l'IGPN. J'ai personnellement constaté deux utilisations de gaz lacrymogène contraires aux règles d'emploi et j'ai demandé des sanctions au préfet de police vis-à-vis des responsables des forces de l'ordre concernés.
Cependant, alors que plus d'une dizaine de milliers de personnes se pressaient, même s'il y avait parmi elles des spectateurs se rendant au stade « en bon père ou en bonne mère de famille », pour éviter un écrasement, les policiers et les gendarmes, dans l'urgence et sur ordre de leur hiérarchie, ont utilisé des moyens de dispersion. Ces moyens étaient-ils adéquats ? Manifestement, l'expérience montre qu'ils méritent d'être très largement revus. J'ai donc demandé dès maintenant l'étude de règles d'emploi différentes - le préfet Cadot y travaille par ailleurs. Les CRS et les gendarmes mobiles n'avaient pas d'autres moyens de disperser la foule, sinon des grenades anti-rassemblement et des lanceurs de balles de défense (LBD), ce qui n'était pas du tout proportionné.
Le gaz lacrymogène a permis de sauver un certain nombre de personnes de l'écrasement. Il a aussi causé de gros dégâts, notamment sur des enfants. J'ai vu les images, comme vous. Je voudrais présenter très sincèrement mes excuses pour cette utilisation disproportionnée. Des sanctions seront prises. Je vous les communiquerai, si vous le souhaitez, monsieur le président de la commission des lois. Je tiens à votre disposition l'ensemble des documents et répondrai à toutes vos questions.
Je précise que la note de la DNLH n'envisageait pas de milliers de faux billets. Elle prévoyait tout d'abord que des personnes tenteraient de pénétrer par ruse dans l'enceinte sportive en utilisant par exemple des uniformes de stewards, du personnel de l'UEFA, du personnel médical ou des agents de nettoyage. Ce n'est, fort heureusement, pas arrivé, mais nous nous y étions préparés. Elle prévoyait ensuite que, comme cela avait pu être constaté lors des précédentes finales jouées par le club de Liverpool - je rappelle que nous n'avons eu aucun problème avec les supporters madrilènes ou d'autres - plusieurs centaines de supporters anglais - et non plusieurs milliers - tenteraient de pénétrer dans le stade en forçant les tourniquets et les différentes portes d'accès. En réponse, nous avions prévu la « fan zone » et le surnombre de policiers d'ordre public.
Je vous dois la vérité : il y a eu un dysfonctionnement puisque cette note de la DNLH n'a pas été transmise à la préfecture de police, contrairement à ce qui se fait lors des autres matchs. Je multiplie les réunions pour savoir ce qui s'est effectivement passé. C'est un dysfonctionnement du ministère, même si cela n'aurait pas changé grand-chose puisqu'il n'avait pas été prévu des milliers de personnes. Toutefois, il est évident que le préfet de police, qui est garant de l'ordre public à Paris et en petite couronne, aurait dû connaître cette note.
M. François-Noël Buffet , président . - Merci, monsieur le ministre.
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques . - Je suis honorée d'être devant vous aujourd'hui, pour la première fois devant le Parlement, en ma qualité de ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques, même si j'aurais aimé que cela se produise dans des circonstances plus positives. Ma démarche, avec le ministre de l'intérieur, est celle d'une transparence la plus complète possible.
Je commencerai par exprimer à nouveau nos regrets vis-à-vis des personnes dont la soirée a été gâchée samedi, et des 2 700 supporters de Liverpool qui avaient acheté des tickets valides et qui ont été privés de ce beau match.
Je m'inscris dans une démarche de responsabilité. C'est pourquoi, dès lundi matin, j'ai réuni l'ensemble des parties prenantes pour analyser les incidents, établir les responsabilités de chacun et tirer les enseignements qui s'imposent : l'UEFA, en tant qu'organisateur de cette compétition, la Fédération française de football, qui détenait certains pans de responsabilité en délégation de l'UEFA, le consortium Stade de France, gestionnaire de l'enceinte, et, du côté de l'État, la préfecture de police, la préfecture de Seine-Saint-Denis, la DNLH et la mairie de Saint-Denis, collectivité hôte du match. Je retiens de cette réunion de retour d'expérience et d'analyse une convergence de vues et d'interprétation sur ce qui s'est passé. Certes, nous avions tous des points d'observation différents, complémentaires, mais nous nous sommes assurés que rien n'était incohérent. Comme souvent dans pareille affaire, il y a eu une forme de conjonction de circonstances, de faits, quelque chose qui a entraîné un processus dynamique et exponentiel, chaque pas franchi amplifiant les difficultés rencontrées de manière croissante, pour reprendre les mots des responsables du Stade de France. Je retiens aussi de cette réunion la cause racine : la proportion extrêmement élevée de faux billets, peut-être inédite et difficilement prévisible.
La DNLH, dont je n'ai pas non plus reçu la note en amont, prévoyait qu'environ 50 000 supporters anglais seraient présents dans la capitale sans être détenteurs de billets. Trois formes de difficultés étaient mentionnées : la première était la possession de faux billets. La deuxième était la tentative de pénétrer par ruse dans l'enceinte sportive, en utilisant par exemple des uniformes de stewards, de personnel de l'UEFA, de personnel médical ou d'agents de nettoyage. Notons que cela n'a pas été constaté. La troisième était le risque de voir plusieurs centaines de supporters anglais tenter de forcer les tourniquets et les différentes portes d'accès. La proportion très forte de faux billets n'était pas mentionnée.
La finale a été organisée en trois mois et l'identité des finalistes n'a été connue que le 4 mai. Or les supporters de Liverpool ont une spécificité très forte. Le temps d'adaptation à leurs techniques, aux risques spécifiques qu'ils présentent, était malheureusement très compté.
Le ministre de l'intérieur ayant été formidablement exhaustif, je ne reviendrai pas sur tous les éléments. Mais l'un d'eux est capital : la perception d'une incohérence entre ces 30 000 à 40 000 supporters sans billet ou munis de faux billets et les 2 800 faux billets scannés aux ultimes portes de contrôle signalés par l'UEFA. Nous avons essayé de décortiquer au mieux cette arithmétique. Les enquêtes du parquet de Bobigny et de l'UEFA nous donneront des éléments plus précis. Toutefois, je voudrais partager avec vous non une incohérence, mais au contraire une cohérence, en sept points.
Premier point : les 30 000 à 40 000 supporters évoqués étaient soit sans billet soit munis de faux billets, la proportion de chacun de ces deux groupes étant difficile à établir. Les supporters sans billet ont été largement tenus à l'écart de la première zone de filtrage. Les données d'affluence dans les transports en commun montrent bien un volume très important de retour de ces supporters avant même la fin du match. Ce premier ensemble de supporters sans billet était vraisemblablement important.
Deuxième point : la première zone de filtrage a rempli son objectif de rejet d'un certain nombre de détenteurs de faux billets, grâce aux stylos chimiques. L'ensemble des témoignages sont concordants : on a recensé entre 55 et 70 % de faux billets dans cette première zone de filtrage. Au début, l'UEFA, alertée par les stadiers, eux-mêmes surpris, ne croyait pas à ces statistiques et s'est demandée si les stylos chimiques n'étaient pas défectueux. Ils en ont même apporté d'autres aux stadiers.
Troisième point : seules les premières zones de filtrage aux portes X, Y et Z ont été relâchées. Aux autres portes, elles ont continué d'agir. D'ailleurs, les données de la Fédération française de football montrent que 33 % des faux billets détectés relèvent d'autres portes. Cette première zone de filtrage a donc continué à fonctionner tout au long de la période de contrôle sur une partie significative du stade. La zone de filtrage des portes X, Y et Z n'a été relâchée que de 19 h 39 à 19 h 54, puis rétablie jusqu'à ce que, vers 21 h, les stadiers quittent progressivement leur poste.
Quatrième point : après cette première zone de filtrage, les forces positionnées près des portes X, Y et Z ont pu écarter à leur tour un certain nombre d'individus sans titre d'accès valide.
Cinquième point : devant les tripodes, les agents de sécurité vérifient de nouveau les billets de manière visuelle, ce qui leur permet d'écarter les fraudes les plus évidentes, et ils vérifient l'exactitude de la porte d'entrée.
Sixième point : les 2 800 billets irréguliers scannés ont été repérés après ces cinq étapes.
Enfin, septième point : le Stade de France a établi que, malgré ces six étapes progressives, quelques centaines de spectateurs sans billet ou sans billet valide ont réussi à pénétrer dans l'enceinte du stade.
Ces étapes successives établissent en réalité une cohérence forte entre les 30 000 à 40 000 supporters évoqués au début et les chiffres des tripodes fournis par Orange à l'UEFA. C'est un élément important de la confiance en notre analyse.
Je m'inscris dans une démarche de responsabilité tournée vers l'avenir. Nous avons pris quatre décisions majeures : la première a été de réclamer une compensation pour les 2 700 supporters de Liverpool qui n'ont pu assister à ce match alors que leurs billets étaient valides. Nous avons demandé que cette compensation soit rapide et individualisée.
La deuxième a été de demander à l'UEFA une enquête très approfondie sur l'ensemble des failles constatées et notamment sur le point très sensible de la billetterie. L'enjeu est de comprendre comment cette fraude a pu être possible dans de tels volumes, avec quelles mécaniques et quelles complicités.
La troisième a été de demander au préfet Cadot, délégué interministériel aux grands événements sportifs (Diges), de rassembler de la manière la plus exhaustive possible les analyses de toutes les parties prenantes, dans un rapport public qui vous sera transmis, messieurs les présidents.
La quatrième, avec Gérald Darmanin, a été de renforcer le pilotage des grands événements, notamment à risques.
Nous allons devoir nous améliorer dans cinq directions. Premièrement, dans la gestion des flux, au sortir des transports publics, a fortiori lors de grèves, avec une capacité renouvelée à gérer des plans de secours, des itinéraires de délestage, des replis bien coordonnés. Nous devrons améliorer le barriérage au Stade de France, mieux l'adapter à la pression des spectateurs, optimiser la gestion de la zone de premier filtrage avec des aménagements matériels et des moyens humains bien calibrés, une juste répartition des responsabilités entre agents de sécurité et forces de l'ordre, et sans doute la piétonisation de certaines voies d'accès pour éviter les croisements de flux antagonistes entre piétons et véhicules, qui créent une dangerosité particulière.
Deuxièmement, nous devons améliorer la communication et la signalétique, avec une meilleure information des voyageurs, tout particulièrement des supporters, dans les transports en commun.
Troisièmement, en matière de sécurité, nous devons nous interroger sur les conséquences concrètes pour les forces de l'ordre du contrôle d'un dispositif parfois très vaste, avec un enjeu majeur de coordination entre nos forces de sécurité intérieure et les agents de sécurité privée, mais aussi avec une attention particulière sur la filière des agents de sécurité privée. Ce sont des métiers en tension qui exigent une formation de qualité et qui seront cruciaux pour nos prochains événements.
Quatrièmement, nous devrons mieux anticiper la lutte contre la délinquance pour garantir la sécurisation générale de nos grands événements.
Cinquièmement, nous devons améliorer la billetterie avec une utilisation plus systématique de la billetterie électronique, en travaillant sur la blockchain et la cybersécurité, et en renforçant nos techniques de prévention de la fraude. Ce n'est pas spécifique à la France et une coopération européenne ou internationale sera nécessaire en matière de renseignements.
Je partage avec vous ces pistes de travail et ces premiers enseignements, sur lesquels le préfet Cadot reviendra. Mais il ne faut jamais oublier que notre pays a une longue tradition de réception de grands événements. La Ryder Cup, en 2018, avait réuni 270 000 spectateurs de 90 nationalités. Le championnat masculin de handball de 2017 a réuni 540 000 personnes. Le championnat féminin de handball s'est également tenu sans difficulté. La Coupe du monde féminine de football en 2019 a rassemblé 1,2 million de spectateurs ; Roland-Garros, en ce moment, accueille 40 000 spectateurs au quotidien.
Je veux souligner la qualité de la gouvernance, avec la délégation interministérielle aux grands événements sportifs, la délégation interministérielle aux jeux Olympiques et Paralympiques (Dijop), l'instance de coordination nationale pour la sécurité des jeux et de la Coupe du monde de 2023, avec le préfet Ziad Khoury et l'ensemble de ces personnes extraordinairement mobilisées pour travailler sur toute la sûreté qui concourra à la bonne organisation de nos événements.
En conclusion, nous tirerons toutes les leçons. C'est peut-être la sportive en moi qui parle : ces événements nous poussent à progresser, à nous remettre en question là où c'est nécessaire et à réunir toutes les conditions pour faire de nos grands événements des succès sportifs mais aussi les fêtes populaires que les Français sont en droit d'attendre.
Mes pensées vont aussi aux Britanniques. Je réitère mes regrets vis-à-vis des supporters privés de match et je les appelle à la compréhension des difficultés que nous avons rencontrées. Dans son rapport sur les événements de la finale de l'Euro en juillet 2021 entre l'Italie et l'Angleterre, la baronne Louise Casey parle d'un échec collectif à anticiper les risques, de 17 brèches dans le dispositif de sécurité, d'une période de confusion allant d'une heure et demie avant le coup d'envoi jusqu'aux tirs au but, de concentration de foule, de chute de barrières. Elle évoque des attaques d'une violence sans précédent contre les policiers et les stewards. Souvenons-nous de tout cela.
J'ai bien entendu été sensible à l'appel du club de Liverpool. Nous avons besoin de comprendre le trafic et la désorganisation, qui a peut-être tranché avec l'encadrement du Real Madrid vis-à-vis de ses supporters. Cela ne retire rien au fait que Liverpool est un grand club avec un grand coach et de grands joueurs.
Soyez persuadés de notre mobilisation la plus totale pour faire du match France-Danemark de vendredi soir une bien meilleure expérience.
M. Michel Savin . - Je tiens tout d'abord à remercier les présidents Lafon et Buffet pour l'organisation rapide de cette audition.
Les images vues par 400 millions de téléspectateurs sont catastrophiques et incompréhensibles.
Je ne reviendrai pas sur les faits. Monsieur le ministre, je voudrais évoquer votre communication : dès le samedi soir, depuis le PC de sécurité du stade, vous avez rapidement tweeté que les incidents ayant entaché cette finale étaient uniquement de la faute des milliers de spectateurs anglais sans billet ou avec de faux billets. Vous avez par la suite affirmé que 30 000 à 40 000 spectateurs anglais sans billet ou avec de faux billets étaient massés devant le stade. S'y ajoutent logiquement les 10 000 supporters de Liverpool munis de vrais billets mais qui, à 21 h, n'étaient pas encore entrés dans le stade. Si l'on se base sur ces affirmations, cela signifie qu'entre 20 h et 21 h, entre 40 000 et 50 000 supporters anglais, soit plus de la moitié de la capacité totale du stade, étaient devant l'équipement sportif. Le problème, Monsieur le ministre, c'est que cette foule immense, personne ne l'a vue ! Ce chiffre de 30 000 à 40 000, c'est le vôtre. Pas une image, pas un témoignage de policier ou de journaliste ne corroborent votre étrange récit. La SNCF a fait savoir publiquement dans la presse qu'aucun flux particulier ou plus important que d'habitude n'avait été enregistré dans l'autre sens, après le début du match. Où sont donc passés tous ces gens ? Comme vous le demande le Président de la République, et par souci de transparence et de crédibilité de la parole gouvernementale, Monsieur le ministre, détaillez les sources officielles vous permettant de formuler de telles affirmations. Transmettez-nous rapidement l'intégralité des documents officiels.
De multiples dysfonctionnements ont conduit à ce fiasco en mondovision : grève du RER B mal anticipée, problèmes de pilotage du filtrage, ratés dans le contrôle des billets... Ces dysfonctionnements appellent des réponses rapides.
À aucun moment dans votre conférence de presse de lundi, monsieur le ministre, vous n'avez évoqué les 300 à 400 jeunes qui ont tenté, certains y sont parvenus, de pénétrer sans contrôle dans le stade en débordant les stadiers. Ces bandes ont ensuite agressé et détroussé les spectateurs à la chaîne, avec une violence inouïe parfaitement décrite dans la presse internationale et visible sur quantité de vidéos. Les méfaits de ces bandes de jeunes ont-ils eu un effet sur le chaos de cette soirée ? Votre stratégie de communication ciblée quasi uniquement sur les supporters anglais a-t-elle pour objectif d'éviter d'évoquer ces actes de délinquance ?
Enfin, vous avez souligné que la France avait eu seulement trois mois pour organiser cet événement majeur qui, d'ordinaire, exige douze mois de préparation. Ces contraintes étaient connues quand le président Macron est intervenu personnellement auprès de l'UEFA pour accueillir ce match qui devait avoir lieu à Saint-Pétersbourg. Monsieur le ministre, avez-vous été consulté par le Président de la République pour l'organisation de cette finale en France ?
M. Jérôme Durain . - Merci pour la quantité d'informations transmises. On a bien compris ce qui s'est passé. Cherchons maintenant à comprendre pourquoi cela s'est passé. Se sont conjuguées beaucoup d'impréparation et d'improvisation. On assiste à un festival de défausses assez peu fair-play sur les supporters, le club anglais, les grévistes, les détenteurs de faux billets, alors que c'est nous qui avons marqué un but contre notre camp puisque l'essentiel des défaillances sont de coordination, de filtrage, de gestion des flux, de note non lue ou non transmise. En voulant organiser à la hâte cette manifestation, nous avons sans doute eu les yeux plus gros que le ventre.
N'y a-t-il pas un problème de conception dans notre maintien de l'ordre public ? Ce n'est pas nouveau : après les gilets jaunes, on pensait que des leçons avaient été tirées. Manifestement, non ! Le préfet de police a-t-il dépêché les bonnes unités sur place ? Pourquoi la fameuse note de la DNLH n'a-t-elle jamais été lue ? La délégation interministérielle aux grands événements sportifs et la préfecture de police se parlent-elles ?
Quelle a été la coordination opérationnelle entre les flux issus des RER D et B ? Pourquoi n'y a-t-il pas eu de réorientation plus tôt ? Pourquoi n'est-on pas intervenu contre les délinquants qui dépouillaient les supporters ?
Est-il vrai que le dispositif de sécurité et d'accès au stade était expérimental ? Est-on sur une nouvelle organisation ? J'en veux pour preuve la publication d'un arrêté préfectoral qui permet de fermer les commerces, ce qui n'avait jamais été le cas jusqu'à présent. A-t-on testé à la hâte, sans préparation, un nouveau dispositif pour un événement aussi important ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio . - Grâce à ce que tout le monde appelle « le fiasco de samedi soir », le monde entier a pu découvrir que la Seine-Saint-Denis n'était pas la Californie sans la mer, contrairement à ce que disait le Président de la République récemment. Je ne me réjouis pas de ces images qui, à travers le monde, ont détérioré la réputation de la France.
Le Stade de France a ouvert fin 1998. La France a changé depuis. Lorsque le Président de la République a proposé que la France accueille la finale de la Ligue des champions dans les délais que l'on sait, pourquoi, Monsieur le ministre, n'a-t-on pas créé un comité de pilotage réunissant tous les acteurs concernés par cette manifestation ? Je vous ai beaucoup écouté. Vos propos ont beaucoup choqué. Pourquoi un tel déni de ce qui s'est réellement passé ? Pourquoi ne pas dénoncer la réalité et présenter des excuses aux Espagnols et aux Anglais ?
Avez-vous renoncé à restaurer l'ordre public partout dans notre pays ?
M. Jean-Jacques Lozach . - Nous sommes là pour comprendre ce qui s'est passé samedi soir et savoir qui est responsable de quoi. Il y a eu des dysfonctionnements, des débordements, de l'imprévoyance, surtout quand on prend connaissance a posteriori de la note de la DNLH du 25 mai. On a très peu évoqué l'information défaillante des personnes concernées.
Monsieur le ministre, avez-vous la certitude que le Gouvernement s'est donné tous les moyens, notamment humains, pour que la soirée se déroule comme une fête paisible tout en respectant le cahier des charges imposé par l'UEFA, en lien avec la Fédération française de football ? L'image du pays se trouve ternie par cet événement.
L'estimation des 30 000 à 40 000 personnes sans billet ou avec des billets frauduleux a mis le feu aux poudres. Quand on fait le lien avec l'absence de toute garde à vue pour intrusion ou faux billet par le parquet de Bobigny, on est dubitatif.
En songeant aux grands événements sportifs internationaux (GESI) à venir, ne tombons pas dans les amalgames. Il est évident que la sécurité de la finale de la Ligue des champions entre le Real Madrid et Liverpool n'a rien à voir avec celle des épreuves olympiques de canoé-kayak ou de tir à l'arc ! Néanmoins, il faut tirer les enseignements de ce qui s'est passé. Envisagez-vous de réformer globalement la doctrine française de stratégie sécuritaire pour ce type d'événements, afin de sortir d'une image de tout-répressif ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - J'aurai deux questions, et autant de demandes.
Monsieur le ministre, quid de la coordination qui a été mise en place en amont de la rencontre entre les différents services concernés, consortium du Stade de France, RATP, FFF, etc. ? Les comptes rendus des réunions préparatoires sont-ils disponibles ? L'épisode de la « note fantôme » montre que le travail collectif s'est avéré difficile...
Par ailleurs, après vous avoir écouté longuement, nous ne savons toujours pas où sont passées les 30 000 personnes qui sont censées avoir causé cette situation. Vous avez malicieusement regretté de n'avoir pas eu de drones à votre disposition ; mais vous aviez des caméras de vidéosurveillance et un hélicoptère survolait la zone. Il doit être possible d'avoir connaissance des images qui ont été filmées...
Les Français ont l'impression que vous leur racontez des « carabistouilles ». Montrez ces images et nous pourrons voir précisément quels furent les flux de personnes ce soir-là. Je rappelle que la fan zone anglaise était pleine : 40 000 Anglais étaient donc dans le XII e arrondissement ! Ils ne pouvaient être à la fois sur le cours de Vincennes et autour du Stade de France.
M. Claude Kern . - J'irai à l'essentiel : ce qui m'intéresse, c'est l'avenir. À l'aune des événements catastrophiques de samedi soir, ce qui m'inquiète, en tant que corapporteur, avec David Assouline, de la mission d'information relative à la préparation des jeux OIympiques et Paralympiques de 2024, c'est la question de la sécurité. Il va falloir assurer la sécurité des sportifs, des organisateurs, des officiels, des personnalités, des journalistes, de supporters en très grand nombre, et cela sur différents sites à la fois, sans parler de la cérémonie d'ouverture. La situation sera donc autrement plus complexe à traiter.
Je suppose que cette question a été évoquée avec le comité d'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 (Cojop) et avec le Comité international olympique (CIO). J'espère qu'elle le sera à nouveau.
Envisagez-vous une nouvelle procédure ? Quels seront les acteurs associés à cette réflexion ?
M. David Assouline . - La France est un grand pays d'accueil d'événements sportifs. Il nous revient à nous aussi de défendre cette image et ce savoir-faire. En 2016, nous avons organisé le championnat d'Europe de football : c'est comparable, puisqu'il s'agit du même sport, à ceci près qu'il s'était agi d'accueillir beaucoup plus de monde et sur une période beaucoup plus longue... De surcroît, nous vivions à l'époque une vague d'attentats terroristes. Or, à l'exception des événements survenus à Marseille, l'organisation fut parfaite - j'ajoute que les acteurs impliqués étaient à peu près les mêmes qu'aujourd'hui, l'UEFA notamment.
Le savoir-faire de nos fonctionnaires et de tous ceux qui contribuent d'une façon ou d'une autre au bon déroulement de ce genre d'événements - je pense aussi aux personnels hôteliers ou aux éboueurs - n'est pas en cause. La question qui se pose est bien plutôt une question de pilotage conjoncturel d'un événement dont la nature ne diffère pas de celle d'autres événements que, par le passé, nous avons su organiser. Cette fois, ça n'a pas marché.
J'en viens donc à la question qu'a posée M. Durain, celle de la doctrine de maintien de l'ordre. La gestion d'un tel événement ne relève pas seulement du maintien de l'ordre : il s'agit d'accueillir des familles et des gens qui viennent pour faire la fête. N'y a-t-il pas eu, au coeur de la façon dont vous avez appréhendé l'événement, une identification implicite des supporters de Liverpool à des hooligans ? Si tel est le cas, vous ne vous êtes pas mis en position de gérer des masses populaires venues faire la fête. Dès que des pressions ont eu lieu, la réaction a été celle qui prévaut face à des délinquants ou à des hooligans , et qui a prévalu ces dernières années lors de nombreuses manifestations revendicatives encadrées par la préfecture de police de Paris.
Vous avez promis la transparence la plus totale : pourriez-vous nous donner une idée précise des consignes adressées avant l'événement aux forces de l'ordre, et des ordres donnés au moment où des tensions sont apparues ? Je pense notamment à l'usage de gaz lacrymogènes : vous tenterez peut-être de nous convaincre qu'il s'est agi d'une initiative isolée et qu'aucun ordre ne fut donné en ce sens ; ce serait un peu fort de café !
Il eût fallu considérer qu'il s'agissait d'abord et avant tout d'une manifestation sportive, festive et populaire !
M. Jean-Raymond Hugonet . - Madame la ministre, vous auriez sans doute préféré un autre baptême du feu ; je suis malgré tout heureux de vous recevoir ce soir pour la première fois et de constater que le sport a enfin un ministère de plein exercice, après avoir été traité comme la dernière roue du carrosse ces dernières années.
Pour assurer la sécurité, il faut avant tout tenir le terrain. Or, samedi soir, personne n'a tenu le terrain, sinon le milieu magique du Real Madrid. Clairement, la responsabilité de la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC) est engagée ; en tout cas, cette question exige des éclaircissements.
Qui était le patron opérationnel de ce dispositif ? Je rappelle qu'en 2006 s'est déroulée à Paris, devant 79 500 personnes, une finale de Champions League opposant déjà un club anglais, défait comme cette année, à un club espagnol. Nous savons faire ! C'est donc clairement un problème d'organisation. Pouvez-vous détailler devant nous les modalités d'organisation de l'événement et la nature des rapports entre DOPC, UEFA et stadiers ?
M. Olivier Paccaud . - M. le ministre de l'intérieur n'étant pas ministre des affaires étrangères, on comprend mieux le caractère peu diplomatique des propos qu'il a tenus à l'endroit de nos amis britanniques ; le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il n'a pas travaillé à l' « entente cordiale »...
Monsieur le ministre, vous avez insisté sur le fait qu'il était difficile d'organiser ce type de rencontre en trois mois. Avons-nous eu les yeux plus gros que le ventre ? Fallait-il faire ce « test » ?
Votre démonstration a reposé pour moitié, ou presque, sur la question du préfiltrage. Les lacunes semblent s'être concentrées à ce niveau. Dans l'ancien monde, le préfiltrage consistait en une multitude de petits points de contrôle. Mme la ministre a indiqué qu'il fallait peut-être mieux baliser, réorienter ; elle a parlé d' « itinéraires de secours ». Mais tout cela existait auparavant.
Visiblement, un changement a eu lieu du jour au lendemain : on a voulu tester quelque chose de nouveau. Était-ce bien adapté ?
Concernant le dispositif policier, monsieur le ministre, vous avez esquissé un mea culpa . Les effectifs étaient suffisants pour du maintien de l'ordre, avez-vous dit, mais pas pour de la lutte contre la criminalité. Vous avez donné un chiffre : 326 hommes ; c'était d'autant moins suffisant que certains autres chiffres posent question. Quid des fameux 40 000 ? Si l'on fait l'addition de tous les chiffres que vous avez donnés, on tombe sur un total de 90 000 à 100 000 Anglais sur le sol français. Ce chiffre était forcément connu la veille, voire l'avant-veille !
De deux choses l'une : soit il y avait bien 100 000 Anglais à Paris, dont un grand nombre sans billet, et c'est l'adaptation à cette situation connue qui a fait défaut ; soit il n'y avait pas 100 000 Anglais, mais bien moins, et tout simplement nous n'étions pas prêts.
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur . - Je commencerai par deux petits rectificatifs.
Premièrement, c'est la FFF et l'UEFA qui organisaient le préfiltrage, et non le consortium du Stade de France, qui n'est en aucun cas responsable, contrairement à ce que j'ai dit rapidement par abus de langage - je m'en excuse. Deuxièmement, la DNLH a bien envoyé sa note à la préfecture de police, le 25 mai à 16 h 41 - j'ai reçu cette information pendant notre audition. Cela dit, le contenu de cette note n'aurait rien changé au déroulé des événements.
Un mot sur la communication et sur le tweet que j'ai publié le soir même. Sans aller jusqu'à authentifier ce tweet sous forme de NFT, je rappellerai ce que j'ai écrit depuis le PC sécurité du Stade de France : « Des milliers de “supporters” britanniques, sans billet ou avec des faux billets, ont forcé les entrées et, parfois, violenté les stadiers ». C'est exactement ce qui s'est passé. J'ai bien dit « des milliers de supporters », pas « des dizaines de milliers ».
Par la suite, d'autres informations sont arrivées à notre connaissance. Madame de La Gontrie, on peut discuter à l'envi de l'utilisation des images. J'ai dit en introduction que des images prouvaient le départ pendant le match de très nombreux supporters britanniques par le RER D. La SNCF évoque elle-même ce point dans la note que j'ai transmise à vos présidents. Je ne peux pas vous montrer ces images,...
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Ce n'est pas de ces images-là que je parle !
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur . - ... mais je propose que le président Buffet et le président Lafon puissent les voir.
Madame de La Gontrie, vous avez combattu le Gouvernement pour empêcher les forces de l'ordre d'utiliser des caméras aéroportées dans le cadre de missions de renseignement ou de police judiciaire. Il est un peu curieux que vous déploriez aujourd'hui les conséquences d'une cause que vous défendiez...
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Affirmez-vous qu'il n'y a pas d'images ?
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur . - La critique la plus fréquemment formulée est la suivante : où sont passés les milliers de supporters qui se trouvaient autour du Stade de France ? La SNCF elle-même dit que ces personnes ont quitté les abords du stade pendant la mi-temps notamment. Vos présidents pourront regarder les images qui le démontrent, prises par les caméras de vidéoprotection.
Deuxième sujet : la délinquance. Je l'ai toujours fermement condamnée. Aurions-nous pu lutter davantage contre la délinquance ? Évidemment. Pourquoi a-t-elle été particulièrement importante ce soir-là ? Je pense l'avoir expliqué : le dispositif de sécurité et ordre publics a été levé pour sauver des vies et éviter l'écrasement des personnes qui se présentaient en surnombre aux points de contrôle des billets. La décision prise par la préfecture de police a sauvé des vies ! La conséquence a en effet été de « livrer le terrain » à une délinquance dite d'opportunité, qu'il est difficile de mesurer précisément. C'est d'ailleurs pourquoi, en une formule tout à fait novatrice, nous permettons y compris aux ressortissants de pays étrangers ayant quitté le sol français de déposer plainte.
La Seine-Saint-Denis a été évoquée de façon très insultante par certains d'entre vous : depuis plusieurs jours, certains essentialisent la délinquance en jetant en pâture certaines nationalités ; ces propos, qui font écho à une campagne présidentielle que, pourtant, les extrémistes ont perdue, sont déplacés et même nauséabonds. Quand vous dites, madame Eustache-Brinio, que depuis 1998 la France et la Seine-Saint-Denis ont changé, vous faites le jeu de partis extrémistes.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio . - Elles ont changé, c'est un fait.
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur . - Permettez-moi d'être choqué par ce que vous dites. J'ai été forcé de le faire pour lutter contre les fake news , mais je n'ai pas à donner les nationalités des personnes que nous interpellons. Je vois d'ici la question suivante : quel type de Français avons-nous interpellé ? Je m'attends à tout...
Pour ce qui est des interpellations, la justice poursuit les personnes concernées. On me dit qu'aucun citoyen britannique n'a été interpellé pour intrusion ou pour détention de faux billet. C'est faux : nous avons présenté à la justice quatorze citoyens britanniques pour des faits d'intrusion. Il est normal qu'ils aient été relâchés par l'autorité judiciaire - pas par moi, je le précise ! - et aient pu rentrer chez eux. Et des personnes porteuses de faux billets ont bien été interpellées en grand nombre - la presse s'en est fait l'écho. Surtout, les policiers d'ordre public et les gendarmes mobiles n'interpellent pas les gens pour détention de faux billet ; c'est bien le stadier, agent de sécurité privé, qui constate qu'un faux billet est présenté.
Les responsables de la FFF nous l'ont dit lors de la réunion de lundi matin : on a même cru un instant que les stylos chimiques livrés aux stadiers étaient défectueux, puisque la quasi-intégralité des billets vérifiés côté britannique - trois portes seulement sur une quinzaine au total - étaient faux, si bien que les stadiers ont interrompu l'entrée des spectateurs au motif, précisément, que les stylos ne marchaient pas. Or tel n'était pas le cas : partout ailleurs, là où les billets présentés étaient vrais, les stylos fonctionnaient.
Les policiers d'ordre public n'ont certes pas interpellé les détenteurs de faux billets, parce qu'ils avaient autre chose à faire : ils avaient à gérer une foule, des enfants, des femmes enceintes, des gens venus faire la fête, comme dit M. Assouline. Si là est la faute commise par la police nationale et par la gendarmerie samedi soir, je l'assume bien volontiers : c'est une faute vénielle.
Monsieur Durain, l'organisation de cet événement n'a donné lieu à aucune expérimentation inédite. Je rappelle d'ailleurs que la billetterie et l'entrée au stade ne sont pas de la responsabilité de l'État et du ministère de l'intérieur. D'autres autorités, que vous pourrez auditionner, sont en cause.
Une nouveauté relative : décision a été prise par l'organisateur de procéder à des préfiltrages, comme lors de la finale de la Coupe de France. L'application de cette décision légitime s'est heurtée à une difficulté, une grande majorité des spectateurs optant pour le RER D, celui-ci concentrant de surcroît - pas de chance ! - l'intégralité du flux des virages anglais. Si l'on ajoute au tableau le fait que de très nombreux faux billets aient été présentés - tous en format papier, fait ô combien troublant quand l'usage est désormais partout au billet électronique... -, on comprend que le préfiltrage n'ait pas connu le même succès que lors de la finale de la Coupe de France. Ce préfiltrage a permis néanmoins d'éviter un drame : à défaut d'un tel dispositif, les intrusions auraient sans doute été massives et le terrain aurait été envahi - en d'autres termes, la finale n'aurait pas eu lieu. Ce préfiltrage organisé par la FFF était donc, me semble-t-il, une bonne mesure.
Les arrêtés pris par le préfet de police étaient nécessaires s'agissant de nos amis britanniques, à qui il arrive, comme à d'autres supporters de football, de consommer de l'alcool avant de se rendre au stade. Nous avons autorisé la consommation d'alcool dans le stade, mais non aux abords du stade, à partir de 18 h, afin d'inciter les spectateurs à entrer dans le stade et d'éviter les points de fixation à l'extérieur. Le club de Liverpool n'est pas un club comme les autres, toutes les notes de renseignement le démontrent. Souvenez-vous de la finale de la Ligue des champions organisée à Madrid en 2019 : les mêmes problèmes s'étaient posés - faux billets, dizaines de milliers de personnes massées à l'extérieur du stade -, et Liverpool était déjà à l'affiche. Peut-être aurions-nous dû anticiper davantage ce genre de difficultés... Si le club de Liverpool a de nombreux supporters formidables, il est certain, avec tout le respect que j'ai pour lui, qu'il attire aussi des hooligans - la DNLH en recense entre 50 et 100 dans sa note -, dont le comportement diffère, au hasard, de celui des supporters madrilènes. Nous y étions préparés, mais ils ne se sont pas manifestés cette fois-ci.
Madame de La Gontrie, de nombreuses réunions ont eu lieu : cinq présidées par le préfet de police, le 16 mai, le 19 mai, le 23 mai, le 25 mai, le 27 mai, et quatre organisées par le délégué interministériel aux grands événements sportifs (Diges), auxquelles le préfet de police a participé, le 4 avril, le 27 avril, le 5 mai, le 19 mai. Nous n'avons rien à cacher : les comptes rendus sont à votre disposition.
Un mot sur la « fan zone » : j'ai parlé, par abus de langage, de 40 000 supporters britanniques présents sur le cours de Vincennes ; il ne s'agit pas que de Britanniques, mais de supporters de Liverpool. Il est avéré que 12 000 supporters britanniques, en ce sens élargi, ont quitté la « fan zone » deux heures avant le coup d'envoi pour se rendre au Stade de France en transports en commun. Il n'y a donc pas d'un côté la « fan zone » et de l'autre le stade : les deux communiquent. Je rappelle au passage que le préfet de police a eu à gérer pendant trois jours la présence de supporters britanniques sur notre sol, sans difficulté particulière. Monsieur Paccaud, les chiffres de la RATP, de la SNCF et de la FFF, laquelle n'est pas sous l'autorité du Gouvernement, ainsi que les bornages de la connectique Orange, concordent dans le sens de ce que nous disons depuis le début.
Qui était responsable du dispositif ? C'est le préfet de police, qui se trouvait en salle de commandement. De notre point de vue, le moment qui promettait d'être le plus « dramatique », en principe, était l'après-match : des supporters anglais chauffés à blanc, qu'ils aient gagné ou perdu, un rendez-vous situé quelque part entre la « fan zone », le Stade de France et les Champs-Élysées. Le directeur de cabinet du préfet de police était au Stade de France. Quand je me suis rendu, avec Mme la ministre des sports, au PC sécurité du stade, j'y ai retrouvé des représentants de l'UEFA, de la FFF, des gendarmes mobiles, de la préfecture de la police de Paris, de la DOPC - je précise que, depuis la réforme de la répartition des compétences du préfet de police et des préfets de département, le préfet de Seine-Saint-Denis n'a pas la charge de l'ordre public.
M. Paccaud suggère que nous n'aurions pas prévu l'arrivée de 100 000 Anglais sur notre territoire. Nous l'avions évidemment prévue. Comme le montre l'analyse des points de filtrage de la police aux frontières, ces supporters ont privilégié la voiture et le bateau. Simplement, nous nous attendions à ce que seuls les supporters munis de billets aillent au stade, les autres se dirigeant vers la « fan zone ». Notre erreur a sans doute été de ne pas voir que les dizaines de milliers de ressortissants britanniques qui n'avaient pas de billet - sans même parler des faux billets, phénomène que nous ignorions - se rendraient pour beaucoup au Stade de France.
Concernant l'idée de créer des itinéraires de secours, vous avez tout à fait raison. L'une des petites erreurs commises par l'autorité qui commandait le barrage a sans doute été de n'accepter le détournement par le contour des voies du RER D qu'autour de 18 h 50 : il eût fallu le faire plus tôt. J'en excuse bien volontiers les policiers et les autorités de la FFF : pendant plus d'une demi-heure, les stadiers n'ont pas compris ce qui se passait. Ils ont cru que les stylos ne fonctionnaient pas et ont même temporairement arrêté de contrôler. C'est le préfet de police qui a décidé d'abord d'autoriser le contournement puis de lever le préfiltrage. À l'avenir, peut-être ces décisions devront-elles être prises immédiatement en cas de difficulté. Cela dit, en dépit de l'image donnée, nous n'avons eu à déplorer ni mort ni blessé grave.
Monsieur Assouline, vous avez parfaitement raison : il ne s'agit pas d'un match de water-polo ou de hockey sur glace. Pour ce qui est d'événements un peu plus comparables, nous venons d'organiser deux grands matchs internationaux de rugby à Marseille ; il ne s'est strictement rien passé. Ne nous tirons pas une balle dans le pied par goût de la polémique électorale. Lors du championnat d'Europe de football, en 2016, les choses se sont parfaitement bien passées - le mérite en revient à M. Cazeneuve. Pour avoir préparé une candidature à l'organisation de l'Euro, en 2012, en tant que directeur de cabinet du ministre des sports, je sais combien la France sait accueillir ce type d'événements - c'est une fierté nationale.
N'avons-nous pas fait néanmoins, en l'espèce, une erreur d'appréciation ? Accueillant Liverpool, nous accueillions des supporters qui, pour une petite partie d'entre eux, ont un certain passif : ce club pose évidemment des problèmes d'ordre public, toutes les notes de renseignement le prouvent. Le dispositif de sécurité qui a été mis en place était un dispositif d'ordre public de grande envergure ; l'erreur a sans doute été d'anticiper un hooliganisme qui ne s'est finalement pas manifesté, heureusement. En revanche, nous n'avions pas mis en place le dispositif de sécurité publique qui aurait permis de lutter contre une forme de délinquance qui, sans être structurelle à Saint-Denis - évitons les fantasmes -, s'est trouvée « aidée » - je reprends le mot du terrain - par la présence sur place, hors du stade, de dizaines de milliers de personnes étrangères, un seul RER, de surcroît, fonctionnant normalement, et de nombreux policiers d'ordre public étant forcés de quitter le terrain pour surveiller les grilles.
S'agissant de Liverpool, nous nous attendions à des problèmes dont nous pensions qu'ils viendraient de hooligans violents et de mouvements de foule. Or le problème est venu des faux billets. Nous l'anticiperons mieux la prochaine fois, sans aucune espèce de doute. Là est l'explication de ce qui s'est passé samedi soir.
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques . - J'insiste sur la récurrence des échanges qui ont eu lieu entre l'ensemble des parties prenantes : la première réunion a eu lieu dès le 4 mars, soit quatre jours après la désignation de la France comme pays hôte de cet événement, dont je rappelle que l'organisation était placée sous la responsabilité de l'UEFA. Au total, jusqu'au jour du match, une quinzaine de réunions se sont déroulées entre l'UEFA, la FFF, le consortium du Stade de France, la préfecture de police, la Diges, le ministère de l'intérieur. Les comptes rendus de ces réunions ont été réalisés et nous n'avons aucune objection à ce qu'ils soient rendus publics.
M. Thomas Dossus . - Je rebondirai sur la question de mon collègue David Assouline. Monsieur le ministre de l'intérieur, vous avez évoqué l'usage parfois abusif des gaz lacrymogènes : 400 millions de personnes dans le monde ont vu que de tels gaz avaient été utilisés sans discernement, avec même une certaine nonchalance, en direction de supporters qui étaient en règle. Vous avez annoncé des enquêtes concernant les agents qui ont le malheur d'avoir été filmés ; dont acte.
Mais ma question porte sur l'usage global de ces gaz. Des sommations ou des consignes ont-elles été transmises aux supporters avant usage ? Le cas échéant, par quels moyens et dans quelle langue ? Notre police est-elle capable d'accueillir un public international ?
Vous envisagez vous-même un changement de doctrine en matière d'utilisation de ces gaz lors d'événements sportifs. Pourquoi se restreindre auxdits événements ? Nous observons depuis des années des abus de ce genre dans le cadre de manifestations classiques. N'est-il pas enfin temps de viser une méthode de maintien de l'ordre tournée plutôt vers la désescalade ?
Madame la ministre, lors de l'examen de la loi visant à démocratiser le sport en France, nous avions échangé avec votre prédécesseure sur la gestion, ou plutôt sur la non-gestion, des déplacements de supporters en Ligue 1 ces dernières années, et sur la multiplication des arrêtés préfectoraux d'interdiction de déplacement. Cette politique n'a-t-elle pas abouti à une perte d'expertise de nos forces de l'ordre en matière de gestion des flux de supporters ? Allez-vous engager un réel travail avec les instances, les clubs, les groupes de supporters et les autorités pour sécuriser et garantir ces déplacements ?
Mme Valérie Boyer . - Monsieur le ministre de l'intérieur, si cette affaire a pris une telle ampleur, ce n'est pas à cause des faux billets - croyez bien néanmoins que je ne mésestime pas leur impact -, mais parce que des personnes ont été agressées et détroussées. La France, septième puissance mondiale, a été le théâtre de ce que tous désormais qualifient de « fiasco ».
Après avoir ciblé les supporters anglais, vous avez déploré une campagne « nauséabonde », stigmatisant même certains de mes collègues qui se contentaient pourtant de vous poser une question. Je citerai donc les syndicats de police : « Les collègues nous ont dit qu'ils n'avaient jamais vu autant de mineurs isolés regroupés et hyperactifs. La délinquance locale était aussi présente, mais ça n'était pas dominant du tout [...]. Une chose est sûre, les pickpockets sont venus en nombre pour voler du cash, des portefeuilles, des téléphones, parfois même à des malvoyants ou à des personnes en fauteuil roulant. Selon eux, il y avait tellement de vols en flagrant délit qu'ils ne pouvaient pas interpeller tout le monde. »
Considérez-vous que les syndicats de police font une campagne « nauséabonde » ?
S'est posé, visiblement, un problème d'ordre public majeur, qui aurait dû être pointé prioritairement, en lieu et place des faux billets ou du comportement des supporters anglais - ce ne sont pas les faux billets qui agressent et qui détroussent. Comment expliquez-vous la quantité de vols et d'agressions ce soir-là, monsieur le ministre ? Le Figaro fait état d'agressions sexuelles commises au moment de ces forfaits aux abords du Stade de France. Si de telles agressions ont eu lieu, pourquoi le silence ? Si elles n'ont pas eu lieu, pourquoi ne pas le dire ?
M. Alain Marc . - Monsieur le ministre, madame la ministre, vous avez établi avec précision la chronologie des événements de la soirée. Je sais le travail remarquable des policiers et gendarmes, malgré quelques dérapages - des enquêtes ont été diligentées.
Ce qui m'inquiète, c'est la perception dégradée de la France dans le monde entier. Afin de restaurer l'image de notre pays, qui est très attractif pour les touristes comme pour les entreprises, il est impératif que les événements planétaires organisés en France en 2023 et en 2024 soient réussis.
Divers intervenants - consortium du Stade de France, UEFA, FFF, préfecture de police - avaient chacun un rôle bien précis dans des espaces bien précis. N'y a-t-il pas eu un problème avec l'autorité coordinatrice ?
M. François Bonhomme . - Une remarque sur l'expérimentation du préfiltrage : ces contrôles ne relèvent certes pas de votre autorité directe, monsieur le ministre, mais était-ce vraiment le moment d'expérimenter ? Concernant par ailleurs les billets papier, n'y aurait-il pas lieu de mener une réflexion plus approfondie sur le mode d'authentification des billets ?
Un mot, ensuite, sur l'évaluation du niveau de risque : vous avez dit que la finale de la Coupe de France relevait d'un niveau de risque supérieur. Or il n'est nul besoin d'être amateur de football pour comprendre que la finale de la Champions League , avec ses 400 millions de téléspectateurs, est un événement par nature spécifique et exige une réponse de sécurité adaptée. Quant à l'analogie avec la finale de 2019 entre Liverpool et Tottenham, je ne suis pas certain qu'elle vaille : le phénomène des faux billets n'avait pas connu cette ampleur.
Plus largement, je suis frappé de la façon dont vos analyses euphémisent la situation. Certes, ce soir, on assiste à un léger rétropédalage. Vous exprimez des regrets ; serais-je Anglais, supporter de football, aurais-je été privé d'entrer au stade en dépit de billets en règle, aurais-je été de surcroît détroussé et molesté, ce sont des excuses que j'attendrais ! Mettre le trouble sur le compte des supporters anglais de Liverpool, c'est très malvenu, surtout quand on connaît l'histoire de ce club et les mesures draconiennes qu'il a prises contre le hooliganisme.
Nous aurons beaucoup de mal à corriger l'image ternie qui a été donnée. Notre capacité à organiser de grands événements dans de bonnes conditions pose question. Avant de se tourner vers l'avenir, madame la ministre, il faut comprendre les causes de ce qui s'est passé pour rectifier le tir rapidement.
M. Jacques Grosperrin . - J'ai entendu des regrets, un très léger mea culpa , jamais d'excuses : vous refusez de reconnaître votre responsabilité dans ces événements. Certes, la responsabilité de l'UEFA est engagée, mais la rencontre se déroulait sur le sol français ! C'est le Président de la République qui a choisi, dans l'urgence, d'organiser cette finale à Saint-Denis, en trois mois au lieu de dix-huit : il eût fallu y réfléchir !
Vous avez reproché ses propos à notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio. Mais Thierry Henry avait dit lui-même que Saint-Denis n'était pas Paris - on peut difficilement lui donner tort. Le maire de Liverpool a diligenté une enquête ; la vérité éclatera un jour.
L'intervention de police a-t-elle été adaptée et proportionnée à la situation ? Les gaz étaient prévus pour des hooligans , qui ne sont jamais apparus...
Que pensez-vous des réactions du monde entier devant la piètre image donnée de notre pays ?
Était-il nécessaire de réagir de façon aussi agressive à l'endroit de nos voisins anglais ? Vous vous défaussez sur les faux billets quand il faudrait s'excuser... Il n'est jamais trop tard !
Mme Alexandra Borchio Fontimp . - Concernant la consommation d'alcool et la vente à la sauvette aux abords du stade, l'article L. 332-4 du code du sport prohibe l'entrée dans une enceinte sportive en état d'ivresse. Pourtant, nombreux sont ceux qui, comme moi, pourront vous décrire les ventes d'alcool sauvages, les bacs de fortune, les barbecues clandestins dans des conditions d'hygiène déplorables, à l'arrivée au stade. Alors que nous sortons à peine de la pandémie, comment expliquez-vous qu'une telle vente à la sauvette soit tolérée ?
Concernant par ailleurs la lutte contre la menace terroriste, comment expliquez-vous que j'aie pu moi-même accéder au stade sans fouille préalable ? Un tel manquement ne peut qu'inquiéter.
Madame la ministre, « Don't crack under pressure », avez-vous écrit sur Twitter ce matin. C'est le titre du récit d'un sportif, pour qui les seules limites sont celles que l'on repousse. Mais c'est à la ministre, et non à la sportive, que je m'adresse : quand on exerce des responsabilités, il faut avoir conscience de ses limites !
M. Alain Richard . - Ce n'est pas la première fois qu'une défaillance de la ligne B du RER se produit avant un match important. Les Franciliens savent que cette ligne n'est pas d'une fiabilité totale, indépendamment des mouvements sociaux... Le préfet semble avoir improvisé en direct pour gérer les flux à la sortie du RER D, où se trouvaient massés des gens en trop grand nombre. C'est surprenant !
Dans le cadre des jeux Olympiques, de nombreux événements auront lieu en Seine-Saint-Denis ; il y a donc un retour d'expérience très sérieux à faire sur ce point.
Quant à la façon dont on doit traiter les agissements des pickpockets, ce sujet relève de la sécurité publique. Des effectifs plus importants qu'à l'accoutumée avaient été prévus, avez-vous indiqué, monsieur le ministre. La doctrine d'emploi des forces de sécurité publique vous paraît-elle satisfaisante là où il s'agit d'intercepter les auteurs de tels actes, donc de dissuader les pickpockets ?
Un message aux deux présidents, pour conclure : nous ne perdrions pas notre temps à recevoir dans quelques semaines le préfet Michel Cadot, quand il aura remis son rapport.
M. Éric Kerrouche . - Le préfet de police, qui disposait de trente-six unités de forces mobiles, soit environ 33 % des forces nationales, a choisi de n'en déployer que dix. Ce choix est difficilement explicable au regard de la note que vous avez évoquée. Cette stratégie a-t-elle été validée par votre cabinet ou par vous-même ?
Comment expliquer le déploiement de la brigade de répression de l'action violente, qui n'est pas adaptée à ce genre d'événement, plutôt que des CRS ? Si les faux billets peuvent en partie expliquer ce choix, il me semble tout de même qu'une telle situation témoigne d'un problème d'anticipation stratégique.
M. Jérémy Bacchi . - Depuis samedi dernier, le club de Liverpool, ses supporters, c'est-à-dire les victimes, les grévistes du RER B et les jeunes de Seine-Saint-Denis sont tour à tour accusés d'être responsables du fiasco du Stade de France.
Monsieur le ministre, vous avez parlé d'une fraude aux faux billets massive, industrielle et organisée. Madame la ministre, vous avez évoqué de 30 000 à 40 000 supporters sans billets ou munis de faux billets, soit la moitié de la capacité totale du stade. De quels éléments concrets disposez-vous pour tenir ces propos, alors que les enquêtes n'ont pas encore abouti ? Tous les observateurs présents sur place ont souligné le caractère apparemment marginal de cette fraude. Aucune des personnes placées en garde à vue ne l'a été en raison d'intrusion frauduleuse ou de détention de faux billets...
Si vos chiffres s'avéraient exacts, comment une production industrielle d'une telle ampleur, encore jamais rencontrée sur un tel événement, a-t-elle pu passer sous les radars ?
Ne pensez-vous pas nécessaire de s'interroger sur la gestion purement sécuritaire des fans de football que nous avons connue ces dernières années ? Ne faut-il pas déplorer un manque de moyens et de compétences dans la gestion de ces flux, si bien qu'il est devenu plus simple d'interdire quasi systématiquement les déplacements ? Ainsi, sur les 380 matches de Ligue 1 cette saison, 115 interdictions de déplacement ont été décrétées.
L'usage des gaz lacrymogènes par les forces de l'ordre, y compris en direction des supporters et des familles, n'est pas sans rappeler les problèmes rencontrés depuis quelques années dans la gestion des manifestations. N'est-il pas urgent de changer la doctrine du maintien de l'ordre et de privilégier une désescalade à l'usage inconsidéré de la force ? Ne serait-il pas également judicieux de mieux préparer les stadiers à la gestion de ce type de grand événement sportif eu égard aux échéances qui nous attendent ?
M. Thani Mohamed Soilihi . - Madame la ministre, vous avez évoqué l'indemnisation des supporters ayant acheté des billets de bonne foi, mais n'ayant pu accéder au stade. Pouvez-vous nous donner davantage de précisions ?
Le club de Liverpool a demandé une émission de billets papier. Aurait-il été possible de la refuser ? Si oui, qui en aurait eu le pouvoir ?
Jürgen Klopp avait appelé les supporters de son équipe à se rendre en France, même sans billet. Cet appel a-t-il pu jouer un rôle dans les défaillances constatées ?
M. Philippe Dominati . - Madame la ministre, monsieur le ministre, vous ne devriez pas vous trouver seuls face à nous tant le dysfonctionnement, ou le fiasco, de la semaine dernière concerne l'ensemble des services du Gouvernement.
Il s'agit tout d'abord d'une défaillance du système des transports d'Île-de-France, que nous dénonçons depuis des années. Nous sommes l'une des seules capitales européennes dont les transports, qui se montrent défaillants événement après événement, sont totalement gérés par l'État. Serons-nous l'otage des syndicats des sociétés de transport lors des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris faute de la mise en place d'un service minimum ?
Je veux également souligner la nouvelle défaillance de la Fédération française de football, après l'arrêt prématuré des compétitions lors de la crise sanitaire. Le ministère des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques devrait sans doute faire preuve de davantage de fermeté à l'avenir.
Madame la ministre, le délégué interministériel chargé de rédiger un rapport sur les défaillances éventuelles n'est autre que l'ancien préfet de police et de région. À ce dernier égard, je l'avais rencontré pour évoquer l'action du Gouvernement afin de mettre en place rapidement une liaison entre l'aéroport Charles-de-Gaulle et le centre de Paris. Selon l'enquête publique, il y avait urgence à agir à l'approche des jeux Olympiques. Le Gouvernement a finalement renoncé en raison de la crise sanitaire. Vous comprenez donc que je n'attende pas grand-chose de ce rapport...
Ce qui compte maintenant, madame la ministre, ce sont les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et l'image de Paris. L'étude de ces dysfonctionnements nous intéresse assez peu ; ce qui nous intéresse, c'est de savoir ce que compte faire le Gouvernement pour modifier les choses à l'avenir.
Monsieur le ministre, je ne sais pas si des vies ont été sauvées samedi dernier. Vous reprenez d'ailleurs les termes de M. Castaner évoquant, devant l'Assemblée nationale, l'action de l'ancien préfet de police de Paris lors des incidents de l'Arc de triomphe. Je conçois que votre situation soit quelque peu difficile - vous êtes le huitième ministre de l'intérieur en dix ans - alors que le préfet de police reste, mais vous commencez à avoir un peu de « bouteille ». À l'aube de ce nouveau quinquennat, nous attendons de vous des réformes structurelles. Les effectifs et les moyens existent : ce sont les structures, et singulièrement celles de la préfecture de police, cet État dans l'État, qu'il faut faire évoluer.
Mme Esther Benbassa . - Les forces de sécurité intérieure ne rentrent plus dans les stades pour effectuer les contrôles, tous réalisés par des civils. La question de l'évaluation et de la mobilisation des forces de l'ordre aux alentours du stade, des gares de RER et sur les trajets retour revient à la préfecture de police. Les consignes adressées aux forces de l'ordre par le préfet étaient-elles adaptées aux circonstances ? Ne faudrait-il pas être plus réactif et plus flexible en fonction des circonstances ? Cela me semblerait plus utile que d'essentialiser les Anglais pour les réduire à des hooligans. Il n'y a pas de bons ou de mauvais spectateurs, mais des situations dont il faut savoir tenir compte.
Mme Céline Brulin . - Au-delà de la disproportion entre les moyens déployés en faveur de l'ordre public et ceux déployés pour la sécurité publique la question se pose de la nature même de la doctrine du maintien de l'ordre. Entendre qu'il était nécessaire de recourir aux gaz lacrymogènes pour éviter que des supporters ne se fassent écraser n'est pas de nature à rassurer, monsieur le ministre. Cela paraît même complètement invraisemblable !
Vous avez souligné la volonté du club de Liverpool de disposer de billets papier, ce qui vous a mis la puce à l'oreille. Mais vos services de renseignement ont-ils échangé sur cette question avec ceux de Grande-Bretagne ? Vous nous reprochez de faire peu de cas de cette affaire, mais ne relève-t-il pas de votre responsabilité de comprendre pourquoi des billets facilement falsifiables sont mis en circulation et d'y remédier ?
La question de la formation des stadiers a été mise en avant fort justement. Mais quid de leurs effectifs ? Par le passé, ils étaient bien plus nombreux. Comment répondre à la crise de recrutement que nous connaissons ?
Pourquoi ne pas reprendre certaines des préconisations du rapport d'information de Marie-George Buffet et Sacha Houlié pour mieux associer les supporters et en faire des partenaires à part entière de l'organisation des compétitions ?
Enfin, les propos tenus sur le club de Liverpool ne sont pas de nature à apaiser les choses. Il ne faut pas oublier que plusieurs de ces supporters sont des victimes...
M. Laurent Lafon , président . - Un match opposant la France et le Danemark se tiendra vendredi prochain, au Stade de France. Dans la mesure où une grève est annoncée sur le RER B, quelles mesures comptez-vous prendre pour éviter les goulots d'étranglement que vous avez dénoncés ? Quels systèmes d'amélioration de gestion des flux allez-vous mettre en place ? Où en sont vos discussions avec la RATP ?
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques . - Nous venons de connaître un week-end assez malheureux pour le supportérisme : après nos déboires de samedi soir, nous avons tous assisté aux débordements de Geoffroy-Guichard. Nous avons globalement constaté un regain de violence cette saison dans les stades de Ligue 1, tout comme en Angleterre. Il faut s'attaquer à cette problématique avec une détermination totale.
Nous avons annoncé hier matin, avec Gérald Darmanin et Éric Dupond-Moretti, la création d'un groupe de travail conjoint. Nous voulons faire preuve d'une fermeté absolue à l'égard des fauteurs de trouble, mais nous croyons aussi au dialogue avec les associations de supporters et l'instance nationale du supportérisme. J'aurai, dans quelques jours, une session de travail avec Sacha Houlié et Marie-George Buffet et je recevrai, la semaine prochaine, l'une des premières associations de supporters. Nous enclencherons cette reprise en main ensemble, à l'échelle interministérielle, afin de lutter contre la violence dans les stades.
Nous allons examiner l'ensemble du régime de la loi du 2 mars 2022 - interdictions administratives de stade, interdictions commerciales, déplacements de supporters, sanctions disciplinaires... Nous nous pencherons aussi sur la question d'une billetterie plus nominative afin de mieux contrôler les flux. Nous vous rendrons compte de ce travail.
Le maire de Saint-Étienne, Gaël Perdriau, m'a écrit pour proposer d'associer les élus locaux à ce nécessaire travail en préparant, avec les communautés de communes et les communautés urbaines, un livre blanc pour contribuer à la réflexion que nous entendons mener avec l'ensemble des parties prenantes.
Dès le prochain concert qui aura lieu au Stade de France, nous allons tenter d'introduire une billetterie électronique avec une composante blockchain à même de garantir le caractère infalsifiable des billets.
Je le redis : nous sommes désolés des désagréments causés à ceux des 22 000 supporters anglais qui avaient des billets parfaitement réguliers. La fête a été gâchée et 2 700 d'entre eux n'ont jamais pu activer leurs billets. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé à l'UEFA de les indemniser.
Liverpool est un très grand club et Jürgen Klopp un très grand coach. Cette équipe mérite un respect infini. Hillsborough et Heysel sont des moments de l'histoire récente de ce club qui imposent beaucoup de réserve et de dignité au moment d'évoquer les enjeux du supportérisme. Toutefois, il faut bien reconnaître cette problématique massive, organisée, de faux billets. Les supporters anglais en possession de billets valides ont d'ailleurs été les premières victimes de cette fraude. Je m'entretiendrai avec le ministre des sports britannique en tout début de semaine prochaine. Nous avons déjà évoqué ces questions avec l'ambassadrice du Royaume-Uni en France. J'adresse encore toutes nos excuses pour cette frustration.
Qui mieux que les Anglais peut savoir que ces problématiques entraînent parfois des dérives immenses ? Je ne reviendrai pas sur les propos de la baronne Louise Casey, fonctionnaire du gouvernement britannique et aujourd'hui membre de la Chambre des Lords, qui a souligné, voilà un an, les immenses difficultés éprouvées à Wembley.
Nous avons fait du mieux possible pour monter cette compétition en trois mois. Au regard du contexte géopolitique, cette finale n'aurait pu se tenir à Saint-Pétersbourg dans des conditions décentes. Nous avons su, le 4 mai, que Liverpool serait l'un des protagonistes de ce match. Je voudrais tout de même rappeler que les conditions de jeu ont été bonnes sur le terrain, que le match a pu se jouer, qu'une coupe a pu être attribuée et qu'un champion a pu être désigné. C'est aussi de cela qu'il faut se souvenir, tout comme du bon fonctionnement des « fan zones » et de l'absence de toute violence entre supporters de ces deux très grands clubs.
Nous sommes extraordinairement mobilisés sur la question des agents de sécurité, métier si essentiel au bon déroulement des événements que nous organisons. Il s'agit d'une filière en tension. Un décret créant une spécialité événementielle spécifique dans la sécurité privée avec une formation ad hoc a été pris le 20 avril dernier. Un travail très pragmatique a été engagé avec toute la branche professionnelle, les administrations et les organisateurs sous la coordination du Dijop, le préfet Cadot, en prévision de la coupe du monde 2023 et des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris. Nous sommes dans l'anticipation et nous menons un travail collectif pour faire en sorte que cette filière soit au rendez-vous et se montre parfaitement complémentaire des forces de sécurité intérieure et de la police municipale, le cas échéant.
Beaucoup de questions ont été centrées sur le Dijop. Notre pays compte d'immenses serviteurs de l'État, dont il fait partie. Son expérience et ses réalisations parlent pour le préfet Cadot, également délégué interministériel aux grands événements sportifs. Il était aux manettes lors des attentats de 2015 et durant l'euro 2016 : il connaît parfaitement les questions de gestion de crise et constitue une force pour notre dispositif.
Je peux comprendre que mon tweet de ce matin ait été mal perçu. Un grand événement sportif réussi a un effet de levier sur la pratique du sport. Je souhaitais éviter tout effet inverse en rappelant combien l'activité physique était nécessaire pour chacun d'entre nous. Je voulais simplement montrer que, même dans des moments de stress, je m'astreignais au devoir d'exemplarité auquel je me suis engagée en pratiquant moi-même ces trente minutes quotidiennes.
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur . - En ce qui concerne l'emploi des gaz lacrymogènes, j'ai présenté des excuses aux personnes détentrices de billets valides ne posant pas de problème d'ordre public ou étant extrêmement vulnérables - enfants, femmes enceintes, personnes handicapées... - qui ont eu à en souffrir. J'entends que les images puissent paraître choquantes. J'y insiste : les actes disproportionnées ont pu être commis par des individualités, non par la gendarmerie nationale ou la police nationale. Des sanctions seront prises, que je communiquerai à M. le président de la commission des lois et à M. le président de la commission de la culture.
Par contre, je ne vois pas comment faire reculer une foule extrêmement nombreuse, de plus de 15 000 personnes dans le premier point de filtrage, qui s'amasse et pousse ni comment distinguer ceux des supporters ayant des billets valides de ceux ayant de faux billets, sans utiliser des moyens de dispersion, les seuls à la disposition des policiers et gendarmes, à l'exception des grenades anti-encerclement et des LBD dont ils n'ont évidemment pas fait usage.
Je veux dire une nouvelle fois qu'il n'y a pas eu de blessés graves ni de morts grâce au comportement des policiers, des gendarmes, des stadiers et de l'autorité préfectorale. Il y a eu de très nombreux désagréments, un usage parfois disproportionné de la force, j'en conviens. Des conclusions sont à tirer et des sanctions à prendre, mais le but ultime de l'ordre public est bien d'éviter tout décès ou blessures graves. On peut également rendre hommage au travail des policiers et des gendarmes de la République, ce qui a été rarement souligné.
Madame Boyer, j'ai lu comme vous ces évocations d'agressions sexuelles. À ma connaissance, aucune plainte n'a été déposée. Je veux dire une nouvelle fois aux victimes de déposer plainte et rappeler aux personnes étrangères qu'elles peuvent le faire depuis leur ville d'origine. Je demande également aux journalistes de porter les éléments à leur disposition à la connaissance de la police et de la justice.
Monsieur Assouline, je peux vous communiquer le télégramme d'instruction envoyé aux forces de l'ordre. Pour en avoir fait une lecture rapide - je ne l'ai évidemment pas validé moi-même, mais j'en endosse la responsabilité - il ne comporte rien de disproportionné.
Monsieur le président de la commission des lois, le préfiltrage a permis d'éviter l'arrivée massive de personnes sans billet valide aux portes des grilles du Stade de France et sa levée a permis d'éviter des drames. Il a bien fonctionné : à 21 h, 97 % des Madrilènes sont à leur place, contre 50 % pour les supporters de Liverpool.
On peut accuser le hasard - Dieu qui se promène incognito , comme dirait Einstein... Mais je constate qu'il n'y a pas eu de faux billets côté madrilène, ni surnuméraire, ni forçage de porte, à l'exception d'une petite échauffourée à l'angle nord...
Oui, une grande partie des supporters britanniques se sont très bien comportés, mais des milliers d'entre eux avaient de faux billets. Ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas revoir un certain nombre de choses, mais je constate que pour le même événement avec la même grève, avec les mêmes gendarmes mobiles, avec le même préfet de police, avec le même ministre de l'intérieur, dans le même stade, dans le même pays, il y a eu des comportements différents...
Dès le lendemain se produisait l'intrusion inacceptable sur le terrain, à Saint-Étienne. Lorsque le ministre de l'intérieur interdit des déplacements de supporters, ce n'est jamais de bon gré ; je refuse, parfois, des interdictions proposées par les services, je relis chacune des décisions qu'on me propose. J'ai été moi-même très longtemps supporter dans le Nord : je vois très bien la joie et le bonheur que cela apporte. C'est toujours la division nationale de lutte contre le hooliganisme et les préfets qui proposent ce type de décisions.
Les incidents dans les matchs de football se multiplient ces derniers mois ; j'ai moi-même présidé avec le garde des sceaux une réunion voilà six mois avec la Fédération française de football sur le sujet. N'oublions pas qu'il y a encore quelques semaines, un joueur de foot professionnel a été agressé sur le terrain par des supporters. Le fan de foot que je suis le regrette, mais on ne constate pas ce problème dans d'autres sports.
Il faut être de mauvaise foi pour ne pas voir que les matchs de football, particulièrement ceux impliquant des clubs à risques, posent des problèmes, notamment concernant la vente à la sauvette, une délinquance effectivement très préoccupante. Mais le problème devrait être en grande partie réglé grâce à l'amende forfaitaire délictuelle que vous avez votée : comme pour la consommation de drogue ou l'installation illicite sur un terrain, elle permettra d'éviter la procédure longue et difficile qui a cours aujourd'hui.
Madame la sénatrice, je partage votre désappointement quant au fait qu'il n'y ait pas eu de fouille, mais au bout d'un moment, devant la foule, nous n'avons contrôlé ni les billets ni les personnes, puisqu'il fallait faire rentrer des gens dans un stade, alors que d'autres, des femmes, des enfants risquaient d'être écrasés contre les grilles.
Monsieur Richard, la ligne B ne fonctionne pas toujours très bien... Je constate d'ailleurs que, vendredi prochain - c'est sans doute un hasard si c'est aussi le jour du match France-Danemark - une nouvelle grève est prévue. Ce n'est certes pas la première fois, mais, même en cas de grève du B, le RER D n'a jamais accueilli 35 000 personnes de plus au stade. Quiconque a géré une collectivité locale, sait très bien qu'accueillir 40 ou 50 % de personnes de plus que ce qui est prévu n'est pas une mince affaire. Or la grève du RER B aurait dû générer deux fois plus de voyageurs sur le D, pas trois fois et demie plus !
Il faut peut-être prévoir désormais, lorsqu'il pourrait y avoir 40 000 personnes surnuméraires autour d'un stade, que les moyens en UFM soient revus à la hausse. À ce propos, monsieur le sénateur, ce n'est pas trente-six, mais trente-trois UFM que nous avons mis à disposition du préfet de police, soit un tiers de celles qui sont à disposition du ministre de l'intérieur. C'est effectivement mon cabinet, sous mon autorité, qui, tous les jours, valide cette répartition. J'ai moi-même reçu le préfet de police la semaine précédente pour qu'il m'explique succinctement le dispositif qu'il mettait en place ; je veux rappeler ici toute la confiance qu'il m'inspire.
Pourquoi n'y en a-t-il eu que dix sur trente-trois autour du Stade de France ? C'est qu'il en fallait quatre autour des « fan zones », deux dans les aéroports, quatre sur les Champs-Élysées, mais aussi pour la nuit, sur les aires d'autoroute, dans les transports en commun, des unités de repli en cas d'attentat ou de manifestation. Il n'était pas disproportionné d'imaginer que dix suffiraient au Stade de France - c'est toujours deux de plus que pour la finale de la Coupe de France. C'était même un peu surévalué, en réalité : ce qui nous a manqué, ce ne sont pas des effectifs d'ordre public, mais de sécurité publique.
Il faut dire aussi que la France manque cruellement d'UFM ; nous devons parfois un mois de congé aux gendarmes mobiles et aux CRS qui ont fait la Nouvelle-Calédonie, les Antilles, la présidence française de l'Union européenne, les grands événements sportifs, les déplacements des autorités. Or quinze de ces unités ont été supprimées en dix ans - mais nous proposons d'en recréer onze.
Monsieur le sénateur Dominati, la difficulté est liée à la fonction : depuis que je suis ministre de l'intérieur, on a réclamé six fois ma démission lors d'auditions au Parlement. Aujourd'hui, on ne l'a pas fait... C'est de bon augure ! Mais je sais que cela n'a rien de personnel. En son temps, l'opposition avait réclamé la démission de M. Cazeneuve lors de l'affaire de Sivens.
Quand je suis devenu ministre de l'intérieur, les syndicats de police disaient : les ministres passent, les syndicats restent. Je constate que, grâce au Président de la République, le ministre de l'intérieur est resté. J'espère que cette continuité permettra d'engager des réformes que nous appelons tous de nos voeux. Je serai toutefois moins dur que vous sur la réforme de structure de la préfecture de police...
Madame la ministre des Sports et moi-même n'organisons pas les matchs de football en France, nous ne tenons pas la billetterie, nous n'embauchons pas les stadiers, nous ne contrôlons pas les billets et nous ne touchons pas l'argent qui va avec... La responsabilité est donc à tout le moins partagée dans cette affaire.
Je fournirai à la commission tous les documents souhaités.
Madame de La Gontrie, après vérification, l'hélicoptère qui a volé au-dessus du Stade de France appartenait à l'organisateur et non aux forces de l'ordre. Nous n'avons pas d'images aériennes. N'hésitez pas à voter la prochaine loi qui donnera les moyens nécessaires au ministère de l'intérieur ! Nous n'avons pas le droit de capter de telles images, même par hélicoptère.
Sur la modernisation de l'ordre public, sur la formation de nos policiers, sur la gestion des grands événements, sur la lutte contre la délinquance, sur la lutte antidrones, sur les images que nous pourrions utiliser, sur les attaques cyber, il est évident que le Gouvernement, et le ministère de l'intérieur en particulier, a des efforts très importants à fournir pour la coupe du monde de rugby, qui rassemblera 2,5 millions de personnes, et pour les jeux Olympiques. Je propose de venir vous présenter périodiquement la modernisation réalisée en prévision de ces échéances. Élu moi-même, je crois profondément à l'intérêt des contre-pouvoirs et à l'inspiration qu'apportent la Haute Assemblée comme l'Assemblée nationale.
M. François-Noël Buffet , président . - J'ai omis de préciser que le président Kanner étant à des funérailles, il ne pouvait pas être présent cet après-midi. Ancien ministre des sports, il m'a dit à quel point il le regrettait.
Avec cette audition, nous venons de franchir une première étape vers la vérité, absolument nécessaire pour que nous puissions organiser des manifestations de très haut niveau dans les mois et années qui viennent, comme nous l'avons fait par le passé. Nous souhaitons qu'elles soient une réussite.
Nous sommes déterminés à savoir comment les choses ont été organisées et quelles erreurs ont pu être commises. C'est essentiel, dans notre fonction de contrôle du Gouvernement.
Il est nécessaire de disposer d'éléments complémentaires. Monsieur le ministre, je vous remercie de nous communiquer rapidement ceux que nous ne manquerons pas de vous demander. Nous acceptons volontiers de vous retrouver régulièrement devant la commission pour évoquer les évolutions de doctrine et les manières de faire de notre police. Nous la soutenons dans sa mission difficile mais cette mission doit être parfaitement définie et adaptée, dans notre cadre républicain.
Merci à toutes et à tous.
Audition de M. Didier Lallement, préfet de police
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale . - Monsieur le préfet, le président Lafon et moi-même avons souhaité vous entendre sur les événements qui ont eu lieu, il y a quelques jours, au Stade de France, à l'occasion de la finale de la Ligue des champions. Cette audition est retransmise en direct par la chaîne Public Sénat et sur le site internet du Sénat.
Nous avons entendu, la semaine dernière, le ministre de l'intérieur ainsi que la ministre des sports au sujet de ces mêmes événements. Vous étiez, ès qualités de préfet de police, en charge de la surveillance et de l'organisation de cet événement. Je tiens à vous dire, de la manière la plus directe possible, que l'objectif de nos deux commissions est de comprendre ce qui s'est réellement passé afin de pouvoir ensuite apporter les réponses qui conviennent. Ceux qui sont présents dans cette salle ne sont en quête de rien d'autre que de la vérité.
En ce qui concerne, tout d'abord, les conditions d'accès au stade et les raisons qui ont conduit au blocage et à la dispersion de la foule par l'usage des gaz lacrymogènes, le ministre a insisté, la semaine dernière, sur l'ampleur d'une fraude aux billets, qui selon lui n'était pas prévisible, et sur le nombre inattendu, semble-t-il, de supporters de l'équipe de Liverpool présents. Plusieurs questions demeurent quant à cette imprévisibilité alléguée et aux chiffres, qui devront incontestablement être mieux établis.
À cet égard, les remontées d'informations dont vous disposiez, non seulement sur la grève des transports, mais aussi grâce à la note des services de renseignement du 25 mai dernier sur la présence de supporters ainsi que sur les billets d'accès sous forme papier vous ont conduit, légitimement, à mobiliser des forces de police en quantité importante pour organiser cet événement. Il reste à savoir quelle doctrine d'emploi et quelle organisation avaient été définies pour que ces forces de police puissent répondre à la situation telle qu'on pouvait probablement, en partie, la prévoir.
Une autre question porte sur la situation quelque peu surprenante dans laquelle s'est retrouvé un public somme toute passif, ou du moins calme et plutôt familial, contre lequel on a fait usage de bombes lacrymogènes, comme l'ont montré des images qui ont circulé à la télévision. Comment comprendre, en effet, que des gens qui attendaient patiemment aient pu recevoir un jet de gaz lacrymogène ? Il faut nous expliquer ce qui s'est vraiment passé.
Ensuite, nous souhaitons revenir sur la séquence qui relève non pas du maintien de l'ordre mais de la sécurité publique. De nombreuses agressions ont eu lieu autour du stade : on entend dire que 400 ou 500 personnes auraient agressé des supporters ou, du moins, des gens qui se rendaient au stade, en leur faisant les poches ou en les attaquant physiquement, comportements qui relèvent de la délinquance pour nommer les choses par leur nom.
Or nous n'avons que peu d'éléments sur la gestion de ces incidents, sur les suites qui leur ont été données, voire sur les possibilités de leur anticipation. Nous ne comprenons donc pas bien ce qui s'est passé. On ne peut réduire la situation, nous semble-t-il, aux difficultés que des supporters auraient rencontrées pour accéder au stade ; nous devons la clarifier parfaitement en établissant les faits d'agression commis par des délinquants contre les supporters.
La dernière question qui en découle porte sur la nature du dispositif de sécurité publique prévu à l'issue du match. Estimez-vous que ce dispositif a fonctionné ? Quelles améliorations possibles avez-vous envisagées pour d'autres événements de cette ampleur, comme la Coupe du monde de rugby qui doit avoir lieu l'année prochaine, les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et d'autres manifestations qui pourront se tenir au Stade de France ?
Monsieur le préfet, nous ne sommes pas contre la police, loin de là. Nous comprenons ses difficultés et nous la soutenons. Cependant, au sujet de ces événements, nous cherchons à savoir pourquoi 400 millions de téléspectateurs ont vu, ce soir-là, une telle situation au Stade de France, à l'occasion d'un événement sportif majeur. Cela relève pour nous de l'incompréhensible et c'est la raison pour laquelle nous voulons que vous nous éclairiez.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication . - Comme l'a dit le président Buffet, dans le cadre de notre exercice de contrôle, notre rôle est de comprendre ce qui s'est réellement passé. Nous le devons à ceux qui ont été victimes de ces incidents. En outre, il nous faut tirer tous les enseignements de cette finale de la Ligue des champions, en vue de la préparation de la Coupe du monde de rugby et des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.
Monsieur le préfet, tel est l'état d'esprit dans lequel s'inscrit cet échange avec vous, qui nous permettra d'obtenir des réponses à un certain nombre de questions qui se posent encore.
M. Didier Lallement, préfet de police . - Je vous remercie pour votre invitation qui permettra, je l'espère, de clarifier les points qui doivent l'être.
Avant toute chose, je voudrais vous dire qu'en tant que préfet de police, je suis le seul responsable opérationnel de l'ordre et de la sécurité publics dans l'agglomération parisienne, c'est-à-dire à Paris et dans les trois départements de la petite couronne. Je ne suis d'ailleurs pas le préfet de police « de Paris », mais le préfet de police tout court. Par conséquent, puisque le sujet concerne la Seine-Saint-Denis - je veux être très clair sur ce point -, les préfets des départements de la petite couronne n'ont aucune compétence en matière d'ordre et de sécurité publics. Les fonctionnaires de police et les militaires de gendarmerie interviennent sous mon autorité directe ou sous celle que je donne par délégation à des hauts fonctionnaires, qu'ils soient du corps préfectoral ou de la police.
J'assume donc en totalité la responsabilité de la gestion policière de la journée du samedi 28 mai et - je le répète encore une fois - j'en suis non seulement devant vous, mais également devant le pays, le seul comptable opérationnel.
Ceux qui ont agi l'ont fait sous mon commandement et je veux d'abord les saluer. Policiers ou gendarmes, ils ont fait preuve d'une énergie et d'une volonté, ce soir-là comme à l'accoutumée, que je voudrais ici souligner. Sans eux, un drame aurait pu se produire. Je leur fais donc part publiquement, comme je l'ai fait plus indirectement, de ma reconnaissance pour leur action et de ma fierté de les avoir sous mes ordres. Ils ne sont pas pour moi des « troupiers » - expression d'un siècle passé, que l'on associe plutôt au mot « comique », même si elle ne me fait pas rire -, mais des collègues ou des camarades d'une grande valeur professionnelle et morale.
N'éludant pas mes responsabilités, je regarde, ou du moins j'essaye de regarder avec la plus grande lucidité possible ce qui s'est passé autour du Stade de France ce soir-là. C'est à l'évidence un échec, car des personnes ont été bousculées ou agressées alors que nous leur devions la sécurité. C'est un échec aussi, car l'image du pays - vous l'avez souligné, monsieur le président - a été ébranlée. Mais je dois insister, au-delà de cet échec, sur le fait que, face à une crise d'ampleur, dans un contexte dégradé et difficile, nous avons fait en sorte que le match se tienne et surtout qu'il n'y ait aucun blessé grave ni aucun mort. Qui plus est, dans Paris intra muros , tant dans les zones de circulation des supporters que dans la fan zone , ou bien hors de Paris, dans les aéroports de Roissy et d'Orly, il n'y a eu aucun incident significatif.
Je vous disais avoir conscience que l'image de la France a été atteinte : c'est une blessure pour moi, car l'amour de la patrie et l'honneur du drapeau comptent plus que tout.
À nos hôtes étrangers, qu'ils soient espagnols ou anglais, qui ce soir-là n'ont pas tous trouvé les conditions sûres d'un accueil, ainsi qu'à l'ensemble de nos concitoyens français, je veux dire également mes regrets sincères.
Comme le ministre de l'intérieur l'a demandé, des pré-plaintes sont disponibles en ligne et des fonctionnaires de la préfecture de police sont présents à Liverpool et à Madrid pour aider, si besoin est, ceux qui le souhaitent à les remplir. J'encourage donc non seulement l'ensemble de nos concitoyens, mais également les ressortissants anglais et espagnols à porter plainte - c'est extrêmement important - pour que nous puissions retrouver et poursuivre leurs agresseurs. Je les encourage également à porter plainte si jamais ils ont acheté des faux billets, car il est essentiel que nous ayons une vision claire de la situation en la matière. Je leur promets donc à tous que nous ferons tout pour retrouver les coupables et les présenter à la justice.
Je ne reviendrai pas longuement sur les causes de ce qui s'est passé ce soir-là, les ministres ayant dans leurs auditions déjà largement détaillé l'analyse que l'on peut en faire. Je veux toutefois insister sur deux décisions que j'ai eu à prendre et sur les conséquences qu'elles ont eues.
D'abord, la levée du barrage de pré-filtrage dit « de l'avenue Wilson », vers 19 heures 45. Notre rôle, sur les barrages, est d'assurer une protection antiterroriste grâce à des véhicules faisant fonction d' « anti-béliers », pour reprendre notre terminologie, et grâce à la présence d'effectifs munis de ce que l'on appelle des « armes longues », destinées à parer une attaque terroriste. Vous vous souvenez tous que le Stade de France a été l'objet d'une attaque terroriste ; on peut donc considérer que cette protection relève non pas de la gesticulation, mais d'une absolue nécessité face à une menace qui est toujours existante.
Les « forces de sécurité intérieure » - sous ce vocable je vise, bien évidemment, tant les policiers que les gendarmes que j'avais sous mon autorité - n'étaient pas chargées de la vérification des billets, pas plus que la préfecture de police n'était l'organisateur de l'événement. La prérogative de vérification des billets était de la responsabilité de l'organisateur. D'ailleurs, si notre dispositif lors des événements sportifs a toujours prévu des pré-filtrages, c'est-à-dire des contrôles de personnes, cela n'était que la deuxième fois depuis 2016 que des contrôles de billets étaient réalisés à ce niveau.
Il se trouve qu'en raison de l'arrivée tardive et plutôt massive des supporters, peut-être due aux difficultés de transport, ce contrôle s'est embolisé. En effet, les personnes rejetées pour absence de validité de leur titre essayaient de passer à tout prix ou bien ne pouvaient plus reculer, en raison du nombre toujours plus grand de personnes se trouvant derrière elles.
Nous avons aidé les personnes chargées du contrôle à maintenir ce barrage mais, à un moment, toutes les indications qui remontaient jusqu'à moi m'ont fait craindre un drame par écrasement, c'est-à-dire une bousculade de plusieurs milliers de gens. Nous constations en effet, au-delà de la file d'attente au barrage de pré-filtrage, la présence de plus en plus importante de personnes dont le plus grand nombre semblaient être des supporters. Il est à noter que si la préfecture de police disposait d'informations précises sur le nombre et les trajets des supporters venant d'Espagne, transmises par l'Union des associations européennes de football (UEFA), cela n'était pas le cas concernant les supporters de Liverpool, incités par leur club à se rendre massivement à Paris, même dépourvus de ticket, sans que nous ayons d'indications précises sur une organisation de ce déplacement au niveau du club. Il y a donc eu une série de déplacements individuels, voire collectifs, non organisés, à l'inverse de ce qu'étaient les déplacements des supporters de Madrid.
Les premiers éléments venant des opérateurs de transport confirmaient ces arrivées et ont été à l'origine du chiffre de 30 000 à 40 000 personnes évoluant aux alentours du stade. C'est moi qui ai donné ce chiffre au ministre et je l'assume totalement. On peut discuter l'exactitude du chiffre qui figure dans les tableaux présentés par le ministre, car lorsque je parle de « 30 000 à 40 000 personnes », il s'agit en réalité de 34 000 individus, sur la base des indications qui nous ont été données ce soir-là par les opérateurs de transport et du constat que nous pouvions faire. J'observe que les enquêtes de presse qui ont été menées aboutissent à un chiffre légèrement inférieur, d'à peu près 24 000 personnes.
Cependant, sur le plan opérationnel, au-delà de plusieurs milliers de personnes évoluant en périphérie des barrages, l'ampleur exacte du chiffre n'était pas essentielle et ne l'est toujours pas. Le risque qu'une masse supplémentaire de personnes s'ajoute aux 10 000 à 15 000 individus déjà présents dans cette « queue Wilson » - si vous me permettez de la dénommer ainsi - était en soi une menace extrême qui, en se superposant à la difficulté d'une situation déjà grave, accroissait en quelque sorte le risque de perte de vies et de blessures graves.
Je veux vraiment souligner cet élément, car il a été le fil rouge de notre attitude tout au long de la soirée : sauver des vies et sauver des personnes.
Oui, j'ai donné l'ordre de lâcher le barrage et de laisser passer la foule sans s'y opposer par des manoeuvres de police. Une nouvelle fois, publiquement devant vous, j'assume cet ordre. Ce faisant, je laissais l'accès libre à l'espace autour du stade, alors qu'au moment de toutes les compétitions précédentes, il était filtré et donc inaccessible à des personnes aux intentions douteuses. C'est, à mon avis, ce qui a permis à 300 ou 400 individus - peut-être légèrement plus - de se livrer à des vols et à des dégradations, pendant que d'autres se tenaient en périphérie des gares, le dispositif ne présentant plus l'étanchéité suffisante ni la capacité dissuasive nécessaire pour empêcher ces vols.
En levant ce barrage, nous avons aussi levé progressivement les autres, puisque le public arrivait dans le dos des barrages nord et est, en venant du sud, et pouvait accéder au parvis du stade que l'on désigne aussi comme un mail . La foule pouvait y pénétrer largement, indépendamment de tout contrôle. Il fallait donc forcément lever les barrages qui ne servaient plus à rien.
Bien évidemment, les supporters anglais et d'autres se sont concentrés autour des portes d'accès au stade, par lesquelles ils devaient passer. Des incidents ont donc eu lieu aux portes Y, Z et A, qui ont été largement documentés. Les mêmes causes ont produit les mêmes effets, du moins selon la vision qui est la nôtre, à savoir celle de la police, car je ne sais pas exactement ce qui s'est passé en ce qui concerne les contrôles de billets. Ces portes ont menacé de lâcher et ont même parfois été franchies par des gens qui n'ont pas hésité à sauter par-dessus les portillons, voire par-dessus les grillages.
J'ai donc pris une seconde décision, celle de replier une grande partie du dispositif à l'intérieur du stade pour éviter son envahissement par des milliers de personnes, dont je ne savais pas si elles étaient autorisées ou non à y entrer. Si ces milliers de personnes étaient entrées dans le stade sans avoir le billet nécessaire, il n'y aurait tout simplement pas eu de match. Ce que nous avons fait, c'est permettre le match.
Ce qui m'intéressait, dans une vision policière, c'est bien évidemment que le match se tienne au niveau sportif, mais surtout que l'on ne se retrouve pas avec 70 000 personnes extrêmement mécontentes, qui auraient pu elles-mêmes provoquer, à ce moment-là, des mouvements de foule. Il est absolument nécessaire, quand un stade est plein, que le match se joue, pour éviter des évacuations et de nouvelles bousculades, c'est-à-dire pour éviter d'ajouter du désordre au désordre.
Afin de diminuer la pression de la foule sur les grilles et les tourniquets, il fallait faire reculer les gens. En effet, le sujet était encore et toujours le même : la pression, la pression, la pression ! Nous avons donc demandé aux gens de reculer, et force est de constater qu'il ne s'est rien passé. Alors, nous avons utilisé - vous l'avez mentionné, messieurs les présidents, et je l'assume aussi complètement - du gaz lacrymogène, seul moyen, à notre connaissance policière, pour faire reculer une foule, sauf à la charger. J'insiste sur ce point et je considère que cela aurait été une erreur grave de charger les gens.
L'utilisation du gaz lacrymogène a fonctionné. J'ai bien conscience que, ce faisant, ont été gazées des personnes de bonne foi - car il y avait des personnes de bonne foi prises dans cette foule - et parfois même des familles. J'en suis totalement désolé au nom de la préfecture de police, mais, je le redis, il n'y avait malheureusement pas d'autres moyens.
Cette action de police impérative n'interroge en rien la doctrine de maintien de l'ordre. Il me semble en effet, dans ce que j'ai vu des commentaires de presse, qu'il peut y avoir une confusion en la matière. Le débat sur la doctrine porte sur le fait de savoir si, dans une manifestation à risque, les forces de sécurité intérieure doivent se tenir à distance ou bien être au contact. Tout le débat sur le schéma national du maintien de l'ordre tournait autour de cet élément-là.
Depuis que je suis en poste - ma position est parfaitement claire sur le sujet et je l'ai exprimée publiquement -, je préconise, dans le cas où le risque de trouble à l'ordre public est fort, d'être au contact. Je me souviens des images du 1 er mai 2018 sur lesquelles on voit que lorsqu'un espace est laissé aux casseurs, ceux-ci n'hésitent pas à l'occuper, à l'utiliser et à provoquer des destructions. Je défends donc effectivement cette nécessité d'être au contact et je l'ai recommandée dans le schéma national du maintien de l'ordre qui a été ainsi arrêté par le ministre.
En l'espèce, tel n'était pas le problème puisque nous étions d'ores et déjà au contact ; c'était même là toute la difficulté : être beaucoup trop au contact d'une foule qui nous pressait. Il ne s'agissait donc pas d'un débat de doctrine sur le maintien de l'ordre, mais tout simplement d'un problème de manoeuvre dans le maintien de l'ordre. Par conséquent, le sujet de la doctrine ne me paraît pas avoir de rapport avec les interrogations qui se posaient à nous, le seul mot d'ordre, qui prévalait absolument, étant de sauver des vies.
Une fois le match commencé, nous avons évacué ce que j'appelle le « parvis », c'est-à-dire les alentours du stade qui étaient protégés par notre système de barrages, en chassant les gens qui s'y trouvaient, notamment les 300 à 400 indésirables que j'évoquais précédemment. Nous avons effectivement utilisé pour cela des moyens intermédiaires de diverses natures, en particulier des grenades lacrymogènes. Toutefois, n'étaient pas concernés par cette évacuation les spectateurs qui entre-temps avaient pu entrer dans le stade, puisque celle-ci est intervenue une fois le match commencé.
À l'évidence - c'est du moins le sentiment que j'ai -, le groupe de ces « indésirables » - je les qualifie comme tels, mais l'on peut trouver d'autres noms, si vous le souhaitez - ne s'est pas dispersé et est resté aux alentours, dans la périphérie du stade.
Je vous confirme donc que la cause de la situation décrite tient au nombre très élevé de billets rejetés par les contrôles et vraisemblablement faux pour la plupart, sauf bien sûr si les organisateurs nous indiquaient une défaillance de leur système de contrôle, dont je n'ai pas connaissance, qu'elle porte sur les stylos chimiques utilisés aux barrages ou sur les dispositifs de tourniquet à l'entrée du stade. Je reconnais donc que, dès lors que nous avons levé le périmètre sécurisé, des troubles et des délits ont pu avoir cours aux abords du stade, puisque le dispositif qui avait été opérant à l'occasion de tous les matchs précédents ne l'était plus, pour la raison indiquée. Je revendique - et je me permets d'insister peut-être un peu lourdement sur ce point - le fait que les décisions prises étaient les seules qui pouvaient garantir l'intégrité physique des personnes et la tenue du match.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Je voudrais revenir un peu en amont sur la préparation de l'événement. Les deux ministres que nous avons reçus la semaine dernière ont fait état d'un certain nombre de réunions préparatoires, ce qui n'a rien de surprenant. Certaines de ces réunions ont été placées sous l'autorité du délégué interministériel aux jeux Olympiques et Paralympiques (Dijop) et d'autres sous votre « présidence » - je crois que c'est le terme utilisé par le ministre de l'intérieur et vous pourrez nous le confirmer. Je souhaiterais savoir comment ont été anticipés les risques, notamment lors des dernières réunions du 25 et du 27 mai, juste avant la finale, alors même que deux éléments nouveaux étaient portés à connaissance : d'une part, la grève du RER B et ses conséquences sur les flux de voyageurs à la sortie des deux gares et sur l'organisation des points de filtrage ; d'autre part, la note de la division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH) qui faisait clairement état d'une présence massive de supporters de Liverpool, en plus de ceux qui avaient des billets. Quelles ont été les décisions prises et quelle a été l'évaluation de ces deux risques lors des réunions préparatoires, en particulier les deux dernières, celles du 25 et du 27 mai ?
M. Didier Lallement . - Vous avez raison de le rappeler, monsieur le président, la coordination de la préparation a relevé, comme pour tous les grands événements sportifs, de la responsabilité du délégué interministériel et la préfecture de police a participé à l'ensemble des réunions préparatoires dans lesquelles ont été évoqués tous ces sujets, notamment les risques de grève. Nous avons eu par ailleurs un certain nombre de réunions dans d'autres formats, en présence de différents acteurs, sur des points beaucoup plus précis.
Les éléments portant sur le nombre de supporters susceptibles de venir sont précisés dans la note de la DNLH, qui indique d'ailleurs un chiffre de 50 000 supporters, donc assez important. Par conséquent, la délégation interministérielle aux grands événements sportifs (Diges) avait prévu, avec mon complet accord, un dispositif de fan zone , dimensionné pour 44 000 personnes sur le cours de Vincennes, grâce à l'aide de la mairie de Paris que je tiens à remercier, et pour 6 000 personnes au niveau du parc de la Légion d'honneur, grâce à l'aide de la ville de Saint-Denis que je tiens également à remercier. Nous savions que notre dispositif de fan zone n'intégrerait pas la totalité des personnes sans billet puisque je vous parle, d'un côté, de 50 000 supporters et, de l'autre, de 44 000 personnes, la différence étant de 6 000 individus dont nous avons considéré qu'ils se rendraient dans différents cafés et endroits où l'on pouvait voir le match.
Les premières observations de la journée nous ont d'ailleurs donné raison, puisque des supporters de Liverpool étaient répartis un peu partout dans Paris et que leur attitude très pacifique a permis qu'il n'y ait que très peu d'incidents, même si un certain nombre d'entre eux étaient assez alcoolisés.
Pour répondre précisément à votre question sur l'anticipation de la grève, les expériences que nous avions eues précédemment nous montraient que, même en cas d'arrivée massive de supporters, le dispositif « d'accès D » - si vous me permettez de désigner ainsi les supporters sortant du RER D et allant vers cette fameuse rampe Wilson -, aussi étroit soit-il, permettait d'assurer la fluidité de la circulation - il est vrai qu'il n'y avait pas de contrôle de billets lors des événements passés que je prends ici en exemple.
Je suis donc parti du principe que nous ne mettrions en place des barrages pour faire dévier les gens sortant du RER D vers l'accès des supporters sortant du RER B, qui permettait d'accéder au stade par une avenue plus large, que si nous étions dans la situation d'une embolie du dispositif. Il est vrai que nous avons attendu jusqu'à 19 heures 15 pour mettre en place cette déviation des personnes sortant du RER D afin de les envoyer sur la voie d'accès du RER B - j'utilise cette terminologie pour essayer de me faire comprendre. Sans doute était-ce trop tardif. Nous aurions dû le faire un petit peu avant, car nous avons constaté que le nombre de personnes qui s'aggloméraient sur la rampe Wilson était beaucoup trop important. Nous aurions pu, sans doute, gagner un quart d'heure dans la manoeuvre pour alléger la pression causée par cette arrivée de supporters.
Toutefois, ce n'est pas tellement ce qui m'importait, car même si nous avions dévié le flux, entre 10 000 et 15 000 personnes étaient entassées sur cette rampe. Vous connaissez les lieux, la rampe passe sous l'A86, mais il fallait surtout tenir compte du tunnel qui passe sous l'A1, qui est un tout petit tunnel à gros facteur de risques. Ainsi est le Stade de France, ainsi a-t-il été conçu et ainsi les accès ont-il été constitués. La police peut beaucoup de choses dans ce pays, mais elle ne peut pas pousser les murs.
Je n'avais pas de raison de penser qu'un afflux de personnes, même dans cette configuration et même en cas de grève, aboutirait à cette situation. De notre côté, nous n'avions pas envisagé qu'à la présence de supporters sans billet s'ajouterait celle de personnes munies de faux billets.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Oui, ce point est important, car nous avons besoin de comprendre comment s'opère la coordination entre les différents acteurs - l'UEFA, la Fédération française de football et la préfecture de police, sous votre autorité -, notamment sur le plan de la gestion des flux. Qui décide de quoi et à quel moment ? Il est vrai qu'il est toujours plus facile d'analyser la situation à froid, mais il y avait trois points de filtrage à la sortie du RER D - vous me corrigerez si je me trompe - et huit ou neuf - je cite ces chiffres de mémoire - à la sortie du RER B, alors même que les flux de voyageurs allaient être inversés par la grève du RER B. L'organisation des points de filtrage a-t-elle été revue à l'occasion de l'annonce de cette grève ? Je me permets d'insister sur la question. Vous nous dites que cela n'a pas fait l'objet d'une nouvelle interrogation, en tout cas au moment où il y a eu cette annonce de grève ?
M. Didier Lallement . - Je vais revenir sur l'architecture de l'organisation du dispositif. Nous n'avions pas la charge des points de filtrage, donc je ne peux pas vous répondre sur cette question. Encore une fois, nous étions dans un dispositif antiterroriste en amont des points de filtrage et en renfort des personnels du stade au moment des bousculades. C'est-à-dire que nous arrivons en arrière du dispositif pour seconder les personnels lorsque cela commence à bousculer. Mais pendant tout le début de l'opération, nous sommes devant parce que notre problème, c'est un acte terroriste qui viendrait de l'extérieur, en amont du point de filtrage.
Je ne peux donc pas vous dire si, du point de vue de l'organisation du dispositif de contrôle des billets, des éléments ont été ou non pris en compte par les organisateurs. Vous allez les auditionner cet après-midi, ils sauront certainement vous répondre mieux que moi.
Notre organisation par rapport à cet événement était extrêmement classique. Nous ne gérions pas uniquement l'événement au Stade de France. Je pilotais dans la salle opérationnelle de la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC) de la préfecture de police l'ensemble du dispositif, qui centralisait et synthétisait les informations venant des fans zones , car il fallait aussi gérer en même temps ces espaces. Au Stade de France, il y a un PC sécurité dans lequel il y a la police, les forces de gendarmerie qui sont mises à ma disposition et, bien sûr, les organisateurs du stade. J'avais confié ce poste de commandement à mon directeur de cabinet, secondé par l'inspecteur général Marsan, ici présent. C'est donc ainsi que m'étaient remontées les informations que je vous ai signalées à l'instant. Le contact avec les organisateurs se faisait au travers de ce PC dans lequel se trouvaient les responsables du Stade de France. Il y a donc eu des échanges, qui ensuite me remontaient. Mais au niveau de mon propre poste de commandement, de mon propre PC, je n'avais pas de contact avec les organisateurs.
Je note d'ailleurs, pour être parfaitement précis et parce que c'est important, que l'horaire que j'ai cité précédemment n'est pas 19 heures 15, mais exactement 19 heures 18.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - J'ai une question sur le chiffre, que vous avez cité dans votre propos liminaire, de 30 000 à 40 000 spectateurs supplémentaires qui n'avaient pas de billet ou qui avaient un faux billet. Ce chiffre, que vous êtes le premier à avoir avancé - il figure dans la note transmise par le ministre de l'intérieur que vous avez rédigée en date du 29 mai - fait débat et pose question. Certes, vous êtes prudent et vous précisez qu'il s'agit « sans doute » de 30 000 ou 40 000 personnes au-delà des 80 000 enregistrées dans le stade. D'où vient ce chiffre au moment où vous le transmettez au ministre ? Quelles sont les informations à votre disposition pour avancer un chiffre dont on sait qu'il va faire débat ? Quelles sont vos sources ?
M. Didier Lallement . - J'ai bien compris que ce chiffre faisait débat, c'est pourquoi j'ai pris la précaution de vous dire que j'en suis le seul responsable. Je vous donne les chiffres dont nous disposions au moment des événements. Ils remontaient, bien évidemment, du constat des opérateurs de transport : ce n'est pas moi qui compte le nombre de personnes dans les wagons.
Ils remontent également du dispositif que nous avions mis en place puisque je suis responsable de la police des transports. Nous avions donc des équipes déployées dans l'ensemble du dispositif de transport conduisant au Stade de France, tant sur le RER B que sur le RER D ou sur les lignes de métro. Ce sont des effectifs de la police des transports, qui dépendent de la direction de la sécurité publique de la préfecture de police.
J'avais donc à ma disposition des chiffres émanant des opérateurs, mais également des fonctionnaires de terrain, qui nous ont permis de faire le constat d'éléments de volume. C'est une procédure classique : on évalue par rapport à ce que l'on connaît.
Encore une fois, ce chiffre n'avait pas une vertu scientifique. Il s'agissait simplement de la remontée d'une information, laquelle était absolument capitale, à savoir que le nombre de personnes excédait largement la contenance du stade. Par conséquent, si ces personnes avaient toutes fait pression sur les barrages, puis ensuite sur les portes, nous aurions eu d'extrêmes difficultés...
Peut-être me suis-je trompé en transmettant au ministre le chiffre de 30 000 à 40 000 personnes. D'ailleurs, nous avons essayé de le reconstituer : le ministre vous a fourni dans un PowerPoint des éléments de calcul reconstitués avec les opérateurs. Jamais je n'ai prétendu que ce chiffre était parfaitement juste, mais il me paraît totalement refléter l'état de la situation.
Encore une fois, jamais il n'a été affirmé que 30 000 à 40 000 personnes se trouvaient strictement aux abords du stade. Je crois même avoir dit le contraire. J'ai lu dans les journaux que, aux dires de gens de bonne foi, personne n'avait compté 30 000 à 40 000 personnes devant les portes du stade. Mais nous non plus n'avons jamais compté 30 000 à 40 000 personnes devant les portes du stade ! On subodorait leur nombre uniquement sur la périphérie de nos barrages, c'est-à-dire aux arrivées, au regard des éléments fournis par les opérateurs.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Pouvons-nous, quinze jours quasiment après l'événement, avoir aujourd'hui des chiffres plus précis sur le nombre de personnes aux abords des points de filtration ?
M. Didier Lallement . - Je vous ai donné tous les chiffres à notre disposition dans le PowerPoint présenté par M. le ministre. Les opérateurs pourront certainement, mieux que moi, vous fournir des éléments plus précis. Mais nous les avons interrogés. Encore une fois, contrairement à ce que j'ai pu entendre dire, ces chiffres ne sortent pas de nulle part et ne sont pas nés de mon imagination. J'ai bien compris qu'il s'agissait d'un sujet politique, même si, pour ma part, je l'appréhende d'une façon opérationnelle. Or, d'un point de vue opérationnel, qu'il y ait eu autour du stade 40 000, ou 30 000, ou 20 000 personnes, cela ne changeait rien au fait que des dizaines de milliers de personnes étaient susceptibles de rentrer dans le dispositif. C'était cela, l'information absolument essentielle. Effectuer un décompte à 5 000 personnes près n'avait, en termes opérationnels, pas grande importance.
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Je rebondis sur ce que vous venez de dire. D'abord, nous sommes étonnés que les chiffres annoncés ne soient pas aujourd'hui corroborés par les images de vidéo-surveillance. Or le stade est parfaitement équipé de ce genre de dispositif... Ma question porte sur la note de la DNLH du 25 mai 2022. Dans un premier temps, en début d'audition, le ministre nous a dit ne l'avoir jamais vue. Puis, en cours d'audition, il a reconnu en avoir eu connaissance. Où est la vérité ?
M. Didier Lallement . - La vérité est très simple. D'abord, le ministre ne vous a jamais dit qu'il ne l'avait jamais vue ; il vous a dit que le préfet de police ne l'avait jamais eue, sur la base de ce que je lui avais indiqué. Or je l'avais eue, même si, à titre personnel, je ne l'avais jamais vue. Le ministre vous a simplement répété ce que je lui avais dit.
Je lui ai ensuite fait savoir en cours d'audition que la préfecture de police avait bien reçu cette note. Très franchement, je ne l'avais pas lue, pour une raison qui tient à nos procédures : nous avons une direction du renseignement qui reprend l'ensemble des éléments qui lui sont fournis et qu'elle synthétise dans des notes propres à ladite direction. Les éléments de la note de la DLNH étaient parfaitement connus de nous, mais quant à la note elle-même, portant le timbre DLNH - j'ai dit la vérité, monsieur le président, car je la dis toujours -, je ne l'avais jamais vue.
En tout état de cause, le ministre n'a jamais dit qu'il n'avait pas vu cette note. J'ai écouté son audition : il vous a dit que le préfet de police ne l'avait pas vue. Je lui ai ensuite envoyé un SMS, considérant que je m'étais mal exprimé, pour l'informer que la note avait bien été reçue, mais qu'elle n'avait pas été lue par moi. Tout cela n'a pas grande importance, l'essentiel étant que l'information soit fournie par les services de renseignement ; et ces éléments étaient bien dans les notes de la direction du renseignement de la préfecture de police. On peut épiloguer pour savoir si c'est sous le bon timbre ou pas, mais peu importe : j'avais ce niveau d'information.
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - On relira la déclaration du ministre. Il s'était positionné en disant qu'il n'avait pas eu connaissance de cette note. Qu'il s'agisse ensuite de lui ou de vous, peu importe : il n'avait pas cette information. Puis il a corrigé ses déclarations... Je ne partage pas tout à fait votre point de vue : cette note est malgré tout assez intéressante en termes de chiffres, de quantum et de risques annoncés. Je trouve - c'est un avis strictement personnel - qu'elle conditionne tout de même les circonstances de cet événement. Elle pouvait aussi permettre d'envisager la situation sous un angle un peu différent.
M. Didier Lallement . - Soyons clairs, j'avais ces éléments. Vous me parlez de la forme, moi je vous parle du fond : ces éléments, sur le fond, ont été portés à ma connaissance par la direction du renseignement de la préfecture de police, laquelle puise ses informations auprès de toute une série de sources, dont celles de la DLNH. Donc, je le redis, je disposais de ces éléments.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Ces éléments ont-ils fait l'objet de discussions avec les organisateurs au moment des réunions préparatoires des 25 et 27 mai ? C'est tout de même un point important, dont on a vu les conséquences le jour du match.
M. Didier Lallement . - Pas à ma connaissance. Pour ce qui est des informations sur le nombre de personnes susceptibles de venir, oui. Sur la note en elle-même, je ne crois pas.
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Une question presque naïve : la garde montée était-elle présente ce soir-là au Stade de France ? On sait en effet qu'elle est régulièrement présente lors des matchs, et nous connaissons les effets sécurisants de sa présence.
Par ailleurs, on a évoqué précédemment le nombre de 400 ou 500 personnes que je qualifierais volontiers de délinquants ou de personnes susceptibles de commettre des infractions. Quelle a été la réponse pénale ? Quid du nombre d'arrestations et des poursuites engagées ? Quelles ont été les instructions données pour lutter contre ceux qui ont fait les poches des uns et des autres ?
M. Didier Lallement . - Oui, il y avait une dizaine de fonctionnaires à cheval, comme c'est classiquement le cas lors des matchs.
En ce qui concerne la réponse pénale, les magistrats pourront vous répondre mieux que moi.
Nous avons effectué un certain nombre d'interpellations - elles ont été communiquées par le ministre -, tant aux abords du stade qu'à la périphérie. J'ai vu poindre dans le débat public une question : pourquoi n'avons-nous pas interpellé les supporters qui avaient un faux billet ? Effectivement, nous ne l'avons pas fait, car nous nous sommes concentrés sur ce qui semblait essentiel, à savoir les délits que nous constations.
J'ai choisi de ne pas interpeller les individus présentant un faux billet. Très franchement, au moment des faits, nous ne pouvions pas savoir s'il s'agissait d'une infraction ou d'un délit. Je préfère être clair, car c'est une critique que j'ai pu entendre ici ou là : nous n'avons interpellé personne pour ce motif parce qu'aucun élément ne nous permettait de le faire sur le plan pénal.
M. Michel Savin . - Monsieur le préfet, vous avez indiqué que 30 000 à 40 000 personnes avaient un billet falsifié ou n'avaient pas de billet. Je voudrais revenir sur la photo qui a été publiée par TF1 à 20 heures 58.
Ma question est simple : où se trouvaient, à 20 heures 58, c'est-à-dire deux minutes avant le début du match, les 30 000 à 40 000 personnes dont vous faites état ? Ce n'est pas qu'un problème politique, monsieur le préfet !
M. le ministre de l'intérieur nous a dit que la présence de 30 000 à 40 000 spectateurs en dehors du stade à 21 heures était la principale cause du report du match. Or, sur les images, nous ne les voyons pas. Quelle était la réponse à apporter à cette question, sachant qu'à 21 heures, 10 000 supporters anglais n'étaient toujours pas entrés dans le stade ? Ce n'est pas anodin, c'est une vraie question : M. le ministre, qui met en avant la présence de ces personnes pour expliquer le report du match, se trompe-t-il ?
L'UEFA et la Fédération française de foot parlent de 2 800 faux billets scannés aux tourniquets d'entrée du stade. J'ai bien compris que vous ne pouviez pas nous donner de chiffres, mais pouvez-vous confirmer les propos du ministre de l'intérieur selon lesquels entre 57 % et 70 % des tickets présentés aux points de pré-filtrage étaient frauduleux ?
Des débordements ainsi que des actes de délinquance et d'agression se sont déroulés autour du stade. M. le ministre a expliqué ces débordements par la présence de milliers de supporters de Liverpool sans billet ou avec de faux billets. Partagez-vous cet avis ?
M. Didier Lallement . - Monsieur le sénateur, je n'ai pas regardé la photo de TF1, mais je crois avoir donné tout à l'heure des indications assez précises. Les 30 000 à 40 000 personnes dont j'ai fait état n'étaient pas situées aux abords stricts du stade. J'ai expliqué qu'elles se trouvaient au-delà des barrages, lesquels n'étaient pas placés à l'entrée du stade : ils servaient à contrôler l'accès au parvis du stade.
Bien évidemment, il n'y avait pas 30 000 à 40 000 personnes devant les portillons du stade. Jamais personne n'a dit ça ! Je fais simplement état des observations et des comptes rendus que j'ai transmis au ministre. Il me semble, d'ailleurs, que ce dernier a été assez clair sur cette question.
Je ne crois pas que quiconque ait dit qu'il s'agissait de la principale cause du report du match. Selon l'UEFA et la Fédération française de football, le match a été reporté parce que tous les spectateurs n'étaient pas encore entrés dans le stade, notamment les supporters anglais, ce qui se constatait aisément en regardant les gradins du stade. S'ils n'étaient pas tous là, c'est qu'ils étaient à l'extérieur. Où étaient-ils ? En partie devant le stade, mais certains étaient ailleurs. Où exactement, je l'ignore ! Quoi qu'il en soit, leur absence a expliqué la décision du monde sportif de reporter le début du match.
Notre grande crainte était qu'effectivement il arrive d'autres supporters qui fassent encore plus pression sur le dispositif de contrôle, déjà en difficulté aux stricts abords du stade. Car le problème était, à ce moment-là, de savoir combien d'entre eux auraient un billet valide.
Sur les chiffres des pré-barrages et la validité des billets, il faut être précis. Il y a eu deux types de contrôle : le pré-contrôle, effectué avec une sorte de stylo chimique qui confirme la validité du billet - les organisateurs vous l'expliqueront mieux que moi -, puis le contrôle au portillon, comme cela se passe n'importe où.
Ce qui a été dit, et ce dont le ministre a fait état, c'est que le pré-contrôle a fait apparaître jusqu'à 70 % d'erreurs, un niveau si élevé que les organisateurs ont douté de la fiabilité même de ces stylos chimiques ; ils vous l'expliqueront. Personne n'a dit qu'il y avait eu 70 % de faux billets : nous avons simplement fait état de difficultés au moment du pré-filtrage. Il faut être précis, de même qu'il ne faut pas laisser penser que 40 000 personnes se seraient massées devant le stade...
M. Michel Savin . - Voici ce qu'a dit le ministre : « La délinquance a tenu au fait qu'il y avait des milliers et des dizaines de milliers de personnes en plus qui ne rentraient pas dans le stade. »
Vous nous dites qu'à 21 heures, il n'y avait quasiment personne devant le stade. Ce n'est pas la même chose...
M. Jérôme Durain . - Dans cette affaire, on nous dit que la faute incombe à tout le monde : les faux billets, les supporters trop nombreux, la Seine-Saint-Denis, dont un candidat à la présidentielle assène qu'elle est un territoire perdu de la République... Cependant, au sein même du ministère de l'intérieur, des questions visent la doctrine de l'usage de la force publique ; mais vous prétendez qu'elles sont hors sujet.
Un syndicaliste nous a dit que la préfecture de police de Paris voulait garder pour elle seule le coeur du maintien de l'ordre en activant les brigades de répression des actions violentes (BRAV) et les brigades anti-criminalité (BAC), plutôt que d'associer les gendarmes mobiles et les CRS. Ce syndicaliste nous a même dit que Paris était le seul territoire où la gendarmerie et les CRS n'étaient pas invités à la conception des opérations de maintien de l'ordre. Ma première question porte donc sur la doctrine de l'usage des forces.
Ma deuxième question porte sur la préparation elle-même. Nous entendons des choses assez confuses sur le fait que vous ayez, ou pas, tenu compte de telle ou telle note pourtant importante... La ville de Saint-Denis va produire une contribution écrite, qu'elle transmettra au préfet Michel Cadot, sur l'accès au stade, parce qu'il y a eu manifestement des innovations. Vous nous dites que vous ne pouvez pas pousser les murs. Certes, ces murs sont dans l'architecture du site, et il faut donc en tenir compte. Mais avez-vous pris en cours de soirée des initiatives sur le pré-filtrage ayant contribué aux difficultés d'accès au stade ?
Enfin, s'agissant de l'aide apportée aux supporters anglais en matière de dépôt de plainte, si les choses paraissent claires pour ce qui est des actes de délinquance qu'ils peuvent avoir subis, elles paraissent plus compliquées concernant les actes déplacés et les éventuelles erreurs des forces de l'ordre, en particulier lors des sommations. Quels correctifs pensez-vous pouvoir apporter au formulaire de dépôt de plainte ?
M. Didier Lallement . - Je pensais avoir été clair, mais je veux bien le répéter : je suis seul responsable de l'ordre public et de la sécurité, j'assume la totalité des décisions prises et des conséquences de la situation. Je ne sais pas comment vous le dire mieux.
Comment se préparent les grands événements sur l'aspect policier ? J'entends qu'il y a des critiques, mais les choses se passent ainsi : quand un événement est prévu, la DOPC de la préfecture de police de Paris le prépare et me présente plusieurs variantes, que j'examine avec mes services. Nous quantifions les effectifs que nous comptons déployer - d'abord nos effectifs propres, car c'est une spécificité de l'agglomération parisienne que d'avoir ses propres systèmes d'ordre public -, puis je demande des renforts au ministère de l'intérieur. Ensuite, je présente ce dispositif à l'ensemble des commandants d'unités engagées. Je le fais personnellement depuis trois ans et demi, et chacun peut faire les remarques qu'il juge nécessaires ; il n'y en a pas eu dans le cas d'espèce.
On peut critiquer le plan que nous avons retenu, mais il faut savoir qu'en matière d'ordre public et d'événement engageant des centaines de personnes chargées de l'ordre public, croyez-moi, les choses ne se passent jamais comme prévu et l'on doit modifier en permanence le plan initial.
Sur les plaintes, je vous ai déjà répondu. Des supporters anglais et espagnols se sont fait avoir en achetant de faux billets. Nous entendons les aider à porter plainte ; cela nous aidera à trouver les responsables de cette fraude massive.
Sur les personnes en attente, je crois aussi avoir été très clair, mais je veux bien préciser mon propos. Les 30 000 à 40 000 personnes dont a parlé le ministre étaient en amont du pré-filtrage, même s'il y avait un nombre important de gens qui attendaient d'entrer dans le stade puisqu'on a compté 15 000 personnes manquantes dans le stade à 21 heures... Vous faites état d'une photographie, mais les choses se sont déroulées en plusieurs temps, entre l'avant-match et la situation une fois le match commencé.
M. David Assouline . - En préambule, monsieur le préfet, je tiens à souligner que la distribution des places est une opération importante. Tant qu'il y aura 20 000 places pour chacun des clubs, 29 000 places pour les VIP, 6 000 pour les personnes accréditées par l'UEFA et seulement 6 000 places pour le public, avec des places à 800 euros et plus, on dira au peuple qu'il n'est pas le bienvenu dans le stade, ce qui continuera d'avoir pour effet de fabriquer des exclus mécontents, que la police devra contenir et gérer. Tout cela ne va pas sans poser de problème à notre démocratie elle-même...
Vous avez été placé dans cette situation, que vous pouviez anticiper puisqu'une note de vos services vous avait alerté que plusieurs centaines de personnes, à tout le moins, chercheraient à forcer les tourniquets pour entrer dans le stade. Cependant, alors que vous en étiez prévenu, vous prenez la décision de lever les barrages. Pourquoi une telle décision, alors que vous saviez que plusieurs centaines de personnes au moins allaient tenter de forcer les tourniquets ? Vous dites que votre dispositif était tourné contre la menace terroriste, ce qui est surprenant étant donné les circonstances. Il n'en reste pas moins que la question se pose : pourquoi votre décision de lever les barrages ?
Une autre question, ensuite, que j'ai déjà posée au ministre de l'intérieur, sur la doctrine du maintien de l'ordre. Il ne faut pas prendre les parlementaires pour des imbéciles : il y a bien un débat en la matière, le ministre l'a reconnu. Or vous nous dites que vous n'aviez pas d'autre choix que le gaz pour disperser les gens, y compris ceux qui n'étaient pour rien dans la situation. Cela se passe aussi lors des manifestations, où les gens sont « nassés » et où, pour quelques fauteurs de trouble, des personnes venues exercer leur droit de manifester se trouvent à leur tour gazées et prises dans un tourbillon organisé par les forces de l'ordre. On l'a vu encore très récemment à la gare de l'Est...
M. Laurent Lafon , président . - Posez votre question, s'il vous plaît.
M. David Assouline . - Le ministre Gérald Darmanin m'a dit qu'il me communiquerait les télégrammes échangés entre la préfecture et les unités sur place au Stade de France, mais je ne les ai toujours pas reçus. Pourquoi ne m'ont-ils pas été communiqués ? Êtes-vous disposé à me les communiquer ?
Mme Esther Benbassa . - Quelles conséquences tirez-vous de ce qui s'est passé lors de ce match, en prévision des événements importants à venir ? C'est important pour redresser l'image de la France, à la veille des jeux Olympiques.
J'ai entendu dire que la présence de policiers pouvait impressionner, voire décourager les plaignants dans nos antennes diplomatiques en Espagne et en Angleterre. Dès lors que cette présence policière peut intimider voire décourager les plaignants, ne pensez-vous pas qu'il faudrait procéder autrement ?
M. Didier Lallement . - Je ne sais pas si vous me visiez, mais je ne prends certainement pas les parlementaires pour des imbéciles. Peut-on vous fournir les télégrammes dont vous parlez ? Sans aucun doute, et je suis navré du délai. Mais je m'inscris en faux contre l'idée que, lors des manifestations, les forces de l'ordre organiseraient un « tourbillon » contre l'exercice du droit de manifestation. Les choses ne se passent pas ainsi dans notre pays et ce ne sont pas les forces de l'ordre qui sont à l'origine des troubles dans les manifestations.
Oui, nous allons tirer les conséquences de ce qui s'est passé. Nous l'avons déjà fait lors du match France-Danemark, pour lequel nous avons adapté notre dispositif. Nous continuerons à le faire et nous travaillons sur les jeux Olympiques, forts de cette expérience.
Vous me demandez de ne pas poster de policiers dans nos antennes diplomatiques à Madrid, Londres et Liverpool pour recevoir les plaintes ? Je ne crois pas que les policiers fassent peur... En tout état de cause, les plaintes peuvent être déposées en ligne et directement auprès du tribunal de Bobigny. Nous encourageons à déposer plainte, pour nous aider dans l'enquête sur la fraude et pour identifier ceux qui ont provoqué ce chaos. J'ai moi-même saisi le procureur de la République pour qu'il ouvre une information judiciaire.
M. Olivier Paccaud . - Nous ne sommes ni juges ni arbitres. Nous ne sommes pas là pour épiloguer, pour reprendre votre mot, monsieur le préfet. Je vous écoute, et certains mots me choquent, par exemple quand vous dites avoir « subodoré » le nombre de personnes autour du stade... Notre but n'est pas de brandir un carton rouge, mais d'éviter qu'une telle situation ne se reproduise.
Dans votre propos liminaire, vous nous avez surtout parlé de ce qui s'était passé le jour du match, en reconnaissant que la gestion du maintien de l'ordre avait été un échec. Cela, nous le savons, la France et même le monde entier l'ont vu. Mais il ne faut pas être grand clerc pour savoir que la préparation d'un événement de cette importance commence avant le jour du match ; c'est aussi là que nous avons des questions.
D'abord, sur la notion de « match à risque ». Quand le ministre nous a dit que le match Nantes-Nice était classé comme plus risqué que Madrid-Liverpool, j'avoue que les bras m'en sont tombés. C'est incompréhensible : si tel est le cas, qui donc a pris la décision d'un tel classement ?
Sur le dispositif policier, ensuite, le ministre nous a dit que les effectifs étaient suffisants pour le maintien de l'ordre, mais il a reconnu que ceux de l'anti-criminalité avaient peut-être été insuffisants. Le paradoxe, c'est que ces effectifs étaient deux fois plus nombreux pour le match Nantes-Nice, 326 contre 164, alors que la finale européenne était censée être moins à risque que la finale de la coupe de France : n'est-ce pas le signe que vous vous attendiez à des problèmes ?
Sur les points de pré-filtrage et les barrages, enfin, la ministre des sports a fait un mea culpa en reconnaissant que la signalétique aurait pu être meilleure et que des déviations auraient été utiles. Vous nous dites, quant à vous, que vous n'étiez pas en charge de la sécurité sur ces points de filtrage. Or vous étiez bien responsable de la sécurité de l'ensemble, et vous vous êtes aperçu assez vite qu'il y avait un gros problème sur ces points de filtrage en nombre insuffisant. Pourquoi ne pas avoir réorienté plus tôt les supporters ? Pourquoi avoir attendu 19 heures 15 pour le faire ? Vous dites assumer toute la responsabilité des désordres ; j'attends donc des explications claires sur ces points.
M. Jean-Yves Leconte . - Une remarque, tout d'abord : la Grande-Bretagne ne faisant pas partie de l'espace Schengen, nous aurions dû disposer d'informations plus précises sur les supporters anglais, plutôt que les approximations dont on parle aujourd'hui concernant l'avant-match.
Je suis très surpris, ensuite, que vous écartiez toute remise en cause de votre schéma de maintien de l'ordre, tout en disant que vous n'aviez pas d'autre choix que de gazer des personnes sur place qui n'étaient pour rien dans les troubles. N'y a-t-il pas là une difficulté, surtout quand on voit que des règles d'emploi des gaz n'ont pas été respectées ? Y a-t-il des problèmes de formation des agents du maintien de l'ordre ? Quelles conséquences en tirez-vous ?
Vous encouragez à porter plainte, mais le formulaire de pré-plainte en ligne ne comporte rien sur l'action de la police elle-même, rien sur l'emploi des gaz lacrymogènes, par exemple. Pourriez-vous adapter ce formulaire pour qu'il corresponde davantage à la réalité ?
Enfin, comment expliquez-vous qu'il y ait eu très peu de comparutions immédiates, par rapport au nombre d'interpellations ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Au fil des auditions, nous identifions trois séquences chronologiques, et dans chacune d'elle des problèmes, sur lesquels vos propos sont parfois décalés par rapport à ceux du ministre.
D'abord, s'agissant de l'amont, la préparation d'avant-match, nous constatons des problèmes d'anticipation et de coordination. Nous avons demandé les comptes rendus de toutes les réunions de préparation, et nous ne savons pas encore précisément comment les choses se sont passées, quant à la participation ou non de la gendarmerie à ces réunions, au rôle que vous y avez joué personnellement. Comment la préparation s'est-elle déroulée, précisément ?
Pendant le match, ensuite, il semble qu'il y ait eu confusion entre gestion de foule et maintien de l'ordre. Les forces de l'ordre ont utilisé des gaz lacrymogènes, suivant manifestement une doctrine qui vous est familière - on l'a vu encore à la gare de l'Est, à Paris -, qui n'est pas celle qu'utilisent d'autres pays, par exemple l'Allemagne et la Grande-Bretagne, et que les policiers n'acceptent pas tous comme allant de soi. David Le Bars, secrétaire général du syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN), a dit qu'il aimerait connaître les ordres qui ont été donnés sur les ondes. L'inspection générale de la Police nationale (IGPN) a été saisie de deux gestes inappropriés et disproportionnés, selon l'expression du ministre de l'intérieur. Il semble bien que les policiers n'aient pas l'intention de porter le chapeau !
Pour ce qui est de l'après-match, enfin, nous constatons une grande confusion dans les explications, de la précipitation, du flou dans les informations qui nous sont communiquées. Depuis le début de nos travaux, je ne sais toujours pas où étaient les 30 000 supporters excédentaires dont on nous a parlé. Je les cherche mais, à vous écouter, je comprends qu'ils n'étaient tout simplement pas là !
Il y a donc eu des fautes avant, des problèmes pendant, et du flou après. Vous constatez vous-même que c'est un échec et vous dites n'éluder aucune de vos responsabilités. Quelles conséquences en tirez-vous donc à titre personnel ?
M. Didier Lallement . - Dans mon intervention liminaire, j'ai effectivement parlé des faits qui se sont produits le soir du match, et pas de la préparation dans son détail. Celle-ci a comporté, à ma connaissance, plus d'une douzaine de réunions préparatoires.
Quatre réunions ont été présidées par le délégué interministériel à la sécurité, avec l'ensemble des intervenants, des réunions structurantes dont le cadre est défini. J'ai présidé cinq réunions préparatoires à la préfecture de police. Cinq autres réunions préparatoires ont été présidées par mon directeur de cabinet. À quoi s'ajoutent d'autres réunions préparatoires à la préfecture de Seine-Saint-Denis - au moins une dizaine - ; je n'ai pas la liste exhaustive, elles ont été nombreuses, en plusieurs phases.
Mais votre question porte plutôt sur le fait de savoir si la préparation a été bien faite, ou pas. Quand je parle d'échec, c'est parce que nous avons eu une difficulté face à ces 30 000 à 40 000 personnes qui étaient non pas dans le stade, mais à l'extérieur, avant le pré-filtrage. Les opérateurs nous avaient communiqué ces chiffres. Quand j'emploie le verbe « subodorer », qui est peut-être malheureux, il signifie que nous avions l'idée de plusieurs dizaines de milliers de personnes présentes au-dehors - le chiffre que j'ai communiqué était de 34 000 personnes -, dont le nombre a varié puisque certaines entraient dans le stade. C'est cela qui nous inquiétait sur le moment. Quant aux fan zones , les opérateurs nous disaient qu'il y avait quelque 44 000 personnes sur la fan zone anglaise à Paris...
J'en viens à la doctrine d'emploi. Quand une foule s'agglomère et fait pression, je ne connais pas d'autres moyens pour la faire reculer que les gaz lacrymogènes ou la charge. Les ordres qui ont été donnés, y compris dans le cas que vous avez cité de la gare de l'Est, étaient de ne pas charger, parce que j'ai considéré que cela aurait été dévastateur. Et quand on ne charge pas, il ne reste plus que l'emploi du gaz pour faire reculer une foule qui fait pression.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Le ministre a parlé de gestes inappropriés !
M. Didier Lallement . - L'emploi de gaz lacrymogènes était nécessaire, j'assume entièrement cette décision. Ensuite, il y a eu des gestes inappropriés parce qu'il peut toujours y en avoir, malheureusement, dans ce type d'événement, quand des fonctionnaires se laissent aller par l'énervement du moment à des gestes qui manquent de professionnalisme.
On m'a rapporté deux de ces gestes, les enquêtes sont en cours. Il faut être très précis.
Dans l'un des deux cas, sur les images, on voit le fonctionnaire de police gazer une personne qui vient vers lui et qui paraît être un supporter anglais. Mais les séquences qui tournent sur les réseaux sociaux omettent de montrer que cette personne vient juste après d'autres, qui s'introduisaient frauduleusement dans le stade par un escalier. Le fonctionnaire a confondu ce supporter avec les autres et l'a gazé, ce qui manquait de professionnalisme. Dans l'autre cas, le geste a lieu lors d'un barrage. Ces deux gestes font l'objet d'une enquête.
Je crois que dans une opération de cette importance, au vu du nombre de fonctionnaires engagés et de la durée du dispositif, le fait qu'il n'y ait eu finalement que deux gestes apparemment inappropriés est surtout une preuve de la qualité des fonctionnaires, de leur efficacité et de leur déontologie. Je ne laisserai pas des fonctionnaires être mis en cause ; si vous devez vous en prendre à quelqu'un, prenez-vous-en à moi.
Pour ce qui est du classement des matchs, la rencontre Madrid-Liverpool était classée de niveau 3, et celle entre Nantes et Nice de niveau 4.
M. Olivier Paccaud . - C'est incompréhensible, d'autant que la note de la DNLH vous avait alerté sur les risques...
M. Didier Lallement . - Cette note a beaucoup de qualités, mais elle ne permet pas de prédire l'avenir. Or il nous manquait cette information décisive : l'utilisation massive de faux billets. Vous pouvez m'en faire reproche, mais si nous nous attendions à ce qu'il y ait des faux billets, nous n'avions pas prévu que la fraude puisse être aussi massive.
Vous vous étonnez que nos forces aient été en formation « antiterroriste ». Mais elles ne sont pas restées passives face aux désordres. Nous sommes venus en appui des stadiers qui avaient la responsabilité des points de pré-filtrage, et nous nous sommes placés derrière eux pour les soutenir. Et lorsqu'ils ont été débordés, si j'ai pris la décision de lever le barrage, c'était pour éviter un drame. Et c'est bien parce que je suis responsable de la gestion de la foule que j'ai pu prendre cette décision - une décision que j'assume complètement.
Le formulaire de dépôt de plainte en ligne est standard : c'est celui que l'administration française utilise en général. Je l'ai fait traduire en anglais et en espagnol, mais je ne l'ai pas fait adapter au cas d'espèce. Il est vrai que ce document est un peu compliqué à remplir, avec beaucoup de cases à cocher, ce qui est bien français... Vous me prenez de court ; je vais regarder si nous gagnerions à l'adapter.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Quelles conséquences tirez-vous de cet échec, à titre personnel ?
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Monsieur le préfet, vous pourrez répondre à Mme de La Gontrie lorsque je vous redonnerai la parole.
Nous avons examiné le formulaire de pré-plainte, il gagnerait effectivement à mentionner le lieu, par exemple, et à être plus précis sur la nature des infractions.
M. Thomas Dossus . - Votre réponse sur l'emploi des gaz lacrymogènes n'est pas satisfaisante. On ne peut vous laisser dire qu'il n'y a pas d'alternative à cet emploi, alors qu'à votre place, la semaine dernière, le ministre de l'intérieur nous disait envisager un changement de doctrine pour l'usage de ces gaz, en particulier dans la perspective des jeux Olympiques. Il y a donc un désaccord entre vous et le ministre.
Chacun avait compris dans notre pays qu'il devait s'attendre à être gazé lorsqu'il allait manifester. C'est désormais également le cas quand on va au stade, et même quand on attend le bus ! Ne pensez-vous pas qu'il y a des abus, qui retombent finalement aussi sur ces malheureux agents dont les gestes inappropriés sont filmés ?
On ne peut se contenter de vos réponses, il faut parler de doctrine d'emploi de ces gaz. D'autres méthodes sont possibles. Est-ce que les sommations ont été faites en anglais ? Quel a été le dialogue avec les supporters anglais ? Beaucoup de témoins disent qu'il n'y en a pas eu, mais vos agents pouvaient-ils au moins communiquer en anglais ? Quelles conséquences pour la formation des agents, et pour le maintien de l'ordre lors de grands événements internationaux ?
M. Jacques Grosperrin . - Vous dites bien que vous êtes le seul responsable opérationnel. Et, à trop le dire, on sent bien qu'il en va aussi de la responsabilité du président de la République qui a accepté d'organiser ce match en trois mois, alors qu'il aurait fallu, on le sait, dix-huit mois. On sent bien également, en creux, que vous êtes prêt, en tant que haut fonctionnaire, à vous placer sur l'autel pour être sacrifié...
Cependant, lorsque vous dites que le match n'avait pas été classé au plus haut niveau du risque, c'est grave, car les supporters de Liverpool sont connus pour se déplacer en masse et sans billets, et pour essayer régulièrement de s'infiltrer. Votre mission, dites-vous, est de faire reculer la foule qui se presse, mais le problème se pose en amont.
Vous dites que vous ne saviez pas précisément ce qui se passait au niveau du contrôle des billets. Y a-t-il eu un problème de coordination entre la sécurité du stade et les forces de l'ordre ? Certains parlent de dysfonctionnements dans la chaîne de commandement. Y aurait-il eu - je n'ose le croire - des consignes contradictoires de ne pas intervenir sur les fauteurs de troubles ? Vous encouragez à porter plainte. Mais le faites-vous aussi concernant l'usage des gaz lacrymogènes ?
Si vous ne répondez pas à ces questions, j'entendrai votre gêne à vous exprimer sur ces faits.
M. Guy Benarroche . - Quitte à faire passer les parlementaires pour des gens qui ont besoin de poser plusieurs fois la même question, je veux vous interroger sur votre choix d'utiliser les gaz.
Vous dites qu'une fois votre décision prise de lever le barrage, il n'y avait pas d'autre choix possible, étant donné la répartition de vos forces, que de gazer des personnes qui n'avaient aucune raison d'être traitées ainsi. Et vous ajoutez, ce qui ne laisse pas de me surprendre, que si c'était à refaire, dans six mois ou dans trois ans, vous le referiez ! Je repose la question de mon collègue Thomas Dossus : n'y a-t-il pas, dans la doctrine du maintien de l'ordre, d'alternative à cette façon de gazer des gens qui ne sont pour rien dans les désordres ?
M. Éric Kerrouche . - D'après nos informations, vous disposiez pour cet événement de 33 unités de forces mobiles, ce qui représenterait environ le tiers des effectifs de nos forces nationales, mais vous avez choisi d'en déployer 10 seulement sur le Stade de France. Pourquoi ce choix stratégique, alors que vous saviez manifestement que des personnes extérieures allaient se concentrer sur le stade ? Ensuite, vous avez choisi de déployer la BRAV sur le stade, alors qu'elle n'est manifestement pas la plus adaptée pour ce genre d'événement, moins en tout cas que les CRS. Pourquoi ce choix ?
Mme Alexandra Borchio Fontimp . - Nous sommes tous conscients de l'enchaînement de dysfonctionnements qui a mené à ce chaos dont la France se serait bien passée, à quelques encablures des jeux Olympiques. Il en va du rayonnement de notre pays, de la crédibilité de nos autorités et de notre capacité à accueillir des événements d'une telle ampleur, ce qui interroge notre doctrine du maintien de l'ordre.
J'ai été, le jour du match, stupéfaite de voir aux abords du stade, entre la sortie du RER et l'entrée du stade, des vendeurs d'alcool à la sauvette et de denrées alimentaires dans des conditions d'hygiène déplorables. Pire encore, je n'ai été ni contrôlée ni fouillée pour accéder au stade. Le ministre de l'intérieur a reconnu qu'à partir d'un certain moment, le public n'a effectivement plus été contrôlé, ce qui est incompréhensible face à la menace terroriste. Le ministre, que j'ai interrogé sur ces points la semaine dernière, m'a répondu que vos décisions avaient sauvé des vies. C'est probable, mais je crois aussi qu'elles auraient pu en supprimer d'autres.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Monsieur le préfet, nous sommes aussi là pour démentir les nombreuses informations fausses qui ont circulé ces derniers jours. En ce qui concerne la fausse billetterie, nous avions cru comprendre initialement qu'entre 30 000 et 40 000 faux billets avaient circulé ; il apparaît désormais que ce n'était pas le cas et vous avez clairement précisé qu'un certain nombre de personnes s'étaient présentées aux abords du stade sans billet. A-t-on une estimation de ce que représente la fausse billetterie ?
En ce qui concerne les 300 à 400 individus que vous qualifiez d' « indésirables » et qui ont commis des agressions pendant et après le match, vous précisiez dans la note que vous avez transmise au ministre de l'intérieur, au lendemain des événements, qu'il s'agissait de jeunes issus des quartiers sensibles de Seine-Saint-Denis. Est-ce que, quinze jours après les faits, vous avez des précisions à nous apporter sur ces personnes « indésirables » ?
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Je voudrais me faire le porte-parole, si je puis dire, de Mme Boyer qui n'a pas réussi à s'exprimer, pour des raisons techniques. Ses questions sont les suivantes : pourquoi n'y a-t-il pas eu plus d'anticipation sur la gestion de la délinquance autour du stade, alors qu'on la connaît ou qu'on peut l'imaginer ? Pourquoi y avait-il autant de mineurs isolés, comme la presse le rapporte, sachant qu'ils sont a priori connus de vos services ? Pourquoi le questionnaire que vous avez mis en place ne vise-t-il pas les agressions physiques ? Enfin, pourquoi si peu de comparutions immédiates ? Est-ce parce qu'il n'y a pas eu de caméras pour corroborer les témoignages ?
J'ajoute une dernière question : la police a-t-elle continué son action lorsque les gens sont repartis dans les transports en commun ? Des témoignages rapportent, en effet, qu'il y a eu des agressions dans les transports en commun.
M. Didier Lallement . - Madame de La Gontrie, merci de vous soucier de ma situation personnelle. Je ne suis pas sûr que ce soit le sujet, mais je vous répondrai en privé, si vous le souhaitez.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Il n'y a donc aucune remise en cause ?
M. Didier Lallement . - Quelle importance peut bien avoir ma situation personnelle ! Je suis un haut fonctionnaire, je suis révocable ad nutum tous les mercredis. C'est quoi, votre problème ?...
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - La question méritait d'être posée.
M. Didier Lallement . - Vous l'avez posée et vous me donnerez acte d'y avoir répondu.
Pour répondre aux questions sur les gaz lacrymogènes, je redis ce que j'ai dit, je ne connais pas d'autres moyens que les gaz ou la charge. La doctrine peut bien évidemment évoluer, si le souhait que l'on ne gaze pas prévaut, mais alors il faudra charger pour repousser une foule. Je ne suis pas partisan de cette seconde option. Je le dis en tant que technicien du sujet sans avoir de préférence absolue. En l'occurrence, il me semble avoir fait ce qu'il fallait.
Des sommations ont bien sûr été lancées, mais pas en anglais : nos textes ne le prévoient pas, de sorte que faire des sommations en anglais reviendrait à ne pas faire de sommation du tout, puisqu'elles seraient prononcées dans une langue étrangère non prévue par les codes, ce que l'on n'aurait pas manqué de nous reprocher. Nous avons bien évidemment fait des annonces en anglais par le dispositif des haut-parleurs HyperSpike qui ont une très forte puissance en matière de densité de décibels. Nous avons ainsi procédé à toute une série d'annonces pour demander aux gens de s'écarter. Force est de constater qu'elles n'ont pas été suivies d'effet.
Quant aux problèmes de coordination avec les organisateurs, je vous ai expliqué les réunions qui avaient eu lieu et la manière dont les choses s'étaient passées. Bien évidemment, quand une situation tourne mal, chacun est fondé à dire que c'est par un défaut de préparation. Je vous ai dit que c'était un échec et que l'on aurait pu sans doute faire les choses différemment si l'on s'était attendu à une fraude aussi massive que celle qui a eu lieu. Je ne peux pas vous dire le contraire. Toujours est-il que nous n'avions pas envisagé ce niveau de massification de la fraude. On peut toujours faire mieux.
L'instruction a-t-elle été donnée de ne pas intervenir sur les fauteurs de trouble ? Franchement, ce n'est pas le genre d'instruction que l'on donne dans la police ! En revanche, j'ai effectivement donné l'instruction - je suis très clair sur ce point - de ne pas interpeller de supporters munis de « faux billets ». J'ai employé les guillemets parce que rien n'assurait alors qu'il s'agisse de faux billets et que nous pouvions simplement constater que le dispositif technique ne fonctionnait pas. Les autorités sportives en ont déduit que c'était de faux billets, mais sur le moment, je n'avais pas d'élément prouvant qu'il s'agissait d'une infraction ou d'un délit. En tout état de cause, il me semblait qu'en pure opportunité ce n'était pas le sujet du moment que de procéder à ces interpellations, car nous avions mieux à faire. Oui, des instructions ont été données en ce sens, mais elles ne concernaient pas les fauteurs de trouble, c'est-à-dire les délinquants et ceux qui se comportaient de manière à commettre des délits.
Si les supporters anglais et espagnols veulent porter plainte contre la police, ils peuvent tout à fait le faire. Vous me demandez de le prévoir dans le formulaire, si je comprends bien. Je considère quant à moi que les choses sont assez claires et que cela ne pose pas de problème. Puisque vous me donnez l'opportunité de m'exprimer publiquement et de m'adresser, au-delà de nos concitoyens français, aux supporters anglais et espagnols, je leur dis que s'ils considèrent que des actes de police ont été commis de façon irrégulière, il faut bien évidemment qu'ils nous le signalent et nous donnerons les suites nécessaires.
Referais-je la même chose sur les gaz ? Je crois vous avoir répondu : oui, je referais la même chose parce que, encore une fois, je pense que c'était le moyen le plus adapté.
M. David Assouline . - Même à la gare de l'Est ?
M. Didier Lallement . - À la gare de l'Est aussi, je pense que c'était approprié de le faire. Encore une fois, monsieur le sénateur, le fil rouge de mon action depuis que je suis préfet de police, c'est d'éviter les morts et les blessés graves. J'ai la chance de les avoir évités, cela aurait pu se passer de manière bien pire et il aurait pu y avoir des morts depuis les trois ans et trois mois que je suis en fonction. En mai 68 il y a eu des morts ; pendant la crise des gilets jaunes, il n'y a pas eu de morts à Paris.
M. David Assouline . - En mai 1968, il s'agissait d'une révolution !
M. Didier Lallement . - Je ne dis pas que les choses sont parfaites, mais j'aimerais quand même que de temps en temps on rappelle ce que sont les réalités historiques. Je sais, monsieur le sénateur Assouline, combien vous êtes attaché à l'histoire.
En ce qui concerne les BRAV, j'entends souvent qu'elles ne seraient pas des unités spécialisées à l'égal des CRS et des escadrons de gendarmes mobiles, mais c'est faux. Les BRAV sont des unités spécialisées, peut-être plus entraînées que celles que je viens de citer - je dis « peut-être » parce que je ne veux froisser personne -, mais d'un haut niveau de technicité propre à la préfecture de police. Ce n'est pas une invention de ma part ; j'ai simplement inventé l'acronyme et le modus operandi. Ces effectifs dits « des compagnies d'intervention » existent à la préfecture de police depuis la nuit des temps, sous la forme d'unités de forces mobiles spécialisées de la préfecture de police, pour des raisons qui tiennent à l'histoire, comme je le rappelais précédemment, et à ce qu'est la région capitale.
Les BRAV sont spécialisées dans l'intervention en matière d'ordre public. Il n'est donc pas surprenant que lorsque nous avons eu besoin de réserves, nous les ayons fait intervenir. C'était parfaitement justifié, car ce sont des unités d'élite. D'ailleurs, je suis à la disposition de vos commissions, messieurs les présidents, si vous voulez assister à un entraînement des compagnies d'intervention.
Plus que d'une méconnaissance du dispositif de police - car ce n'est pas forcément la spécialité absolue des uns et des autres -, la confusion vient de l'appellation. En province - ceux qui sont élus d'une région autre que l'Île-de-France le savent bien -, sont désignées comme « compagnies d'intervention » les unités de sécurité publique qui se forment pour des opérations d'ordre public. Toutefois, cette appellation similaire ne remet pas en cause le fait que la technicité et l'expérience restent très fortes dans les unités constituées.
En ce qui concerne la vente d'alcool à la sauvette, nous avons effectivement recensé beaucoup de cas. Neuf personnes ont été interpellées. Mais il est assez difficile d'interpeller des vendeurs à la sauvette en raison de leur extrême mobilité. D'ailleurs, en ce moment, je suis en train d'expérimenter les interpellations de vendeurs à la sauvette sur le Champ-de-Mars - ventes de boissons, de souvenirs, de maillots de supporters, etc.
Encore une fois, il était absolument nécessaire de les interpeller, mais dans la hiérarchie des incidents, ce qui nous a préoccupés au niveau des interpellations, c'est d'abord les agressions et les violences aux personnes. C'était ça l'absolue priorité.
Quid ensuite des comparutions immédiates ? Comme je l'ai souligné tout à l'heure, il va falloir voir tout cela avec les parquets concernés. Mais très souvent, ce que l'on observe dans des mouvements de foule de cette nature, c'est que l'on ne peut pas reprocher à la justice de ne pas déférer les personnes en comparution immédiate : le problème que nous avons, c'est la rédaction des procès-verbaux d'interpellation. Quand vous êtes dans un moment de cette nature, c'est-à-dire d'une intensité policière extrêmement forte, il faut rédiger le PV d'interpellation de la personne. En situation d'urgence, tout cela est souvent mal fait. Ce n'est pas un reproche que j'adresse aux hommes et aux femmes sous mon commandement, mais c'est une réalité d'expérience. Très franchement, ils ont vraiment autre chose à faire. Or, quand les PV sont mal rédigés, les magistrats, à juste titre, nous disent que cela ne tient pas debout. C'est un problème que nous rencontrons lors les manifestations depuis 2015, c'est-à-dire depuis que la nature des manifestations a changé - vous voyez, c'était avant mon arrivée, tout n'est pas dû à ma présence à la préfecture de police !
Bref, nous avons du mal à documenter précisément les conditions d'une interpellation et à formuler l'infraction ou le délit commis. Nous avons expérimenté plusieurs méthodes, qui n'ont pas été déployées au Stade de France, notamment en missionnant des agents spécialisés en appui des éléments d'intervention ; il s'agit, en quelque sorte, de greffiers du dispositif. Leur mission est d'aider très rapidement le fonctionnaire à rédiger son PV d'interpellation. Mais pour les raisons que j'ai évoquées tout à l'heure, ces agents n'ont pas été déployés ce soir-là et, assez vraisemblablement, nos PV n'étaient pas totalement bien rédigés.
Je ne reviendrai pas sur les explications concernant la présence de 30 000 à 40 000 supporters. J'espère néanmoins, même si j'ai bien compris que je n'avais pas convaincu tout le monde, avoir été clair.
M. David Assouline . - Êtes-vous convaincu vous-même ?
M. Didier Lallement . - Je suis toujours convaincu, monsieur le sénateur, par nature : je suis un homme de convictions ! Je ne vois pas très bien pourquoi je vous raconterais des choses dont je ne suis pas assuré ! Je vous dis ce que nous avons vu et je vous rapporte les éléments que nous avons constatés. Vous pouvez légitimement les contester, mais ça n'est pas l'objet de mon propos aujourd'hui.
M. le président Buffet m'a posé une dernière question, mais je suis confus, car je l'ai mal notée...
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Quelle a été l'action de la police en ce qui concerne les supposés supporters ayant repris ensuite les transports en commun, sachant que nous disposons d'informations faisant état d'agressions commises à ce moment-là ?
M. Didier Lallement . - Le dispositif était organisé de la façon suivante. Nous avions déployé un dispositif d'ordre public sur le périmètre des pré-barrages et un dispositif de sécurité publique dans les gares et en périphérie des gares, c'est-à-dire dans les parties extérieures. Par exemple, pour les voyageurs de la ligne 13, notre dispositif de sécurité publique était installé au nord de cette ligne, entre la gare et la fan zone espagnole. Nous pensions, en effet, que les actes de délinquance se produiraient à cet endroit.
Quand nous avons levé nos barrages et replié notre dispositif d'ordre public sur le stade, puis à l'intérieur du stade, des délinquants sont descendus de cette zone et sont rentrés sur les cheminements des supporters. Nous avons, à ce moment-là, fait redescendre notre dispositif de sécurité publique, mais il n'était pas appuyé par notre dispositif d'ordre public : la présence sur les pré-barrages était donc à l'évidence moins dissuasive. Voilà ce qui s'est passé.
Certes, si nous avions été trois fois plus nombreux, cela aurait beaucoup mieux fonctionné. C'est une évidence, mais la combinaison pour ce type d'événements était jusqu'à présent celle-ci. Vous parliez tout à l'heure d'un dispositif anti-criminalité, mais il s'agissait d'un dispositif anti-délinquance. Les forces chargées de l'ordre public ne prennent en charge les faits de délinquance que lorsqu'ils sont commis dans le cadre d'une manoeuvre d'ordre public : c'est-à-dire quelqu'un qui est violent, qui casse, etc. Là, les équipes d'ordre public interpellent. Ce sont les forces de sécurité publique qui traitent des faits habituels de délinquance. Dans nos dispositifs dits « stade », c'est l'appui des deux dispositifs qui permet l'efficacité.
Effectivement, à partir du moment où notre dispositif d'ordre public était à l'intérieur du stade, même s'il en est sorti sur la fin du match, - mais à ce moment-là, il était englué dans le départ des supporters -, il a été à l'évidence moins efficace. C'est ce qui s'est passé. Nous en avons tiré les conséquences sur ce qu'il conviendra de faire à l'avenir lors d'événements de cette nature, c'est-à-dire qu'il nous faudra avoir des réserves d'intervention de sécurité publique capables de sécuriser les retours. En résumé, notre appui traditionnel ne s'est pas fait. Du coup, le dispositif présentait moins de solidité dans son aspect sécurité publique.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Monsieur le préfet, je me permets d'insister, car je n'ai pas entendu votre réponse sur les 300 à 400 indésirables. Quelle était l'origine de ces personnes ?
M. Didier Lallement . - Je ne sais pas s'ils étaient ou non de Seine-Saint-Denis. Je dis juste qu'il y avait 300 à 400 personnes qui ne semblaient pas être des supporters. Il faut que je fasse attention à ce que je subodore, si j'ai bien compris ?
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Cela figure dans votre note.
M. Didier Lallement . - J'ai écrit « de Seine-Saint-Denis » parce qu'ils étaient « en Seine-Saint-Denis ».
Soyons francs, si votre question est : « S'agit-il de gens des cités autour du stade ? », je ne peux pas dire une chose pareille parce que je n'en sais rien ! Oui, il s'agit d'un type de population délinquante que l'on rencontre en Seine-Saint-Denis, mais on en rencontre également dans le nord de Paris. En tout état de cause, il ne nous est pas possible de les tracer. Vous avez raison, dans ma note j'indiquais qu'ils étaient de Seine-Saint-Denis, mais il est très franchement impossible de savoir d'où ils venaient. En revanche, je puis vous dire qu'il y avait des mineurs non accompagnés - c'est un grand classique - dont la gestion relève, en dehors de leurs actes de délinquance, des collectivités locales.
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Merci, monsieur le préfet, de votre présence ce matin et de vos réponses aux questions qui ont été posées.
Audition de M. Philippe Diallo, vice-président,
Mme Florence
Hardouin, directrice générale,
MM. Erwan Le Prévost,
directeur des relations institutionnelles,
et Didier Pinteaux, responsable
sécurité,
de la Fédération française de
football (FFF)
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions sur les dysfonctionnements intervenus lors de la finale de la Ligue des champions le 28 mai dernier, en recevant cet après-midi une délégation de la Fédération française de football conduite par son vice-président, Philippe Diallo, et sa directrice générale, Florence Hardouin. Je vous remercie, madame, messieurs, d'être venus cet après-midi répondre aux questions des membres des commissions des lois et de la culture du Sénat.
Cette finale ne fut pas seulement une occasion heureuse de voir deux des plus belles équipes européennes, le Liverpool Football Club et le Real Madrid, s'affronter. Elle fut aussi une expérience malheureuse pour de nombreux supporteurs, qui dénoncent des violences commises à proximité du stade ou dans les transports en commun.
Nous souhaitons comprendre l'origine de ces dysfonctionnements - deux ans avant les jeux Olympiques de Paris 2024, ils ont été constatés par des millions de téléspectateurs à travers le monde - et en tirer tous les enseignements.
La Fédération française de football étant chargée d'organiser cet événement avec l'Union européenne des associations de football (UEFA), nous voudrions connaître précisément les informations dont vous disposiez sur les risques en termes de sécurité publique. La grève du RER B avait-elle été suffisamment anticipée ? Quels furent la teneur des réunions de préparation et le degré de coordination entre les différents acteurs ? De manière plus générale, quelle est votre interprétation du déroulement de cette soirée ?
L'une de nos difficultés est de savoir exactement qui décide de quoi et qui fait quoi dans cette organisation somme toute assez complexe, sans parler de tentatives pour se « renvoyer la balle ». La semaine dernière, devant nous, le ministre de l'intérieur déclarait ainsi : « Madame la ministre des sports et moi-même n'organisons pas les matchs de football en France, nous ne tenons pas la billetterie, nous n'embauchons pas les stadiers, nous ne contrôlons pas les billets et nous ne touchons pas l'argent qui va avec... La responsabilité est donc à tout le moins partagée dans cette affaire. » C'est bien ce partage que nous aimerions analyser. Quelle est votre part de responsabilité dans les dysfonctionnements constatés ? Quelles sont les erreurs que vous identifiez avec quinze jours de recul ?
Je vous laisse à présent la parole pour un quart d'heure maximum, avant que les sénatrices et les sénateurs présents ne vous interrogent.
M. Philippe Diallo, vice-président de la Fédération française de football . - Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, merci de donner l'occasion à la première fédération sportive française de livrer ses éléments objectifs d'appréciation des incidents qui ont eu lieu lors de la finale de la Ligue des champions le 28 mai dernier.
Je veux commencer par exprimer, au nom de la Fédération française de football, des regrets très sincères sur ces graves incidents, et dire aux fans de Liverpool et du Real Madrid, qui étaient venus en grand nombre supporter pacifiquement leur équipe, que nous condamnons avec une extrême fermeté les actes qui ont été commis par des individus qui se sont comportés comme des délinquants, et dont le sort relève désormais de la justice. Le football est un jeu, assister à un match est un plaisir ; il doit le rester.
Vous le savez, c'est en raison de la guerre en Ukraine que l'UEFA a décidé d'exclure les clubs russes des compétitions et de délocaliser la finale de la Ligue des champions, initialement prévue à Saint-Pétersbourg. Le 25 février, l'UEFA a choisi la France et le Stade de France. Dans l'urgence qui était la sienne, l'UEFA a considéré que la France et la FFF présentaient les garanties nécessaires pour accueillir un événement d'une telle ampleur.
Depuis l'inauguration du Stade de France en janvier 1998, la Fédération française de football a organisé très régulièrement des matchs à guichets fermés dans cette enceinte, c'est-à-dire avec plus de 75 000 personnes présentes. Ces rencontres se sont déroulées dans des conditions optimales de sécurité pour les acteurs du jeu comme pour les spectateurs. En vingt-quatre ans, nous n'avons eu à déplorer que deux très graves incidents : en 2001, avec l'envahissement du terrain à l'occasion du match France-Algérie et, bien sûr, le 13 novembre 2015, lors du match France-Allemagne, où le Stade de France a été le théâtre d'une attaque terroriste, causant la mort d'une personne et en blessant 56 autres.
Dans ces circonstances extrêmes, dramatiques, l'action concertée des services de l'État, du Stade de France et de la Fédération française de football a permis d'éviter un bilan plus lourd encore. En matière de grandes rencontres rassemblant plusieurs dizaines de milliers de spectateurs, nous ne sommes donc ni des novices ni des amateurs.
L'organisation de l'Euro en 2016 et de la Coupe du monde féminine en 2019 sont d'autres exemples du savoir-faire français en matière d'accueil des grandes compétitions. Plus récemment, le 8 mai dernier, la finale de la Coupe de France s'est parfaitement déroulée, alors que le match était pourtant classé par la préfecture de police à un niveau de risque 4 sur une échelle de 5.
Enfin, le 3 juin, la Fédération a accueilli dans de parfaites conditions de sécurité près de 80 000 personnes pour le match France-Danemark. C'est donc avec la conviction de notre capacité à faire que nous avons accueilli la décision de l'UEFA de confier à la France l'organisation de cette finale de Ligue des champions.
Si la fierté et l'enthousiasme étaient les sentiments dominants, nous avions aussi conscience du défi qui était le nôtre : plus grand match de clubs dans le monde, la finale de la Ligue des champions suscite chaque année un intérêt planétaire, qui conduit plus de 300 millions de personnes à regarder le match à la télévision. Quant aux spectateurs, nous avons reçu plus d'un million de demandes de billets pour un stade de 75 000 places. Pour faire face à cet engouement et pour respecter le cahier des charges de l'UEFA, il faut habituellement dix-huit mois de préparation pour un tel événement. Nous en avons eu seulement trois...
Pourtant, sans la grève du RER B, la multiplication des faux billets et les comportements délictueux, nous aurions relevé ce défi. J'en veux pour preuve les deux « fan zones », organisées sur le cours de Vincennes à Paris et à Saint-Denis en moins de dix jours, qui ont accueilli plusieurs dizaines de milliers de supporteurs sans que nous ayons à déplorer d'incident majeur.
Toutefois, bien évidemment, nous ne serions pas devant vous cet après-midi si tout s'était déroulé comme nous l'espérions.
Pour conclure, et avant de laisser la parole aux autres membres de notre délégation, je voudrais souligner que la finale de la Ligue des champions constitue à nos yeux une très regrettable exception dont nous tirerons tous les enseignements pour nous améliorer et continuer d'accueillir à l'avenir des tournois finaux de grandes compétitions, comme nous avons su le faire avec succès par le passé.
Mme Florence Hardouin, directrice générale de la Fédération française de football . - Mesdames, messieurs, je souhaite appuyer les propos de notre vice-président Philippe Diallo. Au nom de la Fédération française de football, nous regrettons sincèrement les graves incidents qui ont eu lieu au Stade de France le 28 mai dernier. Nous ressentons un sentiment mêlé de tristesse, de colère et d'indignation. Tout le monde attendait cette finale. Elle aurait dû être la fête du football européen, mais elle a été gâchée. Nous devons tous ensemble tirer des enseignements de ce qui s'est passé pour que cela ne se reproduise plus.
Pour organiser les finales de coupe d'Europe, l'UEFA demande toujours de l'aide aux pays et fédérations hôtes, qui agissent sous le contrôle et la validation de cette dernière.
En l'occurrence, en quoi consistaient les missions des différents acteurs ?
Le Stade de France était chargé de mettre à disposition le stade et d'assurer la sécurité incendie de l'événement, l'accompagnement dans l'élaboration et la validation des dossiers de sécurité ainsi que le bon fonctionnement des dispositifs de contrôle d'accès et la restauration grand public.
La première mission de l'UEFA est de commercialiser la billetterie et les prestations d'hospitalité. Elle livre également la rencontre sportive, les contreparties des partenaires télé et marketing, les animations sur le parvis et dans l'arène, la signalétique directionnelle à l'intérieur et aux abords du stade et l'habillage de l'enceinte.
Quant à la FFF, sa première mission est d'assurer la sécurité privée, c'est-à-dire la mise en place du dispositif de stadiers et d'agents d'accueil aux points de préfiltrage, aux portes du stade et à l'intérieur du stade, de concevoir le plan d'acheminement des spectateurs, le recrutement et la gestion des volontaires, et d'assurer les relations avec les villes hôtes, le Gouvernement et la sécurité publique. Les villes hôtes se chargent pour leur part d'organiser l'animation dans leurs communes.
La FFF a analysé quatre types de difficultés, situées essentiellement à l'extérieur du stade, qui ont conduit aux incidents constatés lors de la soirée du 28 mai, ces derniers ayant été aggravés par une succession de dysfonctionnements.
La première difficulté tient à l'arrivée aux abords du stade d'un nombre de spectateurs nettement supérieur à la capacité de l'enceinte et à la présence de faux billets : 110 000 personnes ont ainsi été acheminées au Stade de France, pour une capacité de 75 000 places. Selon les données fournies par la RATP, 6 200 personnes sont arrivées par le RER B, 36 000 par le RER D et 37 000 par la ligne 13 du métro. Selon les données de la FFF, 450 cars ont acheminé 20 905 personnes aux abords du stade. Enfin, selon les données de la préfecture de police, 6 680 personnes sont venues en taxi et 4 111 en véhicules légers. Cet afflux massif a créé une situation inédite d'engorgement des dispositifs de contrôle en préfiltrage et aux portes du stade.
Initialement, l'UEFA devait exclusivement commercialiser sa billetterie sous forme électronique, avec un système de blockchain non falsifiable. Cependant, à la demande des clubs, elle a accepté que Liverpool obtienne 20 000 tickets au format papier - c'est-à-dire la totalité de ses billets -, le Real de Madrid 6 000, la ville de Saint-Denis 600 et celle de Paris 280. Or ces titres papier ont permis la fabrication de faux billets. Nous savons que 2 471 billets ont été scannés aux tripodes du stade avec un résultat inconnu, ce qui est la marque d'un code-barre frauduleux.
À titre d'exemple, pour de grands événements comme des concerts internationaux, il est arrivé que l'on identifie jusqu'à 300 faux billets. Le 28 mai, leur nombre était beaucoup plus élevé. Entre 18 heures et 21 h 35, 57 faux billets ont été scannés toutes les cinq minutes, et 66 % d'entre eux l'ont été sur les trois portes X, Y et Z, situées dans le secteur sud dédié aux supporteurs de Liverpool. Par ailleurs, sur ces fameuses trois portes, qui permettaient de faire entrer 15 000 personnes dans le stade, un billet sur dix était faux, avec pour conséquence un engorgement des portes.
Il est toutefois très difficile aujourd'hui d'évaluer avec précision le nombre de faux billets qui ont circulé. Il convient en effet d'ajouter aux faux billets scannés aux tripodes ceux qui ont été identifiés au niveau du préfiltrage et dans les « fan zones ». Une enquête de police est en cours. L'on sait déjà qu'une personne a été prise avec un sac de 50 faux billets à la « fan zone » du cours de Vincennes et que l'on a identifié environ 250 faux billets lors du préfiltrage. Par ailleurs, certaines personnes ont pu entrer dans le stade sans billet à la faveur des incidents.
La deuxième difficulté tient à la gestion des flux de spectateurs en provenance des transports en commun. Le mouvement de grève de la RATP sur le RER B a conduit à reporter une très grande partie des spectateurs sur le RER D, occasionnant des congestions très significatives entre la sortie de celui-ci et la zone de préfiltrage, qui ne compte à cet endroit que 10 couloirs de palpation, contre 20 à la sortie du RER B. Ces congestions ont bien entendu été aggravées par l'afflux de personnes dépourvues de billet ou munies d'un faux billet. Le RER D a ainsi vu transiter 36 000 personnes, au lieu de 10 000 à 15 000 d'ordinaire pour une manifestation de ce type, alors que la ligne B n'a été utilisée que par 6 000 personnes, contre 30 000 habituellement. Ce déport massif a été aggravé, dès la fin de l'après-midi du 28 mai, par des messages en gare qui indiquaient de ne pas utiliser la ligne B, mais plutôt la ligne D pour se rendre au stade, alors même que 4 trains sur 5 fonctionnaient sur la première. Cette situation a essentiellement concerné les supporteurs de Liverpool. À 21 h 00, heure du coup d'envoi théorique, seuls 63 % d'entre eux étaient assis en tribune. En revanche, 99 % des supporteurs de Madrid, qui étaient majoritairement venus par la ligne 13, étaient installés à leur siège.
Nous avons rencontré une troisième difficulté, touchant, d'une part, à la vérification des billets aux points de préfiltrage par les agents de sécurité et, d'autre part, au positionnement, en soutien, des forces de l'ordre. La FFF, le soir de la finale de la Ligue des champions, a proposé un dispositif de 1 680 agents de sécurité privée. Cela représentait 17 % de personnes en plus par rapport au 8 mai dernier, où 1 400 agents étaient déployés pour la finale de la Coupe de France, match classé au niveau de risque 4 sur une échelle de 5. Comme pour chaque match, ce dispositif est validé par la préfecture de police. Parmi ces 1 680 agents, 258 étaient répartis aux points de préfiltrage, avec deux missions distinctes. La première était la palpation, conformément au plan Vigipirate, la seconde la vérification de la validité des titres d'accès, effectuée soit via un stylo chimique, pour les billets papier, soit via une carte électronique, pour ceux qui souhaitaient activer le QR code sur leur téléphone. Nous n'avons connu aucun problème de fiabilité quand les stylos étaient passés sur l'étiquette. Cette double tâche demandée aux agents de sécurité, sans mentionner les flux massifs de personnes à certains endroits, les a mis en difficulté, à tel point que le préfiltrage au niveau du RER D a été « relâché » pendant quinze minutes pour éviter des écrasements de personnes. « Relâché » signifie qu'il n'y avait plus de contrôles et que tout le monde pouvait pénétrer sur le parvis, aux abords du stade. Les agents de sécurité, aussi nombreux et formés soient-ils, ne peuvent pas contenir une telle pression de la foule sans être assistés par les forces de l'ordre ; c'est pourquoi un dispositif complémentaire a été mis en place par la préfecture de police, comme pour la finale de la Coupe de France. Cependant, les forces de l'ordre, placées, en majorité, derrière les stadiers, n'ont pas eu la possibilité d'agir efficacement.
La quatrième difficulté touchait aux agressions et intrusions. De très nombreux délinquants ont profité de cette finale pour se rendre au Stade de France, dans le seul but de pénétrer dans l'enceinte sans billet, de voler et d'agresser les supporteurs des deux clubs présents aux alentours. Nous n'avions jamais vu cela. Nous avons tous vu, à la télévision, sur les réseaux sociaux, des images et des témoignages, comme ceux de salariés de la FFF qui, je les cite, ont eu « la peur de leur vie ». Le centre d'accréditation de l'UEFA placé à proximité immédiate du Stade de France a été envahi par des délinquants, à tel point que nos collègues ont dû s'enfermer dans leur bureau et sont restés bloqués pendant quatre heures. Pourquoi s'en prendre à ce centre ? Tout simplement pour voler des accréditations, afin d'entrer dans l'enceinte... La présence très importante de ces délinquants a obligé les forces de l'ordre à intervenir à de nombreuses reprises, mais cela les a détournées de leur mission de sécurisation des points de préfiltrage et des accès. Ces actes inacceptables ont contribué à créer des engorgements de personnes aux portes du stade et ont semé la peur parmi les spectateurs.
M. Erwan Le Prévost, directeur des relations institutionnelles de la Fédération française de football . - Comme l'ont dit mes collègues, ces événements sont regrettables. Nous avons préparé du mieux que nous le pouvions, dans les trois mois qui nous étaient impartis, la finale du 28 mai. Nous avons mené de très nombreuses réunions avec le préfet de la région d'Île-de-France, préfet de Paris, avec M. Cadot et ses équipes de la délégation interministérielle aux grands événements sportifs (Diges), le préfet de police de Paris, le préfet du département de Seine-Saint-Denis et l'ensemble des acteurs.
Il faut en tirer les enseignements et se demander comment, collectivement, nous pouvons progresser, dans la perspective de la Coupe du monde de rugby et des jeux Olympiques, pour faire en sorte que de tels événements ne se reproduisent pas et pour organiser au mieux l'accueil des spectateurs.
Notre première recommandation est en lien avec le plan de mobilité. Nous insistons sur la nécessité de le définir conjointement et d'avoir, au sujet des flux de personnes qui viennent au Stade de France, une communication en temps réel entre l'organisateur que nous sommes, la préfecture de police et les opérateurs de transports publics.
Dans le cas de la finale de la Ligue des champions, la FFF a organisé, en lien avec l'UEFA, un plan de mobilité relatif au dispositif d'accueil et d'orientation. Cela signifie que nous avons pris en compte l'acheminement de l'ensemble des spectateurs en provenance des deux clubs finalistes dès le moment où ils posaient le pied sur le sol français jusqu'aux différents lieux où ils pouvaient être amenés à se retrouver. Pour les autocars, nous avons défini, avec l'aide du Stade de France, de la ville de Saint-Denis et de Plaine Commune, un dispositif d'accueil pour séparer les supporteurs. Schématiquement, la partie nord du Stade de France était dédiée à ceux du Real Madrid, la partie sud à ceux de Liverpool et aux personnes invitées par l'UEFA et les différents partenaires de la compétition. Nous avons travaillé sur ce plan pendant trois mois, sous l'égide de la préfecture de Seine-Saint-Denis, qui nous a fortement accompagnés pour le mettre en oeuvre. Une fois ce plan élaboré, nous avons défini l'accueil et l'orientation des personnes qui venaient par les aéroports, principalement Beauvais, Charles-de-Gaulle et Orly.
Dans le cas des supporteurs de Liverpool, nous avions trois typologies. « Je suis supporteur de Liverpool, avec un billet, je veux me rendre au Stade de France » était l'une d'entre elles. Dans ce cas, dès l'arrivée dans un aéroport ou dans une gare, un plan d'acheminement était défini, car nous avons contractualisé, avec les différents opérateurs, Aéroports de Paris, l'aéroport de Beauvais, la RATP et la SNCF, un dispositif d'accueil et d'orientation. Nous sommes allés jusqu'à proposer des plans pour arriver à destination, toujours avec la contrainte très forte consistant à différencier les flux et à faire en sorte que les supporteurs de Liverpool ne croisent jamais les supporteurs de Madrid. Nous avons également pris en considération la capacité d'emport du RER B par rapport au RER D, la taille des flux et des couloirs de palpation pour inciter les supporteurs à s'orienter majoritairement vers le RER B. Nous avons travaillé avec la RATP et la SNCF pour les orienter en diffusant des annonces dans les stations, en anglais et en français.
Autre typologie : « Je suis supporteur de Liverpool, je n'ai pas de billet, mais je veux me rendre dans la fan zone ». Quel que soit votre emplacement dans Paris, vous aviez des informations pour vous y rendre. De même, pour le Real Madrid, nous avons fait en sorte d'avoir un maillage dans la plupart des stations, dans Paris, que ce soit à travers des messages sonores, des hôtes et hôtesses ou des plans.
J'insiste sur la communication en temps réel. À partir du moment où a été prise la décision de réorienter les flux, nous aurions dû avoir l'information pour pouvoir faire preuve de souplesse ; par « nous », j'entends le Stade de France, la FFF pour l'accueil des spectateurs, la préfecture de police, mais également la RATP et la SNCF pour l'orientation. Si nous avions eu l'information, en milieu d'après-midi, que le flux du RER B était poussé vers le RER D, nous aurions pu avoir le temps de repenser notre dispositif. Avec l'accord de la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC), nous aurions pu faire évoluer le positionnement des forces mobiles et repenser notre dispositif d'accueil au niveau des couloirs de palpation.
Voilà pour nous l'enseignement important : nous avons beau construire des dispositifs pour accueillir et acheminer les spectateurs dans les meilleures conditions, si certaines personnes prennent des décisions sans en référer aux autres acteurs concernés, cela ne fonctionne pas.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Pouvez-vous préciser votre pensée ?
M. Erwan Le Prévost . - Nous n'avons pas eu l'information que le flux du RER avait été dévié par la RATP.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - La préfecture de police ne vous a pas prévenus non plus ?
M. Erwan Le Prévost . - La préfecture de police n'avait pas non plus l'information. Aux alentours de 18 h 30, nous avons connu un afflux massif de supporteurs en provenance du RER D, alors que le dispositif que nous avions mis en oeuvre prévoyait une capacité d'accueil maximum orientée vers le RER B.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - La RATP ne vous a pas prévenus ?
M. Erwan Le Prévost . - Exactement.
Pour terminer mon propos, nous sommes allés jusqu'à prévoir la signalétique du dernier kilomètre. Certaines personnes ont dit qu'il n'y avait aucune signalétique aux abords du Stade de France : évidemment, c'est complètement faux. Avec l'UEFA, nous avons balisé ce dernier kilomètre, prévoyant un dispositif pour orienter les spectateurs en fonction de leur arrivée par la ligne 13, le RER B ou le RER D. Nous sommes allés jusqu'à prévoir une procédure permettant, en cas d'engorgement, aux supporteurs en provenance du RER D de se diriger vers l'arrivée du RER B, où l'avenue est plus large, pour accéder au Stade de France et aux couloirs de palpation.
Un autre enseignement que nous souhaiterions mettre en avant concerne la coordination. Organiser un événement, c'est évidemment coordonner toutes les parties prenantes ; organiser une finale de Ligue des champions est un événement à part. Cela ne revient pas uniquement à prendre en compte le Stade de France et ses dix-huit portes d'accès, mais aussi l'ensemble des flux piétons, véhicules, autocars et transports en commun qui y donnent accès. Nous recommandons vivement qu'à l'avenir nous nous coordonnions avec la préfecture de police de Paris pour construire le dispositif d'accueil et de sécurité de l'événement.
Vous avez, sur un événement comme celui-là, 75 000 personnes à acheminer. Notre métier est de les prendre en charge aux points de préfiltrage et aux portes du Stade de France ; le métier de la RATP et de la SNCF est de nous amener ces spectateurs ; la compétence de la DOPC est de nous aider à encadrer ces personnes pour qu'elles soient accueillies dans les meilleures conditions de sécurité. Le samedi 28 mai, la RATP, à travers les lignes B et D du RER, nous a envoyé un flux de supporteurs ininterrompu sur lequel nous n'avions pas d'information. Le RER B ou D, c'est huit trains par heure, avec pour chacun une capacité d'emport de 1 600 à 2 000 personnes qui sont acheminées vers le Stade de France sans information sur la situation à la sortie de la gare, que nous devons faire entrer en nous assurant qu'elles ont un titre d'accès valable, qu'elles respectent les consignes du plan Vigipirate et qu'elles sont au bon endroit. Quand vous nous poussez entre 12 600 et 20 000 personnes par heure, la chose devient extrêmement compliquée dès que vous rencontrez des difficultés d'engorgement. Il faudra faire en sorte, demain, que nous co-construisions nos dispositifs, pour que les forces de sécurité privée et leur positionnement soient en adéquation avec les forces de sécurité publique. Le dernier France-Danemark en est le meilleur exemple : cela a fonctionné parce que nous nous sommes parfaitement coordonnés. La FFF portait la responsabilité de l'organisateur, la DOPC nous a accompagnés pour prendre en compte l'ensemble des supporteurs et leur permettre d'accéder au Stade de France dans les meilleures conditions.
Un troisième enseignement a trait à la billetterie dématérialisée. Le sujet est simple : un billet papier est falsifiable. L'enquête qui est menée aujourd'hui, pour laquelle nous avons été auditionnés jeudi dernier, pour laquelle l'UEFA va être prochainement auditionnée par la brigade de répression de la délinquance astucieuse (BRDA), est en train de prouver que la fraude était massive, organisée par des imprimeurs professionnels. C'est à l'issue de cette enquête que nous connaîtrons le nombre de faux billets qui ont été dupliqués et imprimés. La certitude que nous avons, c'est qu'aucun e-billet n'a pu être falsifié. Nous recommandons vivement, pour les prochains événements, si le Gouvernement donne son accord, que l'accueil ne se fasse qu'à la stricte et unique condition qu'aucun billet ne soit en version papier. Cela évitera un nombre considérable de fraudes, de faux billets et permettra de fluidifier les accès au Stade de France.
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Votre dernier propos attire mon attention. Alors que ce n'était pas la règle pour ce type de compétition, pourquoi avons-nous accepté les billets papier pour le club de Liverpool ? On se rend compte que les supporteurs sans billets papier, notamment madrilènes, ont accédé sans trop de difficultés au stade.
Ma question est donc celle-ci : pourquoi avoir accepté le recours aux billets papier sachant que les risques de falsification sont réels ?
J'aurai une deuxième question. M. Diallo nous a rappelé les circonstances ayant conduit la France à se porter candidate pour organiser le match de football à Paris, tout en précisant qu'il faut habituellement dix-huit mois pour préparer un tel événement. Pourquoi dix-huit mois ? Du fait de notre expérience assez grande, nous, Français, avons répondu positivement pour l'organiser en trois mois. À quoi sont utiles ces dix-huit mois ? Qu'a-t-il manqué, dans les trois mois qui étaient impartis, pour remplir la mission correctement ?
Troisièmement, vous avez en charge les stadiers, notamment ceux qui vont accueillir le public. Vous en avez prévu plus que d'habitude, il n'y a aucun doute sur ce point. Pouvez-vous nous préciser la manière dont vous les recrutez, la formation qu'ils reçoivent ? Si moi, demain, je veux être stadier au Stade de France, comment dois-je procéder ? Qu'allez-vous me demander ?
Enfin, je peux noter, il me semble, une petite contradiction entre ce que vous indiquez et ce que nous a dit le préfet de police ce matin. Ce dernier a précisé qu'il s'était concentré sur le risque terroriste. La gestion de l'événement aurait été abordée de cette manière, prenant également en compte, pour éviter tout problème majeur, le risque d'écrasement des gens. Dans le même temps, la sécurité en tant que telle, à l'égard de ceux qui ont perpétré des actes de délinquance, aurait été laissée un peu de côté. Je parle sous le contrôle des collègues qui étaient là ce matin... Toutefois, à l'instant, vous semblez dire l'inverse : que l'obligation pour les forces de l'ordre d'intervenir contre les délinquants était absolument essentielle, d'où leur moindre présence aux lieux de filtrage.
Nous avons besoin de comprendre : deux avis différents, deux positions différentes, pour des gens qui ont travaillé ensemble sur l'organisation de cet événement. Ce n'est pas suffisamment clair.
Mme Florence Hardouin . - Concernant les billets papier, comme je vous l'ai dit en préambule, l'unique instance qui a la main sur la commercialisation de la billetterie est l'UEFA. Au départ, tout était prévu pour que l'ensemble du public puisse avoir des billets électroniques. Face à la forte demande des clubs, l'UEFA a autorisé Liverpool et le Real Madrid à disposer de billets papier. Madrid n'en a demandé que 6 000, alors que Liverpool a demandé sous ce format la totalité de ses billets. C'est factuel. L'instance qui a autorisé la délivrance et la possibilité d'avoir des billets papier, c'est l'UEFA, qui est seule responsable de la commercialisation de la billetterie.
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Je ne dis pas que c'est vous : ce qui m'intéresse est de comprendre le mécanisme. De fait, les supporteurs madrilènes avaient un billet papier pour certains ?
Mme Florence Hardouin . - Oui.
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Et, là, il n'y a pas eu de difficultés ?
Mme Florence Hardouin . - Non.
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Pour être clair, il n'y a donc pas eu de fraude, de ce point de vue.
M. Erwan Le Prévost . - Liverpool a demandé qu'on lui permette de commercialiser 22 000 billets pour l'ensemble de ses supporteurs. Ils ont l'habitude de le faire en version papier. La demande de Madrid, elle, visait à répartir les flux ; leurs 6 000 billets papier étaient pour des clients internes du club : les partenaires, les sponsors, les familles. Les autres billets étaient pour les supporteurs. Effectivement, il n'y a eu aucune falsification de billets du côté madrilène.
Au sujet de votre question sur le délai de dix-huit mois, c'est l'un des requirements de l'UEFA. Quand vous candidatez pour organiser une finale de championnat, vous candidatez trois ans avant la date de l'événement. Vous répondez à un cahier des charges de l'UEFA, qui prévoit, quand vous avez été choisi, qu'à dix-huit mois de la manifestation vous devez mettre en place un comité d'organisation local, en lien avec l'association européenne. Les huit premiers mois, vous devez lui proposer un cadre d'organisation dans lequel vous faites appel aux différentes parties prenantes. La première des parties prenantes d'une finale de Ligue des champions, c'est l'État. Vous demandez à ce dernier un certain nombre de garanties concernant cette manifestation, apportant des éléments d'appréciation qui permettent d'assurer que vous accueillerez la manifestation dans les meilleures conditions. Il s'agit par exemple de faciliter les formalités douanières, l'accueil du public, mobiliser les transports et l'ensemble des acteurs du territoire qui concourent à la manifestation. Vous rentrez ensuite dans la dernière année : un an consacré à l'organisation, qui s'oppose aux trois mois que nous avons eus. Nous ne sommes pas capables de vous dire si un an est un délai suffisant ; nous pouvons cependant affirmer qu'en trois mois, exception faite du jour de la finale, avec le concours de l'ensemble des acteurs, nous avons rempli les obligations que nous imposait l'UEFA : les différentes lettres de garantie, la capacité de mobiliser les aéroports d'Orly et Charles-de-Gaulle, avec une capacité à voler de nuit, ce qui normalement n'existe pas. Nous avons obtenu des accords, que ce soit pour permettre le transport des supporteurs au moyen de différents bus et autocars ou pour mobiliser des parkings aux abords du Stade de France, en concertation avec la ville de Saint-Denis et le groupement Plaine Commune.
Je vais vous donner un élément de comparaison. Nous parlions de la finale de la Coupe de France : avec deux publics de 20 000 supporteurs respectivement, cela a engendré 180 autobus. Pour la finale de la Ligue des champions, nous en avions 450. Ce n'est pas le même événement !
Ce que nous avons également réussi à construire en trois mois, c'est un dispositif d'organisation générale qui a fonctionné. Ce qui a manqué, c'est du temps pour préparer l'imprévu. Si la manifestation est allée à son terme, c'est en partie parce que nous avons rempli nos obligations. Nous avons su faire en sorte que le Stade de France accueille 75 000 personnes et pas plus. Si des groupes de supporteurs, finalement repoussés, avaient enfoncé des portes, comme cela a pu être évoqué ce matin par M. le préfet de police, nous nous serions retrouvés dans l'enceinte du stade avec une capacité largement supérieure à celle qui est autorisée. La décision que nous aurions alors dû prendre, c'est de ne pas autoriser la rencontre, ce qui aurait eu des conséquences bien plus dommageables en matière de troubles à l'ordre public.
Oui, nous avons manqué de temps pour nous assurer, avec l'ensemble des parties prenantes, que la grève des transports n'entraînerait qu'une perturbation minimale du trafic, et n'aurait pas pour conséquence un déport des flux. Si nous avions eu plus de temps, nous aurions pu nous tourner vers la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC) pour nous assurer qu'elle partageait la façon dont nous avions conçu notre dispositif, notamment le préfiltrage.
En revanche, nous n'aurions jamais pu prévoir, croyez-en mon expérience - j'ai travaillé pendant dix ans au Stade de France -, un tel afflux de délinquants.
Le dispositif prévoyait douze points de préfiltrage venant compléter l'environnement du Stade de France, qui a beaucoup évolué depuis 1998 : lorsque j'ai commencé à y travailler, je voyais des champs depuis mon bureau ; aujourd'hui, la zone est devenue complètement urbaine, elle est saturée par les immeubles. Didier Pinteaux, qui a fait un travail remarquable, et moi-même avons mis en place des points de préfiltrage pour rendre l'enceinte hermétique.
Florence Hardouin prenait l'exemple de gens qui se sont introduits à travers le centre des accréditations ; j'ai d'autres exemples à vous donner pour montrer à quel point cette manifestation était hors norme en matière de délinquance. Des gens sont passés à travers des restaurants pour entrer dans le périmètre protégé. D'autres ont fracturé les accès à une école qui constituait une barrière naturelle autour du Stade de France : ils ont cassé la grille et ont déverrouillé la porte de l'intérieur pour pénétrer dans le périmètre d'accès protégé. Dans le cadre de Paris 2024, une passerelle est en train d'être construite pour relier le Stade de France à la piscine olympique. Ce chantier se trouve 4,80 mètres en contrebas du parvis du stade. Les gens y sont entrés par effraction et se sont fait la courte échelle pour accéder au parvis.
Nous convenons tous que nous aurions pu anticiper et prévoir la grève, les faux billets et cet afflux massif de supporteurs, si nous nous étions mieux coordonnés. En revanche, une telle délinquance n'aurait jamais pu être prévue.
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Et qu'en est-il de la formation des stadiers ?
M. Didier Pinteaux . - Pour gérer cette manifestation, la FFF a fait appel à dix sociétés : huit sociétés de sûreté et deux sociétés d'accueil. Depuis le covid, nous avons beaucoup de difficultés à trouver du personnel compétent dans le domaine de la sûreté. Ces huit sociétés nous ont fourni environ 1 650 personnes, détenant toutes un certificat de qualification professionnelle délivré par le Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps). Des formations au matériel sont ensuite organisées sur le terrain. Nous travaillons avec ces sociétés depuis trois ans ; elles connaissent donc parfaitement le matériel mis à disposition au Stade de France. La particularité de cet événement était la mise en place d'un contrôle de billet en amont du préfiltrage avec, comme l'a dit Florence Hardouin, soit le contrôle du billet papier par un stylo chimique, soit celui du billet sur les téléphones avec une carte électronique qui active le billet, change la couleur affichée sur l'écran et produit un code-barre. Concernant cette nouvelle fonction, les responsables de billetterie à chaque poste ont reçu une formation spécifique organisée par l'UEFA.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Je vous remercie de la clarté de vos propos. Vous parlez beaucoup du délai très court et des difficultés d'anticipation et de préparation. Concrètement, deux réunions de préparation ont été organisées le 25 et le 27 mai sous la présidence du préfet de police ; y étiez-vous ? Toutes les parties prenantes que vous avez citées -- RATP, SNCF -- étaient-elles également présentes ? L'impact de la grève sur les flux et la complexité que cela entraîne pour les organisateurs ont-ils été étudiés à ce moment-là ? Le dialogue nécessaire entre transporteurs et organisateurs s'est-il tenu lors de ces réunions, alors que le préavis de grève avait été déposé ?
La note de la division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH), qui décrivait assez bien ce qui allait se passer, était connue le 27 mai. En avez-vous eu connaissance ? En avez-vous débattu ?
Enfin, on se souvient que, pour France-Kazakhstan, la FFF avait demandé de déplacer le match au Parc des Princes. Avez-vous fait une demande similaire, non de déplacement, mais de report du match, compte tenu des risques que vous anticipiez ?
M. Erwan Le Prévost . - Nous avons tenu des réunions le 23 et le 25 mai, sur les thématiques que vous évoquez. Lors de la réunion du 23 mai, le plan de mobilité que nous vous avons présenté a été validé par l'ensemble des parties prenantes. Cela inclut la demande de déporter les flux du RER D vers le RER B en cas de grève. C'est ce qui a été fait à partir du moment où des problèmes ont été constatés, ce qui pour nous était trop tard. Le 26 mai, la RATP a publié un communiqué de presse nous informant de l'ampleur du mouvement de grève : jusqu'à 17 h 00, quatre trains sur cinq seraient en circulation, puis cinq trains sur sept. Nous avions également demandé à la RATP, qui avait validé auprès de nous le dispositif mis en place, de communiquer massivement auprès des supporteurs de Liverpool pour les inciter à prendre le RER B.
Concernant la note de la DNLH, notre réponse va être très simple : non, nous n'avons pas été mis au courant de cette note.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Vous n'en avez donc pas débattu en réunion.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Et il n'y a pas eu de réunion le 27 mai ?
M. Erwan Le Prévost . - Nous avons tenu des réunions le 23 et le 25 mai. En trois mois, nous avons eu plus de 130 réunions avec l'ensemble des parties prenantes, mais je pense que les réunions auxquelles vous faites référence sont celles du 23 et du 25 mai.
M. David Assouline . - C'est la réunion cachée !
M. Laurent Lafon . - Je précise que les dates nous ont été données par le ministre de l'intérieur.
M. Michel Savin . - Permettez-moi tout d'abord de remercier M. Diallo et Mme Hardouin d'avoir présenté des excuses et exprimé leurs regrets et leur tristesse auprès des supporteurs anglais qui ont été victimes d'actes de délinquance. Vous venez de préciser une nouvelle fois, après l'avoir écrit dans un communiqué, que 110 000 personnes se trouvaient aux abords du stade le soir du match. Ce chiffre nous interpelle depuis le début des auditions. Ce matin, M. le préfet de police a été assez flou dans sa réponse : les 35 000 à 40 000 personnes supplémentaires évoquées n'étaient plus à proximité du stade, mais dans les environs du stade. Une photo prise à 20 h 58, deux minutes avant le début prévu du match, montre qu'il n'y avait pas un tel nombre de personnes à l'extérieur du stade. Or leur présence est la raison invoquée par le ministre de l'intérieur pour expliquer les événements. S'ils n'étaient pas là, comment expliquer les débordements ? Quelle est la position de la FFF sur ces chiffres ?
Vous avez par ailleurs évoqué votre souhait de coconstruction : ne pensez-vous pas que le préfet de Seine-Saint-Denis, qui connaît bien le terrain, notamment en matière de délinquance, devrait avoir à l'avenir un rôle plus important dans la préparation de ce type de rencontres ?
Enfin, nous avons compris que le Président de la République avait poussé très fort pour accueillir cette finale à Paris malgré le court délai ; avez-vous été associé à cette décision ?
M. Jean-Jacques Lozach . - Concernant les moyens qui ont été mobilisés, que le ministre de l'intérieur a jugé largement suffisants -- c'était un peu plus flou du côté de la préfecture de police --, jugez-vous les effectifs de forces de l'ordre déployés suffisants pour ce type de rencontre à risque ?
La FFF, dans un communiqué, a estimé à 110 000 le nombre de personnes se trouvant à proximité du Stade de France en donnant comme source « des opérateurs publics et privés ». Confirmez-vous qu'il s'agit uniquement des transporteurs -- RATP, SNCF et taxis privés en particulier ?
Nous sommes par ailleurs encore dans le flou au sujet de cette note de la DNLH, entre ceux qui ont été destinataires et l'ont bien eue, ceux qui ont été destinataires, mais ne l'ont pas lue, ceux qui n'ont pas été destinataires du tout...
La FFF est-elle propriétaire des images captées par la vidéosurveillance à l'intérieur du Stade de France ? Si oui, des éléments vidéo ont-ils été transmis aux autorités qui en auraient fait la demande -- je pense notamment aux services du ministère de l'intérieur ?
L'UEFA s'est exprimée sur la question du dédommagement des spectateurs munis de billets n'ayant pas pu accéder au stade ; la FFF va-t-elle être sollicitée ?
Enfin, un arbitrage va devoir être pris. D'un côté, le préfet de police nous dit que la doctrine a bien été appliquée et ne saurait être remise en question ; de l'autre, Mme Hardouin nous a présenté un ensemble de préconisations et de propositions qu'il serait bon d'intégrer dans une stratégie sécuritaire relative aux événements de ce type.
M. Stéphane Piednoir . - Ma question porte sur les missions et les prérogatives de la FFF dans l'organisation de ce match. Je m'interroge sur la proportionnalité des mesures déployées et, plus précisément, le nombre de stadiers. Le ministre de l'intérieur a comparé cet événement à la finale de la Coupe de France qui s'est tenue dans le même stade quelques semaines plus tôt et aurait été classé 4 sur 5 sur une échelle de risque. Qui établit cette échelle ? Tient-elle compte de l'attractivité d'une rencontre ? Je n'ai rien contre les supporteurs de Nantes et de Nice, mais cet événement revient chaque année alors qu'une finale de Ligue des champions sur le sol français est beaucoup plus rare et suscite une exposition médiatique bien plus importante. Cela entraîne un flux de circulation autour du stade plus dense, comprenant des étrangers moins habitués aux formes de communication que nous employons, notamment dans les stations de métro et de RER. Avec un délai de préparation aussi faible, il aurait fallu, si j'ose dire, mettre le paquet pour faire face à l'imprévu. Pour cela, rien de mieux que du contrôle physique et donc des stadiers. Vous avez évoqué le chiffre de 17 % de stadiers supplémentaires. Était-ce, compte tenu de tous ces éléments, suffisant ?
M. Erwan Le Prévost . - Sur les flux de spectateurs, nous pouvons être précis, mais seulement sur ce que nous maîtrisons : les bus -- nous en avons acheminé 450 avec les supporteurs des deux clubs et l'ensemble des populations invitées -- et les véhicules légers qui ont stationné dans le parking du Stade de France. Pour les transports en commun, les chiffres que nous avons donnés sont ceux qui nous ont été communiqués par la RATP le soir du match : 6 200 personnes arrivées par le RER B, 36 000 par le RER D et 37 000 par la ligne 13 du métro. Au total, cela représente 110 000 personnes acheminées au Stade de France. Nous sommes bien incapables de vous dire ce que sont devenues ces 110 000 personnes, hormis les 72 000 qui sont entrées dans le stade et ont assisté à la rencontre. Quant aux 35 000 autres, 2 583 d'entre elles sont arrivées jusqu'aux grilles du Stade de France et ont été refoulées parce que leur titre d'accès était faux. Grâce à l'action des services de l'UEFA et des équipes de sécurité de Didier Pinteaux aux points de préfiltrage, nous avons récupéré près de 300 faux billets. Comme nous vous l'avons présenté sur la carte du stade, le périmètre ne comporte pas uniquement le parvis et la proximité immédiate du Stade de France et de ses 18 portes d'accès.
La zone qu'il faut regarder représente un périmètre extrêmement large à partir des stations de RER et de la ligne 13. L'entité qui peut répondre précisément à votre question - c'est une question que nous nous posons également - est la RATP : elle peut vous fournir sa capacité d'emport et le nombre de trains qui, à partir de 17 h 00, sont repartis vers le centre de Paris ou vers les aéroports avec un flux de spectateurs supérieur à celui qui est habituellement constaté. Certains agents de la RATP nous ont confirmé qu'à partir de 21 h 00 le flux était suffisamment important pour que des trains soient ajoutés en direction de Paris, ce qui constitue un élément important d'appréciation.
À propos de l'organisation de cet événement et du rôle de la préfecture de Seine-Saint-Denis, le préfet, Jacques Witkowski, et son directeur de cabinet, Frédéric Poisot, nous ont apporté une aide considérable. Il ne nous revient pas d'établir le cadre légal ou réglementaire d'intervention de la préfecture de police et des autres préfectures, mais il nous semble que la connaissance du terrain est essentielle dans ce type d'événement, en particulier dans ce département où les nuits sont agitées... Ils nous ont poussés dans nos retranchements concernant le plan de mobilité et nous ont alertés sur un ensemble de risques qu'il fallait prendre en compte.
M. Didier Pinteaux . - La finale de la Coupe de France et celle de la Ligue des champions sont deux manifestations totalement différentes.
La première a été classée au niveau 4 en raison d'importants risques d'affrontements entre les supporteurs des deux clubs concernés - ils sont connus pour s'affronter lors des rencontres de championnat. De plus, nous disposions d'informations selon lesquelles des supporteurs parisiens se mêleraient à ceux de ces deux clubs. Le classement au niveau 4 se justifiait donc du fait d'un risque élevé de trouble à l'ordre public à l'extérieur du Stade de France.
Concernant la finale de Ligue des champions, le risque était totalement différent. Nous savions que les supporteurs anglais avaient l'habitude de venir avec de faux billets, sans pour autant connaître le nombre de personnes concernées. Le dimensionnement du dispositif a été renforcé pour faire face à cette situation. Nous avons notamment ouvert plus de points de préfiltrage - douze au lieu des huit habituels - et donc multiplié le nombre d'agents. Nous avons aussi augmenté l'effectif de ce que nous appelons les équipes d'intervention, qui sont des personnels mobiles à l'intérieur du stade prêts à intervenir en cas de troubles : nous sommes passés de 40 à 112 agents.
Ai-je correctement dimensionné le dispositif ? J'aurais eu tendance à répondre oui, même si a posteriori j'aurais plutôt tendance à répondre non ! Pour autant, je ne suis pas sûr qu'augmenter les effectifs aurait changé quelque chose. En effet, le principal problème était la présence, à certains points de préfiltrage, d'un nombre important de personnes : cela créait un blocage et rendait impossible l'accès des spectateurs munis de billets.
M. Erwan Le Prévost . - Je voudrais apporter une précision au sujet des faux billets. Lors de grands concerts ou de manifestations importantes, il est habituel de constater que des gens achètent de faux billets pour des sommes très élevées par rapport à la valeur faciale de ces billets : des gens payent de 1 000 euros à 5 000 euros un billet qui en vaut quelques centaines. À l'occasion de la finale de la Ligue des champions, nous nous sommes rendu compte qu'un trafic de faux billets a été organisé, mais qu'ils ont été vendus à des personnes informées de leur nature frauduleuse. Tous les éléments d'information à ce sujet figurent dans la note de la FFF adressée à Michel Cadot.
Ainsi, sur les réseaux sociaux, des billets ont été vendus au prix de 50 livres sterling, soit moins cher que leur valeur faciale, les vendeurs expliquant précisément aux acheteurs qu'ils pourraient éventuellement passer le préfiltrage en faisant pression sur nos agents, mais qu'ils n'avaient aucune chance d'entrer dans le Stade de France munis de tels billets. C'est pour cette raison que le chiffre de 2 583 billets interceptés aux portes du stade est élevé.
Il est important d'avoir conscience que le nombre de personnes venues au Stade de France, en sachant pertinemment qu'elles possédaient un faux billet et que leur seule possibilité d'entrer était de saisir le moment opportun - celui où les portes céderaient et où les barrières seraient enfoncées - pour se précipiter dans l'enceinte, était bien plus élevé que celui des personnes qui, de bonne foi, pensaient avoir acheté un vrai billet.
Je voudrais apporter un élément de réponse à la question sur la vidéosurveillance posée par M. le sénateur Jean-Jacques Lozach. Les images sont disponibles pendant sept jours et sont automatiquement détruites ensuite. Une réquisition aurait été nécessaire pour déroger à cette règle.
En tout cas, j'ai passé la journée au PC sécurité et je peux vous dire que les images étaient extrêmement violentes.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Aucune réquisition n'a eu lieu, alors que la justice a été saisie dès le samedi soir ?
M. Erwan Le Prévost . - La justice a été saisie, sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale, au sujet de la fausse billetterie.
M. Didier Pinteaux . - En ce qui concerne le niveau de risque d'une rencontre, c'est la DNLH qui propose au préfet un classement.
M. David Assouline . - Ce qui vient d'être dit par M. Le Prévost est très important, voire grave, et il aurait été particulièrement intéressant d'entendre le préfet de police sur ce point. Des images que vous jugez très violentes ont été détruites, parce qu'aucune réquisition n'a été faite avant l'expiration du délai de sept jours et alors même qu'une procédure a été engagée au titre de l'article 40 du code de procédure pénale. Des preuves ont ainsi été détruites du fait de ce que l'on pourrait qualifier au minimum d'incompétence - je n'ai pas envie de penser que cela a été fait exprès. C'est grave et c'est une responsabilité très importante de l'autorité publique.
Je souhaite vous interroger sur le préfiltrage. Il était réalisé au moyen de stylos. Il semblerait que des stadiers se soient beaucoup interrogés sur le taux particulièrement élevé de rejet - il atteignait 90 % ! - et qu'ils estimaient que cela provenait d'un dysfonctionnement des fameux stylos - M. le ministre de l'intérieur s'est beaucoup amusé de cet aspect des choses... Pourriez-vous nous apporter des précisions sur ce point ?
Si nous nous tournons maintenant vers l'avenir, ne pensez-vous pas que, lors de manifestations de ce type suscitant un fort engouement auprès d'un public populaire, la répartition des places - 28 000 billets destinés à des personnalités ou à des VIP, 7 000 pour le grand public et 20 000 pour chaque club - constitue un problème ?
J'ai assisté une fois à une finale de Ligue des champions - elle opposait Arsenal à Barcelone au Stade de France. Il y avait déjà une pénurie de billets et j'ai été effaré de voir des personnes de condition défavorisée détenir dans leurs poches des centaines, voire des milliers, d'euros en liquide pour acheter une place. Des supporteurs étaient prêts à dépenser leur paye pour cela ! Lorsqu'on crée une telle situation, qu'on incite en permanence les gens à consommer du football, ne peut-on pas s'attendre à ce que les pickpockets soient là et pas ailleurs ?
S'assurer que les billets soient vendus à un prix abordable, ne pas créer une situation de rareté telle qu'elle pourrait produire de la délinquance : ces questions sont importantes en vue des prochains jeux Olympiques.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio . - Je veux tout d'abord remercier les représentants de la FFF de leur transparence et de la clarté de leurs propos. En particulier, il n'y a pas eu de déni de leur part au sujet des problèmes de billetterie ou de délinquance qui ont suscité la stupeur des Français. Je regrette d'ailleurs que nous ne parlions que des problèmes de sécurité et de violence et pas de la victoire du Real Madrid !
J'espère en tout cas, madame la directrice générale, que vos propos ne seront pas qualifiés de nauséabonds - c'est ce qu'a fait le ministre de l'intérieur, lorsque j'ai évoqué des problèmes de délinquance...
Dès lors que le Président de la République a décidé que ce match se déroulerait à Paris, est-ce qu'une réunion a été organisée en urgence par les ministères concernés avec l'ensemble des partenaires afin de les mobiliser et d'organiser correctement, en trois mois, cet événement pour qu'il soit une belle fête du football ? Combien de réunions ont eu lieu en présence de tous les partenaires - la FFF, la RATP, la SNCF, les responsables du Stade de France, etc. - pour anticiper les dysfonctionnements éventuels que l'on a finalement constatés ?
Enfin, comment avez-vous pu estimer le nombre de personnes détenant de bonne foi un faux billet et les autres ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Vous avez détaillé la fréquentation des différentes lignes de transport et regretté le basculement des usagers du RER B vers le RER D comme le manque d'informations sur ce point, qui explique peut-être la présence d'un plus grand nombre de stadiers à l'arrivée du RER B.
Un point m'intrigue : la grève était annoncée et, deux jours avant l'événement, des messages préconisaient de prendre le RER D. Je comprends qu'il puisse exister un problème de coordination ou de circulation de l'information, mais vous n'aviez pas besoin qu'on vous informe de cette situation, car elle était de notoriété publique.
Ensuite, était-il possible, selon vous, d'organiser de manière satisfaisante cette manifestation en trois mois ou l'accident était-il prévisible ?
Enfin, qui pilotait l'ensemble de l'opération ? La Diges, le préfet de police ? Qui était responsable du pilotage d'ensemble ?
M. Jacques Grosperrin . - Lors des nombreuses réunions qui ont eu lieu, avez-vous alerté la préfecture de police ou une autre autorité sur les risques que présentait ce match, puisqu'on sait que les supporteurs du club de Liverpool se déplacent en nombre et souvent sans billet ou avec de faux billets ?
Pouviez-vous, sous couvert de l'UEFA, interdire cette manifestation, étant donné les risques engendrés par l'utilisation de billets papier ?
Enfin, le préfet de police, Didier Lallement, nous expliquait ce matin que ce n'était pas un match à risque. Or Philippe Diallo vient de nous dire qu'il avait reçu une note selon laquelle le risque de ce match était classé au niveau 4 sur une échelle de 5. Faisait-il référence à la note concernant la finale de la Coupe de France dans laquelle jouait Nantes ou à une note de la préfecture de police qu'il aurait reçue au sujet de la finale de la Ligue des champions ?
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Le Président de la République vous a-t-il consultés, avant de prendre sa décision, sur notre capacité à recevoir cette finale dans les conditions que vous avez évoquées ?
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - À quel moment avez-vous eu les chiffres de la RATP et de la SNCF concernant les flux de voyageurs ? Est-ce dès le samedi soir ou quelques jours plus tard ?
M. Erwan Le Prévost . - Nous les avons reçus en temps réel le samedi soir.
M. Didier Pinteaux . - Je vais répondre à la question portant sur les stylos. Chaque point de préfiltrage est géré par un responsable et, le soir de la manifestation, l'un d'entre eux nous a appelés pour nous demander de nouveaux stylos, car il pensait que ceux dont il disposait ne fonctionnaient plus. Nous avons donc envoyé le responsable billetterie de l'UEFA sur le site : il a constaté que les stylos fonctionnaient très bien et qu'il s'agissait en réalité de faux billets. Je le répète, les stadiers de ce point de préfiltrage ont cru que les stylos ne fonctionnaient pas, mais le problème venait des nombreux faux billets
M. Erwan Le Prévost . - L'UEFA nous a fourni des stylos neufs, dont le bon fonctionnement a été testé le matin du match. Lorsqu'un stylo fonctionne correctement, l'encadré figurant au dos du billet devient rose lors du passage du stylo ; s'il reste blanc, le billet est faux. Dès 17 h 00, le PC sécurité a été alerté sur le fait que les stadiers avaient un problème avec les stylos, car la couleur rose n'apparaissait pas sur les billets. Nous avons alerté l'UEFA qui a envoyé une équipe sur les différents points de préfiltrage avec de nouveaux stylos. Cette équipe a pris un échantillon de dix billets par point de préfiltrage : en moyenne, de quatre à sept étaient faux.
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - À partir de quelle heure le stade est-il ouvert pour que le public puisse prendre place à l'intérieur ?
M. Erwan Le Prévost . - Il y a deux niveaux. Le premier, c'est l'activation du préfiltrage, qui était prévue à midi ; elle a eu lieu à 11 h 50. Le deuxième, c'est l'ouverture des portes du Stade de France, qui a été prévue à 18 h 00 et qui a eu lieu à 18 h 00.
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Le Président de la République vous a-t-il consultés ? Soyons clairs, je comprends que la réponse est non...
M. Erwan Le Prévost . - Je souhaite vous apporter des réponses sur l'organisation générale. La décision a été prise le 28 février. Le 4 mars, nous avons eu la première réunion de coordination organisée par le délégué interministériel aux grands événements sportifs (Diges), c'est-à-dire le préfet Michel Cadot ; elle a regroupé l'ensemble des acteurs et des parties prenantes. En moyenne, nous avions environ une réunion par semaine sur les différentes thématiques, qu'il s'agisse des transports, des fan zones, avec les villes de Paris et de Saint-Denis, ou de la sécurité, avec la préfecture de police. Les équipes du préfet Michel Cadot étaient présentes à chacune de ces réunions. La coordination générale de l'événement s'est donc faite sous l'égide du Diges et de ses équipes. Cela a permis de construire l'événement. Même si la forme n'est pas celle que nous attendions, les acteurs ne se sont jamais autant mobilisés à nos côtés, malgré les délais contraints, pour surmonter les écueils que nous rencontrions.
Ce qu'il faut avoir en tête, c'est la particularité de cette finale. Vous évoquiez cette problématique connue des supporteurs qui se déplacent en très grand nombre. C'est pour cela que nous avons mis une pression certaine sur les villes de Paris et de Saint-Denis. Nous avons ainsi pu accueillir 44 000 personnes sur la fan zone de Paris et 6 000 personnes à l'instant t , mais, en définitive,12 000 personnes sur celle qui était prévue pour Madrid. Il était important pour nous de prendre en compte ce nombre substantiel de spectateurs.
J'insiste sur le fait que la coordination a mobilisé l'ensemble des services de l'État. L'ensemble des ministères ont travaillé à nos côtés et à ceux de l'UEFA, qui était présente à chaque réunion pour organiser cet événement dans ce que nous pensions être les meilleures conditions. En définitive, c'est un échec pour nous tous.
Comme l'ont indiqué M. le vice-président et Mme la directrice générale, ce que nous en tirons en tant que FFF, c'est un sentiment de tristesse, compte tenu de l'investissement consenti par toutes les personnes mobilisées autour de l'événement. Au regard de tout le travail de coordination que nous avons effectué avec l'ensemble des parties prenantes, ce n'est pas cette fin-là que nous attendions.
Je vous rejoins. Il y a des moments où nous aurions dû prendre le temps de poser certaines questions. A-t-on bien compris notre demande ? La restitution qui en est faite est-elle la bonne ? En prenant telle décision, assumons-nous le risque correspondant ou préférons-nous faire en sorte de l'écarter, afin de nous concentrer sur notre objectif premier, c'est-à-dire accueillir et organiser la manifestation ?
M. Michel Savin . - Madame la directrice, vous avez indiqué tout à l'heure qu'il y avait eu des retours importants dans les transports après 21 h 00. Or, dans son communiqué, la SNCF précise qu'aucun afflux particulier ou plus important que d'habitude n'a été enregistré dans l'autre sens après le début du match. Il y a là une contradiction. Une de plus. Vous comprenez que nous puissions nous interroger.
M. Erwan Le Prévost . - La SNCF pourrait-elle communiquer ses flux montants et ses flux descendants au Stade de France sur la journée du 28 mai ?
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Nous allons auditionner la SNCF.
M. David Assouline . - Je trouve totalement aberrant que les images aient été détruites sous prétexte qu'elles n'ont pas été réquisitionnées dans les sept jours. Qui devait faire la réquisition et agir pour qu'elles ne soient pas détruites ?
M. Didier Pinteaux . - Nous ne les avons pas détruites. Elles se sont écrasées toutes seules. C'est automatique.
M. David Assouline . - Certes. Mais j'aimerais avoir la réponse à ma question. Qui devait prendre la décision ?
M. Didier Pinteaux . - Il faut une réquisition judiciaire.
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - En effet. La réquisition des images de vidéoprotection relevant d'une décision judiciaire, il appartenait au procureur de la République de la demander. S'il ne le fait pas dans le délai imparti par la loi, les images s'écrasent.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Nous avons compris que les discussions avec la RATP ne fonctionnaient pas de manière opérationnelle lorsque vous avez eu connaissance du préavis de grève.
Vous avez laissé les points de filtrage tels qu'ils avaient été envisagés, c'est-à-dire l'essentiel des points de filtrage côté RER B alors que l'on pouvait imaginer un phénomène de report sur la ligne D. Finalement, le jour du match, malgré le préavis de grève, quatre RER B sur cinq fonctionnaient. Néanmoins, en raison des annonces préalables, les spectateurs, notamment les Anglais, ont tout de même utilisé le RER D. Il y a donc eu un afflux sur les points de filtrage du RER D. À ce moment-là, il n'y avait pas de liaison entre la RATP et vous pour réorienter sur les points de filtrage. Mais, lors de l'annonce du préavis de grève, il n'y a pas eu modification de votre part sur la répartition des points de filtrage en anticipant un phénomène de report sur le RER D ou en prévoyant un cheminement orientant vers les points de filtrage du RER B. C'est bien cela ?
M. Erwan Le Prévost . - Je confirme exactement ce que vous venez dire. Les différentes réunions que nous avons menées avec l'ensemble des parties prenantes sur l'organisation de cet événement et le plan de mobilité nous ont amenés à proposer un plan, en faisant notamment appel à la RATP et la SNCF, pour orienter les spectateurs vers le RER B. Ce plan a été validé. Un communiqué de presse diffusé le 26 mai informait qu'il y aurait une grève le 28 mai, mais en précisant que le trafic ne serait pas loin d'être optimal, avec quatre trains sur cinq, puis cinq trains à partir de dix-sept. Et nous avons découvert dans l'après-midi du match que la RATP, notamment dans les hubs de Châtelet et de Nation, incitait les personnes à se rendre au stade en utilisant le RER D.
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Madame, messieurs, nous vous remercions de votre venue et des éléments que vous avez portés à la connaissance de nos deux commissions.
Audition de M. Steve Rotheram,
maire de la métropole de
Liverpool
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Monsieur le maire, nous vous remercions d'avoir répondu à l'invitation de nos deux commissions du Sénat. Permettez-moi de souligner, avec le président de la commission de la culture, Laurent Lafon, et l'ensemble des parlementaires ici présents, combien nous regrettons les circonstances dans lesquelles nos amis britanniques et leurs familles se sont retrouvés à l'occasion de la finale de la Ligue des champions.
Nous vous recevons en votre qualité d'élu britannique, mais également de témoin des événements et de supporter de football. Nous croyons savoir que vous assistez régulièrement aux matchs de Liverpool ; je me souviens de temps anciens où le football français a beaucoup subi les qualités exceptionnelles d'un joueur nommé Kevin Keegan... Vous êtes en mesure de comparer les organisations et les ressentis à l'occasion des matchs. Vous avez indiqué dans la presse et sur les réseaux sociaux avoir vous-même été victime de vols au cours de cette soirée. Sur tous ces éléments, nous attendons votre témoignage.
Depuis le 28 mai dernier, la police française a mis en place un formulaire de dépôt de plaintes sur le site de l'ambassade de France, afin de permettre la poursuite de ceux qui ont commis des infractions. Auriez-vous des suggestions à nous adresser à cet égard ?
M. Steve Rotheram, maire de la métropole de Liverpool . - Je remercie le Sénat français de m'avoir invité. Monsieur le président, je crois que vous montrez un peu votre âge, avec la référence à Kevin Keegan !
Les fans de Liverpool peuvent effectivement remplir un formulaire. Mais ce n'est pas un formulaire de plainte contre le traitement de la police lui-même. Pour moi, c'est l'une des plus grandes injustices, car il s'agit de l'un des plus grands maux dont ils ont souffert.
Le formulaire permet de saisir des informations. Mais l'important est de savoir comment celles-ci seront traitées une fois collectées. Pour ma part, je le remplirai. Je note qu'il doit être envoyé par voie postale en France. Pourtant, il serait nettement plus facile d'avoir à remplir un formulaire en ligne, afin de permettre un véritable suivi des plaintes envoyées.
Les supporters se réjouissent d'un tel engagement de la part des autorités françaises, mais il existe des doutes quant à la méthode de collecte des données et à l'utilisation qui en sera faite.
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Pourriez-vous nous raconter précisément ce que vous avez vécu le soir du match ?
M. Steve Rotheram, maire de la métropole de Liverpool . - La nuit précédente et le jour du match, j'étais à Paris. Les Parisiens étaient très accueillants. Ils nous faisaient sentir que nous étions comme chez nous. Je crois d'ailleurs que beaucoup d'entre eux souhaitaient la victoire de Liverpool, puisque le Real Madrid avait gagné contre Paris en 8e de finale.
Mais, lorsque je suis sorti du métro pour aller vers le Stade de France, j'ai vraiment constaté un changement d'atmosphère. La journée de rêve s'est transformée progressivement en journée de cauchemar. On m'avait prévenu qu'il y avait des groupes de pickpockets bien organisés. J'en ai malheureusement été victime.
Même si, sur le moment, j'ai vécu cela difficilement - on m'a volé mes papiers, mes cartes, mon téléphone, mon billet d'entrée -, ma préoccupation immédiate a été de savoir quoi faire. Ce qui m'est arrivé n'est vraiment pas grand-chose par comparaison avec ce qui est arrivé à d'autres personnes, qui ont été victimes de vols beaucoup plus violents.
La journée qui a précédé le match était vraiment fantastique ; en revanche, l'organisation autour du stade et l'attitude de la police ont très rapidement transformé ce beau moment en une journée négative.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Je me joins aux propos du président Buffet et vous exprime à mon tour nos regrets : ce qui aurait dû être un bel événement sportif a malheureusement donné lieu à des débordements inacceptables dont un grand nombre de supporters de Liverpool ont été victimes. Le président Buffet rappelait les exploits de Kevin Keegan : de fait, nous sommes nombreux en France à apprécier ce beau club de Liverpool. Pour ma part, c'est Kenny Dalglish que j'ai en mémoire. C'est dire l'estime que nous avons pour votre club.
Un certain nombre de points suscitent des incompréhensions des deux côtés de la Manche, en particulier la question de la billetterie papier, qui, depuis quelques jours, donne lieu à bien des débats. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi, non pas la ville de Liverpool, mais son club a demandé à disposer de billets papier ? Est-ce une pratique régulière ?
M. Steve Rotheram . - Je vais répondre à votre question parce que vous me l'avez posée, mais je veux dire qu'on a utilisé cette question des billets pour créer ensuite une fausse version des faits.
Les fans de Liverpool assistent à de nombreux matches de foot à l'extérieur et il n'y a jamais eu de problème avec les billets. Pour moi, le problème, c'est que certains scanners ont rejeté des billets valides, ce qui a créé de longues files d'attente. C'est un moyen dont on s'est servi pour faire des fans de Liverpool des boucs émissaires. Du côté du Real Madrid, ce sont des tickets électroniques qui ont été utilisés ; pourtant, il y a aussi eu des problèmes. Donc, ces accusations contre les fans sont fausses : c'est à la sortie des stations de transport en commun que la situation a commencé à dégénérer. M. Darmanin et Mme Oudéa-Castéra ont livré une version fausse en parlant de 30 000 à 40 000 faux billets, et ce uniquement pour servir la version des autorités françaises.
Ce n'est pas la première fois qu'on fait des fans des bouc émissaires : c'est ce qui s'est également passé après le match d'Hillsborough, qui avait fait 97 morts. C'est donc un sujet vraiment sensible.
Cette idée de reporter la faute sur les fans s'est fait jour dès le début : pour cela, on a utilisé les images. Pourtant, les fans sont arrivés avec trois heures d'avance. Manifestement, ce n'était pas suffisant. Quand donc auraient-ils dû arriver pour que les choses se passent bien ?
Ensuite, on a mis en cause les fans sans billet. Là encore, ce sont de fausses accusations. Les propos de M. Darmanin, qui évoquait 40 000 fans sans billet, ne reposent sur aucune preuve.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Cela fait partie des points que nous examinons avec la plus grande attention. Ce matin, nous avons auditionné le préfet de police et, cette après-midi, les responsables de la Fédération française de football. Le Sénat a bien l'intention de mettre à plat tous les dysfonctionnements et d'identifier les responsabilités des uns et des autres. N'ayez aucun doute sur notre volonté de faire toute la lumière sur ce qui s'est passé. Il ne doit y avoir aucune ambiguïté.
Ma question visait non pas à mettre l'accent sur tel ou tel problème, mais à lever certaines incompréhensions qui ont pu naître des deux côtés de la Manche. Et il est vrai que cette question des billets papier nous interroge un peu. Je me permets donc de vous reposer la question : pourquoi cette demande de billets papier du côté de Liverpool ? Madrid a formulé des demandes similaires, mais en moins grand nombre. Pour lever toute ambiguïté, je veux préciser que, en France, nous ne connaissons pas forcément cette pratique consistant, pour de nombreux supporters, à se déplacer à l'étranger à l'occasion d'un match alors même qu'ils ne disposent pas de billet. Pouvez-vous nous indiquer si c'est là quelque chose d'habituel chez les supporters de Liverpool, pour une finale ou un match de qualification ?
M. Steve Rotheram . - Merci d'avoir clarifié votre question. Il faudrait la poser directement au club de Liverpool. Si le problème trouve son origine dans ces billets papier, alors pourquoi lui avoir donné la possibilité d'y recourir, de préférence à des billets électroniques ? En tout cas, puisque de tels billets sont, semble-t-il, autorisés, je ne comprends pas vraiment le sens de votre question. D'autant que les fans du Real Madrid qui utilisaient des billets électroniques ont, eux aussi, rencontré des problèmes pour entrer dans le stade, puisque les scanners ont connu également des dysfonctionnements avec ceux-ci.
La situation aurait-elle été encore plus chaotique si les fans de Madrid n'avaient pas eu de billets électroniques ? Je ne sais pas, il est difficile de répondre à cette question.
Londres est facilement accessible depuis Liverpool ; ensuite, on rejoint Paris en une heure trente, grâce au tunnel sous la Manche. C'est ce qu'ont fait les fans du club, mais sans la moindre intention d'entrer dans le Stade de France ; ils voulaient simplement profiter de l'atmosphère. Les dizaines de milliers de supporters qui se sont rassemblés au sein des fan zones se sont extrêmement bien comportés, ils ont fait la fête, ils se sont amusés, ils ont profité de l'événement : ceux qui ne pouvaient pas aller au stade ont regardé le match sur des écrans géants.
Peut-être les autorités françaises ou les autorités du football ne voulaient-elles pas que ces fans voyagent... Pour ma part, j'estime que chacun a le droit de se déplacer et de profiter de l'atmosphère d'un match à l'extérieur du stade. Et puis, simplement, ces fans pensaient être les bienvenus et voulaient éprouver le sens de l'hospitalité du peuple français. Ce qui est une bonne chose.
Je n'accuse absolument personne, mais, dans certains cas, les supporters de Liverpool qui n'avaient pas de ticket ont été quelque peu trompés : dire qu'ils ont tenté de pénétrer dans le stade quoi qu'il en coûte, c'est simplement faux ! Où ces 40 000 personnes ont-elles disparu ? Elles se sont évanouies dans le métro, juste après le coup d'envoi ? Cela m'intéresserait de le savoir !
D'où sort ce chiffre de 40 000 faux billets ? C'est un calcul qu'on a fait au dos d'un paquet de cigarettes ?
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Monsieur le maire, pour être très précis s'agissant de la question des billets papier, il nous a été dit que l'usage dans une telle compétition était d'utiliser des billets électroniques et que, pour la finale, les Espagnols avaient effectivement demandé 6 000 billets papier pour un usage interne au club, si je puis dire, puisque ces billets étaient destinés à ses invités. Le club de Liverpool, quant à lui, a demandé un plus grand nombre de billets papier, certains d'entre eux s'étant par la suite révélés faux, d'après ce qui a été constaté. Une enquête judiciaire est en cours pour faire la lumière sur cette affaire, ce qui est parfaitement normal. Nous avons demandé à la Fédération française de football - en réalité, c'est l'UEFA qu'il faudrait interroger - pourquoi il avait été dérogé, pour les deux clubs, à cette règle du billet électronique. Ce n'est pas le seul problème, tant s'en faut, nous sommes bien d'accord, mais c'est une question que l'on se pose.
Monsieur le maire, quelle était l'ambiance autour de vous lorsque vous avez rejoint le stade ? On nous dit qu'il vous a été demandé de passer par-dessus les grilles pour entrer dans l'enceinte, ce qui nous semble effrayant. Nous voudrions comprendre : y avait-il beaucoup de monde, exerçant une pression très forte ? ou bien la foule était-elle plus clairsemée, mais le climat extrêmement violent ?
M. Steve Rotheram . - Avant de vous relater dans quel contexte on m'a demandé d'escalader la grille, j'aimerais revenir sur votre première question, celle sur les billets.
Je pose la question aux autorités françaises et à l'UEFA : si la délivrance de billets papier aux supporters de Liverpool était problématique, alors pourquoi l'ont-ils fait ? S'il y avait un problème avec les scanners ou les stylos chimiques, pourquoi l'ont-ils fait ? On a dit que 66 % des faux billets étaient détenus par des supporters de Liverpool. Or je suis convaincu que, sur cette masse de billets, certains étaient authentiques et qu'ils ont été rejetés par les appareils de contrôle. Ce chiffre de 66 % est-il exact ? Je n'en suis pas certain. S'il l'est, cela signifie à tout le moins que 34 % des faux billets étaient détenus par des supporters du Real Madrid - des billets électroniques !
Il semblerait que les supporters de Liverpool aient vu un plus grand nombre de leurs billets rejetés que les supporters de Madrid ; pour autant, cela signifie qu'un grand nombre de billets électroniques détenus par les supporters de Liverpool auraient également été rejetés. C'est ce qui a créé toutes ces queues et suscité tous ces problèmes.
Cette affaire de billets, c'est en fait une manière pour les autorités françaises de ne pas prendre à bras-le-corps les raisons fondamentales pour lesquelles autant de problèmes sont survenus autour du stade.
Pour ce qui est de mon cas personnel, comme des milliers d'autres supporters, lorsque nous sommes sortis de la station de train, nous avons marché en empruntant un grand boulevard, balisé par des barrières. Après avoir parcouru plusieurs centaines de mètres, nous avons été bloqués par des véhicules de police et nous nous sommes retrouvés face à des membres des forces de l'ordre, matraque à la main. C'est là qu'ils ont demandé aux gens de passer par-dessus ces barrières, assez hautes, pour rejoindre la partie piétonne. Pour ce faire, il fallait déposer ses effets personnels. Et c'est de ce laps de temps qu'ont profité les pickpockets pour agir. C'est ce qui m'est arrivé.
À ce moment-là, il n'était aucunement question d'entrer dans le stade. C'est là qu'est le malentendu, l'incompréhension. Des agents de police m'ont aidé à rejoindre l'enceinte sportive et à obtenir un billet de remplacement.
M. Michel Savin . - Comme beaucoup de mes collègues, je regrette les propos qui ont été tenus à l'égard de votre ville et de ses habitants à la suite des événements qui se sont déroulés au Stade de France. Les actes de délinquance et d'agression survenus aux entrées et aux sorties du match sont également regrettables.
Je voudrais avoir votre avis sur les propos qu'a tenus le ministre de l'intérieur devant les sénateurs lors de son audition, et que je reprends mot pour mot : « Nous nous sommes attendus, avec Liverpool, à des problèmes. On pensait que les problèmes viendraient du hooliganisme et des mouvements de foule violents. Ils ne sont pas venus de là, ils sont venus de faux billets, et c'est sans doute une explication de ce qui s'est passé samedi soir. »
À l'entendre, les débordements et les actes de délinquance qui se sont déroulés autour du stade étaient dus à la présence de milliers de supporters de Liverpool sans billet ou munis de faux billets.
Nous essayons depuis le début de nos auditions d'obtenir une transparence sur les chiffres annoncés, notamment concernant les 30 000 à 40 000 spectateurs sans billet ou munis de faux billets. C'est un point important, car les images diffusées à la télévision à 21 heures ne montrent pas un tel attroupement devant le Stade de France. De plus, la SNCF a publié un communiqué indiquant qu'elle n'avait pas relevé de surplus de voyageurs après 21 heures. La question reste donc entière.
Par ailleurs, quelle est la réaction du maire et des habitants de Liverpool en voyant que l'on essaie de faire peser la responsabilité des événements sur la présence nombreuse de supporters anglais, tout en faisant abstraction des actes de délinquance et d'agression survenus autour du stade ?
M. Steve Rotheram . - Pour revenir sur le témoignage de M. Darmanin, il s'attendait à des problèmes, à ce que des hooligans soient là. Cependant, je peux vous assurer que, s'il y avait eu un match à Wembley, il n'y aurait pas eu beaucoup de fans de Liverpool.
À plusieurs égards, cela explique peut-être la façon dont les policiers ont abordé ce match et peut-être aussi certains problèmes que l'on a constatés. J'ai vu des policiers qui, d'une certaine façon, cherchaient des problèmes, n'en trouvaient pas, se regroupaient, et menaçaient plusieurs personnes avec leurs matraques. S'il y avait vraiment eu des incidents graves nécessitant de recourir à la force de la police, on aurait des images. Il y a toutes sortes de façons d'obtenir ce genre de vidéo de nos jours. Les gens ont des téléphones portables, nous pourrions donc avoir ce genre de preuve ou d'image.
Je crois que M. Darmanin a essayé de tromper non seulement le public français, mais aussi les médias dans le monde entier.
Dans mon pays, les responsables politiques aiment bien parfois voir la vérité à leur façon - notre Premier ministre lui-même aussi, d'ailleurs ! Mais cela n'excuse en aucun cas les autorités françaises, qui ont conçu une campagne pour reporter la faute sur d'autres et trouver des boucs émissaires. Les fans de Liverpool, c'est finalement une excuse assez pratique pour dévier l'attention de la mauvaise préparation de l'événement.
Je me suis rendu plusieurs fois en France pour des matchs et n'ai jamais vu un tel échec en matière d'ordre public et d'organisation policière.
En ce qui concerne les billets, je n'ai aucun doute sur le fait qu'il y aura toujours un certain nombre de faux billets dans les grands événements sportifs à travers le monde. Toutefois, le chiffre de 40 000 billets a été véritablement ridiculisé. Ensuite, les autorités françaises ont annoncé comme chiffre 2 500 faux billets seulement. Je ne sais pas s'il s'agit d'un grand nombre par rapport à la capacité du Stade de France, mais il s'agit en tout cas d'un nombre bien inférieur à celui de 40 000 qui avait été annoncé initialement. Ce n'est donc absolument pas vrai, c'est même ridicule de dire qu'il y avait un aussi grand nombre de faux billets ! Si la situation n'était pas sérieuse, j'en rirais véritablement.
En tout cas, il y a vraiment eu un problème d'organisation et de communication. Heureusement, cela a été contré par l'attitude vraiment exemplaire et exceptionnelle des fans de Liverpool, certains d'entre eux étant arrivés plus de trois heures à l'avance au stade. Les supporters se sont entraidés, et ont assuré eux-mêmes l'ordre à l'extérieur du stade, en quelque sorte.
L'affirmation consistant à dire qu'on peut utiliser des gaz lacrymogènes pour ramener l'ordre est fausse aussi. Pour moi, c'est un moyen non pas de ramener l'ordre, mais de disperser les gens dans toutes les directions, ce qui peut provoquer d'ailleurs des blessures graves. Il n'y avait donc aucun contrôle, et les services de police se sont complètement effondrés.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio . - Dans la lignée des propos du président Buffet et du président Lafon, je tiens à souligner combien nous regrettons de voir ce fiasco français expliqué par nos ministres par le comportement des Anglais.
Je note d'ailleurs que l'Angleterre a prouvé à la France, à travers l'organisation du Jubilé de la Reine, sa capacité à anticiper de grands événements. Aucun incident n'est en effet survenu à cette occasion, alors que des milliers d'Anglais ont participé aux différentes festivités planifiées. Vous avez donc prouvé le bon comportement des Anglais, trois jours après les événements du Stade de France, à nos ministres qui ne veulent pas assumer leur fiasco.
Vous avez prononcé une phrase qui m'a peinée, lorsque vous avez dit que votre journée de rêve s'était transformée en cauchemar. Comment ne pas être touché par cette phrase ?
Vous avez par ailleurs bien fait d'insister sur les fan zones . Pour m'être trouvée à Paris le vendredi et le samedi, je puis confirmer qu'il y avait un très bon climat. Aucun problème n'est survenu dans les fan zones à Paris. Les supporters anglais, espagnols et français savent donc se comporter correctement.
Vous avez raconté votre expérience personnelle. Avez-vous ressenti, chez les supporters que vous avez pu croiser, un sentiment d'insécurité autour du Stade de France du fait des hordes de délinquants qui les attendaient pour les dépouiller ? Plusieurs supporters victimes d'actes de délinquance vous ont-ils donné leur témoignage ?
Sachez que nous sommes nombreux à soutenir votre démarche et à comprendre ce que vous dites aujourd'hui.
M. Steve Rotheram . - Je m'étais rendu en France avec de grandes attentes, je voulais vraiment voir un spectacle, mais finalement j'étais trop désespéré pour aller m'asseoir dans le stade. J'ai donc regardé l'événement de l'extérieur. J'ai ensuite exprimé mes préoccupations à de nombreux invités importants ou à des personnes à l'extérieur.
Je crois que vous avez tout à fait raison, madame. Il y a eu, bien sûr, de nombreuses célébrations très joyeuses, des démonstrations de camaraderie. De nombreuses personnes ont aimé ces moments avant le match ; mais les choses ont dégénéré, elles dégénéraient dès que l'on s'approchait du stade.
Cela tenait vraiment au manque de présence policière, ou alors, ensuite, à des interventions policières trop musclées.
Pour remettre les choses dans leur contexte, j'étais aussi présent au match de 2014 entre Lille et Everton, et les mêmes tactiques étaient utilisées par la police à l'époque. Ce n'est pas le genre de tactique auquel les Britanniques sont habitués. L'une des choses que nous faisons bien, au Royaume-Uni, c'est que nous avons l'habitude de faire la queue. Généralement, les gens respectent le protocole, les règles non écrites de la file d'attente. C'est exactement ce qui s'est passé aux alentours du Stade de France : les gens faisaient la queue patiemment. Or aucune information n'a été donnée aux fans pour leur expliquer combien de temps il leur faudrait attendre pour entrer dans le stade.
Il n'y avait pas vraiment de stadiers présents pour orienter les gens vers la bonne file d'attente, leur permettant d'atteindre le tourniquet qu'ils devaient utiliser. Il n'y avait pas non plus de contrôle préliminaire des billets.
Pour moi, cette expérience a vraiment été totalement décevante. Cela ne va pas complètement entacher ce que je pense de la France. Je viens souvent en vacances en France et me suis toujours senti très bien accueilli. Toutefois, s'il s'agissait pour quelqu'un de sa première expérience de la France et de sa première rencontre avec la police française, je ne suis pas sûr qu'il aimerait y revenir.
C'est pourquoi il est important que la vérité émerge, et non pas les mensonges qui sont relayés par des personnes qui occupent pourtant une position de pouvoir et devraient donc se comporter différemment.
Il faudrait une enquête indépendante qui fasse toute la lumière sur ce qu'il s'est passé. Vous pourriez, au Sénat, analyser la question dans son ensemble et en tirer des enseignements. Un match France-Danemark a eu lieu la semaine suivante, et, une fois encore, certaines personnes ont eu des difficultés à entrer dans le stade. Il me semble donc que des enseignements n'ont pas encore été tirés des événements, et que les problèmes intrinsèques à leur organisation n'ont pas encore été analysés.
M. Jean-Jacques Lozach . - Notre état d'esprit n'est pas de montrer du doigt les supporters de Liverpool, mais de savoir précisément ce qui s'est passé dans la soirée du 28 mai.
Dans certaines circonstances, les mots prennent un intérêt particulier. Tout le monde exprime des regrets : le préfet de police l'a fait ce matin, suivi des représentants de la Fédération française de football (FFF) tout à l'heure. Cependant, personne n'a encore formulé d'excuses.
Monsieur le maire, attendez-vous des excuses de la part des autorités publiques françaises, comme certains l'ont demandé ?
M. Steve Rotheram . - Je crois que des excuses complètes sont nécessaires, mais pas seulement de la part des autorités françaises. L'Union européenne des associations de football (Union of European Football Associations - UEFA) a aussi une grande responsabilité.
J'ai parlé précédemment d'une enquête supposément indépendante. Pour qu'elle remplisse les objectifs qu'elle devrait remplir, il faudrait que les deux clubs de football y soient représentés, ainsi que des personnes qui ont vécu les événements de l'extérieur, car ce sont ces expériences qui peuvent orienter l'enquête et permettre de tirer les enseignements de cette débâcle.
Nous pourrions comprendre ainsi comment protéger à l'avenir les événements sportifs et les supporters, pour qu'ils ne se retrouvent pas dans la situation dans laquelle se sont retrouvés les fans de Liverpool ce soir-là - et peut-être aussi les fans du Real Madrid, même si je n'étais pas de leur côté.
Il y a eu beaucoup de spéculations, et beaucoup de choses ont été dites par des personnes qui ne comprennent pas la situation car elles ne l'ont pas vécue. Or, croyez-moi, c'était vraiment une situation difficile.
Pour une personne de mon âge, qui a déjà vécu des expériences traumatisantes par le passé lors de matchs de football en Angleterre, cela réveille de très mauvais souvenirs. Je détesterais que d'autres fans doivent vivre ce que les fans de Liverpool ont déjà vécu.
Je ne veux pas dire quelles conclusions devraient être tirées avant que l'enquête ne soit menée. Je crois en revanche que la plus grande part des responsabilités ne doit pas simplement tomber sur la police et les organisateurs. L'UEFA doit aussi répondre à des questions.
M. Jean-Jacques Lozach . - Le club de Liverpool a-t-il systématisé ou non la billetterie électronique ? Les autorités judiciaires de Liverpool ont-elles diligenté une enquête sur la fraude dans ce domaine ?
Les supporters anglais peuvent déposer plainte à Liverpool auprès de policiers français dépêchés sur place. Y en a-t-il beaucoup qui le font ?
M. Stéphane Piednoir . - Je compatis pour cette soirée malheureuse et regrette que des supporters anglais aient pu découvrir la France sous cet angle.
Les responsables de la fédération française de football avaient classé ce match au même niveau que la finale de la Coupe de France. Qu'en pensez-vous ? Quelles relations le club de Liverpool et le Real Madrid entretiennent-ils ?
Des informations ont-elles été données aux supporters détenteurs ou non de billets sur les précautions à prendre et les moyens à emprunter pour se rendre au Stade de France ? Savaient-ils qu'il y avait une grève ?
Les clubs anglais ont un passé en termes de hooliganisme assez important pour que l'on prenne des mesures préventives. Que pensez-vous du fait que, faute d'une réquisition avant l'expiration de la période de conservation de sept jours, les images de vidéoprotection autour du Stade de France ont été écrasées automatiquement ?
M. Guy Benarroche . - Je vous parle depuis Marseille, qui, comme Liverpool, est une grande ville du foot européen. Sachez que vous pouvez compter sur le soutien de beaucoup de supporters marseillais.
Votre propre expérience ou les témoignages que vous avez pu recueillir nous intéressent. La justification par la police de l'usage de gaz lacrymogènes sur des supporters anglais calmes et munis de billet repose sur le fait qu'il y aurait eu un risque d'écrasement pour ces supporters bloqués par des contrôles à cause de leur faux billet ou de stylos qui ne fonctionnaient pas. Vous, ou vos administrés qui vous auraient livré leur témoignage, êtes-vous passés par ce cheminement ayant créé un goulot d'étranglement ? Confirmez-vous que les forces de l'ordre ont laissé passer la foule pour ensuite dégager les tourniquets, où elle s'était massée ?
M. Steve Rotheram . - Concernant les faux billets, ce sera à l'enquête de déterminer l'ampleur du phénomène. Mais je suis convaincu que le nombre réel sera bien inférieur à 40 000. Il y aura toujours de faux billets, des gens qui veulent entrer sans billet valable. Mais on le voit dans les vidéos : ceux qui ont essayé d'entrer sans billet étaient des Français ! Et pourtant, personne en Angleterre ne les accuse pour ce qui s'est passé. Ce qui a manqué, ce sont des stadiers, des forces de l'ordre et une organisation adéquate.
Le Gouvernement français s'accroche à sa version des faits pour détourner l'attention du problème fondamental : une organisation défaillante à l'extérieur du stade. Les policiers avaient l'air plus préparés pour faire face à des émeutes qu'à un match de foot.
Quant au hooliganisme, il participe du même écran de fumée. Bien entendu, il y a eu dans le passé des cas comme dans la plupart des fédérations nationales de foot. Mais ce n'est pas une maladie anglaise. Comparez la Premier League avec d'autres pays dans le monde : il y a plutôt moins d'arrestations qu'ailleurs. Les gens vont au match pour soutenir leur équipe, pas pour faire du hooliganisme.
Les gens étaient-ils au courant de la grève ? Oui. C'est d'ailleurs pour cela qu'ils sont arrivés bien en avance. Des fans qui vont au stade trois heures avant le coup d'envoi, ce n'est pas si fréquent ! Cela montre à quel point ils avaient envie de voir ce match.
Les grilles ont été fermées alors que des gens munis de billets valables étaient encore à l'extérieur, et on leur a demandé de passer par d'autres tourniquets. On se rendra compte bientôt que le mythe des faux tickets provient d'un mauvais fonctionnement des scanners. Mais ce n'est pas à moi d'en tirer les conclusions. Un billet qui avait été donné à un ami par un joueur de Liverpool a été rejeté par la machine !
Les images de vidéosurveillance auraient été détruites ? C'est vraiment inquiétant ! Je ne peux pas comprendre comment c'est possible, après un événement aussi important. Si c'est vrai, cela montre très clairement qu'il y a un vrai problème avec ce que l'on aurait pu découvrir sur ces images. Je suis choqué.
Monsieur le sénateur de Marseille, je suis allé souvent dans votre ville. Nous accueillons les supporters marseillais avec plaisir.
Effectivement, à Liverpool, les gens m'arrêtent dans la rue et m'expliquent ce qui leur est arrivé. Les exemples de vols sont nombreux.
Sur l'usage indiscriminé de gaz lacrymogène, j'ai entendu ce qu'a dit le préfet de police : il aurait été utilisé pour éviter que les gens ne soient écrasés. Mais ce n'est pas ainsi que l'on contrôle les foules : au contraire, en les faisant courir de tous côtés, on perd tout contrôle. Cela montre l'incompréhension de la situation. J'en ai parlé avec un responsable policier en Angleterre : il m'a dit qu'il n'avait rien vu d'aussi grave dans toute sa carrière.
Il faut comprendre ce qui s'est passé, aller au fond des choses, savoir pourquoi les forces de l'ordre françaises ont cru qu'elles seraient confrontées au hooliganisme. C'est sans doute une erreur d'appréciation en haut de l'échelle, alors que la plupart des supporters sont allés au stade pour célébrer une équipe formidable.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Merci très sincèrement de votre participation à cette audition. Il était très important pour nous d'échanger avec vous, non seulement pour connaître la vérité, mais aussi pour vous assurer que nous ferons tout pour que la nature des incidents dont les supporters de Liverpool ont été victimes soit analysée ; enfin, pour vous dire notre sympathie et notre amitié pour le club et la ville de Liverpool. Nous regrettons profondément ces événements.
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Je m'associe aux propos du président Lafon. Ce que nous avons appris à propos des images de vidéoprotection nous interpelle. Nous allons vérifier la réalité de la situation immédiatement. S'il s'avérait que l'autorité compétente n'en a pas demandé la conservation, cela poserait un très grave problème.
Audition de M. Christophe Fanichet, président-directeur
général de SNCF Voyageurs, Mme Sylvie Charles, directrice de
Transilien, M. Philippe Martin, directeur général adjoint en
charge des opérations de transport
et de maintenance de la RATP, et
M. Jérôme Harnois, directeur chargé
de la
préparation aux crises, des enjeux de sûreté, de
conformité
et des affaires institutionnelles de la RATP
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Nous poursuivons nos auditions avec la commission de la culture, présidée par M. Laurent Lafon, sur les incidents survenus au Stade de France le 28 mai dernier.
Nous recevons, pour la SNCF, M. Christophe Fanichet, président-directeur général de SNCF Voyageurs, et Mme Sylvie Charles, directrice de Transilien, et, pour la RATP, M. Philippe Martin, directeur général adjoint en charge des opérations de transport et de maintenance, et M. Jérôme Harnois, directeur chargé de la préparation aux crises, des enjeux de sûreté, de conformité et des affaires institutionnelles.
Cette audition est retransmise en direct par le Sénat sur son site internet.
La France accueille régulièrement des grands événements sportifs ; elle a la capacité de le faire. Vous êtes en première ligne pour assurer le bon déroulement de ces événements. Le 28 mai dernier, lors de la finale de la Ligue des champions, vous étiez engagés dans l'organisation. Or nous avons vu des incidents avec un fort impact médiatique et qui ont remis en cause notre capacité, en tant que Français, à pouvoir organiser de grands événements sportifs dans d'excellentes conditions.
Plusieurs sujets nous interrogent. D'abord, un grand nombre de personnes ont été concentrées au même moment à un même endroit, ce qui a posé des problèmes de filtrage et de capacité d'accueil autour du stade ; il semble qu'une partie des billets présentés étaient faux, mais cela ne vous concerne pas directement ; enfin, il y aurait eu des difficultés de communication entre les organisateurs, parfois même à la dernière minute, notamment en raison de la grève annoncée sur le RER B. Il a été décidé de transférer les flux sur le RER D, mais peut-être avec un manque d'anticipation. Nous attendons vos réponses sur ces sujets, qui nous ont été remontés par les personnes que nous avons précédemment reçues.
Nous nous interrogeons sur le nombre de personnes transportées à l'aller et au retour du Stade, sur la coordination avec les autorités de police et la Fédération française de football (FFF), sur la gestion des flux. Comment cela a-t-il été organisé ? Quelle est votre vision des événements ? De nombreux incidents de sécurité publique ont également eu lieu à l'encontre des voyageurs et de vos personnels, dans les gares et les transports, avec des actes délinquants commis massivement - et je n'utilise pas le conditionnel, car c'est incontestable. Nous avons besoin de vos éclaircissements.
Qu'en est-il de la conservation des images ? Nous nous sommes particulièrement intéressés à ce sujet la semaine dernière. Le Stade de France n'aurait conservé aucune image, contrairement à la préfecture de police, dont nous attendons de voir les enregistrements. Quelles images avez-vous conservées, et dans quelles conditions ? A priori , vous n'avez pas reçu de réquisition pour les conserver ?
M. Christophe Fanichet, président-directeur général de SNCF Voyageurs . - Je vous remercie de votre invitation. SNCF Voyageurs est la société du groupe SNCF qui regroupe toutes les activités de transport ferroviaire de voyageurs. Dans le cadre de notre activité Transilien, dirigée par Mme Sylvie Charles, nous exploitons pour le compte d'Île-de-France Mobilités la ligne D du RER et nous coexploitons la ligne B avec la RATP. L'infrastructure sud jusqu'à la gare du Nord relève de la RATP, la partie nord depuis la gare du Nord relève de SNCF Voyageurs.
Notre rôle dans ce type d'événement consiste à acheminer les voyageurs dans de bonnes conditions jusqu'à la gare d'arrivée proche du lieu où se tient l'événement ; cela veut dire un plan de transport adapté à la fréquentation attendue, en toute sécurité et avec la bonne information. Notre rôle commence et s'arrête donc aux bornes de nos gares. La préfecture de police et les organisateurs gèrent quant à eux l'orientation des spectateurs entre les gares et le Stade de France - il est essentiel de le rappeler.
Nous avons une longue expérience des événements au Stade de France ; à chaque fois, nous nous adaptons aux particularités de l'événement- par exemple la provenance du public - mais aussi aux circonstances de l'événement - les flux de passagers habituels, les travaux ou encore les éventuels mouvements sociaux.
S'agissant du dispositif du 28 mai dernier, 80 000 spectateurs étaient attendus, dont une grande partie était comme habituellement acheminée en transports en commun par les lignes B et D du RER, mais également par les lignes 12 et 13 du métro. Cet événement comprenait deux éléments de complexité : d'une part, les provenances multiples des spectateurs anglais et notamment de la fan zone depuis le cours de Vincennes, d'autre part, une grève RATP sur la ligne B que nous coexploitons.
Pour cet événement, nous avons dû mettre en place un dispositif à la fois habituel par son ampleur et inédit dans ses modalités. C'était un dispositif habituel car, comme à chaque événement de cette nature, un dispositif spécifique est mis en oeuvre sous l'autorité des pouvoirs publics, en présence des organisateurs - la FFF, l'Union des associations européennes de football (UEFA), le Stade de France, Île-de-France Mobilités, la RATP, Transilien. C'est aussi un dispositif inédit en raison de la grève de la RATP sur la ligne B, annoncée dès le 23 mai, qui a eu pour conséquences la suspension de l'interconnexion gare du Nord et donc l'obligation pour les voyageurs de changer de train dans cette gare.
Cette grève nous a conduits à adapter, avec la RATP, notre offre de transports en proposant d'orienter prioritairement les voyageurs vers la ligne D. Ce choix était aussi motivé par la prise en compte de la localisation de la fan zone cours de Vincennes, qui nous a conduits à renforcer cette même ligne D parce qu'il y avait un passage par la gare de Lyon. Le choix du plan de transport adapté a été pris entre opérateurs de transport, concerté avec Île-de-France Mobilités, partagé en réunion présidée par les autorités dès le 25 mai et communiqué publiquement le 26 mai. L'information aux voyageurs sur le plan de transport, invitant à utiliser de préférence la ligne D, a été faite de façon renforcée sur tous les supports - réseaux sociaux, annonces sonores, etc . - dès le jeudi 26 mai, à la suite de la réunion de la veille.
Concernant l'offre de transport, comme pour tout événement au Stade de France à jauge pleine de 80 000 spectateurs, nous avons assuré un plan de transport spécifique à partir de H-3 avant le match et jusqu'à 1 heure 35 du matin, horaire du dernier train de retour. À chaque événement ayant lieu au Stade de France, un représentant de la SNCF est présent dans le poste de commandement (PCO) du Stade de France. Il assure le lien en temps réel avec notre groupe et les autorités. Notre salle de crise régionale était également activée toute la journée du 28 mai. Nous avons mis en place un dispositif d'information renforcée avec plus d'une centaine d'effectifs supplémentaires pour orienter les flux dans les grandes gares concernées, sur les quais et les parvis.
Je reviens sur le détail du dispositif mis en place le soir du 28 mai. Le matériel roulant était utilisé en unités multiples, ce qui veut dire des rames jointives, soit une capacité par train du RER B de 2 700 places et pour le RER D de 2 400 places. Nous avons assuré un plan de transport sur le RER B partie nord, malgré l'interconnexion suspendue, avec six trains supplémentaires à l'aller, en plus des dix trains prévus par heure, et huit trains supplémentaires au retour, en plus des huit trains prévus vers Paris. Des trains supplémentaires par rapport à un soir d'événement au Stade de France ont également été mis en circulation sur la ligne du RER D, compte tenu du report vers le RER D, avec trois trains supplémentaires à l'aller, en plus des huit par heure, et dix trains supplémentaires au retour, en plus des deux trains prévus. Les rames supplémentaires ont été mises en circulation en fonction de l'arrivée des flux de voyageurs. À la suite de l'affluence de voyageurs souhaitant revenir à Paris pendant le match, le dispositif d'accueil en gare de La Plaine-Stade de France, sur le RER B, a été remis en place après la fin de la première mi-temps à 22 heures 52.
Le dispositif de prolongation, qui consiste à retarder d'environ une heure les navettes prévues sur les lignes B et D, a été déclenché, compte tenu de l'heure tardive de la fin de l'événement ; cela a permis que le dernier train parte de La Plaine-Stade de France vers 1 heure 35. Pour la première fois, l'aéroport Charles-de-Gaulle, depuis Paris Nord, a été desservi par quatre rames navettes à l'issue du match.
Selon nos comptages, le dispositif a permis d'acheminer le soir du match 37 000 spectateurs par le RER D et 6 200 spectateurs par le RER B. Par comparaison, pour ce type d'événement, le RER B achemine habituellement en moyenne 21 600 personnes et le RER D 9 600 personnes. Nous avons transporté au total près de 40 % de voyageurs supplémentaires par rapport à d'habitude, soit 43 200 personnes contre 31 200 personnes. Nos comptages ont été effectués manuellement, uniquement à l'aller, par des agents affectés à cette mission dans nos gares.
Il n'y a pas eu d'incident majeur en matière de sûreté à l'intérieur des emprises SNCF lors de cette soirée, à l'exception de quelques événements, notamment d'une rixe d'après-match en gare de Saint-Denis avec un supporter anglais blessé. Nous avons constaté, en revanche, de nombreux faits de délinquance aux abords de nos emprises lors de l'après-match et du retour des voyageurs vers nos gares de la Plaine Saint-Denis. Compte tenu de l'événement, une centaine d'agents de sûreté SNCF ont été engagés sur notre réseau.
Aux yeux du transporteur que nous sommes, le dispositif de transport a été adapté aux besoins de cet événement et s'est déroulé dans de bonnes conditions, sans congestion anormale. Cela tient à la fois au dispositif d'information, tant en nombre qu'en positionnement, à la bonne performance de la production du RER D et, pour le retour, à la bonne coordination pour l'envoi des rames en fonction des flux de supporters sur le RER B.
Je souligne la mobilisation et le professionnalisme de toutes les équipes de Transilien, en lien avec nos collègues de la RATP, pour réaliser ce plan de transport, pour prolonger la circulation des trains jusqu'à une heure tardive et pour assurer l'information des voyageurs.
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Avez-vous conservé des images des lieux qui sont sous votre responsabilité ?
Mme Sylvie Charles, directrice de Transilien . - Habituellement, les images de vidéosurveillance dans les gares ou aux abords immédiats sont conservées 72 heures, pour des raisons de stockage. Dans ce cas précis, et avec un léger décalage, comme nous avons eu un incident en gare de Saint-Denis - or, souvent, Saint-Denis est confondu avec la gare La Plaine-Stade de France -, la Sûreté ferroviaire a bloqué l'effacement des images, comme la loi l'y autorise : elle peut les conserver jusqu'à trente jours. Le 1 er juin, dans l'après-midi, la Sûreté ferroviaire a reçu un appel de la brigade territoriale des transports demandant de bloquer les images, mais une partie avait commencé à être effacée, notamment celles de La Plaine Saint-Denis ; mais pas tout. Nous avons donc conservé, comme la loi nous le permet, les images. Nous avons reçu des réquisitions en deux temps vendredi dernier, le 10 juin.
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Vous avez donc conservé partiellement ces images. La réquisition est arrivée la semaine dernière, soit en réalité au moment où nous-mêmes avions soulevé ce problème, jeudi dernier, lorsqu'on nous a indiqué que le Stade de France n'avait conservé aucune image.
M. Philippe Martin, directeur général adjoint en charge des opérations de transport et de maintenance de la RATP . - Merci de votre invitation dans le cadre de vos auditions pour faire la lumière sur les événements du 28 mai.
La RATP et la SNCF, en tant qu'opérateurs de transport, ont un rôle essentiel dans la gestion des grands événements. M. Christophe Fanichet vous a expliqué comment fonctionnait la ligne B. En temps normal, la ligne est interconnectée : les trains continuent et les voyageurs n'ont pas de rupture de charge. Cette spécificité a conduit la RATP et la SNCF à travailler ensemble au sein d'une structure commune dédiée à la ligne, via une direction de ligne unifiée, ce qui nous permet de mieux collaborer étroitement lors de l'organisation de grands événements.
Pour préparer celui-ci, nous avons tenu des réunions fréquentes depuis mars avec les organisateurs - l'UEFA, la FFF, la préfecture de police, les différents acteurs de transports -, afin d'affiner l'organisation. Nous avons communiqué à l'ensemble des parties prenantes, dont la FFF, l'information sur la grève et notamment le plan de transport. Une dépêche AFP du 26 mai indiquait clairement que la RATP invitait les voyageurs à utiliser prioritairement la ligne D. Cela figurait dans les consignes qui avaient été envoyées par courriel et confirmées à l'UEFA, à la FFF et à la préfecture de police. Nous avons collaboré ensemble.
La RATP devait régler trois problèmes : bien sûr, nous devions acheminer l'ensemble des voyageurs au Stade de France, via le RER B, la ligne 13 et un peu la ligne 12. Nous devions aussi gérer les flux autour de la fan zone et rapatrier un certain nombre de supporters anglais, qui étaient dans la fan zone mais munis de billets et qui voulaient se rendre au Stade de France. Enfin, nous devions aussi gérer la grève afin de limiter au maximum l'impact sur l'acheminement des supporters. Ce dispositif a été validé dès le 24 mai et a été transmis. Nous avons communiqué notamment sur le fait qu'il y aurait une rupture d'interconnexion sur la ligne B : dans ce cas, lorsqu'un voyageur arrive en gare souterraine de la ligne B nord, il doit remonter deux niveaux pour aller prendre un train de la ligne B en gare de surface : c'est un itinéraire peu facile, encore plus pour des étrangers non habitués des lieux. Alors qu'en face, les trains de la ligne D vont directement au Stade de France. Cela explique en quelque sorte l'évasion des voyageurs vers la ligne D. Les voyageurs venant de la ligne sud du RER B arrivant gare du Nord avaient donc le choix entre les deux itinéraires, ligne B ou D.
La délégation interministérielle aux grands événements sportifs (Diges) a aussi tenu plusieurs réunions, et notamment une réunion de terrain le vendredi 27 mai à 10 heures, sous l'égide du sous-directeur régional de la police des transports (SDRPT) de la préfecture de police de Paris, afin d'organiser l'acheminement des flux de la fan zone vers le Stade de France. Nous avions privilégié le fait que les supporters prendraient la ligne A et que, arrivés à Gare de Lyon, une partie des voyageurs seraient dirigés vers la ligne D - les équipes de la préfecture de police ont mis des agents de police, en plus de nos agents de sécurité, afin de canaliser les flux -, puis qu'à Châtelet-les Halles ils prendraient la ligne B.
En ce qui concerne l'exploitation des réseaux, des renforts d'offre ont été mis en place afin d'assurer le passage de 80 % des trains, en dépit de la rupture de charge : six navettes supplémentaires aller-retour entre 19 heures 30 et 20 heures 30, dix-neuf trains supplémentaires sur la ligne 13 du métro et vingt-neuf trains supplémentaires sur les lignes 2, 4, 6, 9 et 12, pour la desserte des fan zones notamment. Nous avons mobilisé également 300 agents de station et 300 prestataires, ainsi que 150 agents de sécurité placés à Châtelet-Les Halles, Gare de Lyon, Nation et Porte de Saint-Denis.
Concernant la coordination avec la préfecture de police le jour de l'événement, la RATP était présente au centre de coordination opérationnelle de sûreté (CCOS) et les stations les plus critiques étaient sous couverture vidéo constante.
Pour ce qui est de la communication avec la préfecture de police et avec la Fédération française de football, la réunion du 24 mai a clairement précisé les choses : la décision a été prise de reporter une partie des flux de la ligne B vers la ligne D. Au cours de cette réunion, la FFF a demandé que l'on fasse passer des messages aux supporters anglais et espagnols afin que les flux soient dissociés entre les RER B et D, d'une part, et la ligne 13, d'autre part ; ce fut chose faite à grand renfort de communication sonore et de flyers.
Le 27 mai, nous avons fait un point de situation avec la FFF sur le plan de transport ; bien entendu, nous n'avions pas, alors, d'idée claire quant au flux de report de la ligne B vers la ligne D.
Le samedi 28 mai, notre directrice de la permanence générale, qui supervise l'ensemble des réseaux, a eu au moins six échanges téléphoniques avec le correspondant de la Fédération française de football. Ces échanges ont concerné l'évacuation de la fan zone de Nation, la situation constatée sur nos réseaux et la gestion des flux. Puis, à partir de 21 heures, le coup d'envoi étant retardé, deux discussions téléphoniques ont eu lieu concernant la prolongation des dispositifs opérationnels.
Nous considérons donc que les échanges avec l'ensemble des parties prenantes ont été constants avant, pendant et après l'événement. Je précise que nous avons reçu, le 1er juin, un courriel de la FFF dont voici la teneur : « Je voulais vous remercier pour tous nos échanges ces deux dernières semaines et nos conversations récentes sur votre vécu [...] en termes de transport samedi 28 mai. » Aussi avons-nous été quelque peu surpris par les déclarations de la Fédération française de football...
Pour ce qui est de la grève, la rupture d'interconnexion a incontestablement perturbé l'organisation, nous forçant à nous adapter pour gérer les flux - reports sur la ligne D et sur la ligne 13, l'information des voyageurs étant revue en conséquence. Comme à chaque fois qu'un tel mouvement de grève survient, nous avons mis en oeuvre un plan de mobilisation de toutes nos ressources internes en mettant à contribution l'ensemble de nos agents formés à conduire des RER.
Quelques mots sur le déroulé de la soirée : nous avons constaté un flux important de supporters au départ de la fan zone de Nation entre 17 heures et 18 heures 30, mais ces déplacements se sont faits dans le calme. Les trains du RER A ont bien absorbé la charge, et la répartition, à Châtelet-Les Halles, entre les trains de la ligne B et ceux de la ligne D s'est faite sans surcharge importante d'un côté ou de l'autre.
Sur la ligne 13, entre 16 heures et 21 heures, nous avons compté 36 000 voyageurs arrivant au Stade de France - je précise que le comptage est manuel et la marge d'erreur de 5 %. Quant à la ligne B, 10 500 voyageurs l'ont empruntée pour arriver à Gare du Nord, et 6 200 pour arriver à Saint-Denis. La gestion des flux a été maîtrisée. Le dispositif de « stop and go » mis en place avec les forces de sécurité pour la fin du match était rodé ; il a permis d'éviter la thrombose dans nos espaces via des retenues en amont de l'entrée dans nos réseaux : tout s'est bien passé à la sortie de la fan zone comme à l'entrée de la ligne 13.
Nous n'avons eu à déplorer, en outre, aucun incident technique pendant la période critique. De manière générale, la forte fréquentation n'a engendré aucun incident. Nous considérons que les voyageurs ont été acheminés sans difficulté vers leur station d'arrivée. Aucune agression n'a eu lieu dans nos espaces.
Quant aux images de vidéosurveillance, elles restent stockées 72 heures avant d'être écrasées. N'ayant constaté aucun incident et ces images n'ayant fait l'objet d'aucune réquisition avant le vendredi 10 juin, nous ne les avons pas conservées.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Je commencerai par vous interroger sur l'impact de la grève et sur les adaptations qu'elle a rendues nécessaires. La grève est annoncée à J-4 ; le 25 mai, lors d'une réunion à la préfecture de police en présence de la FFF, vous décidez d'orienter les usagers vers la ligne D au détriment de la ligne B.
Il semble que la grève ait été moins suivie qu'on ne l'envisageait : quatre trains sur cinq sur la ligne B à partir de 17 heures, trois sur quatre auparavant. Le 25 mai, j'imagine que vous vous attendiez à un taux de grévistes plus important. Devant la réalité du mouvement de grève, le jour J, n'avez-vous pas cherché à rééquilibrer les flux entre les deux lignes ?
M. Philippe Martin . - Cette grève a été fortement suivie. Beaucoup de conducteurs se sont déclarés grévistes au dernier moment.
Il faut savoir qu'en vertu de la loi les agents n'ont à déclarer leur intention de se mettre en grève que 48 heures avant le jour dit, et ont encore 24 heures pour changer d'avis. Le plan de mobilisation n'a donc pu être finalisé avant le 26 mai. Vu le nombre de grévistes attendu, nous avons mobilisé d'autres agents qualifiés de l'entreprise, des agents d'encadrement pour la plupart, pour qu'ils conduisent les trains ; mais l'offre de transport était fortement réduite et la rupture d'interconnexion a permis d'économiser des moyens.
Quant aux navettes supplémentaires, elles ont toutes été affrétées par la SNCF.
Mme Sylvie Charles . - Je précise que l'infrastructure est gérée par la RATP jusqu'à Gare du Nord, par SNCF Réseau ensuite. En tant que transporteurs, en revanche, nous coexploitons la ligne et nos conducteurs, en temps normal, vont de bout en bout de la ligne. Quand les grévistes sont nombreux, sachant qu'on ne le sait que 48 heures avant le jour dit, nous essayons d'anticiper. En l'espèce, vu les rumeurs, nous avons pris le parti de supprimer l'interconnexion. À la RATP, tous les encadrants conduisent, mais seulement sur la partie RATP. Conduire sur les deux infrastructures, RATP et SNCF, c'est un métier très spécifique : de part et d'autre, en particulier, les signalisations diffèrent.
C'est pourquoi, dans ce genre de situations, nous sommes conduits à rompre l'interconnexion : les trains du sud vont jusqu'à Gare du Nord, où ils se retournent, et la SNCF prend le relais en gare de surface. C'est ce qui nous a permis de faire ce que nous faisons d'habitude, à savoir assurer le passage de dix trains par heure.
À ces trains nous avons ajouté quelques trains traversants - interconnectés, pour le coup - conduits par des conducteurs SNCF, qui sont partis de Denfert-Rochereau pour aller jusqu'à La Plaine-Stade de France.
Voilà le dispositif qui a été mis en place. Comme l'a dit Philippe Martin, à supposer que vous voyagiez depuis le sud de Paris par la ligne B, vous arrivez, à Gare du Nord, en gare souterraine et il est plus facile, si votre destination est le Stade de France, de traverser le quai pour prendre le RER D que de monter de deux niveaux pour poursuivre sur la ligne B en gare de surface.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Quid d'une possible réorientation de la ligne D vers la ligne B le jour du match ?
Ce jour-là, les trains de la ligne B étaient-ils pleins ou aurait-il été possible, compte tenu du nombre de trains en circulation, de les remplir davantage ?
M. Philippe Martin . - Les supporters n'étaient pas seuls à emprunter le RER B, qui achemine également des voyageurs du quotidien et des touristes. Les trains étaient pleins, mais aucune surcharge n'a été signalée.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - C'est un point important. Tout le problème est que les spectateurs sont arrivés en grand nombre par le RER D, ce qui a produit l'engorgement des points de filtrage. Compte tenu des informations obtenues en temps réel, aurait-il été possible de transporter davantage d'usagers sur la ligne B ?
M. Philippe Martin . - Je ne peux pas vous répondre précisément.
Nous avions un correspondant au CCOS, des représentants au PC sécurité du Stade de France, des contacts avec la FFF ; à aucun moment l'alerte n'a été donnée à propos d'un quelconque problème sur la sortie du RER D. Le cas échéant, nous aurions pu réorienter les flux en temps réel. Nous aurait-on demandé de dévier ou de retenir des trains, nous l'aurions fait : nous savons faire...
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Que s'est-il dit exactement les 25 et 27 mai sur la question du trajet entre sortie du RER D et points de filtrage ? Vingt points de filtrage à la sortie du RER B, dix seulement à la sortie du RER D, pour des raisons « physiques » : il eût fallu s'interroger. Il semble que la Fédération française de football n'était pas représentée à la réunion du 27, mais avez-vous évoqué l'option consistant à créer des zones de délestage à la sortie du RER D ?
M. Philippe Martin . - La réunion du 27 mai était une réunion de sécurité avec la préfecture de police. À l'issue de cette réunion, nous avons informé la FFF des décisions prises concernant le report des flux sur la ligne D.
Sur l'organisation des filtrages et de l'accueil et sur les mesures d'aiguillage, je n'ai pas d'éléments précis à vous communiquer.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Les spectateurs arrivant par le RER D étaient 3,5 fois plus nombreux que ceux qui arrivaient par le RER B. La question de leur orientation à la sortie de la gare avait-elle été évoquée lors des réunions du 25 et du 27 mai ?
M. Philippe Martin . - À ma connaissance, non.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - L'après-midi du 28 mai, avez-vous échangé avec la FFF sur ce point ?
M. Philippe Martin . - Le jour même, nous avons eu six contacts téléphoniques avec le correspondant de la FFF, qui nous a même remerciés après coup, mais à aucun moment une difficulté, quelle qu'elle soit, n'a été portée à notre connaissance. Si la préfecture de police ou les organisateurs nous avaient demandé de prendre des mesures pour adapter le dispositif, nous l'aurions fait, en concertation avec la SNCF.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Enfin, les chiffres que vous avez indiqués ont été repris par le préfet de police dans sa note publiée le lendemain du match par le ministre de l'intérieur. Or les préfets Didier Lallement et Michel Cadot déclarent maintenant que le nombre de spectateurs sans billets ou avec de faux billets est moins important. Confirmez-vous donc vos chiffres ? Pour ce qui est du comptage manuel, il aurait selon vous été effectué par des agents expérimentés. Quelle est la fiabilité de ces données ? La marge d'erreur est pour vous de 5 %, pas plus, soit 110 000 utilisateurs sur les différentes lignes d'accès, y compris la ligne 13. Cela signifie-t-il que l'estimation des 30 000 à 40 000 spectateurs supplémentaires pourrait être issue de vos chiffres ?
M. Philippe Martin . - Nous avons donné les chiffres, pour la ligne B, de 10 500 voyageurs partis du sud et arrivés à Gare du Nord et, pour la ligne 13, de 36 000 voyageurs de 16 heures à 21 heures.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Vous confirmez ces chiffres, avec une marge d'erreur de 5 % ?
M. Philippe Martin . - Oui.
Mme Sylvie Charles . - Les 10 500 voyageurs sont ceux qui arrivent à Gare du Nord. Côté Transilien, les passagers des RER B et D sont comptés à l'arrivée, c'est-à-dire à Stade de France-Saint-Denis pour le RER D et à La Plaine-Stade de France pour le RER B. À la sortie du RER B, nous avons compté 6 200 personnes - il y a une « évaporation » assez logique, car tout le monde ne se rend pas au Stade de France -, soit le tiers de ce que nous transportons habituellement. À la station Stade de France-Saint-Denis, nous en avons compté plus de 37 000, plus de trois fois le nombre habituel sur le RER D.
M. David Assouline . - J'aurai trois questions.
Le ministre nous a dit - et vous l'avez un peu confirmé - que 30 000 à 40 000 personnes supplémentaires, sans billet ou avec un faux billet, étaient arrivées aux alentours du Stade de France. Il avance comme preuve la demande visant à gérer les nombreux flux de retour avant la fin du match. Vous dites que la décision d'envoyer des trains supplémentaires a été prise à 22 heures 50. Cela me semble un peu étrange, car le match devait se terminer précisément à cette heure-là : le dispositif de retour devait donc déjà être installé.
S'agissant des images, le plus étonnant est que, au sein d'une chaîne d'acteurs aussi importante, personne n'ait eu le réflexe de dire qu'il fallait les conserver. D'autant que tout le monde avait ces images ! En les ayant conservées, la SNCF montre presque du doigt tous les autres, à commencer par ceux qui doivent réquisitionner et par le Stade de France. Comment avez-vous pris cette décision ? Dans chacune des entités concernées, quelqu'un a dû se poser la question et décidé de ne pas les garder. Laisser des images être écrasées ou engager une réflexion, ce n'est pas la même chose.
Vos propos démentent ce qu'ont formellement déclaré les représentants de la FFF. Selon eux, vous avez été alertés de l'afflux vers le RER D au moment de l'engorgement des filtrages. Vous dites, quant à vous, qu'ils étaient alertés nettement en amont de la réorientation des voyageurs et que, même pendant cet engorgement, à aucun moment ils ne vous ont alertés, ce qui aurait permis de remettre le dispositif en place. Ces deux témoignages sont totalement contradictoires. Confirmez-vous que la FFF ne nous a pas dit la réalité des choses ?
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Vous faites référence à des discussions entre la FFF et la RATP, alors que vous étiez les uns et les autres présents aux postes de commandement de la préfecture de police et du Stade de France, c'est-à-dire là où sont constatés les points d'engorgement...
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Selon vous, quelle autorité aurait dû vous ordonner de changer d'organisation ?
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Ces points sont importants pour la compréhension des événements et appellent des réponses.
Mme Sylvie Charles . - L'affluence dans les transports en milieu de match est rarissime. En l'occurrence, elle s'est produite vers 22 heures 50.
M. David Assouline . - Normalement, c'est l'heure de fin du match...
Mme Sylvie Charles . - En l'occurrence, on savait que ce n'était pas le cas. On savait depuis plusieurs heures que le début du match avait été retardé.
M. David Assouline . - Non. C'est à 21 heures que la décision a été prise de retarder le début du match à 21 heures 30.
Mme Sylvie Charles . - Nous avons une capacité d'adaptation à la demi-heure, voire au quart d'heure ces soirs de match. Nous savions que celui-ci ne se terminerait pas à l'heure prévue. Face à toutes les personnes sans billet qui repartaient vers Paris, aux alentours de 22 heures 45, nous avons décidé de remettre le dispositif en place à la gare de La Plaine-Stade de France où nos personnels, agents permanents ou en sous-traitance, orientaient les voyageurs vers le bon quai.
M. David Assouline . - Dans des proportions importantes ?
Mme Sylvie Charles . - Nous ne comptions pas, car nous devions réagir rapidement pour remettre le dispositif en place. Le début a été un peu chaotique, avec des trains qui n'étaient pas complètement remplis parce que sur le quai, des supporters regardaient sur leur smartphone comment évoluait la situation ; puis ils sont petit à petit montés dans les trains.
Pour ce qui est de la vidéosurveillance, comme de petits incidents s'étaient produits à la gare de Saint-Denis, la sûreté ferroviaire a bloqué les images. Dans les trains - hormis une rixe à la suite de laquelle un supporter a été blessé et est sorti du train -, nous n'avons constaté aucun incident. Toutes les images de vidéosurveillance à bord des rames ont donc été effacées. Ont été bloquées les vidéos des gares de Saint-Denis, La Plaine-Stade de France et Stade de France-Saint-Denis ; mais, dans ces deux dernières gares, l'effacement avait commencé.
M. David Assouline . - Il est donc naturel, pour une institution concernée, de conserver les vidéos en cas d'incidents au Stade de France, sur l'esplanade, etc.
Mme Sylvie Charles . - Nos dispositifs de vidéosurveillance ne filment que nos emprises, et non l'extérieur de celles-ci. Nous conservons les images quand un agent de la gare, via sa hiérarchie, fait remonter qu'un incident s'est produit à bord d'une rame ou, plus généralement, à la descente du train.
M. Philippe Martin . - Pour ce qui est de nos emprises, nous ne disposons que de la vidéosurveillance locale : soit, pour le secteur du Stade de France, les images filmées dans la station Saint-Denis-Porte de Paris, sur la ligne 13 ; aucune de nos caméras ne filme les alentours du stade. En l'absence d'incidents et de réquisition formelle, les images n'ont pas été conservées.
La FFF savait que nous allions réorienter les voyageurs de la ligne D, puisque l'information était clairement indiquée dans les dépêches, les communications publiques, les affichettes, les flyers . En revanche, elle ne pouvait pas plus que nous anticiper la part du flux qui allait être reportée du RER B vers le RER D. Je le maintiens. Je redis aussi que, le 28 mai, nous n'avons reçu aucune alerte de quiconque - Stade de France, FFF ou préfecture de police - sur les difficultés de la ligne D.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Dans les PC, vous regardez tous les écrans et vous voyez ce qui se passe !
M. Philippe Martin . - Nous étions au PC du CCOS, à la préfecture de police, qui traite les images relatives aux transports.
M. Jérôme Harnois, directeur chargé de la préparation aux crises, des enjeux de sûreté, de conformité et des affaires institutionnelles de la RATP . - La vocation du CCOS est de gérer la sécurité dans les transports. On ne nous renvoie pas d'images qui ne concernent pas les réseaux de transport.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Où était le préfet de police à ce moment-là ? On nous a dit qu'il avait pris la décision, à partir du CCOS, d'interrompre le pré-filtrage. Il disposait donc bien d'informations à ce moment-là...
M. Jérôme Harnois . - Je ne peux pas répondre à la place du préfet de police. Le CCOS a pour vocation de gérer la sécurité dans les transports. L'un de mes collaborateurs très proches, un commissaire détaché à la RATP, était présent.
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Il apparaît clairement que, si une instruction avait dû être donnée pour modifier le dispositif, elle l'aurait été principalement par l'autorité préfectorale et pour des raisons de sécurité. Or rien n'est venu !
M. Michel Savin . - Aux dires de M. le ministre de l'intérieur, les 30 000 à 40 000 personnes sans billet ou détenant un faux billet présentes aux portes du Stade de France, et qui n'ont pas été autorisées à y entrer, auraient disparu après 21 heures 30, soit après le début du match. Il nous a indiqué que, dès 22 heures 45, selon la SNCF et sur la base des images de vidéosurveillance, les quais du RER, notamment ceux de la station La Plaine-Stade de France, étaient pleins de maillots rouges de Liverpool.
Or, selon Île-de-France Mobilités, il n'y aurait pas eu d'arrivées tardives massives à ladite heure. Et selon le communiqué de la SNCF, « rien de particulier n'a été constaté au niveau des retours à 22 heures en termes d'afflux, que ce soit au niveau du RER B ou du RER D ». La SNCF précisait même qu'aucun flux particulier ou plus important que d'habitude n'avait été enregistré dans l'autre sens après le début du match. Cela entre en contradiction avec les propos du ministre de l'intérieur. Pouvez-vous nous expliquer quelle était exactement la situation ?
Les 30 000 à 40 000 personnes qui n'ont pu entrer dans le stade ont-elles ensuite pris les transports en commun ? Les trains étaient-ils remplis ou non ? Ces questions appellent une réelle transparence.
M. Jacques Grosperrin . - Vous avez dit à plusieurs reprises que vous n'aviez reçu d'informations ni de la FFF ni de la préfecture de police, mais qu'une adaptation aurait été possible. Qui aurait dû vous prévenir des différents problèmes ?
La FFF avait préparé une signalétique à la suite de l'annonce de la grève à la RATP. La préfecture de police lui a demandé de démonter ces panneaux visant à orienter les voyageurs du RER D vers le RER B. Pourquoi ne les avez-vous pas réinstallés ? Qui aurait dû vous demander de le faire ? Les dispositifs d'information nous apparaissent clairement défaillants.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Ma question porte sur la conservation des images, dont le seul intérêt est de comprendre ce qui s'est passé et de prévenir de telles situations à l'avenir. À écouter les deux entreprises, la RATP n'a pas conservé d'images et la SNCF l'a fait, mais seulement - détail curieux ! - en raison d'un incident en gare de Saint-Denis. Quelque chose m'intrigue : alors que toutes les chaînes du monde montraient ce qui s'était passé, personne au sein de vos deux entreprises n'a décidé de garder les images. C'est incroyable ! Heureusement qu'un incident s'est produit à Saint-Denis... Je ne comprends pas que vous ayez été aussi inadaptés au contexte en n'ayant pas l'idée, de votre propre chef, de conserver ces images.
M. Jean-Jacques Lozach . - Depuis le début de ces auditions, les différents acteurs de la soirée du 28 mai semblent « se refiler la patate chaude », en se renvoyant les uns aux autres la responsabilité d'un certain désordre. J'aimerais revenir sur le problème de l'information. La directrice générale de la Fédération française de football a tenu des propos très fermes quant au manque d'information concernant le détournement des flux du RER B vers le RER D, qui aurait créé des problèmes d'engorgement. À la suite de cette audition, vous avez apporté un démenti. Le confirmez-vous devant nos deux commissions, ou bien y a-t-il réellement eu un manque d'information ?
En effet, depuis l'audition des représentants de la FFF, le préfet Michel Cadot a publié un rapport dans lequel il mentionne des « défaillances » du dispositif d'information et une « insuffisance » dans les échanges entre la RATP et le poste de commandement.
En outre - mon collègue Grosperrin a déjà effleuré le sujet -, le rapport Cadot fait état d'un problème de signalétique pour le moins étonnant. La grève de la RATP et ses conséquences sur l'orientation des flux étaient connues, de sorte que la fédération avait préparé une signalétique d'orientation.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Cela figure à la page 11 du rapport.
M. Jean-Jacques Lozach . - Le préfet arrive à la conclusion selon laquelle « il aurait été souhaitable que cette signalétique soit réinstallée dès le risque de perturbation, en toute connaissance de cause ». Par conséquent, pourquoi n'a-t-on pas corrigé le tir au cours de la soirée ?
Enfin, ma dernière question rejoint l'une des préconisations du préfet. Il semble, en effet, que vous deviez appliquer un schéma d'organisation que vous pouvez réajuster en cas d'imprévus ou de difficultés. Le préfet propose donc - j'aimerais savoir ce que vous en pensez - de prévoir en amont plusieurs plans B, c'est-à-dire des scénarios différents que l'on pourrait mettre en place suffisamment tôt dans la journée ou dans la soirée. Là encore, le préfet Cadot formule un reproche assez fort quant au manque d'anticipation.
M. Loïc Hervé . - J'aimerais revenir sur la question des images de vidéoprotection. Premièrement, si le délai légal maximal est de trente jours, le délai inférieur de soixante-douze heures vous est-il imposé par le préfet, ou bien s'agit-il d'un délai technique lié à la capacité de vos serveurs à conserver ces images ? Autrement dit, est-ce une norme qui s'applique techniquement ou bien vous est-elle imposée de manière réglementaire ?
Deuxièmement - Dieu soit loué, vous avez conservé quelques images que vous pourrez fournir à l'autorité judiciaire si par hasard elle vous les demandait ! -, vous avez évoqué une procédure remontante dans le cas où un agent qui, constatant la commission d'un délit ou un événement qui se passe dans une gare, ferait remonter l'incident au niveau hiérarchique, afin que l'on conserve les images utiles. Toutefois, n'existe-t-il pas dans vos processus internes une décision descendante ? En effet, plusieurs de nos collègues ont évoqué un tumulte médiatique, politique et judiciaire. Dans ce type de cas, ne pourrait-on pas envisager que, de manière descendante, quelqu'un dans la hiérarchie puisse prendre la décision de conserver telle ou telle image, le temps que l'autorité judiciaire, ou d'autres autorités, prenne l'initiative de vous demander ces images ?
Mme Sylvie Charles . - Il me semble qu'il y a une confusion entre ce qui relève du périmètre de nos emprises et de celui du Stade de France. En effet, notre système de vidéosurveillance ne s'applique que dans nos rames et dans le périmètre de nos installations. En outre, que ce soit par anticipation ou dans un mode opérationnel, nous nous contentons d'indiquer un plan de transport. Par conséquent, lorsque nous établissons que, pour des raisons tenant à la grève de la RATP et à l'installation d'une fan zone sur le cours de Vincennes, il y aura vraisemblablement davantage de fréquentation dans le RER D, nous ne sommes pas capables de prévoir de manière anticipée la montée en charge précise de cette affluence.
En revanche, d'un point de vue opérationnel, dans le cas précis de la soirée du 28 mai dernier, à compter de 18 heures, nous avons transmis toutes les demi-heures les informations au poste de commandement du stade : il a ainsi été informé du comptage à 18 heures 05, soit 8 660 personnes à la gare Stade de France-Saint-Denis et 1 210 personnes à celle de La Plaine-Stade de France, comptage qui a très rapidement permis de constater un gros écart de fréquentation entre la ligne D et la ligne B. Une demi-heure plus tard, le comptage était de 16 400 personnes à la gare Stade de France-Saint-Denis et de 2 200 personnes à celle de La Plaine-Saint-Denis.
Par conséquent, les informations dont disposait le transporteur quant aux flux de fréquentation ont été partagées, et nous n'avons reçu aucune alerte nous incitant à ralentir le RER D en raison de problèmes d'engorgement. Je vous confirme donc que nous n'avons reçu aucune alerte.
M. Philippe Martin . - En ce qui concerne le détournement des flux du RER B vers le RER D, le rapport Cadot, puisque vous le citez, indique à la page 11 que « la grève de la RATP était connue et ses conséquences sur l'orientation des flux aussi ». D'après cette enquête, l'ensemble des acteurs était donc au courant et connaissait les schémas précis. Nous avons beaucoup de plans dégradés et nous savons mobiliser des salles de crise. Notre ADN, c'est de gérer les incidents et les imprévus dans les transports en commun. Si donc un incident technique ou un problème intervient, nous avons toujours des plans de substitution à déployer. Lorsque le service fonctionne à 100 %, les marges sont plus faibles mais nous conservons notre capacité de réaction.
Quant aux panneaux sur lesquels vous nous interrogez, il me semble qu'ils étaient placés à l'extérieur, hors de nos emprises. Le rapport Cadot mentionne ainsi des problèmes de réorientation qui concernent la préfecture et la ville, mais pas le transporteur en tant que tel. Il s'agit en effet de la canalisation et de l'organisation des flux à la sortie des emprises de transport.
M. Jérôme Harnois . - Pour répondre à la question qui porte sur les images, la RATP dispose d'un parc de plus de 50 000 caméras, dont 15 000 sont dans les espaces fréquentés. Vous pouvez imaginer le volume de stockage quotidien que représentent ces 51 000 caméras, d'autant qu'il y en aura sans doute jusqu'à 100 000 dans quelques années, avec le Grand Paris, car à chaque fois qu'un nouveau matériel roulant arrive, il est équipé d'un dispositif de vidéo, alors que ce n'était pas le cas auparavant.
Par conséquent, pour des raisons techniques, qui concernent aussi la SNCF, nous limitons la capacité d'enregistrement de nos équipements à 72 heures. Cette limite est connue de tous, puisque nous traitons 7 000 réquisitions par an. Je rappelle en effet que nous sommes réquisitionnés jusqu'à 7 000 fois par an pour fournir des images vidéo. Notre capacité d'enregistrement est donc connue et la durée de conservation des images est habituelle, liée à des raisons techniques, comme je viens de vous l'expliquer. S'il nous faut à l'avenir allonger cette durée, l'autorité organisatrice devra procéder à des investissements conséquents pour que nous puissions conserver puis traiter ces images.
Pourquoi n'avons-nous pas conservé les images du soir du 28 mai ? Comme cela a été dit à plusieurs reprises, il n'y a eu aucun incident notable dans nos emprises. Nos caméras ne filment que nos réseaux. Au quotidien, dans une ville comme Paris et dans une région comme l'Île-de-France, des incidents interviennent à l'extérieur de nos espaces, dont nous ne conservons pas les images alors qu'elles pourraient être utiles. En revanche, quand la police ou les autorités judiciaires estiment que les images enregistrées par nos caméras peuvent éclairer un incident qui s'est produit en dehors de nos espaces, nous sommes réquisitionnés. D'où les 7 000 réquisitions dont je vous ai parlé, qui concernent des incidents dans le réseau et qui peuvent aussi parfois porter sur des incidents qui se sont produits hors de nos emprises, pour des raisons d'enquête.
En l'occurrence, dans la mesure où nous n'avons pas été réquisitionnés et où il n'y a eu aucun incident dans nos réseaux, nous n'avions pas de raison objective de conserver ces images. Je vous rappelle que la vidéoprotection est très encadrée par la commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Nous respectons les procédures qui ont été mises en place dans l'entreprise.
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Il n'y a pas eu d'incidents à l'encontre de vos personnels ? Un certain nombre de témoignages et de bruits circulent à ce sujet.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Le rapport du préfet Cadot mentionne que « des équipes du Transilien SNCF se sont repliées temporairement pour ne plus être exposées à certains délinquants ». Pouvez-vous nous confirmer qu'il y a bien eu des incidents qui ont concerné le personnel ?
Mme Sylvie Charles . - Vers 23 heures 45 ou 23 heures 50, à La Plaine-Saint-Denis, sur la ligne du RER B, il y avait beaucoup de monde sur la grande esplanade, devant la gare. Dans ce type de cas, une rétention est exercée par les forces de l'ordre et les équipes de la sûreté ferroviaire, qui restent aux abords immédiats de la gare, de manière à ce que les voyageurs y entrent graduellement et descendent en toute sûreté sur les quais. Un procès-verbal de renseignement de la police des transports fait état de ce que nos agents ont observé des jets de projectiles, bouteilles et autres, sur la rampe ouest. Les agents - je parle bien d'eux et pas de la sûreté ferroviaire - se sont repliés près des automates et autres guichets, puis ils ont ouvert les tourniquets de validation parce qu'ils constataient que des supporters de Liverpool « très énervés » et « particulièrement avinés » bousculaient les gilets rouges ainsi qu'eux-mêmes.
Cela n'avait rien de grave, mais nos agents ont rapporté qu'ils avaient très rarement vu ce genre d'incidents à la sortie d'un match au Stade de France. L'autre élément qu'ils ont noté, c'est la forte présence de pickpockets sur les quais.
Par conséquent, la sortie du stade, à la fin du match, aux alentours de 23 heures 45, a été anormalement tendue.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Mais aucun agent n'a subi de violences ?
Mme Sylvie Charles . - Non. Nos agents en gare ont fait appel à la sûreté ferroviaire et aux forces de police, qui sont arrivées et qui ont rétabli l'ordre en un quart d'heure, afin que l'évacuation puisse se poursuivre dans des conditions correctes.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Il reste des questions auxquelles vous n'avez pas répondu. Jacques Grosperrin, notamment, vous a interrogés sur la suppression de la signalétique. En ce qui concerne les images vidéo, certains collègues ont demandé des précisions sur vos processus internes pour savoir à qui revenait la décision de conserver les images. Enfin, d'autres questions portaient sur les différents scénarios de transport qui ont été mis en place.
Mme Sylvie Charles . - Sur le sujet des vidéos, pour préciser ce que j'ai déjà indiqué, comme il y avait eu une rixe signalée en gare de Saint-Denis, le dimanche 29 mai, à 10 heures 29, un agent, sur sollicitation du chef de salle du poste de commandement national sûreté (PCNS), était en charge d'assurer la protection des vidéos de la gare. Le même dispositif a été établi, le 31 mai, compte tenu des événements que je viens de relater, en gare de La Plaine-Stade de France. Ces deux types d'événements ont conduit le chef du PCNS à demander le blocage des vidéos.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Qu'en est-il de la signalétique ?
Mme Sylvie Charles . - La page 11 du rapport, à laquelle vous avez fait référence, monsieur le président, mentionne une signalétique qui n'est pas dans nos emprises. « La Fédération française de football avait préparé une signalétique d'orientation à cet effet. Elle relate qu'au cours d'une réunion à la préfecture de Seine-Saint-Denis, le 23 mai, la préfecture de police a demandé de faire démonter les panneaux prévoyant l'orientation des voyageurs sortant du RER D vers le cheminement de sortie du RER B » : tels sont les mots du rapport. On est donc vraiment sur la voie publique et hors de nos emprises.
M. David Assouline . - Le mercredi qui a suivi le match, lors de son audition, M. Darmanin, ministre de l'intérieur, a répondu à une question de Mme de La Gontrie qui portait sur l'estimation des flux et leurs lieux de passage. Il a dit textuellement qu'il existait des images de la RATP que nous pourrions visionner. Cette audition a eu lieu le mercredi, soit trois jours après les événements. Le ministre mentionnait des images qui étaient en train d'être écrasées et personne n'a réagi. Je trouve cela très étonnant.
Mme Sylvie Charles . - Je vous confirme, monsieur le sénateur, qu'à la suite d'initiatives internes dont je vous ai déjà parlé, dans l'après-midi du mercredi 1 er juin, à la demande de la sous-direction régionale de la police des transports (SDRPT), dans l'attente d'éventuelles réquisitions, les séquences vidéo des gares ont été préservées pour éviter leur effacement automatique. Nous avons donc reçu, dans l'après-midi du 1 er juin, un appel de la SDRPT.
M. Jérôme Harnois . - Nous n'avons pas reçu le même appel, sinon nous aurions pris la même décision. Sans doute est-ce dû au fait que la gare la plus sensible, comme l'a rappelé Sylvie Charles, était celle du Stade de France, qui est exploitée par la SNCF.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Mais vous saviez que des incidents avaient eu lieu, comme tous ceux qui avaient regardé la télévision !
M. Jérôme Harnois . - Oui, bien sûr, mais l'usage de la vidéo est encadré par des procédures strictes qu'il est important que nous respections, quand elles sont mises en oeuvre et si nous ne sommes pas réquisitionnés. On nous aurait reproché, à l'inverse, d'avoir stocké des images en outrepassant les procédures en place.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Pour être certain de bien comprendre, la territoriale des transports est une entité placée sous l'autorité du préfet de police. Cela signifie donc que le préfet de police, par son intermédiaire, a demandé à la SNCF de conserver les images, le mercredi suivant les événements.
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Ma dernière question est de nature plus prospective, après cette expérience malheureuse. La France organise l'année prochaine la Coupe du monde de rugby, et dans deux ans les jeux Olympiques et Paralympiques. Que retenez-vous comme améliorations à apporter dans le dispositif, tel qu'il a été vécu ?
M. Michel Savin . - J'aimerais avoir une réponse à ma question sur la communication discordante de la SNCF et du ministère de l'intérieur. L'une affirme n'avoir enregistré aucun flux d'une importance particulière après le début du match, l'autre indique que des milliers de personnes auraient repris les transports après le début du match. Qu'en est-il ?
Mme Sylvie Charles . - Je confirme que vers 22 heures 50, nous avons observé qu'il y avait plus de monde que d'habitude. Généralement, nous n'observons une telle affluence qu'une fois le match terminé, ce qui n'était pas le cas. Je pense que vous m'avez mal comprise, monsieur le sénateur.
J'en viens aux améliorations.
Nous avons un souci dans le cadre de l'exercice du droit de grève, mon collègue Philippe Martin y a fait allusion. En effet, la dernière loi en ce domaine est quelque peu contournée par des préavis dormants, qui sont parfois considérés comme valides par la chambre sociale de la Cour de cassation alors qu'il n'y a plus qu'un gréviste, voire aucun. Notre capacité d'anticipation n'est, de ce fait, pas très importante. À ma connaissance, le mouvement de grève à la RATP a d'ailleurs été déclenché sur le fondement d'un préavis dormant. Ce point pourrait faire l'objet d'améliorations.
Par ailleurs, nous avons été frappés par la différence entre la précision des anticipations effectuées par le Real Madrid et la non-précision, pour employer un euphémisme, de celles de Liverpool. En particulier, le nombre de supporters qui sont arrivés en avance et qui se sont rendus à la fan zone , afflux dont j'estime qu'il a été extrêmement bien géré, notamment par nos collègues de la RATP, n'a pas été anticipé.
De manière plus opérationnelle, la gestion des flux doit s'opérer jusqu'au stade et s'adapter à l'affluence. Il me semble que pour notre part, nous l'avons assez bien fait. Au regard des chiffres qui ont été transmis toutes les demi-heures à partir de 18 heures 05, on peut s'étonner que les dispositifs à l'entrée du Stade de France n'aient pas été adaptés à la plus forte fréquentation de la ligne D par rapport à la ligne B.
M. Philippe Martin . - Je partage ce qui vient d'être dit sur les préavis illimités. Nous en avons actuellement 21 à la RATP, sur lequel chaque agent peut se déclarer de lui-même et à tout moment. Le mouvement du 28 mai a ainsi été décidé au dernier moment par les agents. Nous travaillons avec l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP) à allonger le délai de déclaration, de 48 à 72 heures, et celui de changement de date, de 24 à 48 heures, afin d'informer plus en amont les voyageurs et nos partenaires. C'est une première piste d'amélioration.
Le second sujet est celui de la chaîne de gestion des flux. Nous avons beaucoup communiqué sur notre plan de transport, nous avons bien travaillé avec la préfecture de police, et de fait, la sécurisation de nos espaces et de la fan zone n'ont pas posé de difficulté. En revanche, nous n'avons pas eu beaucoup de visibilité sur la gestion des flux ensuite, en particulier sur les doubles filtrages et les éléments pointés par le rapport Cadot. Une plus grande intégration de la chaîne serait souhaitable.
Enfin, je souhaite terminer sur une note d'optimisme. Nous avons su gérer tous les événements au Stade de France depuis plus de vingt ans : la Coupe du monde de football en 1998, la Coupe du monde de rugby en 2007, les championnats du monde d'athlétisme en 2003 et quantité de matchs. Tous ces événements ont réuni beaucoup de spectateurs, notamment étrangers.
Les délais très courts d'organisation de cette rencontre n'ont sans doute pas facilité le travail, notamment celui de la préfecture de police. En tout état de cause, le principal axe d'amélioration est d'encourager l'ensemble des acteurs à échanger encore davantage sur la gestion des flux. Nous le faisons déjà, par exemple dans le cadre de la mission de coordination axe Nord qui a permis de flécher des voyageurs sur la ligne 12 pour éviter des affluences trop importantes, mais nous devons le faire plus.
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Je vous remercie de votre présence ce matin.
Audition de M. Michel Cadot, délégué
interministériel
aux jeux Olympiques et Paralympiques 2024 et
délégué interministériel aux grands
événements sportifs
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Nous poursuivons ce matin nos auditions avec la commission des lois, présidée par François-Noël Buffet, sur les incidents survenus au Stade de France le 28 mai dernier. Nos auditions sont retransmises en direct sur le site internet du Sénat et sur Public Sénat. Nous recevons aujourd'hui M. Michel Cadot, préfet, que je remercie d'avoir accepté notre invitation.
Monsieur Cadot, nous avons l'habitude de vous recevoir en tant que président de l'Agence nationale du sport (ANS), poste éminemment stratégique pour le développement de la pratique sportive dans notre pays. Toutefois, nous vous recevons aujourd'hui en tant que délégué interministériel aux jeux Olympiques et Paralympiques 2024 (Dijop), d'une part, et délégué interministériel aux grands événements sportifs (Diges), d'autre part. À ce titre, le Gouvernement vous a confié la préparation d'un rapport sur l'organisation de la finale de la Ligue des champions et le renforcement du pilotage des grands événements sportifs. Nous avons lu ce document avec beaucoup d'attention. Vous nous en présenterez les grandes lignes dans quelques instants.
Ce document est précieux à plus d'un titre. Il rappelle les faits, leur ampleur et leur gravité, ainsi que leur déroulement, et il tire des enseignements dans la perspective de l'organisation des grands événements à venir, notamment de la Coupe du monde de rugby et des jeux Olympiques et Paralympiques (JOP). Surtout, il s'agit, avec l'audition conjointe des ministres de l'intérieur et des sports par nos commissions respectives le 1 er juin dernier, du seul document officiel sur lequel nous pouvons, à ce stade, nous appuyer dans le cadre de la conduite de nos travaux pour comprendre la position de l'État sur le sujet et l'analyse qu'il fait des dysfonctionnements constatés.
Comme vous, nous cherchons à comprendre les raisons qui expliquent qu'un événement aussi festif qu'une finale de Ligue des champions puisse se transformer en cauchemar pour des milliers de spectateurs.
À cet égard, votre rapport évoque une « préparation soignée » de l'événement, tout en reconnaissant des failles - je cite - « dans l'orientation et dans la gestion de la foule, dans l'insuffisante information entre la RATP et les postes de commandement (PC), dans le manque d'anticipation des itinéraires de délestage, dans la coordination et le dialogue imparfaits entre les parties représentées au PC, avec une configuration cloisonnée, et dans la non-lecture de signes avant-coureurs de la présence d'individus malveillants venus en grand nombre commettre des actes de délinquance ».
Comment la coordination entre les acteurs, avant et pendant l'événement, peut-elle être si confuse ? Ces dysfonctionnements viennent mettre en doute la capacité de notre pays à organiser les JOP de 2024 et la Coupe de monde de rugby en 2023. Nous attendons donc des précisions sur votre lecture des événements et sur les enseignements à en tirer, notamment en matière de responsabilités.
M. Michel Cadot, délégué interministériel aux jeux Olympiques et Paralympiques 2024 et délégué interministériel aux grands événements sportifs . - Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je m'adresse à vous en ma qualité principale de délégué interministériel aux grands événements sportifs (Diges) et en ma qualité de délégué interministériel aux jeux Olympiques et Paralympiques (Dijop). Mes missions sont fixées par des décrets, qui prévoient que le délégué interministériel, dans le respect des compétences des préfets, a pour mission de faciliter l'animation et la coordination entre les acteurs, entre autres les administrations d'État, les collectivités locales et les comités d'organisation des grands événements sportifs, notamment internationaux.
Ma présentation s'appuie sur le rapport qui m'a été demandé par la ministre des sports et par le ministre de l'intérieur, le 30 mai dernier, à l'issue de la première réunion de travail qui s'est tenue au ministère des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques. Rédigé dans les dix jours impartis, il a été remis à la Première ministre le vendredi 10 juin et publié immédiatement. L'objectif du rapport est double : premièrement, analyser les explications possibles de ces dysfonctionnements, qui ont conduit à une situation grave, très défavorable à notre réputation internationale en matière d'organisation des événements sportifs ; deuxièmement, proposer des recommandations générales d'amélioration.
Compte tenu des délais dans lesquels nous avons rédigé le rapport, ce dernier s'appuie uniquement sur les éléments qui m'ont été transmis, à ma demande, par les services chargés de la sécurité et de l'organisation de l'événement, par exemple le consortium du Stade de France. Les éléments sont parfois arrivés la veille ou l'avant-veille de la finalisation du rapport, avant que la question des enregistrements vidéo ne soit posée.
Le rapport s'intéresse à la préparation de la manifestation, au déroulement de la journée et aux conditions dans lesquelles la crise a été gérée ; ensuite, j'ai préconisé un certain nombre d'améliorations pour de grands événements internationaux, des événements de grande ampleur ou présentant des enjeux très particuliers. Le Stade de France ne constitue qu'une petite part de la mission de sécurisation et de réussite de l'organisation des jeux, que je suis chargé de coordonner en qualité de Dijop.
La préparation de la finale de la Ligue des champions a été réalisée de manière assez sérieuse. Les réunions de coordination ont été très nombreuses. J'en ai moi-même présidé trois, la dernière d'entre elles s'étant tenue le 19 mai. Une autre réunion, sur le terrain, avec les services de transport, a eu lieu le 27 mai. Ce travail de coordination entre les acteurs, assez dense et satisfaisant, a conduit à ce que la plupart des informations soient parfaitement partagées entre toutes les parties prenantes. La physionomie du public, dans les notes que nous avons reçues tant du milieu sportif que des autorités de police, n'indiquait pas de risque particulier de hooliganisme, contrairement à d'autres matchs. En revanche, ces notes indiquaient l'arrivée d'un grand nombre de supporters sans billet venus profiter de la fête et de l'événement.
Nous avons essayé, dans ces réunions préparatoires, de dimensionner correctement les moyens, en réponse à ces informations. Des zones d'accueil et de visionnage, à Paris, ou dans le parc de la Légion d'honneur à Saint-Denis, ont été créées en peu de temps. Ces zones ont complètement rempli leur rôle en matière de jauge, pendant toute la durée de l'événement, en journée comme en soirée, lors du match. Les moyens ont été également renforcés dans les transports et dans la sécurité privée. Concernant les forces de sécurité intérieure, le préfet de police a reçu 29 unités de forces mobiles, pour l'ensemble de l'événement.
Un certain nombre d'éléments sont survenus plus tardivement dans le processus de préparation. Le 19 mai dernier, l'Union européenne des associations de football (UEFA) a demandé de distribuer des billets papier plutôt que des billets électroniques - scénario de départ -, en totalité pour les billets des supporters de Liverpool et pour 40 % des supporters du Real Madrid, dans un souci de continuation et de simplification au regard des matchs précédents. S'est ajoutée la grève du RER B, qui a été notifiée dans des délais impartis. Sa prise en compte avait été préparée au plan local.
Les difficultés sont survenues au moment de l'exécution des mesures, principalement à cause d'une gestion des flux mise en défaut. Premièrement, environ 30 000 personnes supplémentaires - nombre important - sont arrivées en transports en commun ; le système de transport lui-même a été efficace. En revanche, l'orientation de ces passagers a été réalisée, au sein du système de transport, de manière trop massive vers le RER D, en raison de la grève du RER B Sud ; il n'y a pas eu de suivi fluide des arrivées, notamment pour orienter les passagers en fonction des contraintes existantes, à savoir des contrôles de préfiltrage et des contrôles aux portes du stade. Ainsi, le nombre de supporters était sensiblement plus élevé que d'habitude, de quelques dizaines de milliers.
Deuxièmement, des difficultés ont été rencontrées dans l'adaptation du système de préfiltrage et d'orientation vers ces préfiltrages ; par ailleurs, la prise en compte de phénomènes de délinquance ou de petites agressions a été lente. Ces phénomènes, constatés dès 14 heures, se sont développés au fur et à mesure que la foule s'accumulait et se sont enfin amplifiés quand le préfiltrage au niveau du cheminement du RER D a conduit à l'envahissement du parvis du stade, en amont des portes, par plusieurs centaines de personnes, parmi lesquelles se trouvaient des fauteurs de troubles, des voleurs à la tire et de jeunes délinquants.
En matière de gestion de crise, la première mesure, qui a consisté à laisser s'écouler le surplus de personnes au niveau du préfiltrage au débouché du tunnel sous l'autoroute A1, à l'arrivée de l'autoroute A86, a été globalement pertinente. Certes, cet embouteillage n'aurait pas dû se produire, grâce à une meilleure orientation des flux en amont. Le rétablissement de ce préfiltrage a été nécessaire et s'est effectué dans des délais raisonnables, d'environ une quinzaine de minutes. Il était difficile de faire beaucoup plus vite, vu le positionnement des forces.
La gestion de la délinquance et le rétablissement de l'ordre public au niveau du parvis ont rendu le gazage nécessaire, dans des conditions qui ne sont pas complètement satisfaisantes et qui appellent incontestablement une approche différente, notamment en ce qui concerne le positionnement des moyens humains autour des portes et la répartition entre forces de sécurité, sécurité privée et stadiers. Voilà pour le déroulé des faits.
J'en viens aux recommandations que nous pouvons en tirer.
Il est souhaitable que, pour des événements de cette ampleur, la responsabilité de l'organisation de proximité entre le consortium du Stade de France, l'UEFA, la Fédération française de football (FFF), les autorités de transport et les services de police - la préfecture de police de Paris est compétente en la matière, et non le préfet de Seine-Saint-Denis - soit validée à un niveau national, au moment de la mise en place du dispositif et quelques jours avant la fin du dispositif. Ce regard extérieur, à un haut niveau d'autorité - celui du ministère de l'intérieur, des douanes et des aéroports -, est nécessaire. J'ai proposé d'organiser une coordination nationale pour un nombre restreint de grands événements, afin de garantir cette validation.
Ce système existe déjà pour les jeux. J'ai proposé aux deux ministres de l'instituer dès le mois de juillet ou début septembre pour la Coupe du monde de rugby, qui se déclinera dans neuf sites, également en province ; nous pourrons ainsi échanger avec les préfets, qui ont tous instauré un comité local, pour disposer d'une vision d'ensemble de la question.
En matière de gestion des flux, des progrès sont possibles autour du Stade de France. L'organisation des flux doit tenir compte, à tout moment, des imprévus, en planifiant des scénarios possibles. Cela implique un travail étroit, au niveau international d'abord, grâce à des informations le plus en amont possible, en matière de renseignement, de surveillance dans les trains et dans les gares, de caractérisation du public, du niveau national jusqu'à la gestion de proximité. L'approche des transports doit être enrichie par une approche similaire en matière de gestion des points de contrôle et de préfiltrage. Ce point est très important pour les grands événements. Il s'agit aussi d'impliquer beaucoup plus systématiquement les usagers : quand il n'y a pas de risque de violences avérées ou prévisibles, il ne faut pas hésiter à renforcer l'accompagnement des spectateurs grâce à une véritable expérience spectateur. Cela consiste à instaurer une signalétique, une prise en charge dès la gare par des bénévoles identifiables facilement, en attendant de disposer de systèmes plus digitaux. Un dispositif d'accompagnement permettrait rapidement de réorienter des flux - très clairement, des voies d'entrée ont été sous-utilisées, alors que d'autres étaient surchargées, notamment celles du RER D.
La troisième recommandation porte sur le renforcement d'un concept de service d'ordre qui soit beaucoup plus flexible, réactif et partagé avec les acteurs. Cela n'a pas été réellement possible, sans doute en raison d'un délai plus court dans la préparation de ce match. Cela suppose une préparation anticipée et l'instauration de protocoles de sécurité. Nous travaillons à ces protocoles depuis janvier 2021 pour les JOP et novembre 2021 pour la Coupe du monde de rugby ; ils définissent les règles et les responsabilités de chacun, de manière structurée, pour des événements inédits.
Nous devons aussi intégrer systématiquement la prise en compte de la délinquance dans la gestion des foules nombreuses. Il s'agit de positionner systématiquement des brigades anticriminalité et des personnels en civil, qui peuvent intervenir rapidement. Les PC de site doivent plus se parler ; actuellement, au Stade de France, le système est un peu cloisonné, nous pouvons sans doute l'améliorer.
Quand il faut agir, au moyen d'instruments d'ordre public, il faut aussi privilégier, quand cela est encore possible, la prévention, en diffusant des messages par haut-parleurs ou écrans, pour sensibiliser les foules et prévenir l'escalade des tensions. Nous pouvons aussi envisager la présence de brigades montées, à l'instar d'autres pays.
Ces recommandations ne sont pas neuves, mais diversement appliquées. Du fait du confinement et de la réouverture des matchs avec des jauges sanitaires, impliquant un double contrôle, il semble nécessaire de rappeler à l'ensemble des préfets cette méthode dans une circulaire et de les aider à la mettre en place.
Le point suivant intéressera le législateur. Il existe un projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) : dans la perspective des jeux, l'utilisation de l'intelligence artificielle a été envisagée au sein de ce texte pour identifier, sans aucune technique de reconnaissance faciale, des mouvements de foule et ainsi prévenir les situations d'engorgement progressif. Ce dispositif, qui permet de réagir très vite, semble justifié pour les zones où nous attendons beaucoup de monde, notamment dans le centre de Paris, entre la place de la Concorde, le Trocadéro, la tour Eiffel et l'esplanade des Invalides.
La billetterie constitue un enjeu majeur. La pratique du sport se doit d'être beaucoup plus digitale et beaucoup plus itérative entre l'usager et l'autorité. Nous pouvons, pour ces grands événements sportifs internationaux (Gesi), imposer une forme de billetterie électronique. Cela permet de réduire les risques de fraude. Cette disposition, prévue pour les jeux, est déjà instaurée pour la Coupe du monde de rugby. L'expertise de l'État en matière de billetterie électronique doit être renforcée. Les ministères des sports et de l'intérieur y semblent favorables. L'inspection générale de l'administration (IGA), dans son prochain rapport sur la sécurité, pourrait faire des recommandations en la matière.
Une billetterie interactive, beaucoup plus personnalisée, permettrait de donner des renseignements sur les accès, d'intégrer rapidement les évolutions de l'état du réseau de transport et de diffuser des informations, comme c'est le cas à Roland-Garros.
Le Stade de France présente de sérieuses contraintes, même si nous pouvons mettre à notre crédit la réussite de grands événements, jusqu'à présent. Il est souhaitable de recréer un schéma de circulation, en matière de transports en commun comme de circulation routière, en y associant le préfet du département, qui a la compétence de terrain et qui connaît les lieux, les élus, les maires, le maire de Saint-Denis, les organisateurs d'événements et le consortium du Stade de France. Des marges de progrès existent. Nous pourrions instaurer, aux abords du stade, des barrages et des sas, au service de circulations beaucoup plus fluides et organisées.
S'agissant des JOP, beaucoup de ces recommandations sont mises en oeuvre. Nous travaillons depuis plusieurs années avec l'instance de coordination nationale pour la sécurité des jeux Olympiques et Paralympiques 2024 et des grands événements sportifs internationaux (CNSJ), le ministre de l'intérieur et le ministre des sports.
De nouvelles voies d'accès seront à disposition : la ligne 14 arrivera jusqu'à Saint-Denis-Pleyel et il sera possible d'emprunter la ligne H et la ligne 12. Des solutions complémentaires existent pour des flux de transport collectif qui seront encore plus importants, en raison des épreuves au centre aquatique olympique et des épreuves d'escalade au Bourget, qui pourront avoir lieu concomitamment : 80 000 personnes au total sont alors attendues. Il faut donc planifier, et utiliser toutes les solutions de manière réactive pendant l'événement.
Je conclus en exprimant beaucoup de regrets, parce que l'engagement de beaucoup d'acteurs, comme la FFF et les forces de police, pour préparer cet événement a été réel. Cet échec est important et il nous blesse. Le travail mis en place pour les jeux, qui sera infiniment plus compliqué, s'inscrit dans les recommandations que je vous ai présentées et qui me semblent être de nature à répondre à l'ensemble des risques et des enjeux, en matière de terrorisme, de cybersécurité, d'accès et de gestion des flux et de satisfaction des spectateurs, dans ce qui doit rester un événement festif sécurisé.
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Concernant l'organisation, vous avez dit que le préfiltrage mis en place n'avait pas de cadre légal. Pourriez-vous préciser ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas ? Envisagez-vous de rendre cette pratique légale ou de trouver d'autres solutions pour les événements futurs ?
Nous nous interrogeons sur les échanges et les relations entre les autorités de transports et la FFF pendant l'événement. Cette dernière nous a dit ne pas avoir reçu beaucoup d'informations pendant les événements. À la page 11 de votre rapport, nous apprenons que la FFF avait demandé un système de jalonnement assez important pour orienter les flux de spectateurs, notamment ceux arrivant de la ligne du RER D, afin qu'ils soient en partie réorientés vers les cheminements de la ligne B. Les cheminements de la ligne D aboutissaient à une dizaine de portes, alors que ceux de la ligne B conduisaient à une vingtaine. Or le système élaboré par la FFF a dû être levé à la demande du préfet de police, qui a dit qu'il n'en voulait pas. Cela a conduit à un échec cuisant.
J'en viens à la sécurité. L'utilisation de gaz lacrymogènes a étonné ; les supporters ne représentaient pas de danger particulier. Le préfet dit que c'est la doctrine d'emploi, et qu'il ne peut en aller autrement. Cet argument vous convainc-t-il, compte tenu de la situation ?
Outre ces points, nous soulignons deux problèmes. Premièrement, les images de vidéosurveillance n'ont pas été conservées, alors que le stade compte 200 caméras. Seules les images de la préfecture de police semblent être conservées, et partiellement celles de la SNCF. Au Stade de France, personne n'a jugé utile de conserver ces images, alors qu'elles nous auraient permis de mieux apprécier la situation.
Deuxièmement, les actes de délinquance à l'encontre des supporters britanniques et madrilènes s'élèveraient à 400 ou 500. Or nous apprenons que ces actes ont commencé dès 14 heures autour du Stade de France. Le préfet, lui, dit s'être concentré sur la gestion des déplacements et non sur la sécurité publique. Nous avons des difficultés à accepter de tels arguments. Sur tous ces points, nous avons besoin d'éclaircissements.
M. Michel Cadot . - En matière de cadre légal, aucun protocole spécial n'a été mis en place pour répartir les responsabilités entre préfiltrage et filtrage. Les opérateurs du Stade de France ont une très grande expérience des accès au site. Dans le temps imparti, limité, il semblait inutile d'adapter ce cadre.
Le cadre législatif, précisé par l'article L. 226-1 du code de sécurité intérieure, rappelle qu'il ne peut y avoir de contrôle, pour ce type d'événements, à la différence des aéroports, sans accompagnement des agents de sécurité privée par des officiers de police judiciaire (OPJ) ou des fonctionnaires de gendarmerie et de police. Le cadre légal existe, il est clair et connu. Il s'agit ensuite de décliner ce cadre, en définissant la répartition des effectifs.
Les échanges entre les transports et les forces de police sont bons, de manière générale. Cette coordination est assurée par le Centre de coordination opérationnelle de sécurité (CCOS), renforcé au niveau de la préfecture de police, centre dans lequel siègent des représentants de la RATP et de la SNCF. Les informations ont été très régulièrement transmises par la RATP ou la SNCF, indiquant l'importance des flux et les gares d'entrée comme de sortie.
Le problème résulte de la montée en charge d'effectifs beaucoup plus importants de spectateurs dans le RER D, même par rapport aux grands matchs, et de l'existence de cheminements beaucoup plus complexes pour atteindre le stade. Voilà qui aurait dû susciter une réaction des transports plus rapide, pour inciter les spectateurs à prendre le RER B en surface, puisque des trains supplémentaires avaient été affrétés. Il aurait aussi fallu réorienter rapidement et de manière anticipée les spectateurs, pour assurer un meilleur filtrage. Le préfiltrage a été aussi ralenti par la présence de nombreuses personnes sans billet.
Il n'y a pas eu de coupure dans la transmission des informations. Cependant, l'engorgement n'était connu qu'au niveau du PC local ; c'est la bonne utilisation de cette information qui a fait défaut. Il aurait fallu réorienter rapidement les spectateurs vers d'autres trains ou d'autres cheminements, en diffusant des messages pour indiquer que le match débuterait plus tard, afin de rassurer les spectateurs. Cela aurait permis de faire baisser la pression. Toutefois, un tel dispositif, en continu, suppose une très bonne connaissance du terrain et demande à être testé sur d'autres matchs. Au Stade de France, des éléments nouveaux devront être pris en compte : une passerelle permettra de rejoindre le centre aquatique ; quant à la présence du village olympique, qui sera proche, elle posera la question de l'arrivée des athlètes.
Concernant le volet sécuritaire, vous me mettez un peu en difficulté. Il est difficile d'adapter les dispositifs de maintien de l'ordre public une fois qu'ils ont été positionnés. Les effectifs étaient importants : suffisants pour les situations d'urgence et la gestion des mouvements de foule, mais sans doute insuffisants en matière de lutte contre la délinquance. Il est toujours préférable de gérer les risques en amont des grilles de contrôle, pour éviter l'enfoncement de ces grilles, risque que le préfet a dû gérer, impliquant l'utilisation des gaz lacrymogènes. L'enchaînement des faits n'appelait guère d'autres décisions que celles prises par le préfet de police, dont je pense qu'elles étaient les seules adaptées pour éviter une situation beaucoup plus grave.
Concernant la délinquance, je suis sûr que la police peut traiter le problème avec les moyens classiques, si le dispositif est bien préparé en amont, en proximité. La cérémonie d'ouverture des jeux pourra ainsi bien se dérouler, l'expérience et l'expertise en la matière sont grandes. L'enjeu est de bien préparer les dispositifs, d'abord en proximité, de manière approfondie.
Légalement, il est possible de conserver les images de vidéosurveillance pendant trente jours, mais les coûts sont considérables, d'où un remplacement automatique des fichiers. Je comprends que les citoyens puissent avoir de la peine à comprendre qu'il ne s'agisse que d'une affaire d'automaticité.
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Les parlementaires aussi...
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Nous souhaitons comprendre qui est responsable de quoi, notamment en phase de préparation. Vous avez indiqué que des réunions de préparation avaient eu lieu, dont trois sous votre autorité et les autres sous l'autorité du préfet de police. Vous-même, êtes-vous présent lors des réunions organisées par le préfet de police, et inversement ? In fine , quelle est l'autorité hiérarchique entre le préfet de police et vous-même ? Qui, finalement, décide ?
Cet exemple de la gestion des flux à la sortie du RER interroge beaucoup. Le préfet de police a pris la décision de ne pas installer la signalétique proposée par la FFF : avez-vous eu votre mot à dire ? Quelle a été la coordination entre les deux principaux responsables de l'État en matière de gestion de cet événement ?
M. Michel Cadot . - Si cette décision avait été évoquée, je l'assumerais pleinement, même si elle était erronée. Cependant, cela n'a pas été le cas.
Je pense que cette décision n'a sans doute pas été prise au niveau du préfet de police lui-même, mais de ses équipes sur le terrain, probablement au vu des perspectives de difficultés de trafic sur le RER B. Cependant, nous pourrions aussi penser qu'une signalétique supplémentaire aurait pu être nécessaire, étant donné que moins de spectateurs arrivaient en transport collectif.
J'ignorais totalement cette décision. Elle n'a jamais été évoquée au niveau des comités de coordination nationaux. Nous avons évoqué d'autres sujets, comme la création de zones de visionnage, que personne ne souhaitait au départ pour des raisons de complexité de mise en oeuvre. Voilà où intervient la Diges.
La responsabilité ne peut pas être partagée en matière de gestion de proximité. Elle peut se préparer, s'anticiper, dans un esprit collaboratif, où l'on entend et écoute les demandes de chacun. Les réunions étaient à mon initiative, je les présidais. Le directeur de cabinet du préfet de police, un ami et collègue, était présent ; il faisait valider les décisions par sa hiérarchie. J'ai par ailleurs eu gain de cause sur les points que nous avons pu évoquer lors de ces réunions.
Cependant, le schéma est établi dans le respect des compétences des préfets, sauf si une commission nationale est formalisée, qui, pour des événements particuliers, permettrait, avec un regard extérieur, de se poser les bonnes questions. Dans tous les cas, cela ne relève pas de mon domaine.
La dernière réunion a eu lieu le 19 mai, et cette question n'a pas été évoquée.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Il y a eu d'autres réunions ensuite.
M. Michel Cadot . - Ensuite, je ne sais pas si la question a été évoquée. Pour les autres réunions de la préfecture de police, la Diges est présente, car un certain nombre de sujets nous concernent, comme la relation avec les aéroports, les vols de nuit, les cars. Un certain nombre de sujets demandaient des arbitrages, comme à la direction générale de l'aviation civile (DGAC) ou auprès d'Aéroports de Paris (ADP).
Pour la gestion proprement dite, elle revient aujourd'hui au préfet de police. Le préfet de Seine-Saint-Denis devrait être davantage impliqué, car il connaît les lieux et les acteurs et agit au quotidien à leurs côtés.
Je ne pense pas qu'il soit pertinent, sauf s'il y a un désaccord entre les parties, de remonter la responsabilité de la gestion du terrain à un niveau qui déresponsabilise ceux qui en assument la responsabilité et qui sont seuls légitimes pour donner des instructions à leurs troupes.
Toutefois, en tant que Diges, j'assume ma part de responsabilité dans cet échec.
S'il ne semble pas possible de modifier l'organisation actuelle, en revanche, il serait pertinent de se réunir, notamment si plusieurs sites sont concernés, avec chacun des préfets, sous l'autorité du ministre de l'intérieur et de la ministre des sports, avec tous les acteurs et les directions centrales. Cela permettrait de dépasser la vision un peu cloisonnée d'un préfet dans son territoire et de voir si l'événement est bien préparé. C'est le rôle de la CNSJ pour ce qui concerne le ministère de l'intérieur et de la Diges pour l'ensemble des questions interministérielles. Il serait bon d'assurer cette préparation pour les événements les plus complexes, à l'image de ce qui se fait déjà pour les JOP.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Si je résume, dans un langage peut-être moins rigoureux que le vôtre, ce jour-là et en amont, l'autorité incombe au préfet de police ; une liaison avec vous existe, mais dans un flou administratif qui ne vous permet pas forcément d'intervenir sur un certain nombre de points pour lesquels vous disposez pourtant d'une expertise.
M. Michel Cadot . - Oui, la Diges anime et coordonne, mais sans se substituer aux autorités légitimement compétentes.
M. Jean-Jacques Lozach . - Je débuterai par la fin de votre propos liminaire. Un sondage d'Odoxa relatif au regard des Français sur les débordements ayant eu lieu au Stade de France a montré que 89 % d'entre eux sont au courant des événements survenus ce soir-là, et s'intéressent aussi aux grands événements à venir.
À la lumière de cette soirée, ne pensez-vous pas que la cérémonie d'ouverture des jeux Olympiques est compromise ? Sinon, quelles mesures prendre, très rapidement, pour être prêts le jour J ? On n'évoque pas l'association des supporters aux grands événements sportifs internationaux. Le moment n'est-il pas venu d'associer leurs organisations, sous une forme qui reste à déterminer, à la préparation de ces événements ?
Vous avez installé le 4 mars, monsieur le préfet, un groupe de liaison, créé sur votre initiative et qui a joué un rôle décisif dans la préparation de cet évènement. Vous en évoquez les parties prenantes : je suis étonné que ne figure pas parmi elles le consortium du Stade de France. Est-ce un oubli ?
M. Michel Cadot . - Oui, c'est un oubli dans la rédaction ; celui-ci était systématiquement représenté par sa directrice générale.
M. Jean-Jacques Lozach . - Pouvez-vous nous confirmer que, dans ce groupe de liaison, personne n'avait mis en garde contre les risques de fraude à la billetterie papier demandée par les supporters de Liverpool ?
Vous avez répondu tout à l'heure à la question portant sur le dispositif d'information dans la répartition des flux entre les deux RER. À la lecture de votre rapport, on se demande tout de même qui est responsable de l'absence d'alternative de délestage et même d'espace de traitement des litiges. C'est un élément qui a contribué à l'engorgement et à la saturation des points de passage.
Avez-vous été destinataire, monsieur le préfet, de la fameuse note de la division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH) du 25 mai dernier ? Si oui, avez-vous alerté d'autres acteurs de son contenu ?
M. Alain Richard . - Vous dites que le système de traitement, en sécurité publique, des mouvements de délinquance dans les grands rassemblements de foule, est éprouvé, et que seuls des facteurs circonstanciels liés à la saturation des accès ont empêché son bon fonctionnement.
Pouvez-vous nous donner un ordre de grandeur du nombre de cas dans lesquels les équipes sur place procèdent à des interpellations, par rapport au nombre de plaintes reçues ensuite ? Autrement dit, sur ce type d'évènements, quel est le taux d'efficacité en termes d'interpellations directes ?
Je reste insatisfait de la réponse apportée aussi bien par le ministre que par vous-même à la saturation des flux de transport sur la ligne D. La grève sur la ligne B, qui faisait obstacle à l'écoulement normal du public, était connue depuis plusieurs jours ; l'arrivée d'un nombre bien plus élevé que d'habitude d'utilisateurs des transports, également.
Le nombre d'événements sportifs qui se produisent à Saint-Denis pour lesquels ce sujet a déjà été éprouvé rend difficile à comprendre les défaillances dans la gestion des flux de piétons à la sortie des rames - chacune apportant 1 500 personnes, et ce toutes les deux minutes et demie. Il est étonnant qu'on n'ait pas su orienter directement le public vers d'autres chemins piétons. Pendant les jeux, ce problème va se poser de nouveau pour un grand nombre d'évènements prévus à Saint-Denis, sur différents sites, et avec des flux probablement très élevés.
Vous suggérez une modification législative pour introduire l'utilisation d'un mécanisme d'intelligence artificielle permettant de repérer des mouvements inhabituels dans une foule. Je suis à peu près sûr que des gens de la RATP m'ont expliqué qu'ils disposaient d'un tel système depuis longtemps, pour la prévention des phénomènes de panique dans le métro. Êtes-vous sûr qu'il y ait besoin d'une disposition législative supplémentaire ?
Pour ce qui concerne la suppression des images, il y a une procédure. Pour autant, les enquêteurs et les autorités, de police en l'occurrence, peuvent tout de même adresser une notification aux détenteurs d'images, au cas où le substitut compétent n'aurait pas adressé la demande de préservation des images dans le délai requis. Je suppose que cela se produit parfois.
M. Olivier Paccaud . - J'ai bien noté votre sérénité sur la capacité des forces de l'ordre à faire face à des problématiques de délinquance lors de ce type d'événement. Si elles ont été débordées cette fois-là, c'est donc qu'il y a eu un problème dans la préparation. J'ai posé deux fois la même question à M. Lallement, mais aussi au ministre, sur la notion de match à risque. Vous avez déclaré vous-même que ce n'était pas un match à risque. Vous n'avez pas utilisé exactement ce terme, mais vous avez parlé d'hooliganisme, en disant qu'il n'y avait pas de crainte à avoir, et qu'il n'y avait pas de risque prévisible de violences avérées. Je suis très surpris que, à l'inverse, le match Nice-Nantes ait été classé comme à risque, alors qu'il n'a donné lieu à aucun problème de délinquance. Je ne sais si la finale de la Coupe de France était de votre ressort...
Au Stade de France, n'y a-t-il pas eu une sous-estimation du risque ? Il y a le risque venant des hooligans et celui causé par ceux que vous avez appelés les jeunes délinquants. Dans votre rapport, vous déplorez « la non-lecture de signes avant-coureurs de la présence d'individus malveillants venus en grand nombre près du stade pour commettre des actes de malveillance ». Qu'est-ce que cette non-lecture ? Qui aurait dû voir ces signes avant-coureurs ? Quels étaient ces risques ?
Vous avez indiqué que des actes malveillants avaient été mis en évidence dès 14 heures, c'est-à-dire six heures avant que le gros du problème ait lieu. Il n'y a eu aucune adaptation ou réaction. Cela ne pose-t-il pas de problème ? Vous avez été préfet de police. Si vous l'étiez toujours, qu'auriez-vous fait ?
M. Michel Cadot . - Sur la cérémonie d'ouverture des jeux, un travail a été engagé depuis plus d'un an de manière extrêmement méthodique. Ce sera un évènement inédit, nouveau, qui doit être une fête populaire, comme il s'en est déjà déroulé, avec des centaines de milliers de personnes, autour des Champs-Élysées, dans d'autres circonstances - ou dans d'autres pays, comme nous l'avons vu encore tout récemment de l'autre côté de la Manche. Nous sommes capables de faire cela, mais il faut un dispositif précisément planifié, aussi bien sur les risques proprement nautiques que sur ceux liés à l'accès, au contrôle, à la fluidité de circulation ou au nombre de points d'entrée pour éviter des engorgements par des flux qui convergeraient sur les mêmes lieux.
Un traitement différencié est prévu entre les quais bas, réservés aux tribunes payantes, et les quais hauts, qui seraient, pour la première fois dans l'histoire des jeux, ouverts gratuitement au grand public, aux familles et aux visiteurs.
Cet évènement pose objectivement un défi considérable de logistique et d'organisation. Il nous reste deux ans pour le préparer. Sa définition tiendra compte de ce que nous sommes en train d'évoquer sur le cas très particulier de l'accès au Stade de France et à ses abords. Nous aurons à filtrer un public nombreux, venu en principe pour partager une fête et un très beau moment - le risque terroriste est un autre sujet. Nous aurons aussi à le trier, entre ceux qui auront acheté une place dans les tribunes et ceux qui souhaiteront simplement déambuler sur les quais hauts.
Nous sommes capables, je le répète, d'organiser une telle cérémonie, même si cela sera compliqué. Trois groupes de travail sont réunis pour la préparer, avec la ville de Paris, la préfecture de police et la préfecture de région Île-de-France. Nous travaillons aussi avec tous les acteurs sur chacun des points. À la fin du mois, nous ferons un point d'étape pour les trois groupes. L'idée est de valider le concept à la fin du mois d'août ou au début du mois de septembre, et de le faire approuver d'ici à la fin de l'année 2022 au plus tard - et sans doute un peu avant, puisqu'il y aura des conseils décisionnaires en décembre.
Voyez ce qui s'est passé en Angleterre récemment : sur le bord de la Tamise, pour le Jubilé, il y avait une foule extrêmement nombreuse - dans un contexte différent, certes. Nous savons faire cela en prenant toutes les précautions de sécurité tout en respectant les attentes du public.
Je n'ai pas été destinataire du rapport de la DNLH, qui a été communiqué aux services assez tardivement, après la réunion du 19 mai. Les éléments qu'il comportait confirmaient ce que nous savions depuis plusieurs semaines déjà, c'est-à-dire qu'il y avait toujours un nombre important de visiteurs sans billet qui accompagnaient les supporters et qui souhaitaient, d'une façon ou d'une autre, profiter de la fête ; à Madrid, il y en avait près de 50 000... C'est pourquoi nous avons choisi une zone de visionnage, pour les fixer. Nous n'avons pas pu l'installer à côté du Stade de France, car l'espace y est trop contraint, mais il y a toujours eu 45 000 personnes dans cette zone, y compris pendant le match. Lorsqu'une douzaine de milliers de personnes l'ont quittée vers 17 heures, on pouvait penser qu'une partie importante d'entre eux avaient leur billet.
L'accélération du problème autour du RER D se voit bien dans les chiffres : dans les événements classiques à jauge pleine, le Stade de France remplit 48 000 environ de ses quelque 80 000 places par les transports collectifs. C'est dans ce schéma que s'organisent généralement les dispositifs. Traditionnellement, il en vient plus de 20 000 du RER B - 21 600 en moyenne -, alors qu'il en vient moins de 10 000 du RER D : 9 600 en moyenne. De fait, l'accès depuis le RER D n'est pas commode. Enfin, il en vient 16 000 environ par la ligne 13 du métro. Il ne s'agit que d'une évaluation, bien sûr : pour ces grands matchs, on lève les contrôles de billets aux sorties. Cela dit, pour la ligne 13, l'évaluation est faite à la station La Fourche, soit six stations de métro avant la gare du stade. Du coup, il y a aussi beaucoup de gens qui rentrent chez eux, tout simplement, surtout un samedi soir. L'évaluation est donc globale : on compte le nombre de rames, le nombre de personnes qu'elles contiennent, et on aboutit aux ordres de grandeur que je vous ai donnés.
Pour la Coupe de France, il y a eu 9 000 personnes dans le RER D, 9 000 dans le RER B et 30 000 sur la ligne 13. Personne n'est venu sans billet : les 48 000 personnes avaient leur place, et 30 000 personnes supplémentaires sont venues en car ou en voiture, dont 20 000 en car, 6 000 en taxi et 4 000 en voiture. Pour la Ligue des champions, les comptages réalisés entre 17 heures et 21 heures aboutissent à 80 000 personnes arrivées en transports collectifs, soit 30 000 de plus.
M. Alain Richard . - Ils étaient identifiés depuis plusieurs jours.
M. Michel Cadot . - Disons que nous savions qu'il y aurait un tel volume ; c'est pourquoi nous avions prévu une zone de visionnage. Cette zone ne s'est pas vidée de 30 000 personnes dans l'après-midi. C'est donc que d'autres personnes sont arrivées par des moyens individuels. C'est là où le travail en profondeur en amont paie : aux frontières, dans les trains... Depuis plusieurs jours, il n'y avait plus de places dans l'Eurostar, par exemple. C'est là où la coordination internationale est essentielle.
Nous n'avons eu que 6 200 personnes dans le RER B, lequel avait été renforcé pour avoir une capacité nettement supérieure, avec six rames en interconnexion. Sur le RER D, nous sommes passés de 9 000 personnes pour la Coupe de France, ou 9 600 pour les événements ordinaires, à 37 000. Il est évident que cette montée du flux était l'élément clé, que la RATP connaissait parfaitement. Avec la SNCF, elle a surtout la préoccupation de ne pas voir s'accumuler des personnes sur les quais, car cela accroît les risques de chute. Tout s'est bien passé, puisqu'il n'y a eu aucun incident de transport. La ligne 13 a aussi démontré sa capacité à transporter beaucoup plus de monde : 36 000 personnes au final, au lieu des 30 000 de la Coupe de France et des 16 000 des matchs ordinaires.
Ces chiffres très précis me semblent rassurants pour l'avenir. Notre capacité de transport est à sa limite, mais les responsables de la RATP et de la SNCF ont bien rempli leur mission. Évidemment, celle-ci s'exerce sur un terrain ayant ses propres contraintes.
Je ne connais pas précisément le taux d'efficacité des interpellations. Nous connaissons le nombre de personnes interpellées, et le poste de police du Stade de France a été bien rempli ! Sur les 300 ou 400 personnes qui ont pénétré sans contrôle sur le parvis, il semble que plusieurs dizaines ont été interpellées, ce qui est un taux très correct.
L'usage de l'intelligence artificielle est un choix politique, et doit évidemment être entouré de garanties de transparence. C'est très utile pour le comptage des flux dans les transports. En l'espèce, cela aurait émis un signal d'alerte lorsque la barre des 20 000 personnes dans le RER D aurait été franchie. Pour les mouvements de foule et le cheminement, c'est un autre système, certes connecté, mais qui ne compte pas les individus. Un tel travail de suivi des masses serait sans aucun doute utile, notamment pour la cérémonie d'ouverture des jeux.
Le préfiltrage a été compliqué par la masse de personnes sans billet. Si les postes avaient été mieux répartis, toutefois, le dispositif aurait mieux résisté. Les billets falsifiés qui ont été comptabilisés aux portes représentent entre 10 % et 12 % des billets papier qui avaient été attribués à Liverpool : soit quatre fois plus que ce qui avait été constaté en 2018 au Parc des Princes pour le match PSG-Liverpool. Certains billets ont fait l'objet d'un nombre considérable de photocopies, vendues à des prix si faibles que leurs acquéreurs ne pouvaient pas ignorer qu'il s'agissait de faux.
Qu'aurais-je fait si j'avais été en charge ? Je ne l'étais pas, et je ne souhaite pas du tout me mettre à la place de ceux qui le sont...
M. Olivier Paccaud . - Vous n'avez pas répondu à ma question sur la non-lecture des signes avant-coureurs.
M. Michel Cadot . - Les signes avant-coureurs n'ont pas été traduits en actions de manière suffisamment anticipée pour éviter l'enchaînement que j'ai décrit. Il y a donc eu un manque de dialogue entre les acteurs : cette anticipation ne pouvait pas se faire des semaines à l'avance, elle ne pouvait se faire que dans le PC, au fur et à mesure de l'évolution de la situation.
Le point de préfiltrage, qui était le premier point d'arrivée de la foule, révélait déjà que celle-ci n'avançait quasiment plus. Un suivi plus réactif aurait permis de réorienter en temps réel les arrivants, ce qui aurait évité une telle accumulation. Il aurait fallu mobiliser du personnel de police pour assurer l'accompagnement et la traversée des axes de circulation.
Certaines personnes qui connaissaient les lieux ont pris l'initiative de rejoindre l'itinéraire qu'ils auraient pris s'ils étaient arrivés par le RER B, sur lequel les points de filtrage sont plus nombreux. Ce ne pouvait pas être le cas des supporters anglais...
M. Jean-Raymond Hugonet . - Merci pour la clarté et l'honnêteté de vos réponses. L'adage dit qu'on apprend de ses erreurs et, justement, votre rapport donne des pistes d'amélioration.
Le ministre de l'intérieur est venu ici devant nous et, en audition, il a pris comme première excuse le fait que l'organisation de cette finale devait initialement incomber à la Russie, ce qui n'a laissé à la France que quatre mois pour préparer cet événement, contre dix-huit mois en général. Je note tout de même que la France, qui n'est pas un tout petit pays, a déjà organisé il y a bien longtemps, en 2006, ce type de finale, exactement dans le même stade, et déjà avec une équipe anglaise et une équipe espagnole. J'ose espérer que notre pays est capable de faire face à ce type d'organisation ; sinon, il n'aurait pas présenté la candidature de Paris.
Certes, le Stade de France n'est pas le stade le mieux implanté qui soit - et c'est un grand amateur de ballon rond qui vous parle. Pour s'y rendre, c'est un vrai parcours du combattant ! Mais tout indique que de grandes défaillances ont eu lieu dans l'organisation. Vous avez été un préfet de police reconnu et apprécié. Vous avez insisté sur le partenariat. Quel est le niveau de relations et d'articulation entre le préfet Lallement et M. Jérôme Foucaud, qui gère l'une des directions en charge de ces événements ? La coopération a-t-elle, selon vous, été idéale ? On a constaté un manque d'agilité : alors que des signes avant-coureurs montraient un problème en début d'après-midi, il n'y a pas eu de réaction. Et devant l'urgence, toujours plus pressante, il n'y avait plus que les gaz lacrymogènes. Pour notre pays, cela n'a pas été un « plus » !
Mme Céline Brulin . - Vous avez évoqué des améliorations à apporter sur le suivi des masses et la fluidification des foules qui se déplacent. En fait, les principaux problèmes sont aux frontières des missions des uns et des autres. Je ne suis pas complètement convaincue par ce que vous avez dit sur une nouvelle approche qui coordonnerait mieux ces différents acteurs, notamment les opérateurs de transports et les services de sécurité. Vous avez évoqué la nécessité de faire appel à l'intelligence artificielle ou à des suivis vidéo. Mais pour le transport automobile, les modélisations de Bison Futé permettent de prévoir que tels flux auront telles conséquences : pourquoi ne saurait-on pas faire la même chose quand il s'agit de foules qui se déplacent par les transports en commun, ou pour des piétons ?
Vous avez suggéré que les confinements et les diminutions de jauge que nous avons connus ces derniers temps auraient eu pour conséquence une forme de perte de savoir-faire dans l'organisation de ces grands événements. Vous avez même évoqué la nécessité d'adresser des circulaires aux préfets. N'y aurait-il pas encore davantage à faire pour procéder à une remise à niveau, si une telle perte de savoir-faire était avérée ?
Sans vous mettre à la place du préfet de police actuel, vous avez clairement dit qu'il y avait d'autres méthodes que celles qui consistent à gazer ou à charger. Le préfet Lallement, lui, nous a expliqué que, dans certaines situations présentant un risque d'écrasement des foules sur les grillages, il n'y avait qu'une seule alternative, gazer ou charger. Pensez-vous que le ministère de l'intérieur devrait explorer les autres pistes que vous évoquez pour les événements à venir ?
M. David Assouline . - Monsieur le préfet, votre rigueur et votre sens du travail en équipe rendent votre témoignage précieux - sans parler de vos fonctions actuelles, avec la perspective des jeux Olympiques.
Lors d'un événement de ce type, surmédiatisé, 20 000 places sont attribuées à chaque équipe, et 27 000 places sont données aux sponsors. Il n'y a que 7 000 places en vente libre. Cette manière d'associer le grand public n'est-elle pas à la base même d'un risque majeur ?
Je sais que vous travaillez avec le Comité international olympique (CIO), par exemple, pour la cérémonie d'ouverture des jeux, à mettre à disposition des places à 15 euros, etc.
Même remarque pour la délinquance : tout le monde sait que, sur cette esplanade, il y a des milliers d'euros en liquide dans les poches des arrivants qui désirent acheter une place. Le délinquant sait qu'il peut y faire son mois, si ce n'est son année... La gestion de l'ordre consiste à gérer ce qui a ainsi été généré !
Vous nous avez décrit un système où, en termes de prévention, de préparation, les choses ont été relativement bien faites, mais où au niveau opérationnel, face aux imprévus toujours inévitables, il y a un sujet.
Un préfet a la responsabilité : en général, par délégation du préfet de police, c'est au préfet du département de gérer ces événements. Pourquoi n'était-ce pas le cas ce jour-là ? Même s'il n'a pas une délégation totale, connaissant le terrain, il est le mieux à même de coordonner l'ensemble. Le préfet de police, lui, est dans une salle à Paris, la salle de commandement, et non sur le terrain. Cela aurait pu régler la question du préfiltrage des arrivées par le RER. Pensez-vous que le préfet de département doive être plus étroitement associé ?
S'agissant des images, vous bottez en touche, en nous disant ce que nous savons déjà : que celles-ci s'écrasent au bout de sept jours. Imaginez l'ampleur du scandale s'il y avait eu envahissement ; il y aurait bien eu quelqu'un qui serait intervenu pour qu'on garde les images. Qui aurait dû décider de cela ? C'est une question importante. D'abord, pour les instructions judiciaires, mais aussi parce que tout le monde tient pour acquis qu'une foule allait s'écraser sur les grilles, alors que nous n'avons aucune image qui le suggère. Je n'ai vu, sur les images privées, que des individus qui brandissaient leurs billets pour montrer aux stadiers qu'ils en avaient de vrais, et qui ont été gazés sans discrimination - femmes enceintes, enfants, etc. Je n'ai pas vu de preuve qu'il y aurait eu 15 000 personnes faisant pression sur les grilles... Qui devait prendre la décision de conserver ces images avant que la justice les réquisitionne ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Quelques demandes de précisions par rapport à vos travaux. Je n'ai pas trouvé dans votre rapport la liste des personnes que vous auriez entendues. Cette précision serait utile, d'autant que je rejoins tout à fait la suggestion et la demande de Jean-Jacques Lozach : nous devons entendre les supporters de Liverpool et de Madrid, ainsi que le maire de Saint-Denis. Nous avons d'ailleurs formulé une demande en ce sens auprès des présidents de commission.
J'ai cru vous entendre dire que vous aviez présidé deux réunions. Laurent Lafon y a fait référence, nous ne comprenons pas très bien qui était l'autorité hiérarchique de l'ensemble de cette organisation. Pouvez-vous nous apporter quelques précisions sur ce point ?
Enfin, pouvez-vous nous confirmer qu'il n'y avait pas d'autre solution que d'utiliser les gaz lacrymogènes ? Nous avons tous été interpellés par ce que nous a dit le préfet de police.
Vous avez affirmé dans votre propos liminaire que la grève du RER B était connue - c'est exact - et prise en compte. Or la FFF a affirmé qu'elle n'avait pas disposé de cette information. C'est un peu étrange, car elle figurait sur les réseaux et tout le monde était au courant.
Dernière chose, vous avez dit que votre rapport ne prenait pas en compte la question des vidéos. Or il s'agit d'un point très important. Mon groupe et moi-même souhaiterions que votre rapport soit complété par une annexe portant sur ce sujet. De telles précisions seraient fort utiles dans le cadre de nos travaux.
Monsieur le président, j'ai lu dans la presse que nos deux commissions devaient rendre leurs conclusions cet après-midi : il doit s'agir d'une erreur ?
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Oui, soyez rassurée, ma chère collègue. Le président Lafon et moi-même avons essayé d'organiser ce matin l'audition des supporters ou de leurs représentants, mais cela n'a pas été possible. Cette audition est donc toujours en cours d'organisation et les supporters seront entendus ultérieurement. Nous devons encore également auditionner le maire de la commune de Saint-Denis. Notre travail n'est donc pas terminé ; c'est simplement un point d'étape qui aura lieu en fin d'après-midi.
M. Michel Savin . - Merci de toutes les réponses que vous avez apportées aux différents points qui ont déjà été évoqués. Ma question, très simple, porte sur votre rôle dans le cadre de vos missions.
À plusieurs reprises, lors de nos auditions, le délai d'organisation très court de cette rencontre - trois mois - a été évoqué. Lors des auditions, j'ai demandé aux représentants de la FFF s'ils avaient été associés à la décision prise par le Président de la République d'accueillir cette rencontre à Paris. La question leur a été posée à trois reprises. Au vu de l'absence de réponse, nous avons bien compris que cette instance, qui a eu en charge l'organisation de la rencontre, n'avait pas été associée à cette décision.
Monsieur le préfet, vous qui avez pour mission de contribuer à préparer les événements dans les meilleures conditions et qui, je l'ai entendu précédemment, assumez aujourd'hui votre part dans l'échec de l'organisation de cette rencontre, avez-vous été associé à la décision prise par le Président de la République ?
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Durant la phase de préparation, mais aussi pendant l'événement, tous les interlocuteurs ont semblé être très franco-français. Or l'événement visait à accueillir 20 000 spectateurs anglais et 20 000 spectateurs espagnols. Des contacts ont-ils eu lieu entre les autorités françaises et leurs homologues étrangers ou les représentants des deux clubs, en amont de la préparation ou pendant l'événement ?
M. Michel Cadot . - Nous avons eu évidemment des échanges assez nombreux, par l'intermédiaire de l'UEFA, avec les milieux sportifs de l'Union européenne pour déterminer, dans l'hypothèse où Liverpool arriverait en demi-finale, ce qui n'a été confirmé que le 3 mai dernier, comment se passeraient le transport et les achats de billets. Nous avons étudié les précédents, examiné la question des autorisations. C'est à ce moment-là, d'ailleurs, que nous avons pris conscience de la nécessité d'une zone de stockage, notamment du public accompagnateur et non-détenteur de billets.
Les services de la Diges, en amont - on avait en effet reçu des demandes de garanties, de facilitation et de simplification pour les visas, etc. -, ont eu des contacts avec les différents services : c'est le rôle de la Diges d'assurer cette liaison interministérielle au niveau des administrations centrales. Elle doit également respecter le rôle des autorités territoriales dans la gestion de proximité du dispositif. Je ne suis pas en mesure de vous dire dans l'immédiat avec qui exactement les contacts ont été noués, mais des entrevues ont certainement eu lieu compte tenu de la présence de délégations étrangères. Je crois me souvenir que des contacts ont été établis avec l'ambassade de France à Londres. Cela ne répond pas complètement à votre question. Quoi qu'il en soit, la liaison avec le club a été recherchée par l'intermédiaire de l'UEFA, puisque c'était notre interlocuteur.
L'UEFA participait d'ailleurs à deux des trois réunions que j'ai présidées moi-même. Elle était également représentée lors des réunions intermédiaires auxquelles la Diges a participé.
Le court délai dont nous disposions est-il à l'origine des importantes difficultés rencontrées ? La réponse est non, car nous sommes parfaitement à même, dans un site comme le Stade de France, auquel les équipes devraient être préparées, d'organiser un grand événement de cette nature en trois ou en quatre mois. Il ne s'agit pas d'un événement inédit sur ce site, qui a déjà accueilli de grandes épreuves de cette nature. Certes, le délai était court : cela exigeait de ne pas perdre de temps et d'anticiper sur les vrais sujets, mais nous en étions capables.
Il y a eu des difficultés, c'est indéniable ; il y a eu un dysfonctionnement grave. Mais c'est quelque chose qui se récupère très vite. Par exemple, lorsque j'étais préfet de police, j'ai essuyé un échec lors de l'organisation de la Coupe de France de football le 21 mai 2016. Je n'étais pas en poste depuis longtemps, mais je me suis retrouvé dès le lendemain chez M. le ministre pour en tirer les leçons. Trois semaines après, nous avons organisé l'Euro 2016 dans des conditions de risque terroriste majeur, et tout s'est bien passé. C'est la preuve que l'on peut tirer rapidement les enseignements d'un vécu négatif. Nous disposons pour ce faire de l'expérience nécessaire, nous avons des personnes qui connaissent le problème : le tout est de les avoir au bon moment, ensemble et au bon niveau de décision. C'est pourquoi, en tant que délégué interministériel aux grands événements sportifs, je n'ai pas creusé davantage certains sujets. Je sens bien que c'est l'un de vos questionnements, mais je crois qu'il faut respecter les compétences des acteurs.
Cela me conduit à répondre à votre troisième question : je pense qu'effectivement dans la conception des responsables au PC du Stade de France et dans l'organisation du dispositif par la préfecture de police, a sans doute été privilégié de manière trop prioritaire le volet ordre public. L'accent a, selon moi, trop été mis sur la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC).
Comme chacun le sait, en dehors du problème territorial entre le préfet de département et le préfet de police, se pose la question de la pluralité de directions. Il existe une direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP), qui gère la délinquance courante : elle est sur le terrain, c'est elle qui s'occupe des brigades anticriminalité (BAC). Elle était finalement moins associée que nécessaire et nous aurions pu bénéficier d'un renfort s'il y avait eu une réaction sur ce volet. Je ne pense pas du tout qu'il s'agisse d'un problème d'articulation entre le directeur de la DOPC et le préfet. Le directeur de la DOPC faisait son travail, de la manière qui avait été décidée et avec les moyens accordés. Mais, in fine , le défi n'était pas exactement celui pour lequel ses moyens avaient été dimensionnés...
Enfin, vous m'avez interrogé sur la réactivité face aux faits de délinquance. Ce qui s'est produit à 14 heures, ce n'était pas la même chose que ce qui s'est produit dans la foule, puis sur le parvis. Dans la foule, il y avait beaucoup de pickpockets et nous avons assisté à de nombreuses opérations d'arrachage de biens ; il s'agissait surtout de tirer profit du public étranger, qui constituait une cible facile.
Ce qui s'est produit à 14 heures, c'est autre chose : nous avons été confrontés à de petites bandes et à des tentatives d'intrusion. Des individus sont arrivés autour du stade - on rejoint ici la question des billets - et il y a eu des bagarres. Bref, c'était une autre forme de délinquance : il s'agissait non pas d'une délinquance d'appropriation, mais d'une délinquance procédant par des opérations « coups de poing », si je puis m'exprimer ainsi, pour parvenir à accéder au stade.
Madame la sénatrice, pour ce qui concerne le suivi des foules, oui, il faut sans doute une approche plus collaborative entre les opérateurs de transports et les services de sécurité. Les dispositifs d'information sont disponibles, mais il faut les actionner de manière adaptée à l'évaluation des risques faite dans le schéma d'organisation. Le système de comptage et de suivi de la RATP est destiné à s'assurer qu'il n'y a pas d'engorgement et vise à orienter les flux en fonction des stations. Celui du PC du Stade de France est davantage appuyé par la vidéo - la vidéo du stade et autour du stade, celle de la ville de Saint-Denis et, éventuellement, celle de la préfecture de police. C'est le suivi de cette foule qui aurait pu être amélioré, grâce à l'intelligence artificielle et à l'emploi de quelques algorithmes sur les flux ou sur leur accumulation. À dire vrai, ce n'est sans doute pas l'enjeu technique le plus important pour le stade, mais il le sera pour les jeux Olympiques. C'est la raison pour laquelle je me suis permis d'insister sur ce point, car ce serait un ajout législatif utile dans ce cadre-là.
Quid des autres pistes que le gazage ? Je n'ai pas de solution miracle. Chaque pays a sa propre approche en termes d'ordre public. Je pense, néanmoins, qu'il serait utile d'explorer quelques pistes nouvelles. On pourrait, lorsqu'il n'y a pas d'accumulation d'une foule trop dense, faire appel aux brigades montées. Ce genre de supervision un peu impressionnante pourrait sans doute permettre, sur un parvis comme celui du Stade de France, de mieux accompagner la surveillance. C'est un sujet complexe, sans doute faudrait-il interroger des spécialistes de la sécurité, notamment au niveau national.
M. Assouline m'a questionné sur la répartition des places entre les différents acheteurs, qu'il s'agisse des clubs, des hospitalités, des partenaires ou du grand public. Il est allé jusqu'à dire que certains actes de délinquance pouvaient s'expliquer par cette répartition. Je ne le crois pas. Dans le cadre de ce match, la ville de Saint-Denis - c'est l'un des points que nous avions évoqués lors des réunions de préparation que je présidais - a obtenu plus de 500 billets pour sa population, qu'elle a distribués. Le soir, comme vous le savez, elle a prévu sur la fan zone , installée dans le parc de la Légion d'honneur, 6 000 places à destination du public séquano-dionysien.
M. David Assouline . - Globalement, la rareté des places, au vu de leur répartition, explique peut-être le fait que, sur les 40 000 supporters de Liverpool qui voulaient entrer, seuls 20 000 ont pu le faire. Le commerce qui existe autour de ce type de manifestation exclut tellement de monde que cela fragilise l'événement.
M. Michel Cadot . - C'est en raison de cette évolution qu'il nous semble indispensable pour les jeux Olympiques et Paralympiques de procéder autrement. Vous l'avez souligné, il faut se tourner vers l'avenir, et c'est bien l'objectif.
Voilà pourquoi l'une de nos motivations prioritaires pour la cérémonie d'ouverture ou pour les épreuves est de permettre au public d'assister aux jeux Olympiques sans pour autant acheter un billet, en allant sur la place de la Concorde, en y passant, mais sans entrer à l'intérieur des podiums qui seront installés, par exemple, pour les sports urbains. Cette « expérience spectateur » - je reprends le terme que j'ai appris depuis deux ans à utiliser - constitue l'un des critères à mettre en oeuvre.
Tout cela, bien évidemment, doit aussi s'inscrire dans un modèle économique pérenne pour l'organisateur, car nous avons plus que jamais une obligation de maîtrise budgétaire dans le contexte de difficultés économiques, budgétaires et sociales que nous connaissons. Tout cela doit aussi être compatible avec des conditions de sécurité en termes de moyens capacitaires. La concentration en Île-de-France des événements autour des jeux rend ce défi particulièrement élevé. Je rappelle que 85 % des épreuves se dérouleront en Île-de-France. C'est donc là que devront être concentrées un très grand nombre de forces de sécurité, privées ou publiques.
Quant aux raisons des difficultés opérationnelles que vous avez évoquées, monsieur le sénateur Assouline, j'aurais tendance à dire qu'elles sont liées au fait qu'il est difficile de faire changer de direction une foule aussi importante. Il était quasiment impossible de lui faire faire demi-tour alors que des flux continus arrivaient. Il aurait fallu disposer pour cela d'un espace très vaste, ce qui n'était pas le cas. En conséquence, ce sont les plans de suivi et de comptage qui doivent permettre d'activer le plan de déviation vers l'entrée du RER B. Une fois que les personnes se sont engagées sur des passages dont on sait qu'ils sont relativement étroits, au fur et à mesure que l'on se rapproche du point de préfiltrage, on n'a plus beaucoup de possibilités pour leur faire faire marche arrière. Le PC, de ce point de vue, à partir d'un certain moment, n'avait plus la capacité de faire faire demi-tour au public. Il a essayé de le faire, mais c'était trop tard : la mesure n'a pas été opérante.
Par ailleurs, le chiffrage donné est tout de même de l'ordre d'une quinzaine de milliers de personnes qui s'étaient accumulées sur cette entrée, ce qui est tout à fait cohérent par rapport aux chiffres des transports collectifs qui nous ont été donnés pour le RER D.
C'est au niveau du préfiltrage qu'il y aurait eu des risques très sérieux d'écrasement, non pas tellement contre les grilles, mais contre les barrières. Des personnes ont d'ailleurs traversé à pied l'autoroute qui est sur le côté. Une partie de la foule s'est déportée sur le parvis et s'est rapprochée, non pas des points de contrôle immédiatement, mais des barrières, c'est-à-dire vers le système de tortillons ou de serpentins.
M. David Assouline . - Et les images ?
M. Michel Cadot . - En ce qui concerne les images, la décision relève d'abord du Parquet puisqu'il y avait une procédure judiciaire. C'est donc peut-être à ce niveau-là qu'aurait dû être demandée la conservation des images.
Les capacités de stockage auraient-elles permis de conserver les images et de les transférer, tout en continuant à assurer le suivi nécessaire au quotidien ? Je n'en sais rien - je ne suis pas un technicien -, mais cette question mérite d'être posée au consortium et à l'autorité judiciaire.
Pour ce qui est des personnes entendues, je n'ai aucune qualité pour auditionner qui que ce soit. J'ai simplement examiné les rapports que nous avions demandés avec l'équipe de la Diges et de la Dijop. Certains de ces rapports ont d'ailleurs été reçus tardivement. Nous avons travaillé jour et nuit pour les analyser, recenser les petits points d'incohérence et faire des recommandations, que nous avons présentées loyalement et honnêtement devant vous et devant les deux ministres. Il s'agissait d'un travail rapide, non pas d'audition, mais de bonne compréhension de l'enchaînement des faits, afin de faire des propositions de renforcement pour les grands événements sportifs internationaux et pour les jeux Olympiques.
Quant à la répartition des décisions, je l'ai expliqué assez clairement tout à l'heure : tout ce qui relève de la coordination et de l'animation entre l'ensemble des ministères, ou des arbitrages en cas de désaccords entre les partenaires, peut remonter au niveau de la Diges. C'est le rôle de la Diges que de trancher tous ces points ou de demander un arbitrage politique, s'il y a lieu. Ce travail a été fait pendant les premières semaines, qu'il s'agisse de garanties, de lettres d'engagement ou de problèmes d'aspect réglementaire rencontrés par l'organisateur pour les questions d'arrivée. Pour le reste, c'est ensuite au niveau local, au-delà des réunions de concertation, que les décisions se prenaient.
Enfin, le sénateur Savin m'a demandé si la FFF avait été associée à cette décision. Jusqu'ici, lors des réunions auxquelles j'ai participé, la FFF n'avait jamais mentionné que ces délais courts pouvaient être la cause des difficultés rencontrées. Elle considérait que c'était plutôt le nombre excessif de personnes sans billet ou avec des billets falsifiés, ainsi que les difficultés de réactivité pour réorienter les flux, qui étaient la cause de ces dysfonctionnements.
M. David Assouline . - M. le préfet n'a pas répondu à ma question relative au préfet du département. J'ai pourtant été assez précis.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Une non-réponse peut valoir réponse !
M. David Assouline . - J'aimerais qu'il me le dise lui-même !
M. Michel Cadot . - Je me range derrière l'appel à la sagesse du président de la commission de la culture...
Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Je n'ai pas eu de réponse à certaines de mes questions, notamment sur le point de savoir si M. le préfet complétera ses travaux en abordant le sujet des vidéos.
M. Michel Cadot . - Ce dossier fait l'objet d'un suivi judiciaire. C'est dans ce cadre-là que ces investigations doivent être conduites. Je n'ai pas la qualité d'un juge, encore moins celle d'un procureur. Cela n'entre d'ailleurs pas dans la mission de la Diges. Je formule uniquement des recommandations, qui ont été remises en temps et en heure. En tout état de cause, il ne m'est pas possible de m'immiscer dans le suivi de vidéos qui - pour ce qu'il en reste - relèvent clairement de la responsabilité de l'autorité judiciaire.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Je vous remercie de votre participation.
Mes chers collègues, nous en avons terminé avec cette audition. Je vous rappelle que nous nous rendrons cet après-midi au Stade de France pour examiner sur place, in situ , l'organisation des flux et pour rencontrer les responsables du consortium du Stade de France.
Audition de MM. Martin Kallen, directeur général de l'UEFA Events SA, et Julien Zylberstein, directeur des affaires européennes de la gouvernance de l'Union des associations européennes de football
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Nous poursuivons ce matin nos auditions avec la commission des lois, présidée par François-Noël Buffet, sur les incidents survenus au Stade de France le 28 mai dernier.
Nous recevons aujourd'hui en visioconférence M. Martin Kallen, directeur général de l'UEFA Events SA, et M. Julien Zylberstein, directeur des affaires européennes et de la gouvernance de l'Union des associations européennes de football.
Cette audition était indispensable afin de compléter notre information sur les différents dysfonctionnements intervenus au cours de la journée du 28 mai dernier.
Le rôle de l'UEFA est essentiel à maints égards, puisque c'est l'autorité responsable de l'organisation de la compétition, celle qui édite la billetterie et négocie les partenariats marketing. C'est évidemment l'UEFA qui attribue le titre au vainqueur de la compétition.
Vous pourrez utilement nous préciser votre rôle dans la journée du 28 mai comme dans sa préparation et nous détailler vos rapports avec la Fédération française de football (FFF), qui, à certains égards, agit comme votre délégataire.
Les auditions menées jusqu'à présent nous ont déjà permis d'identifier plusieurs dysfonctionnements qui concernent les services de l'État et les transporteurs publics. Nous avons pu mettre en lumière plusieurs fautes, qu'il s'agisse de l'absence de parcours de délestage à la sortie de la gare du RER D, des décisions intempestives de redirection des flux de passagers entre les lignes B et D ou de l'absence d'anticipation de la présence d'un important contingent de délinquants qui a semé le chaos parmi les spectateurs.
Ces incidents ne relèvent bien sûr pas de la responsabilité de l'UEFA. Si nous avons souhaité vous auditionner, c'est pour en savoir plus sur la façon dont a été prise la décision de déplacer la finale de la Champions League de Saint-Pétersbourg à Paris. Qui a pris cette décision, à l'UEFA et au sein des autorités françaises ? Le court délai de préparation a-t-il été un sujet de préoccupation clairement identifié lors de la prise de décision ? A-t-on procédé à l'évaluation des difficultés d'organiser une telle compétition en seulement trois mois avant de choisir la ville chargée de succéder à Saint-Pétersbourg ? D'autres villes étaient-elles candidates ?
Parmi les problèmes identifiés dans le champ de compétence de l'UEFA, figure en particulier la décision d'éditer 20 000 billets sous format papier à destination des supporters de Liverpool et environ 6 000 autres à destination des supporters du Real de Madrid.
Le risque de fraude en présence de billets papier est connu. Pourquoi avoir pris ce risque dans le contexte d'une finale délocalisée ? Avez-vous identifié des mouvements suspects concernant la vente de billets frauduleux dans les jours qui ont précédé la finale ?
Une autre difficulté relevant de l'UEFA concerne la décision que vous auriez prise - j'insiste sur le conditionnel - d'exiger un contrôle de validité des billets au niveau des points de préfiltrage. Ce double contrôle de sécurité et des billets s'est révélé être à l'origine d'une partie des engorgements. N'avez-vous pas sous-évalué ce risque en exigeant ce contrôle, alors que la présence de nombreux spectateurs britanniques était prévisible ? On sait que les supporters de Liverpool ont l'habitude de se déplacer en grand nombre pour accompagner leur équipe jusqu'à l'entrée du stade.
Je vous laisse la parole pour un propos liminaire d'une quinzaine de minutes maximum, après quoi le président Buffet et nos collègues vous interrogeront à leur tour.
M. Julien Zylberstein, directeur des affaires européennes et de la gouvernance de l'UEFA . - Au nom de l'UEFA, nous souhaitons tout d'abord vous remercier de nous permettre de contribuer à vos travaux. Nous voyons cette audition comme une étape très importante, attendue par toutes et tous, particulièrement par les supporters.
Comme vous le savez, nous avons commandité notre propre enquête, confiée à un ancien ministre des sports de la République du Portugal, M. Tiago Brandão Rodrigues, qui est, comme vous, parlementaire. Nous aurons sûrement l'occasion de revenir sur cette enquête indépendante.
Contrairement à une information relayée par les médias, en France et à l'étranger, l'UEFA n'a jamais exprimé la moindre réserve ou réticence à propos de cette audition, bien au contraire. De manière proactive, nous avons pris l'attache des secrétariats de vos commissions pour être entendus le plus rapidement possible. Les administrateurs pourront vous le confirmer.
Nous travaillons étroitement et dialoguons de manière permanente avec les pouvoirs publics, aux échelles européenne et nationale. C'est le cas sur le plan opérationnel, pour l'organisation d'événements, comme sur le plan institutionnel. Parmi nos partenaires figurent la Commission européenne, le Parlement européen, le Conseil de l'Union européenne, le Comité européen des régions ou encore le Conseil de l'Europe.
J'insiste sur cette dernière institution. Un important volet de nos travaux conjoints concerne la mise en oeuvre de la convention de Saint-Denis, signée en marge de l'Euro 2016, au Stade de France. Nous avons été un élément moteur de son développement et jouons aujourd'hui un rôle de premier ordre pour sa mise en application. Nous sommes d'ailleurs un membre historique de son comité de suivi.
La convention de Saint-Denis est l'aboutissement de décennies de travail avec nos partenaires européens. Aujourd'hui, elle constitue très vraisemblablement l'instrument juridiquement contraignant le plus abouti à l'échelle internationale pour ce qui concerne la sécurité, la sûreté et les services des événements sportifs majeurs. Elle permet notamment une collaboration structurée entre les différents acteurs compétents : pouvoirs publics, organisateurs d'événements et organisations de supporters.
À ce titre, je souligne que nous entretenons d'excellents rapports avec Football Supporters Europe (FSE), que, sauf erreur de ma part, votre commission entendra cette après-midi. FSE et ses membres sont des partenaires stratégiques de l'UEFA et nous sommes en contact quotidien avec eux.
Nous entretenons également d'excellents rapports avec les autorités françaises, qu'il s'agisse du Gouvernement ou des parlementaires. Nous avons assuré ensemble l'organisation de l'Euro 2016. Nous avons également été heureux de contribuer à divers travaux parlementaires. Je pense notamment à deux rapports datant de 2013 : celui du sénateur Jean-François Humbert, sur l'Union européenne et le sport, et celui du sénateur Dominique Bailly, sur l'éthique du sport. En 2016, nous avons également été entendus par le vice-président de la commission de la culture du Sénat, David Assouline, dans le cadre d'une mission que le Premier ministre lui avait confiée sur le sport à la télévision en France.
M. Martin Kallen, directeur général de l'UEFA Events SA . - Après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, il a été décidé de ne plus organiser la finale de la Ligue des champions à Saint-Pétersbourg. Tout le monde est convenu que c'était une excellente décision, prise en un temps record.
Dès lors, il fallait trouver au plus vite une solution de repli : chaque jour comptait pour organiser cet événement.
Nous devions remplir un certain nombre de critères. Il nous fallait un stade d'une capacité de 70 000 places, libre le 28 mai et toute la semaine précédente pour que l'on ait le temps de tout préparer sur place, dans une ville facile d'accès, avec une grande capacité de logements, et dans un pays ayant l'expérience nécessaire pour accueillir de grands événements sportifs.
Sur cette base objective et opérationnelle, Paris semblait la ville idéale et le Stade de France le stade idéal. D'ailleurs, à ce moment-là, nous n'avions quasiment aucune autre option. Il n'existe pas tant de stades de plus de 70 000 places en Europe répondant à nos différents critères. Le stade de Wembley aurait été idéal, mais il n'était pas libre à cette date.
Nous connaissons bien le Stade de France : nous y avons organisé sans problème plusieurs matchs de l'Euro 2016, dont la finale, et plusieurs finales de la Ligue des champions. La dernière d'entre elles remonte à 2006, car nous sommes attachés au principe de rotation.
J'y insiste, cette solution semblait parfaite. Elle revêtait également une forte valeur symbolique, Paris étant capitale de l'Union européenne de janvier à juin 2022. Tout le monde a salué cette décision.
Quand nous sommes arrivés à la conclusion que le choix de Paris s'imposait, le président de l'UEFA s'est entretenu avec le Président de la République, jeudi 24 février dans l'après-midi, pour l'informer de notre décision. M. Macron a compris la situation et a confirmé que l'État français apporterait son soutien à l'organisation de cet événement. Le Président Macron et le Gouvernement français n'ont jamais fait de lobbying pour accueillir cette finale.
Vendredi 25 février en début de matinée, la FFF a été informée par téléphone de ce choix, qu'elle a accueilli favorablement.
Peu après - à dix heures, le même jour -, s'est tenue, par visioconférence, une réunion extraordinaire du comité exécutif de l'UEFA. Ce comité exécutif, dont la FFF est membre, a validé le choix à l'unanimité, sans le représentant russe, bien sûr.
Habituellement, la phase de planification et de préparation d'une finale de la Ligue des champions de l'UEFA se déroule sur trente-six mois. Dans cet intervalle, plusieurs visites d'inspection, réunions de travail et autres événements tests peuvent être organisés pour assurer la préparation du site.
En raison du changement de site, cette phase préparatoire a dû être accélérée et ajustée en fonction d'autres événements déjà planifiés au Stade de France.
Je le répète, nous connaissons bien le Stade de France. De plus, la FFF a l'habitude d'organiser de grands événements. Il aurait été plus difficile d'organiser cette finale, avec un délai de trois mois, dans un autre stade et avec un autre organisateur. Londres n'était pas disponible. En parallèle, de nombreux événements sont prévus en Allemagne, en particulier l'Euro 2024 et la Champions League en 2025. En Espagne, deux stades répondaient à nos critères, mais l'un était occupé et l'autre était en travaux.
Vous l'avez rappelé, plus de 100 000 personnes ont afflué au Stade de France. Or les transports publics, ô combien importants, ont posé différents problèmes. Du fait de la grève du RER B, beaucoup de supporters se sont reportés sur le RER D : plus de 37 000 personnes sont venues par le RER D, contre 9 000 pour la finale de la coupe de France, avant d'être orientées directement vers l'entrée 3 du périmètre de sécurité supplémentaire.
Un certain nombre de faux billets ont été détectés aux entrées 2 et 3 du périmètre de sécurité peu après leur mise en service. Ainsi, les stadiers ont pu croire que les stylos détecteurs utilisés pour vérifier l'authenticité des billets étaient défectueux, ce qui a ralenti le processus, les stadiers vérifiant chaque billet papier à plusieurs reprises.
À la mi-temps, les transports publics nous ont informés que 30 000 personnes se dirigeaient vers Paris. Beaucoup de personnes présentes sur place avaient bel et bien de faux billets, voire n'avaient pas de billet du tout.
Aux abords du stade, la circulation était saturée en permanence par les supporters et par divers véhicules. La sécurité s'en trouvait également menacée. Pour les groupes, l'accès aux parkings était, en principe, bloqué à partir de dix-neuf heures.
En matière de sûreté et de sécurité, le plan de déploiement des stadiers s'est principalement inspiré de celui de la finale de la coupe de France organisée le 7 mai 2022.
Avant le match, l'évaluation menée par nos équipes de sûreté et de sécurité et par la responsable de la sécurité a mis au jour un risque élevé d'invasion du terrain par des supporters sans billet ou détenteurs de billets contrefaits. Afin d'anticiper ces risques, plusieurs mesures ont été prises, notamment une opération de communication pour que les supporters sans billet s'abstiennent de venir au Stade de France.
Quelque 1 700 stadiers ont été déployés sur place. Malheureusement, la plupart d'entre eux ne parlaient ni anglais ni espagnol, ce qui a posé problème pour dialoguer avec les supporters des deux équipes.
Les tourniquets ont été ouverts à dix-huit heures après avoir fait l'objet d'une vérification finale de la part de l'UEFA et de la FFF. Les activités opérationnelles n'ont été fluides, conformément au plan opérationnel, que pendant trente minutes seulement. D'une part, l'aggravation de la situation au niveau de l'entrée 3 du périmètre de sécurité supplémentaire, de l'autre, l'arrêt périodique des contrôles préalables visant à identifier les supporters sans billet, ont eu pour conséquence la formation d'une foule comprenant de nombreux supporters sans billet. Cette situation a permis à des bandes locales de venir errer devant le stade.
À dix-huit heures cinquante-deux, la première infraction a été constatée au niveau des tourniquets de la porte Y.
Globalement, aux tourniquets, les flux sont restés très faibles : on a comptabilisé au maximum 6 000 personnes toutes les quinze minutes. À ce rythme, il faut plus de trois heures pour remplir le stade. Or notre hypothèse de travail était de quatre-vingt-dix minutes, avec 12 500 personnes toutes les quinze minutes.
À partir de dix-huit heures cinquante-deux, des flots de supporters se sont succédé devant différentes portes du stade, perturbant le flux des spectateurs. La présence d'un nombre considérable de supporters sans billet ou sans vrai billet a entraîné de graves problèmes de sécurité.
Face aux problèmes constatés au niveau des portes, on a décidé la fermeture des tourniquets, victimes d'un engorgement massif. Le chef des stadiers au niveau de chaque porte a été informé d'une procédure opérationnelle standard consistant à fermer les portes en cas d'infraction. Le but ultime de la fermeture des tourniquets était d'éviter de dépasser la capacité maximale de plus de 4 %. En pareil cas, il aurait fallu arrêter le match pour raisons de sécurité.
À mesure que les supporters s'accumulaient devant les tourniquets, en particulier de supporters sans billet, les fermetures de tourniquets se sont multipliées. Elles ont permis de réduire avec efficacité le flux de personnes tentant de franchir le périmètre de sécurité lors du pic d'activité opérationnelle.
En salle de contrôle, le centre de coordination du site insistait sur la nécessité d'augmenter le flux. À plusieurs reprises, on a tenté de rouvrir les tourniquets, mais il a fallu les fermer de nouveau face à la pression exercée par les spectateurs, avec ou sans billet.
À partir de vingt heures, la FFF a demandé un soutien policier au niveau des tourniquets. La police est arrivée après un certain laps de temps ; sans son soutien pour maintenir l'ordre public, les stadiers auraient difficilement gardé le contrôle des tourniquets, dès lors que l'entrée 3 du périmètre de sécurité n'était plus opérationnelle.
La police de Merseyside avait informé l'UEFA que 50 000 à 70 000 supporters de Liverpool feraient le déplacement et que le nombre de supporters sans billet pourrait atteindre 50 000. Leur point de rencontre était situé cours de Vincennes, à Paris, près de la place de la Nation.
La projection de la finale sur écran géant avait été prévue, avec l'approbation des autorités, pour ces supporters sans billets. Au total, ce point de rencontre a accueilli 44 000 personnes. L'UEFA et les deux clubs ont communiqué à plusieurs reprises pour garantir une bonne rotation entre les supporters entrants et sortants.
Le jour du match, cinquante « gardes-supporters » de Liverpool ont été envoyés du stade vers les parkings des gares situées à proximité des points de rencontre des supporters de Liverpool. En effet, la plupart des supporters présents dans ces gares ne disposaient pas de billets pour le match.
J'en viens aux conséquences des billets papier.
Chaque club gère sa billetterie selon ses propres procédures et en fonction des habitudes de ses supporters. Or, au fil des discussions, il est apparu que les systèmes de billetterie mis à disposition par l'UEFA ne répondaient pas à toutes les exigences de Liverpool et du Real de Madrid. Ils auraient, à tout le moins, exigé beaucoup d'adaptations de la part des clubs.
En conséquence, le club de Liverpool a fortement insisté pour garder le contrôle de ses processus de vente et demandé à l'UEFA de lui délivrer des billets papier.
Le Real de Madrid a accepté de gérer une partie de ces ventes selon les procédures de billetterie de l'UEFA. Ainsi, des billets numériques ont été émis, représentant 60 % de l'ensemble. Le reste était imprimé sur papier.
Ces billets sont imprimés sur des papiers sécurisés répondant aux normes de sécurité les plus élevées possible, réservées, en principe, aux billets de banque.
Naturellement, ces critères de sécurité ont évolué avec le temps. Toutefois, un élément de sécurité utilisé depuis de nombreuses années s'est révélé particulièrement robuste : il n'a jamais été copié ni falsifié jusqu'à ce jour. Il s'agit d'une encre spéciale appliquée sur une zone spécifique du billet. Cette encre réagit au contact de stylos chimiques, déployés sur les périmètres de sécurité extérieure du stade et distribués aux agents de sécurité chargés de procéder à la prévérification des billets. Si le papier réagit au contact du stylo, il est considéré comme authentique et le billet est considéré comme valide.
Même si cette fonctionnalité n'a jamais été falsifiée, l'UEFA a continué de l'améliorer. Ainsi, après la finale de la Ligue des champions de 2019, l'encre réactive au stylo chimique a été appliquée non plus sur une ligne continue, mais sur un motif en pointillés.
De tels éléments renforcent la sécurité des contrôles. Lors de la finale de Paris, comme lors de nombreuses autres finales très courues de l'UEFA, les billets contrefaits ressemblaient visuellement aux billets authentiques, mais ne présentaient pas ces éléments de sécurité. Il reste donc possible de contrôler les billets au périmètre extérieur.
En plus de l'encre réactive, le billet de la finale de Paris comportait le trophée de la Ligue des champions gravé en relief. Cet élément était aisé à vérifier à l'aide du doigt, les faux billets ne présentant aucun relief perceptible. Il était donc possible, même sans stylo chimique à portée de main, de reconnaître un billet contrefait.
Bien qu'il ne soit pas possible de quantifier les billets contrefaits ayant atteint le périmètre du stade, on peut supposer qu'ils ont été plus nombreux lors de la finale de Paris que lors des finales précédentes.
Tous les éléments de sécurité des billets imprimés et mobiles visent à réduire les risques de contrefaçon. Reste que des groupes organisés sont déterminés à mettre en oeuvre tous les moyens pour accéder au stade.
Le soutien apporté par l'UEFA en matière de billetterie mobile était conçu pour réduire le risque de contrefaçon ; il représente la solution la plus innovante du marché à l'heure actuelle.
S'agissant enfin des problèmes de sécurité après le match, les médias, comme certains invités de l'UEFA et membres du personnel, ont signalé que des bandes de délinquants avaient créé un environnement hostile autour de Saint-Denis. Celui-ci s'est traduit notamment par des agressions, vols et intimidations à l'encontre des supporters, en particulier sur la ligne 13.
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Alors que la compétition était prévue avec une billetterie électronique, propre à sécuriser les opérations, pourquoi avoir accepté, pour la finale, que les clubs distribuent des billets papier ? Une raison particulière vous a-t-elle conduits à revenir sur votre doctrine ?
M. Martin Kallen . - En 2016, nous avons commencé à développer un système exclusivement digital. Son élaboration a pris du temps, car de nombreux tests ont été nécessaires. C'est pourquoi les deux types de billets ont jusqu'à présent coexisté.
Nous voulions, pour la première fois, ne recourir qu'aux billets digitaux. Nous avons travaillé pendant un an avec l'Association européenne des clubs et Football Supporters Europe, qui étaient d'accord avec cet objectif.
Les deux finalistes, à qui reviennent plus de la moitié des billets de la finale, n'étaient pas très favorables au tout digital, pour les raisons que j'ai précédemment développées. Trois semaines environ avant la rencontre, nous avons discuté fortement avec eux : nous nous sommes entendus sur une part de billets papier, car il s'agissait pour ces deux clubs, surtout pour Liverpool, de la seule manière de vendre des billets à leurs supporters.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Les supporters de Liverpool n'ont-ils jamais utilisé de billets électroniques lors des matchs précédant la finale ?
M. Martin Kallen . - Les matchs précédant la finale ne sont pas organisés par l'UEFA, mais par le club hôte de la rencontre.
En ce qui concerne la blockchain, notre système reste quasi unique au monde, même si certains clubs disposent d'un système similaire. Les supporters d'un club sont souvent porteurs d'une carte valable pour l'ensemble de la saison, en sorte qu'une billetterie blockchain n'est pas vraiment nécessaire. Aujourd'hui, la plupart des clubs recourent aux billets papier, aux cartes saison et au print at home .
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Le club de Liverpool assure que des détenteurs de billets valides ont vu leur billet contrôlé comme invalide. Est-ce matériellement possible ?
Par ailleurs, pourquoi le contrôle de la validité des billets a-t-il été fait en même temps que le préfiltrage. Est-ce l'UEFA qui a demandé cette organisation ?
M. Martin Kallen . - Le périmètre de sécurité supplémentaire à l'extérieur du stade était conçu pour que les personnes sans billet ou munies d'un faux billet n'accèdent pas aux tourniquets, qui, au Stade de France, sont directement sur les barrières du stade et précèdent le contrôle des objets et la fouille au corps - alors que, dans la procédure standard, les spectateurs sont fouillés avant les tourniquets.
En ce qui concerne le contrôle des billets digitaux, le bluetooth du téléphone doit être ouvert au passage des beacons , sans quoi le QR Code n'est pas activé. Certaines personnes n'avaient pas de bluetooth ou sont passées à un endroit où aucun beacon n'a capté leur QR Code. Reste qu'une procédure manuelle permettait aux stadiers d'activer un QR Code.
Les vérifications faites après le match ont montré qu'environ 2 700 détenteurs d'un billet valide n'avaient pas pu entrer, soit parce qu'ils n'étaient jamais arrivés jusqu'aux tourniquets, soit parce qu'une autre personne, détentrice d'un faux billet, était déjà entrée avec le même QR Code.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Les autorités françaises étaient-elles présentes lors de vos discussions avec les deux clubs sur l'organisation de la billetterie ? Dans l'affirmative, ont-elles émis des réserves sur les billets papier ?
M. Martin Kallen . - Les autorités n'étaient pas présentes lors des discussions avec les clubs sur le système de billetterie. Elles l'étaient, en revanche, à la réunion qui s'est tenue avec les finalistes le lendemain de leur qualification : nous avons bien précisé à cette occasion que la billetterie serait à la fois électronique et imprimée.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Aviez-vous été alertés, avant le match, de l'ampleur du phénomène de faux billets ?
M. Martin Kallen . - Des personnes ont toujours cherché à assister au match sans billet. Après avoir constaté que de faux billets étaient vendus sur internet, nous avons organisé deux ou trois réunions avec le club de Liverpool. La police anglaise est également intervenue pour fermer quelques sites impliqués.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Informées de la mise en place d'une double billetterie lors de la réunion dont vous venez de parler, les autorités françaises ont-elles émis des réserves ?
M. Martin Kallen . - Je n'ai pas moi-même participé à toutes les réunions, mais lors des réunions auxquelles j'étais présent aucune réserve n'a été formulée.
Nous n'en sommes pas encore au tout digital : le recours au billet papier reste fréquent pour de nombreux événements.
Au demeurant, ce n'est pas seulement le billet papier qui a provoqué le chaos aux portes du stade. Les causes sont multiples : grève des transports, mauvaise réaction des stadiers et des forces de l'ordre, présence de délinquants, flux très important de personnes sans billet ou avec un faux billet.
M. Jean-Raymond Hugonet . - Merci, monsieur le directeur général, de prendre la peine de nous parler en français.
Depuis la finale, quel est l'état de vos relations avec les présidents des clubs finalistes, plus que mécontents de ce qui s'est passé ?
Vous avez déclaré que vous auriez préféré Wembley. Pourriez-vous nous en expliquer la raison ?
Enfin, le retard supérieur à une demi-heure du coup d'envoi a-t-il eu des incidences financières en ce qui concerne les annonceurs ?
M. Martin Kallen . - Nous avons un bon contact avec les présidents du Liverpool FC et du Real Madrid. Il est clair qu'ils ne sont pas contents du déroulement de la finale. Nos équipes collaborent étroitement, d'autant que ces clubs sont très souvent qualifiés en finale. Notre approche est neutre et au service des clubs.
S'agissant des recettes publicitaires, aucune demande de remboursement n'a été formulée à ce jour. Les contrats prévoient l'éventualité d'un coup d'envoi retardé.
Wembley a une capacité d'accueil supérieure - 88 000 personnes. Il est toujours préférable d'avoir le stade le plus grand possible pour une affiche comme Real Madrid - Liverpool, afin qu'un plus grand nombre de supporters puissent assister au match. En outre, Wembley a été utilisé plus récemment pour des finales. C'est le seul avantage par rapport au Stade de France.
M. Jean-Jacques Lozach . - Dans le cadre de l'enquête diligentée par l'UEFA, l'ensemble des acteurs impliqués dans l'organisation de la soirée du 28 mai vont-ils être auditionnés ?
Par ailleurs, le dédommagement des supporters de Liverpool sera-t-il assumé en totalité par l'UEFA, ou bien la Fédération française de football sera-t-elle sollicitée ?
Depuis ces événements, un débat s'est fait jour en France sur le recours à l'intelligence artificielle, voire à la reconnaissance faciale, pour mieux gérer les flux de circulation lors de ce type d'événements à risque. Quelle est la position de l'UEFA à cet égard ?
M. Martin Kallen . - Notre politique est très claire en matière de billetterie : nous allons dédommager tous les détenteurs d'un billet valide n'ayant pas pu accéder au stade. C'est à nous que cela revient, et la FFF n'a pas à y participer.
En ce qui concerne les technologies dont vous parlez, nous avons mis en place des groupes de travail. La situation est compliquée par le fait que la finale se tient chaque année dans un pays différent et que les législations diffèrent. Nous sommes donc encore loin de mettre en oeuvre de tels systèmes, mais nous n'y sommes pas opposés.
Quant à notre enquête, je vous confirme que tous les acteurs seront interrogés et tous les sujets abordés. Les travaux commencent dès cette semaine.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Quand les résultats de cette enquête seront-ils rendus publics ?
M. Martin Kallen . - L'enquête devant durer au moins trois mois, ce devrait être dans le courant de septembre.
Mme Céline Brulin . - Monsieur le directeur général, je ne crois pas que vous ayez répondu à la question sur le double filtrage, qui ne semble pas être une pratique habituelle. Quelles raisons vous ont conduits à organiser ce double filtrage ?
Par ailleurs, des chiffres assez précis nous ont été communiqués concernant le nombre de faux billets détectés. De votre côté, avez-vous une estimation en la matière ?
En outre, il semblerait qu'il y ait eu un problème non seulement avec les billets papier, mais aussi avec les billets électroniques. Le confirmez-vous ?
M. Martin Kallen . - Effectivement, j'ai oublié d'évoquer la question du « double filtrage ». En réalité, on ne peut pas vraiment parler d'un « double filtrage ». En première instance, la police demande aux spectateurs ayant un sac à dos ou un gros sac de le déposer à la consigne. Il ne s'agit pas à proprement parler d'un filtrage.
En seconde instance, on vérifie la validité du billet pour entrer dans le périmètre du stade. C'est à ce niveau qu'on détecte les vrais et les faux billets.
On le sait aujourd'hui, environ 2 600 faux billets ont été présentés aux tourniquets. Nous avons d'ores et déjà enquêté concernant les adresses indiquées par le QR code. Normalement, les faux billets n'arrivent pas au niveau du tourniquet. Cela signifie que le nombre de faux billets était supérieur à 2 600, sans pour autant atteindre, comme cela a été évoqué en France quelques jours après les événements, le nombre de 30 000 ou 40 000. Selon nous, il était de quelques milliers.
Les billets électroniques et la technologie blockchain sont plus sûrs que les billets papier, car il est difficile de les falsifier en amont. Le QR code n'est activé qu'à certains endroits précis. Sur l'écran du smartphone, le temps est décompté, à l'aide d'un petit minuteur. Si vous faites une capture d'écran, ce décompte disparaît. Il est donc très difficile de falsifier un billet électronique comportant ce type de minutage.
La difficulté, c'est que certaines personnes détentrices d'un vrai billet n'ont pas mis en marche leur Bluetooth , ce qui ne leur a pas permis d'activer leur billet en passant dans la zone permettant l'activation.
À l'avenir, il deviendra extrêmement difficile de faire la capture d'écran d'un billet, grâce à l'introduction d'un nouveau système.
M. Michel Savin . - Monsieur le directeur général, vous nous avez expliqué tout à l'heure les critères retenus pour le choix de la ville qui accueillerait cette finale. Paris paraissait donc le lieu idéal.
Vous venez aussi de nous confirmer que la Fédération française de football, qui a dû organiser cette rencontre en trois mois, au lieu de bénéficier des trente-six mois habituels, n'a pas été consultée, ce qui est assez surprenant, mais simplement informée du choix du Président de la République.
Ma première question est donc simple : le fait de s'adresser directement au chef de l'État et non pas à la fédération constitue-t-il la procédure habituelle pour l'organisation d'une telle rencontre ?
Deuxième question, pouvez-vous nous confirmer que le report de la rencontre censée débuter à vingt et une heures est dû à la présence de 30 000 à 40 000 supporters anglais sans billet ou détenant de faux billets, qui seraient venus s'ajouter aux 10 000 supporters de Liverpool n'étant pas encore entrés dans le stade ?
M. Martin Kallen . - Dans le processus standard, on lance un appel aux fédérations pour organiser une finale. Si ces dernières témoignent de leur intérêt, elles reçoivent un dossier technique à remplir, après avoir contacté les autorités, afin d'apporter toutes les garanties nécessaires. Ensuite, le comité exécutif choisit la ville où sera organisée la finale.
Dans le cas qui nous occupe, nous ne disposions que de trois mois pour préparer l'événement. Nous avons donc mis au point un processus spécial. Nous avons examiné quelles fédérations pouvaient organiser un tel événement dans un temps très court. Paris a été considérée comme l'endroit idéal.
Nous avons demandé directement à la présidence de la République si les autorités donnaient leur accord et leur soutien à cette rencontre. Nous avons ensuite reçu le soutien de la Fédération française de football, puis celui du président Macron.
À partir des statistiques transmises par l'ensemble des transports publics, qu'il s'agisse des taxis ou des bus de supporters, on peut estimer qu'il y avait un peu moins de 75 000 spectateurs dans le stade, et 25 000 personnes autour du stade, en particulier des supporters de Liverpool. En effet, les supporters espagnols du Real Madrid étaient dans le stade bien avant le match.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Concernant la grève du RER B, il semble que les dernières décisions aient été prises la veille du match, au cours d'une réunion entre la préfecture de police et les deux organismes de transport, la RATP et la SNCF, afin de réorienter de manière importante les flux de voyageurs sur la ligne D du RER. Avez-vous été associés à cette réunion et avez-vous été informés du fait que l'essentiel des voyageurs arriverait par le RER D ?
M. Martin Kallen . - Non, nous n'avons pas été informés. Dans la salle de contrôle du stade, nous avons appris que de nombreux supporters arrivaient par le RER D, ce qui a pris tout le monde par surprise.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Le jour de la finale, les différents acteurs présents au poste de commandement ont été surpris de voir que les supporters arrivaient massivement par le RER D ?
M. Martin Kallen . - Pour ma part, je n'ai pas été tout de suite dans la salle de contrôle.
Nous avions prévu que la plupart des supporters arriveraient par le RER B. En effet, le périmètre de sécurité supplémentaire 3 était plus important que le périmètre de sécurité supplémentaire 2, destiné aux supporters arrivant par le RER D. Nous avons dirigé trop tard les supporters descendant du RER D vers le périmètre de sécurité 3.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Monsieur le directeur, plus de trois semaines après les événements, quels enseignements en tirez-vous, en particulier en vue des futures finales ? Quelles mesures auraient dû être prises et ne l'ont pas été ?
M. Martin Kallen . - Il est peut-être un peu tôt pour répondre. Nous attendons en effet le rapport indépendant. Nous prendrons un certain nombre de mesures, sur lesquelles nous communiquerons plus tard. À l'avenir, nous souhaitons travailler le plus possible avec des billets numériques. Certes, certains billets papier seront édités pour un petit nombre de personnes.
Nous avons également l'intention de travailler sur les périmètres de sécurité, ainsi que sur une meilleure communication entre les acteurs du match, afin de mettre en place un système permettant d'être informés en permanence de la situation dans le stade et autour du stade.
M. Laurent Lafon , président de la commission de la culture . - Je vous remercie, monsieur le directeur général, de vos réponses.
Audition de MM. Ronan Evain, directeur général de
l'association
Football Supporters Europe (FSE), Joe Blott, président
de Spirit of Shankly,
Ted Morris, président de Liverpool Disabled
Supporters Association,
Pierre Barthélemy, membre de l'association
FSE,
et Emilio Dumas, socio du Real Madrid
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Nous poursuivons cet après-midi nos auditions sur les incidents survenus au Stade de France le 28 mai dernier.
Je vous prie d'excuser l'absence de notre collègue Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, qui ne pouvait malheureusement pas être présent parmi nous.
Nos travaux ont d'ores et déjà mis en évidence de nombreux dysfonctionnements lors de cette journée du 28 mai. Contrairement à ce qui a pu être dit ici même par le ministre de l'intérieur, les supporters anglais n'ont pas été à l'origine de ces incidents. Disons les choses clairement et nettement : chacun reconnaît qu'ils ont fait preuve, au contraire, d'une grande maîtrise dans un contexte chaotique.
L'audition des représentants des supporters, retransmise en direct sur le site internet du Sénat et sur Public Sénat, constitue un moment important pour bien comprendre le déroulement des faits.
Nous recevons donc MM. Ronan Evain, directeur général de l'association Football Supporters Europe (FSE), Joe Blott, président de Spirit of Shankly , Ted Morris, président de Liverpool Disabled Supporters Association , de Pierre Barthélemy, membre de l'association FSE, et Emilio Dumas, socio du Real Madrid, en visioconférence.
MM. Blott et Morris s'exprimant en anglais, une traduction simultanée des échanges sera opérée.
M. Ronan Evain, directeur général de l'association Football Supporters Europe . - Nous vous remercions de nous permettre de porter devant vous la voix des personnes ayant souffert de l'organisation défaillante de la dernière finale de la Ligue des champions, à Saint-Denis, notamment celle des représentants des supporters de Liverpool et du Real Madrid.
À l'issue de leurs interventions, Pierre Barthélemy et moi-même, observateurs accrédités et membres de l'instance nationale du supportérisme en France, serons en mesure de vous donner quelques éléments de contexte français et quelques pistes de réflexion pour éviter qu'une telle situation ne se reproduise.
M. Ted Morris, président de Liverpool Disabled Supporters Association . - Je suis un utilisateur de fauteuil roulant et je dépends de l'assistante ma femme pour me déplacer. Je tiens à vous remercier de me permettre de partager avec vous les témoignages de nos supporters en situation de handicap.
Ma femme et moi nous rendons régulièrement à Paris depuis vingt-sept ans. Nous adorons la ville et avons toujours trouvé les Parisiens très accueillants. Depuis le 28 mai, mon avis a changé : je ne veux plus me rendre à Paris si l'on continue d'y accueillir les touristes de cette façon ! Il est très important de porter ici la voix des supporters en situation de handicap, surtout après avoir lu et entendu autant de mensonges de la part des personnes au pouvoir.
Ce jour-là, ma femme et moi nous sommes rendus à la station La Plaine Saint-Denis vers 15 heures. Nous avons été surpris par l'absence de policiers à l'extérieur de la gare. Je me déplace très souvent en Europe avec le club de Liverpool et je sais d'expérience que l'on trouve généralement des agents de police dès l'abord des gares. Nous nous sommes déplacés vers le stade et avons attendu dans un restaurant jusqu'à 18 heures. La situation dans la zone de contrôle préliminaire était déjà très chaotique : de jeunes stadiers, inexpérimentés, essayaient de contrôler les billets de nombreux supporters, alors que des habitants des environs tentaient de les déborder pour pénétrer dans le stade.
Très inquiets, ma femme et moi avons retrouvé Lee Lomax aux abords du stade. Cet observateur de la police de Merseyside est un officier exceptionnel, qui nous accompagne très régulièrement dans nos déplacements européens. Il redoutait que des problèmes très graves ne surviennent en voyant les nombreux supporters déjà victimes de pickpockets.
Nous nous sommes dirigés vers l'entrée réservée aux personnes en situation de handicap, à savoir la porte C. Des supporters en fauteuil roulant y faisaient la queue depuis une heure. Un supporter avait pu accéder au stade, mais le billet de son accompagnant n'avait pas été reconnu. Or aucune procédure n'était prévue pour gérer ce cas de figure et la file semblait bloquée. Un stadier a ensuite renversé un fauteuil avant de tomber lui-même sur la personne en situation de handicap...
Devant une telle situation, nous avons contacté notre responsable de liaison du club qui a pu faire accéder tous les utilisateurs de fauteuils roulant au stade. Malheureusement, d'autres supporters occupaient déjà les places réservées à nos accompagnants, lesquels ont dû rester debout pendant toute la durée du match.
Les toilettes pour handicapés n'avaient pas de lumière et un stadier m'a simplement suggéré d'utiliser la lampe de mon téléphone portable... Ce n'est pas vraiment pas l'accueil que nous attendions pour un tel événement !
J'ai ensuite commencé à recevoir des messages m'informant que des supporters en situation de handicap, dont des enfants, étaient victimes de gaz lacrymogènes ou écrasés contre les grilles, à l'extérieur. La situation était très critique et tous semblaient paniqués, terrifiés. Certains craignaient même pour leur vie. Heureusement, des supporters de Liverpool, également victimes des gaz, leur sont venus en aide et les ont dirigés vers des endroits plus sûrs. Selon moi, c'est grâce à l'action de ces supporters qu'une catastrophe majeure a pu être évitée. Aucune personne en responsabilité, aucun dépositaire de l'autorité n'est venu en aide aux supporters handicapés. Tout cela est extrêmement triste.
J'aimerais maintenant vous faire part de quelques témoignages.
« H » est un garçon de 14 ans souffrant d'une maladie congénitale rare, appelée syndrome de Williams. Heureux d'être au stade avec son père, il a été victime des gaz lacrymogènes et a ressenti des sensations de brûlure dans la gorge. Terrifié, ce petit garçon pensait que ce qui arrivait avait un rapport avec la guerre en Ukraine !
« D », qui est non voyant, écrit qu'il a eu peur pour sa vie. Bloqué contre la porte, les stadiers l'ont poussé et l'homme à côté de lui est tombé par terre, se serrant la poitrine et cherchant à respirer. Un autre jeune garçon a crié, demandant de l'aide pour son père, coincé dans le tourniquet. Après le match, sur le chemin de la gare, des membres de gangs les ont poursuivis et leur ont jeté des bouteilles. Tout cela avant d'être de nouveau aspergés de gaz lacrymogène ! Heureusement, encore une fois, des supporters de Liverpool leur sont venus en aide et les ont mis à l'abri.
« R » est une femme handicapée venue assister au match avec son père âgé. Elle a été attaquée de façon violente par un gang qui a essayé de lui voler ses affaires. Je ne veux pas vous donner tous les détails particulièrement effrayants, mais vous les trouverez dans le rapport que nous faisons des événements. Ce sont encore les supporters de Liverpool qui lui sont venus en aide.
« M » est une femme en fauteuil roulant, également piégée à l'extérieur de la porte Y. Ses cris ont été ignorés par les autorités. Elle a été secourue par les seuls supporters de Liverpool.
« C », également en fauteuil roulant, a été soulevée par les supporters de Liverpool par dessus les portiques, les stadiers ayant refusé de lui ouvrir. Une fois à l'extérieur, elle a été aspergée de gaz lacrymogène en se dirigeant vers la gare.
Une personne non voyante a été séparée de son accompagnant dont elle était complètement dépendante. Elle a été traumatisée par cet incident.
« B » est un supporter souffrant de problèmes cardiaques et d'anxiété. Il s'est retrouvé écrasé contre les grilles en tentant de venir en aide à deux supporters en fauteuils roulant. Il a été attaqué et aspergé de gaz poivré. Il est aujourd'hui traumatisé.
« F » est un garçon de 8 ans, qui assistait au match avec son frère de 13 ans et son père. Il était très excité d'être à Paris. « F » est autiste et souffre également de dyspraxie et de dyspraxie orale. Il a été écrasé à l'extérieur du stade et séparé de son père et de son frère. Ce fut une expérience terrifiante pour ce jeune garçon handicapé. De nouveau réunis après le match, ils ont été attaqués par des habitants des environs et aspergés de gaz lacrymogène. « F » était terrifié à l'idée qu'il risquait de mourir. On ne peut qu'imaginer la terreur de cet enfant.
« S » est une jeune fille de 13 ans, en fauteuil roulant, qui a assisté au match avec sa mère, son père et son frère de 15 ans. Après la finale, cette famille a été retenue dans le passage souterrain par la police, parce qu'un groupe de supporters de Liverpool, dont ma femme et moi faisions partie, était attaqué par des bandes locales. Les gaz lacrymogènes ont été lancés et cette jeune fille a cru qu'il s'agissait de bombes. Elle était terrifiée et choquée. Ce qui devait être un voyage fantastique en famille à Paris s'est transformé en une expérience horrifique.
« N » est un jeune garçon souffrant de sclérose en plaques. Il a subi trois attaques de gaz lacrymogènes et a fait une rechute depuis cet incident. Il est très malade.
Il ne s'agit-là que de quelques-uns des très nombreux témoignages, près de 9 000, que nous avons reçus de la part de supporters handicapés. Vous trouverez dans le rapport des détails encore bien plus éloquents sur ce que les hommes, les femmes et les enfants handicapés ont subi. Nous avons été traités comme des animaux ! C'est une honte pour les autorités françaises, qui étaient en charge de notre sécurité. Jamais ma femme et moi n'avions été traités avec autant de mépris.
Quand nous avons voulu quitter le stade, à la quatre-vingt-sixième minute du match, pour des raisons de sécurité, on ne nous a pas laissé sortir en nous expliquant que des habitants essayaient encore de pénétrer à l'intérieur. Après une discussion très houleuse, nous avons été autorisés à sortir, mais il n'y avait aucune force de police jusqu'à la gare. En sortant du passage souterrain, avec d'autres supporters de Liverpool, nous avons été attaqués par des habitants. C'était terrifiant, sans doute davantage encore pour les personnes en fauteuil roulant. Nous nous sommes précipités vers la gare pour sauver notre peau, en espérant que la police nous protégerait.
Cette expérience a été terrifiante pour ma femme et moi. Nous nous sommes sentis complètement abandonnés. Arrivés à la gare, nous avons encore été aspergés de gaz lacrymogène. Je me rappelle le visage d'une jeune fille portant le maillot de Liverpool, complètement traumatisée à cause des gaz et des attaques des gangs. C'est l'une des scènes de détresse les plus touchantes que j'ai vue de ma vie.
Ma femme et moi avons ensuite entendu des explosions. Nous pensions qu'il s'agissait de bombes. C'était terrifiant, surtout que nous avions perdu tout contact avec nos filles. Nous ne savions pas si elles étaient en sécurité ou non.
Nous ne pardonnerons jamais aux autorités françaises. Elles sont responsables de ces événements. La faute n'en revient aucunement aux supporters du Real Madrid ou de Liverpool. J'ai écrit à lord Sebastian Coe, au Comité international olympique (CIO) et à d'autres institutions pour faire part de mes préoccupations quant aux prochains événements qui se dérouleront au Stade de France. Il faut que les autorités acceptent leur responsabilité. À défaut, je ne pense pas que les prochains jeux Olympiques et Paralympiques puissent se tenir à Paris.
Il faut que des mesures soient prises pour protéger les personnes en fauteuil roulant. J'espère que des enseignements seront tirés de cette triste soirée où de nombreuses vies ont été mises en danger. Si rien ne change, je déconseille aux personnes en fauteuil roulant de se rendre au Stade de France.
Pour conclure, j'aimerais dire au ministre de l'intérieur qu'il a humilié les habitants de Paris et qu'il est la honte du gouvernement français. Mon épouse et moi connaissons et aimons Paris et la France, mais je demande à M. Darmanin de retirer ses accusations sans fondement, qui ont encore ajouté à notre douleur et à notre traumatisme. S'il avait la décence de le faire, j'espère qu'il aurait aussi celle de démissionner.
Voilà trente-trois ans, les autorités ont menti sur les événements d'Hillsborough qui ont conduit à la mort de 97 personnes. Les agissements et le discours de M. Darmanin nous ont rappelé cette époque sombre. Pour cette seule raison, il devrait avoir honte.
J'aimerais remercier le Sénat français et MM. Lafon et Buffet pour la manière dont ils se sont comportés et pour avoir organisé ces auditions. Il faut avoir le courage de dire la vérité, même aux plus puissants. Je vous remercie d'avoir écouté la voix des supporters handicapés, des supporters en fauteuil roulant.
Le club de Liverpool a connu les mensonges de Hillsborough. Faire jaillir la vérité est extrêmement important pour nous. C'est même vital !
J'aimerais aussi remercier les journalistes français qui se sont rendus à Liverpool pour faire éclater la vérité. C'est extrêmement réconfortant pour nous. Mais tant que la vérité n'est pas révélée au grand jour, nous ne serons jamais satisfaits. « Vous ne marcherez jamais seul », comme le veut la devise de notre club !
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Avant de donner la parole à M. Blott, je voudrais vous dire, en notre nom à tous, que vous êtes les bienvenus au Sénat et à Paris.
M. Joe Blott, président de Spirit of Shankly . - Je vous remercie de votre accueil et de vos mots à l'endroit des supporters anglais. Nous sommes venus ici pour que justice soit faite. Participer à cette audition nous permet d'expliquer ce qu'ont enduré les supporters de Liverpool au Stade de France. C'est la première fois qu'une institution daigne nous écouter ; nous vous en remercions.
L'association Spirit of Shankly, que je préside depuis trois ans, est une organisation démocratique, fondée en 2008, qui vise simplement à porter la voix de ses membres, tous supporters de Liverpool. Nous comptons plus de 250 000 followers sur les réseaux sociaux et organisons plusieurs réunions chaque semaine avec le club. Nous sommes tous des bénévoles.
Notre Committee Members est composé de quinze personnes, parmi lesquelles des juristes, un membre du Parlement, des musiciens, des comptables, des syndicalistes et bien d'autres personnes encore. Le football réunit depuis toujours des personnes d'horizons divers.
Nous ne sommes pas ici pour crier vengeance : nous voulons seulement faire éclater la vérité afin de permettre aux autorités françaises d'améliorer les choses pour qu'une telle situation ne se reproduise plus jamais.
Les Britanniques ne sont pas les seuls concernés : Liverpool est un club mondial et les événements du Stade de France ont fait les choux gras de la presse aux États-Unis, en Australie et dans de nombreux autres pays.
Le jour de la finale, nous avons vite compris que la police s'était fait une certaine idée de qui nous étions. Certains quartiers n'étaient pas accessibles aux fans de Liverpool, qui avaient pourtant dépensé des milliers d'euros pour voir la magnifique ville de Paris, du simple fait qu'ils portaient un maillot de football.
De même,les policiers qui entouraient la « fan zone » installée cours de Vincennes étaient en nombre et très équipés. La police de Liverpool avait pourtant souligné, dans son rapport d'avant-match, que les supporters de Liverpool se tenaient extrêmement bien : au cours des dix dernières années, nous n'avons jamais été impliqués dans le moindre incident ou désordre en Europe. Le rapport indiquait aussi que les supporters suivraient les consignes des forces de l'ordre. Si la police est stricte, mais juste, il n'y a jamais de problème.
Les fans de Liverpool ont voyagé en Espagne, au Portugal et en Italie au cours de la compétition et pas une seule personne n'a été arrêtée, mise en garde à vue ou renvoyée d'un stade. Nos 25 000 supporters ont toujours eu un comportement exemplaire, comme le rappelle également le rapport de M. Cadot.
Pour quelles raisons les recommandations de la police de Liverpool ont-elles été ignorées par les autorités françaises ? Tout simplement parce que ces dernières en sont restées aux années 1980 et voient toujours les supporters de Liverpool comme des hooligans . Trente-trois ans après les événements de Hillsborough, les mêmes préjugés et idées préconçues ont poussé les forces de police françaises à ignorer les recommandations de nos forces de police.
Dans son rapport, le ministre de l'intérieur écrit que les fans de Liverpool constituaient un risque pour la société française. Sur quelles bases peut-il faire une telle déclaration ? Le ministre et la police se cachent derrière des préjugés blessants pour masquer leur propre échec. Le rapport de M. Cadot montre un problème de compréhension latent à l'encontre des fans de football depuis Hillsborough.
Le 15 avril 1989, 97 fans de Liverpool ont trouvé la mort à cause d'un échec institutionnel imputable aux seules forces de l'ordre britanniques. Cela a été prouvé d'un point de vue juridique et c'est la stricte vérité. Entendre les autorités françaises répéter le même genre de mensonge, trente-trois ans plus tard, prétendant que les fans sont arrivés en retard, qu'ils avaient de faux billets ou qu'ils étaient en état d'ébriété a causé énormément de chagrin et de peine aux fans du monde entier.
Selon le rapport de M. Cadot, 30 000 à 40 000 fans de Liverpool sont venus en France sans billets. En quoi est-ce un problème ? Pourquoi faudrait-il limiter le nombre de supporters venant à Paris pour profiter de ce festival footballistique ? Les « fan zones » étaient justement là pour gérer ces foules. D'ailleurs, les chiffres de la police de Liverpool montrent que l'immense majorité des fans sans ticket s'y sont bien rendus.
Le préfet de police prétend que ces supporters sans billets étaient aux abords du Stade de France, ce qui est faux. Ils ne se sont pas non plus dirigés vers le centre de Paris durant le match. Les chiffres ne tiennent pas debout : s'il y avait 40 000 personnes sans billets en sus des 20 000 supporters de Liverpool avec des billets et des 15 000 supporters ayant acheté un ticket sur le site de l'UEFA, on arrive à 75 000 fans de Liverpool au stade, soit plus de 100 000 personnes si l'on compte aussi les supporters du Real Madrid. C'est totalement absurde !
De même, la manière dont M. Darmanin a décrit la production de faux billets à une échelle industrielle est ridicule. Le rapport de M. Cadot précise que 1 600 faux billets ont été détectés. Dès qu'un grand événement est organisé, on fait face à ce type de phénomène. C'est la raison pour laquelle on a recours aux QR codes et aux zones de triage aux abords des stades. Quand on se propose d'héberger un tel événement, il faut être à la hauteur et vérifier les tickets avant que les spectateurs n'entrent dans le périmètre du stade pour les protéger de toute forme de violence.
M. Joe Blott . - Passons à la sécurité. Bien sûr, nous le savons, il y a un risque terroriste en France. Nous connaissons les drames que votre pays a vécus ces dernières années, y compris au Stade de France en novembre 2015 à l'occasion d'un match de football opposant la France à l'Allemagne. Le ministre de l'intérieur avait communiqué sur ce point en précisant que le stade était sécurisé. Dans ce cas, comment le parvis a-t-il pu être envahi de la sorte par des bandes de pickpockets ?
Le préfet de police de Paris a regretté - c'est bien le moins ! - l'utilisation de gaz lacrymogènes contre les personnes fragiles, alors que leur utilisation n'était nécessaire contre absolument personne.
Le rapport de M. Cadot évoque la présence de 1 300 personnes dans l'enceinte du stade pour l'accueil et 6 800 personnels de police, gendarmerie et pompiers sur les différents sites, stade et fan zones. Et pourtant, je le répète, l'envahissement du périmètre du stade a été très facile. C'est vraiment un échec total.
Avant la fin du match, environ 200 policiers anti-émeutes se sont alignés face aux Anglais, contre aucun face aux supporters espagnols. Cela montre encore une fois que les autorités françaises ont été victimes de mauvais renseignements et de préjugés, car l'envahissement des terrains n'a jamais fait partie de la culture des supporters de Liverpool.
Pourquoi n'y avait-il pas de signalétique à la sortie du RER D ? Pourquoi les informations de la SNCF et de la RATP sur la fréquentation n'ont-elles pas été mieux prises en compte ? Pourquoi les stadiers ne sont-ils pas mieux formés ? Comment les autorités françaises ont-elles pu dispenser des informations aussi erronées ?
Certains supporters ont payé leur place jusqu'à 670 euros et ont craint pour leur vie. Dans le même temps, le ministre de l'intérieur fait porter la responsabilité sur les supporters de Liverpool, alors que certains ont eu un comportement héroïque pour sauver des vies ?
Trop de préjugés subsistent sur les supporters anglais. Les hooligans n'existent plus, mais la police française n'a pas su adapter sa tactique.
Je le répète, nous avons été exemplaires.
Nous suivons attentivement vos travaux et vos premières conclusions sont encourageantes et prometteuses. Cependant, nous attendons des excuses officielles de la France pour ce qui s'est passé et les accusations infondées qui ont été portées contre les citoyens britanniques. Il faut absolument qu'une enquête transparente et approfondie fasse la lumière sur ces événements si vous voulez pouvoir organiser des événements sportifs mondiaux à l'avenir.
M. Emilio Dumas, socio du Real Madrid . - Je remercie le Sénat de me donner l'occasion de faire connaître l'expérience d'un socio du Real Madrid depuis presque 30 ans. Mon père, qui est Français, a, lui, été socio dès 1929.
Je suis venu de Madrid pour le match en voiture avec trois amis. J'ai acheté mon billet papier 60 euros et ma place se situait au nord, entrée N.
J'avais déjà assisté à neuf finales de Ligue des Champions, dont deux en France. Je n'avais jamais connu d'incidents.
Le 28 mai dernier, après un voyage sans problème, nous sommes arrivés en métro à la fan zone située à Saint-Denis. On sentait déjà une certaine tension, avec des groupes de jeunes locaux qui semblaient aux aguets. On nous a signalé des attaques et harcèlements de jeunes femmes.
En marchant vers le stade, j'ai remarqué qu'il n'y avait aucune signalétique, première faille dans l'organisation. Par ailleurs, nous étions mélangés avec des supporters anglais, ce qui en est une autre.
Dès les premiers tourniquets, peu nombreux, des bouchons se sont créés, et les attaques de pickpockets se sont alors intensifiées. Je connais des personnes qui se sont fait voler leur portefeuille avec leur billet et qui ont dû rentrer à leur hôtel pour suivre le match.
Ensuite, la passerelle d'accès est peu pratique pour les personnes à mobilité réduite et dangereuse, car étroite. J'ai craint que certaines personnes ne tombent dans le canal.
Je précise que je n'ai été le témoin d'aucun incident avec les supporters anglais. Aussi, je n'arrive toujours pas à comprendre les déclarations du ministre Darmanin.
À la fin du match, nous étions plus inquiets qu'heureux, car la sortie du stade m'apparaissait périlleuse, la passerelle permettant d'évacuer le parvis pouvant constituer une souricière. J'ai vraiment eu peur d'une tragédie.
Les policiers n'étaient pas là ou n'aidaient personne. Je n'ai jamais vu une attitude de la police aussi passive devant les harcèlements de groupes de voyous qui continuaient.
Les bus et les voitures espagnols étaient garés à trois kilomètres et de nombreux véhicules ont été dégradés. Le lendemain, sur les aires d'autoroute où nous nous sommes arrêtés, j'ai entendu des histoires qui m'ont fait honte pour la France.
Les autorités françaises se sont réfugiées derrière le fait qu'elles n'avaient eu que trois mois pour organiser le match. Cette explication ne tient pas : en 2018, Madrid a parfaitement organisé en deux semaines, sans aucun incident, la finale de la Copa Libertadores entre Boca Juniors et River Plate, qui ont des supporters très turbulents.
Je suis triste d'avoir à le dire, mais je ne recommanderai à personne de venir en France assister à la Coupe du monde de Rugby ou aux jeux Olympiques.
M. Ronan Evain . - Dans cette histoire, les supporters anglais ont été victimes de trois choses.
Tout d'abord, de représentations anciennes et datées : les hooligans n'existent plus et le monde a changé.
Ensuite, du plan de mobilité archaïque autour du Stade de France : c'est un problème ancien déjà maintes fois identifié. C'est d'ailleurs pourquoi les supporters sont arrivés tôt au stade. Le problème a été ce jour-là exacerbé, mais il est indispensable de revoir la géographie des lieux.
Enfin, je dirai qu'ils ont été traités comme nous sommes traités systématiquement en France, c'est-à-dire comme une menace. Personne ne s'est concentré sur l'hospitalité, l'accueil. On n'a vu que des policiers anti-émeute, dont le métier n'est pas d'accompagner ou d'aider les personnes.
Il faut sortir de cette approche française dangereuse, datée. À cet égard, la France peut et doit apprendre de ses voisins.
Les tickets papiers ont été incriminés, mais ils étaient encore la norme au Stade de France pour la finale de la Coupe de France de football : pourquoi sont-ils subitement devenus une menace ?
Ensuite, comme l'a dit l'orateur précédent, un délai de trois mois était tout à fait suffisant.
Enfin, je tiens à ajouter qu'aucun point d'eau potable n'était accessible autour du stade, ce qui est scandaleux en ces périodes de températures élevées.
L'approche sécuritaire de la préfecture de police de Paris se retrouve à la Fédération française de football, où il n'y a aucun dialogue avec les organisations de supporters. Même les îles Féroé ou San Marin investissent plus en la matière. C'est véritablement un débat à avoir.
M. Pierre Barthélemy, membre de Football Supporters Europe . - Je ne veux pas verser dans l'autoflagellation excessive. Nous sommes capables de nous améliorer si des travaux rapides sont menés. À cet égard, le rapport Cadot pose de bonnes premières bases.
Le Sénat a un rôle important à jouer. Le rapport Murat-Martin de 2007, « Faut-il avoir peur des supporters ? », était très visionnaire, et la Haute Assemblée a su imposer le dialogue avec les supporters dans la loi de 2016 visant à lutter contre le hooliganisme.
Plusieurs points restent à améliorer.
Il y a d'abord la gestion des flux depuis les lieux de dépôt des transports en commun. Il faut encore mettre en place une signalétique : je ne comprends pas pourquoi la préfecture de police le refuse. Nous devons enfin pouvoir anticiper les impondérables comme les incidents techniques ou les mouvements de grève.
La France interdit les fan walks ; or nos homologues européens savent pertinemment que c'est un atout pour la sécurité, car cela permet de savoir où sont les supporters et de mieux les encadrer. De même, nous interdisons les déplacements en train de supporters de Ligue 1 ou de Ligue 2, ce qui est une aberration, puisque l'on préfère les laisser dans la nature, livrés à eux-mêmes. Au-delà des incidents qui nous réunissent aujourd'hui, la France a de gros efforts à faire pour mieux appréhender la gestion des supporters.
Il faut également améliorer la réactivité et la prise de décision dans l'instant. Dès 18 heures, ce jour-là, nous avions remarqué que des problèmes allaient se poser, mais nous n'avons pu trouver aucun interlocuteur pour faire part de nos craintes. Il serait pertinent d'avoir, pour chaque stade, un policier-référent connaissant parfaitement l'enceinte et susceptible de répondre immédiatement à tout problème qui se poserait.
M. Pierre Barthélemy . - Sur le quatrième point, je serai très bref, parce qu'il a déjà été évoqué : il faut apprendre à comprendre le profil des supporters, qui varie d'un match à l'autre, et d'un club à l'autre. En France, comme on considère qu'il n'y a que deux problématiques à gérer lors d'un match, le hooliganisme et le terrorisme, on ne sait pas adapter le dispositif à la situation particulière d'une rencontre. Il faut absolument nous améliorer sur ce point. Pour cela, le livre vert du supportérisme, qui avait été commandé par Rama Yade quand elle était ministre des sports, avait posé de très bonnes bases sociologiques.
Cinquième point : il faut anticiper les risques externes. Je ne reviendrai pas sur les témoignages effrayants des supporters anglais ou madrilènes sur les actes de délinquance qu'ils ont subis pendant cette rencontre, mais on a l'impression que ce problème n'a jamais été envisagé. Ce qui nous a le plus frappés, c'est qu'à la sortie du stade, alors qu'il y avait déjà eu beaucoup d'actes de délinquance avant le match, il n'y avait plus de forces de police, à part quelques agents en bas des tribunes pour empêcher un envahissement du terrain. À l'extérieur du stade, une fois le coup de sifflet final donné, les lampadaires étaient éteints, et il n'y avait plus de policiers.
M. François-Noël Buffet , président . - Qu'est-ce à dire ?
M. Pierre Barthélemy . - Lorsqu'on prenait la passerelle vers la ligne 13 ou le RER D, il n'y avait plus que quelques petites lumières à droite et à gauche, et l'on était dans l'obscurité presque complète.
M. François-Noël Buffet , président . - Sur la voie publique ?
M. Pierre Barthélemy . - Absolument. C'est aussi ce qui a favorisé les incidents. Il serait bon de conserver des effectifs de police jusqu'à la fin des matches.
Le sixième point avait déjà été signalé lors des incidents qui ont gravement et tristement émaillé la reprise du football après la crise de la covid, en début de saison : il y a un déficit d'encadrement, de recrutement, de préparation, de rémunération et de valorisation des stadiers. C'est pourtant le personnel fondamental de sécurisation des rencontres sportives, mais aussi de fluidification de l'accès au stade. Beaucoup de supporters anglais disent que des stadiers leur ont volé leurs billets pour les revendre à d'autres personnes, ce qui nous paraît absolument incroyable. Beaucoup de stadiers, âgés de dix-huit ou dix-neuf ans, exerçaient ces fonctions pour la première fois de leur vie. Non seulement ils ne savaient pas gérer un match normal, mais en plus, ils étaient perdus dans cette situation, avec des problèmes informatiques, des retards, des files d'attente... Il faut donc d'urgence se poser la question de la formation et de la rémunération des stadiers. Nous ne pouvons pas leur demander, alors qu'ils sont payés au lance-pierres, d'aller prendre des risques, notamment pour courir après des gens qui escaladent les barrières ou qui essaient de passer en force.
Septième point : l'instance nationale du supportérisme, créée sur l'initiative du Sénat et placée auprès de la ministre des sports, a fait un travail exceptionnel depuis quelques années, à titre purement bénévole. Ses travaux ont pris fin pendant le premier confinement. Résultat : il y a eu des incidents graves en ligue 1. Il faut que cette instance soit réactivée. Elle commence à l'être peu à peu, car on se rend compte que la chute du nombre d'incidents entre 2016 et le premier confinement était directement liée à ses travaux. Elle réunit des représentants des ministères, de la police, de la ligue et des représentants de supporters. Il y a urgence à lui donner des moyens humains et économiques pour qu'elle puisse mener des réunions de travail sérieuses. Le ministère des sports devrait affecter une ou deux personnes, un ou deux jours par semaine, aux travaux de cette instance. L'argent ainsi dépensé évitera ensuite d'énormes coûts de police, pour un meilleur engouement et une meilleure présence des supporters dans les stades.
Huitième point : le Sénat est aussi à l'initiative de la création d'un référent supporters. Il s'agit d'un salarié du club qui est en lien avec les supporters. Cet outil a fait descendre les tensions entre des groupes de supporters et leur club là où il y en avait - celles-ci résultaient d'un manque de communication. Il est fondamental, et devrait être mieux mis à profit par la préfecture de police ou par la Fédération française de football, qui n'en a pas pour ses propres supporters. Lors de cette rencontre, par exemple, on aurait pu avoir un lien direct entre les référents supporters des deux clubs et les autorités pour identifier immédiatement les problèmes et remonter de l'information immédiatement. Nous aurions ainsi gagné deux heures.
Les trois derniers points sont plus généraux.
En France, il existe ce qu'on appelle la division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH). Il s'agit des policiers, au ministère de l'intérieur, qui sont en charge de la doctrine d'organisation des matchs de football. Ce terme lui-même est problématique, qui montre qu'on ne réfléchit à l'organisation des manifestations sportives, du point de vue policier, que pour lutter contre le hooliganisme. Nous n'avons pas une approche ou une doctrine constructive de fluidification et de dialogue, alors que c'est la norme dans la plupart des pays européens. Il y a donc urgence à mener une réflexion sur cette division, qui d'ailleurs n'était pas en charge de l'organisation de la sécurité lors de ce match.
En France, à chaque incident, nous avons recours aux mesures collectives - interdictions de déplacement, fermetures de tribunes - et jamais aux mesures individuelles. Il y a urgence à basculer vers des mesures individuelles : il faut exclure de nos stades les personnes qui y posent des problèmes. Ce ne sont que quelques personnes, qui créent d'énormes problèmes et salissent l'image du football français. Ce sont elles qu'il faut viser. Il faut arrêter de mettre les problèmes sous le tapis en prenant des mesures globales, collectives, qui punissent 10 000 ou 15 000 spectateurs pour les actes de cinq, dix ou quinze supporters. Ces mesures ne servent d'ailleurs à rien d'autre qu'à punir des innocents, puisque ces quelques personnes reviennent au match suivant... Mais elles délégitiment l'action des instances sportives et de l'État.
Dernier point : une loi sur le sport devait être votée à la fin du précédent quinquennat. De nombreuses promesses avaient été faites à beaucoup d'acteurs, et notamment aux supporters. Beaucoup d'avancées devaient se concrétiser. Cette loi a été escamotée. Il y a urgence à ce que le Parlement se ressaisisse de l'ensemble de ces sujets. Nous serions très heureux de l'aider dans la rédaction d'améliorations à la réglementation nationale en la matière.
M. Jean-Jacques Lozach . - Merci pour ces témoignages forts, mais accablants ! Monsieur Evain, vous avez été pendant l'Euro 2016 le coordinateur du projet « Ambassades des supporters ». Vous avez ainsi contribué à la réussite de cet événement majeur en France. Quelles leçons tirez-vous de cette expérience ? Selon vous, la soirée du 28 mai dernier constitue-t-elle un accident de parcours ou signale-t-elle une perte de savoir-faire dans notre pays, voire le recours à une mauvaise doctrine de maintien de l'ordre ? La FSE va-t-elle engager des poursuites ? Quelles sont vos principales préconisations en matière de réglementation des conditions de voyage et d'accueil des supporters, ou de plafonnement des prix du billet ? Comme responsable du FSE, avez-vous été associé à un moment ou à un autre au groupe de liaison qui a piloté la préparation de cette soirée ? Aviez-vous demandé à l'être ?
M. Pierre-Antoine Levi . - Certes, ce que nous avons entendu est parfaitement accablant et nous ne pouvons, messieurs, que vous présenter des excuses, et vous donner des explications sur ces événements tragiques qui n'ont pu qu'altérer votre volonté de revenir en France... Ce qui est important pour nous, pourtant, c'est de vous voir revenir !
Nous savons organiser des événements, en France, puisque nous avons organisé de manière brillante la Coupe du monde de football en 1998 et l'Euro 2016. M. Barthélemy a raison d'appeler à des sanctions individuelles. Quand Liverpool a été confrontée au hooliganisme, notamment lors du triste épisode du Heysel en 1985, lors de la finale de la Coupe des champions, l'exclusion de cinq ans des coupes européennes a permis de travailler avec les supporters et d'éradiquer le hooliganisme. Il est d'ailleurs incroyable d'entendre le ministre de l'intérieur ou des responsables politiques et policiers accuser de hooliganisme les supporters de Liverpool, alors que ce sont eux qui, pour beaucoup, ont évité une panique plus forte.
Nous devons effectivement retravailler à une loi sur le sport. Nous avions proposé des avancées, qui ont malheureusement été rejetées.
Nous avons déjà recueilli de nombreux témoignages de différentes personnalités politiques et judiciaires. Ceux-ci vous paraissent-ils cohérents avec ce que vous avez vécu ? Pouvez-vous nous confirmer que vous avez vu des stadiers procéder à la revente de billets qu'ils avaient confisqués ? Le service de sécurité mis en place par la police a-t-il été totalement dépassé par l'événement ?
Je pense que c'était plutôt une erreur de parcours. Nous organisons les jeux Olympiques en 2024, et la Coupe du monde de rugby l'an prochain. Devons-nous nous inquiéter ? Pouvez-vous être, vous aussi, force de propositions, pour éviter que ce genre de dysfonctionnement se reproduise à l'avenir ?
M. François-Noël Buffet , président . - Je donne la parole à M. Kanner qui a été ministre des sports et a beaucoup insisté pour que nous organisions cette audition - qui s'imposait, du reste...
M. Patrick Kanner . - ... et que je vous remercie d'avoir organisée !
Oui, vos témoignages sont accablants, et décrivent une situation apocalyptique. Pour l'ancien ministre des sports que je suis, cela semble totalement extraordinaire - et je remercie d'ailleurs MM. Barthélemy et Evain d'avoir rappelé nos travaux sur la loi sur le supporteurisme, menés avec Thierry Braillard, et avec le soutien de MM. Savin et Lozach, et de bien d'autres sénateurs. Nous avions cherché à améliorer le texte proposé par l'Assemblée nationale.
Nos amis anglais demandent de mettre en lumière la responsabilité du ministère de l'intérieur, ce qui est bien dans la culture anglo-saxonne - mais n'est pas dans la nôtre. Cette demande mérite d'être prise en considération. Nous avions évoqué l'idée de réinterroger le ministre de l'intérieur, voire la ministre des sports, au vu des témoignages que nous avons recueillis. Le premier, entendu deux ou trois jours après ces événements dramatiques, avait reconnu des incidents, mais avec une superbe assumée avait déclaré qu'il n'y avait rien à en dire. Or il y a manifestement des choses à dire. Allons-nous le réinterroger au vu des témoignages recueillis depuis son audition ? Faut-il envisager un travail législatif pour améliorer la situation actuelle, notamment dans la perspective des évènements prévus en 2023 et 2024 ?
Je n'oublie pas nous avons organisé l'Euro 2016 et qu'il n'y a eu aucun incident, si l'on met à part ceux qui ont entouré le match Russie-Angleterre sur le Vieux-Port de Marseille, mais n'étaient pas complètement liés à l'organisation de la rencontre qui avait lieu le soir même au Vélodrome. Le Sénat, qui a pris l'initiative de ces auditions, grâce aux présidents Buffet et Lafon, est sans doute le plus légitime pour prendre en considération les propositions que vous avez formulées.
M. Bernard Fialaire . - Je m'associe aux excuses présentées aujourd'hui par l'ensemble des sénateurs. Lorsque les personnes handicapées sont arrivées dans le stade, leurs places étaient déjà occupées. Avaient-elles leur billet ? Les personnes qui occupaient leurs places avaient-elles le leur ?
M. Jacques Grosperrin . - Ces témoignages sont en effet effroyables, et je m'associe également aux excuses que l'ensemble des sénateurs vous présentent au nom de la France. Existe-t-il des transports organisés depuis Liverpool avec contrôle des billets ? La personne évoquée par M. Morris et qui a été intoxiquée par des gaz lacrymogènes a-t-elle eu le sentiment d'être directement visée ? Ou a-t-elle été victime d'un dommage collatéral ? Vous avez cité le nom du ministre de l'intérieur en disant que ses propos lui faisaient honte. Pourquoi, à votre avis, a-t-il menti ? Et pourquoi ne s'excuse-t-il pas ? Nous avons auditionné le préfet de police de Paris, qui nous a dit qu'il agirait pour vous permettre de porter plainte contre les autorités. Cela a-t-il été fait ?
M. Michel Savin . - Nous avons tous le même objectif : la recherche de la vérité sur ce qui s'est passé au Stade de France le jour de cette finale.
À entendre les intervenants anglais ou espagnols, les véritables fauteurs de trouble du désastre qui s'est produit au Stade de France sont en très grande partie des voyous de bandes locales. À écouter le ministre de l'intérieur, les comportements et les actes de délinquance qui se sont déroulés autour du Stade de France étaient dû à la présence de 30 000 à 40 000 supporters de Liverpool qui n'avaient pas de billet ou qui avaient de faux billets. Sur une image de TF1, en direct, à 20h58, on ne voit pas trace de ces fameux 30 000 à 40 000 spectateurs. Qu'en pensent les supporters de Liverpool et de Madrid ? Ont-ils vu sur place, vers 21 heures, 30 000 à 40 000 supporters sans billets ou avec de faux billets ?
Les enregistrements de vidéosurveillance ont disparu. Des plaintes ont-elles été déposées rapidement à l'issue de ce match ? Cela aurait permis aux autorités françaises de mettre de côté ces images.
M. François-Noël Buffet , président . - Les actes de violence que vous évoquez ont eu lieu avant le match, mais aussi après. Qu'en pensez-vous ?
M. Ronan Evain . - Sur la comparaison avec l'Euro 2016, il y a deux éléments à prendre en compte. Il y a eu, en 2016, une vraie mobilisation de l'ensemble des services de l'État, du ministère des sports notamment, ainsi que des villes-hôtes. Les conditions d'accueil et d'hospitalité ont été beaucoup mieux prises en compte qu'aujourd'hui : clairement, nous avons perdu en expertise depuis 2016, surtout depuis la crise de la covid. L'Euro 2016 n'a pas pour autant été parfait. Mais nous avons commis l'erreur de faire l'impasse sur le retour d'expérience, mis à part quelques réunions de débriefing avec la délégation interministérielle aux grands évènements sportifs. Je n'ai pas le souvenir qu'un travail réel ait été effectué.
Au moins deux éléments auraient été pertinents pour la finale de la Ligue des champions : le plan de mobilité, pour tout ce qui concerne la circulation et la signalétique autour du Stade de France, et la question des stadiers. En 2016, le budget consacré à la sécurisation des stades avait nécessité de faire appel à une myriade de sociétés de sécurité : les acteurs principaux du domaine en France n'avaient pas été intéressés par des marchés trop bas pour eux, alors même que nous étions en période de risque terroriste. J'espère que le travail du Sénat permettra de relever ces erreurs et de ne pas les reproduire.
Notre rôle, en tant qu'organisation, n'est pas tant d'engager des poursuites que de conseiller nos membres, à Liverpool et à Madrid, sur les meilleures options qui s'offrent à eux. Un certain nombre d'entre eux ont porté plainte pour des agressions, vols de téléphones et autres. D'autres s'apprêtent à faire des signalements à l'inspection générale de la police nationale (IGPN). Mais ce n'est pas facile, car le formulaire qui a été mis en ligne sur le site de l'ambassade de France du Royaume-Uni et sur celui de l'ambassade de France en Espagne ne correspond pas nécessairement aux faits qu'ont subis les supporters anglais et espagnols. De plus, les policiers qui se sont déplacés à Liverpool sont largement restés introuvables. Nous, organisation de supporters, savons par nos contacts dans la police britannique qu'ils étaient bien présents à Liverpool mais, à aucun moment, ils n'ont eu la possibilité de recueillir des plaintes ou conseiller les supporters. On en vient donc à se demander quelle était la finalité du déploiement de ces policiers français à Liverpool...
Le dépôt de plainte après match est un problème qu'on rencontre toujours lors des matches européens. Si vous vous êtes fait agresser, si vous avez été victime de violences policières, votre premier réflexe sera de rentrer chez vous. Ce n'est qu'une fois rentré, après quelques jours, que vous envisagez de porter plainte. La proposition du ministère de l'intérieur était intéressante, car elle pouvait faciliter le dépôt de plainte. Malheureusement, elle n'a pas été suivie d'effet.
M. François-Noël Buffet , président . - Combien de personnes ont déjà déposé plainte ?
M. Ronan Evain . - Le formulaire qui a été mis en ligne constituait un pré-dépôt de plainte auprès du procureur de Bobigny. À notre connaissance, aucune plainte n'a été recueillie par l'officier de police judiciaire présent à Liverpool.
Nous travaillons à formuler des recommandations : nous sommes accrédités pour observer les finales à cet effet. Nous mettrons à votre disposition une première version dans les prochains jours.
Pour préparer un match de finale, nous faisons généralement une visite préparatoire en présence de la police, ou du moins des services de l'État. Nous ne l'avons pas fait pour ce match, ce qui a été imputé au timing serré. Or, contrairement à ce qui prévalait encore il y a deux ou trois ans, nous ne disposons plus de canaux de communication avec la préfecture de police ou avec le ministère de l'intérieur. Nous n'avons donc pu que constater une accumulation d'erreurs, sans pouvoir influer sur le déroulement des évènements, qui a suivi un scénario largement imprévisible, avec un effet dominos.
Oui, nous pouvons être inquiets pour les compétitions à venir, notamment du point de vue de la mobilité, du manque d'une culture de l'hospitalité autour des grands événements sportifs et de la pénurie de stadiers. Cela dit, nous savons que les supporters de football sont accueillis différemment : ce n'est pas tant leur comportement qui pose problème que la façon dont ils sont perçus par les forces de l'ordre. Si l'on avait mis des supporters de rugby ou d'athlétisme dans la même position que les supporters de Liverpool au moment de ce goulet d'étranglement, dans cette situation d'attente, sous le soleil, sans accès aux toilettes ni à de l'eau potable, environnés par la foule, peut-être que la réaction aurait été bien plus problématique... Mais il est difficilement envisageable aujourd'hui qu'on ait un tel déploiement de forces pour un match de rugby ou pour les jeux Olympiques !
Parmi les propositions faites actuellement pour éviter qu'une telle situation se reproduise, deux reposent sur une technologie nouvelle en plein essor, l'intelligence artificielle, et notamment la reconnaissance faciale. Nous ne demandons pas un énième investissement dans les infrastructures de vidéosurveillance ou autre, puisque nous avons déjà l'un des meilleurs stades d'Europe de ce point de vue. La question est l'investissement humain, c'est-à-dire le dialogue et la prévention d'un côté, et du personnel de l'autre, qui doit être formé et rémunéré correctement.
Pourquoi le ministre de l'intérieur a-t-il menti ? Il s'agit plutôt d'une communication hâtive : les spectateurs étaient encore coincés en dehors du stade quand le ministre a jugé bon de communiquer pour accuser les supporters de Liverpool... C'est l'erreur originelle de communication, qui a amené le Gouvernement dans un cercle vicieux, dont il n'est toujours pas sorti.
M. Pierre Barthélemy . - Ronan et moi-même pouvons attester qu'il n'y avait pas 30 000 à 40 000 personnes autour du stade sans billets après que les supporters sont rentrés. À partir de 20h45 et jusqu'à 22 heures, les seuls personnes qui restaient autour du stade étaient soit des supporters de Liverpool bloqués au tourniquet et attendant, de manière tout-à-fait respectueuse, le long des grilles, en file d'attente, soit des jeunes qui couraient autour du stade pour essayer de monter sur les grilles. Le parvis était très clairsemé.
M. Ted Morris . - Vous évoquez les places qui ont été prises par d'autres supporters. C'était tout simplement une question de manque d'organisation dans la section où nous devions nous placer. Les supporters entraient dans le stade, et il n'y avait personne pour les diriger vers leur place. Ils ont fini par prendre les places disponibles - parmi lesquelles des places réservées à des accompagnants de personnes handicapées.
Le garçon qui a été touché par du gaz lacrymogène est trop jeune pour comprendre ce qui lui est arrivé. Quand la police l'a attaqué et aspergé de gaz lacrymogène, il a tout de suite pensé au conflit en Ukraine, et il a dû être complètement terrifié.
Pourquoi le ministre a-t-il menti ? C'est la question primordiale et j'espère que ces auditions vont permettre d'y apporter la réponse. Pourquoi les images de vidéosurveillance ont-elles été supprimées ? À mon avis, parce qu'elles ne soutiennent pas le discours du ministre de l'intérieur. Le fait que ces images ont été supprimées prouve qu'il ne voulait pas que son récit soit démenti.
Concernant les 30 000 ou 40 000 supporters qui se seraient trouvés à l'extérieur du stade, avec des faux billets ou sans billets, nous avons dès le départ essayé de démentir cette affirmation. Nous y sommes parvenus, grâce entre autres aux travaux menés par cette commission. Merci beaucoup.
M. Joe Blott . - Merci de nous avoir écoutés et de poser des questions extrêmement pertinentes.
Vous nous demandez si nous étions conscients des vols de billets opérés par les stadiers. Oui, on nous a parlé de cela.
Environ 9 000 plaintes ont été déposées et transmises au club de Liverpool. Une fois toutes ces plaintes recueillies et compilées, nous publierons un rapport.
On a entendu dire que la police a entretenu un dialogue avec le club de Liverpool, mais ce n'est pas le cas. Les forces de police françaises sont venues à Liverpool, mais n'ont rencontré personne du club des supporters.
Vous évoquez les formulaires. En fait, beaucoup de supporters de Liverpool pensent que, s'ils remplissent le formulaire, ils vont être convoqués à un moment donné. En 1986, beaucoup de supporters ont témoigné et leur témoignage a été complètement sorti de son contexte et parfois déformé. Il y a donc beaucoup de prudence.
Quant aux faits de violences avant et après le match, je suis d'accord avec notre collègue du Real Madrid pour affirmer que ce ne sont pas des supporters du Real Madrid ou de Liverpool qui ont posé problème. En 2018 à Kiev, en 2020 à Madrid, il n'y a pas eu de problèmes ! Ce qui s'est passé n'a vraiment aucun rapport avec les fans des deux équipes, mais bien avec les voyous locaux qui ont attaqué les supporters s'étant rendus à Paris.
M. Ronan Evain . - Nous prenons également part à l'enquête indépendante de l'UEFA : je suis en contact avec la personne qui est chargée de l'instruction. Nous réservons nos recommandations et nos commentaires sur l'organisation de la finale à cette enquête.
M. François-Noël Buffet , président . - Vous avez dit tout à l'heure que la sortie du stade était dangereuse. Pouvez-vous être plus précis ?
M. Emilio Dumas . - La plupart des Madrilènes sont sortis une demi-heure après la fin du match. Il fallait passer sur une passerelle assez étroite franchissant un petit canal qui entoure le stade, et nous étions des milliers, dont des spectateurs portant des enfants dans leurs bras, des personnes âgées, bref une foule incroyable. Il n'y avait personne pour réguler le flux, et nous avons failli nous écraser les uns sur les autres. Heureusement que personne n'est tombé ! Si quelqu'un avait allumé un feu de Bengale, il aurait pu y avoir des mouvements de panique. Au sortir de cette passerelle, il y avait cet escalier d'une trentaine de marches, avec des policiers en bas - mais il n'y en avait pas sur le pont ! La sortie était donc assez dangereuse, d'autant qu'il n'y avait pas d'éclairage. Or le sol était jonché de bouteilles cassées... Nous aurions pu nous blesser.
M. François-Noël Buffet , président . - Les représentants des supporters anglais ont dit qu'à un moment, les stadiers avaient levé les contrôles des billets et que les supporters étaient rentrés dans le stade. Avez-vous vécu la même chose côté madrilène ?
M. Emilio Dumas . - Pas du tout. Certes, les stadiers, très jeunes, n'étaient pas très professionnels, mais ils n'ont pas levé les contrôles.
Quant aux faux billets, je n'en ai pas vu beaucoup. Mais des voyous arrachaient nos billets quand nous passions les tourniquets et partaient en courant. S'ils se faisaient prendre par quelqu'un, leur technique était de rendre un faux billet, tiré d'une autre poche, et de garder le bon. C'est pourquoi nombre de Madrilènes n'ont pas pu entrer. J'ai vu une dizaine d'incidents de ce type.
M. François-Noël Buffet , président . - Merci à tous. Vos témoignages sont très importants pour nous. Nous avons besoin de croiser le regard des supporters madrilènes et celui des supporters de Liverpool. Si vous avez des pièces à nous transmettre, elles seront bienvenues. Je répète à nos amis anglais que nous souhaitons naturellement qu'ils reviennent. Le Stade de France est aussi un lieu où se déroulent de belles compétitions, pour lesquelles tout se passe bien - et ce qui s'est passé récemment est insupportable.
Audition de M. Mathieu Hanotin, maire de Saint-Denis,
président
de Plaine commune
M. François-Noël Buffet , président de la commission des lois . - Monsieur Hanotin, vous avez souhaité être entendu afin de partager avec nous votre vécu de cette soirée, mais aussi pour nous dire comment vous avez été associé à la préparation de cette soirée auprès des autres acteurs, et comment les choses vous apparaissent après les événements.
Je précise que notre réunion est retransmise en direct sur le site du Sénat.
M. Mathieu Hanotin, maire de Saint-Denis, président de Plaine Commune . - Il me semble important, lors de ce retour d'expérience sur des événements que nous n'avions jamais connus durant les plus de vingt ans d'existence du Stade de France, de faire entendre la voix de la collectivité qui accueille chaque semaine des événements d'ampleur - ce vendredi a ainsi lieu la finale du Top 14.
Le plus simple est de reprendre le fil chronologique des événements.
Tout a commencé par la décision du Président de la République d'accueillir la finale de la Ligue des champions à Saint-Denis. Une fois cette proposition retenue par l'UEFA, très rapidement, plus d'une vingtaine de réunions préparatoires ont eu lieu. La ville de Saint-Denis a été associée à toutes ces réunions ; je me suis rendu à certaines d'entre elles, tout comme ma directrice générale des services, Mme Anne-Sophie Dournes, mon directeur de cabinet, M. David Lebon, et mon directeur de l'événementiel, M. Azdine Ayad.
Dès le début, la difficulté de la gestion des supporters lors de cet événement a été pointée, en raison de la présence de supporters anglais. Le point de référence retenu était celui de la finale à Madrid, lors de laquelle les choses s'étaient bien passées malgré un afflux important de supporters sans billets.
Lors de ces réunions, la ville de Saint-Denis a toujours défendu la position selon laquelle il fallait anticiper afin d'éviter que la foule des supporters ne soit livrée à elle-même, sans occupation, sur l'espace public. Dès le début, nous avons défendu la création de « fan zones » et avancé l'idée qu'il fallait considérer l'ensemble du continuum entre le métro et le stade.
Un certain nombre de désaccords se sont fait jour avec la préfecture de police, par exemple au sujet de l'interdiction de la vente d'alcool aux abords du stade, imposée par la préfecture à partir de 18 heures. Cela peut sembler un détail, mais il s'agit en réalité d'un problème de fond qui concerne la doctrine retenue.
Nous appartenons à un pays frappé par un attentat le 13 novembre 2015. Au Stade de France, un décès a eu lieu, celui de M. Manuel Dias - je lui rends hommage. Nous avons tous été choqués par cet événement, que nous commémorons tous les ans. Sept ans plus tard, la matrice de l'organisation des grands événements est toujours en premier lieu, et parfois en unique lieu, le prisme sécuritaire et la lutte contre le terrorisme.
Or le public étranger n'a pas le même rapport avec ces événements dramatiques que le public français. La peur des attentats nous fait oublier la dimension festive qu'il peut y avoir autour d'un événement comme celui de la finale de la Ligue des champions.
Ma vision est que l'organisation des « fan zones », l'autorisation de consommer de l'alcool jusqu'au début du match, ainsi que les animations musicales et sportives autour du stade, sont des éléments de contrôle social permettant de ramener au plus tôt la population aux abords du stade, afin de fluidifier les parcours et de permettre à un maximum de personnes de rentrer progressivement dans l'enceinte.
Pour la ville de Saint-Denis, la finale de la Ligue des champions a commencé deux semaines avant le soir du match, lorsque le trophée a été présenté le soir de la finale de la Coupe de France, pendant lequel tout s'est extrêmement bien passé.
Trois jours avant la finale de la Ligue des champions, un village a été organisé devant la mairie. Les supporters espagnols et anglais sont venus se prendre en photo devant une coupe géante. L'atmosphère était extrêmement festive, et durant ces trois jours, le mélange des publics, entre les supporters et les habitants de Saint-Denis, n'a posé aucun problème.
Cette fête a pris de l'ampleur le jour du match, car des supporters de plus en plus nombreux sont arrivés. Dans le parc de la Légion d'honneur, nous avons ouvert une « fan zone » destinée aux supporters du Real Madrid possédant des billets, où ces derniers devaient attendre le moment de se rendre au stade, vers 17 heures ou 18 heures. Cet espace a été placé sous la responsabilité de l'UEFA et du Real Madrid, la police municipale sécurisant les alentours de la « fan zone ». Il n'y a eu aucune difficulté.
De haute lutte, et trop tardivement de mon point de vue, nous avons réussi à négocier l'ouverture de cette « fan zone » le soir pour le public dionysien et les supporters espagnols sans billets, qui étaient entre 500 et 600 personnes. Nous n'avons eu quasiment aucun problème à constater à cet endroit.
J'étais présent au village, puis à la « fan zone ». Nous avons ensuite pris le chemin du stade vers 18 heures, et à ce moment nous nous sommes rendu compte que quelque chose avait changé dans la ville. La tension était palpable : il y avait plus de monde que lors d'autres matchs, des rues dont nous avions au préalable demandé la fermeture, sans succès, ont été fermées d'urgence, car elles étaient envahies de monde. En approchant du stade, nous nous sommes rendu compte qu'il y avait du monde absolument partout, et que des points de pression pouvaient se former.
Je me suis alors rendu dans la zone du club UEFA afin d'accueillir Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux olympiques et paralympiques. C'est à ce moment-là, vers 18 heures 30, que les choses ont commencé à déraper. Le véhicule de la ministre n'a pas pu prendre le chemin prévu et a dû emprunter une entrée technique. Les vigiles commençaient à être débordés, la foule poussant dans tous les sens. Nous n'avions jamais connu une telle situation au Stade de France.
J'ai accueilli des maires de grandes villes de France en compagnie de la ministre, et nous avons eu un temps de travail d'environ quarante-cinq minutes. Nous nous sommes alors rendus dans le stade, et en voyant la couronne du stade, nous nous sommes tout de suite rendu compte qu'il y avait des soucis. Nous n'étions pas du côté des portes anglaises, mais nous avons vu des bousculades et des bagarres autour de certaines portes. Des gens essayaient de rentrer, et certaines personnes manifestement sans billets étaient déjà rentrées dans la couronne du Stade de France.
Pour essayer de comprendre après coup les événements, j'ai pris l'habitude d'utiliser la métaphore de l'accident d'avion. Il n'y a jamais une seule raison qui explique un accident d'avion, mais toujours une multitude de petits incidents, sur lesquels viennent se greffer soit une mauvaise décision soit un aléa, qui vient rompre un système prévu pour être robuste.
L'aléa, dans cette affaire, c'est la grève du RER B et le basculement mécanique d'un flux de population complètement inhabituel sur le RER D. Cela vous a sûrement été précisé lors des précédentes auditions : nous sommes passés d'une fréquentation habituelle de 6 000 à 7 000 personnes dans le RER D à environ 37 000 personnes cette fois-ci, ces chiffres étant inversés pour le RER B.
Si une erreur a été commise, par la préfecture de police ou par d'autres, cela a été de ne pas rediriger le flux piéton sur l'avenue Francis de Pressensé, pour rejoindre le trajet habituel depuis le RER B, et de laisser la foule s'engouffrer dans le tunnel du RER D. Tout le monde peut faire une erreur, surtout lorsque la communication est mauvaise.
À partir de ce moment, les choses se sont enchaînées. Une fois que la pression s'est fait sentir sur la rampe, le préfet a pris une bonne décision en levant le barrage, car les risques étaient très importants à cet endroit, et un accident grave aurait pu se produire.
Les choses ont alors dégénéré. La levée du barrage a accentué la pression sur l'ensemble des portes, des gens ayant attendu longtemps s'inquiétant de ne pas avoir de place et se mettant à courir pour rentrer.
De très calme vers 17 heures, le Stade de France est devenu un endroit très agité. Alors que, lors d'événements de ce type, beaucoup de monde se réunit toute l'après-midi autour du stade, chantant et faisant la fête, l'interdiction de la consommation d'alcool a conduit les gens à faire la fête ailleurs, à retarder leur arrivée et à provoquer encore davantage de tensions, notamment autour des portes X, Y, Z et A.
Selon les stadiers, que nous connaissons bien car ils sont souvent originaires de Saint-Denis, plus d'un billet sur cinq était un faux billet. Cette proportion extrêmement importante était concentrée sur un faible nombre de portes.
Le système a manqué de robustesse : il n'y avait pas de système d'évacuation des personnes munies de faux billets. L'embouteillage était total, la pression augmentant, des personnes bloquées dans les tourniquets ne pouvant plus faire marche arrière. Diverses forces de l'ordre et de sécurité se sont concentrées autour de ces portes, des supporters pouvant grimper ailleurs aux grilles, comme les images que nous avons tous vues le montrent.
Le dispositif policier ainsi désorganisé, la situation est devenue très chaotique. Dans ce chaos, les phénomènes de délinquance ont été extrêmement nombreux, tant avant le match qu'après lui.
Je l'ai écrit dans la note transmise au préfet Cadot : le dispositif policier était préparé pour gérer des mouvements de foule ou la présence de hooligans , mais il n'était pas préparé pour gérer un tel afflux massif de délinquants de droit commun - je tiens d'ailleurs à préciser qu'il ne s'agit pas nécessairement de Dionysiens : des personnes sont venues de toute l'Île-de-France pour commettre des actes de délinquance, attirées par l'appât du gain. Il y a manifestement eu un fantasme autour de ce match, et une rumeur selon laquelle tous ceux qui se rendaient au stade étaient richissimes a probablement attiré de multiples délinquants. Certains ont évoqué des razzias ; la police municipale a constaté que de très nombreux supporters étrangers ont été victimes d'actes de délinquance.
Si je devais tirer des leçons de cette affaire, je dirais que l'approche des grands événements de ce type ne doit pas uniquement être sécuritaire. Si l'on veut accueillir le public dans de bonnes conditions, la sécurité doit être au service de l'événement et non l'inverse. Le pilotage de l'événement ne doit pas seulement dépendre du ministère de l'intérieur ou de la préfecture de police, qui défend une vision de mise en sécurité, conformément à son rôle. Il faut une approche beaucoup plus large. Le continuum d'animation tout au long du parcours jusqu'au stade permet aussi un contrôle social et une mise en sécurité de l'espace public. Une clarification de la chaîne hiérarchique d'organisation et de pilotage est nécessaire.
Notre vision de ces événements ne doit pas être uniquement sécuritaire. Nous devons les vivre comme ils sont, sans privilégier une approche prohibitive. Il vaut mieux gérer les choses en amont plutôt que de les subir.
La préfecture ne nous a donné l'autorisation de construire les « fan zones » que dix jours avant la finale. Nous avons été inutilement placés en tension, ce qui a fait que nous n'avons pas pu nous poser certaines questions, comme celle de positionner dans la rue des médiateurs parlant plusieurs langues pour mieux guider les supporters. La police municipale a bien tenu un point de proximité où les trois langues étaient parlées, mais nous devons davantage anticiper : il est nécessaire de renforcer le dispositif humain à la sortie des transports.
La systématisation des zones d'accueil des supporters possédant des billets est une autre question. Si les choses ont été plus simples pour les supporters espagnols que pour les Anglais, c'est parce que les premiers étaient plus proches du stade et n'ont pas connu de problèmes de transport. Nous aurions pu envisager qu'en plus de la « fan zone » du cours de Vincennes, un espace d'accueil pour les supporters anglais possédant des billets soit créé, par exemple dans le complexe sportif Nelson Mandela, afin de lisser les arrivées tout au long de l'après-midi, de diluer les flux et de les sécuriser. Il s'agit d'une piste de réflexion intéressante.
Renforcer l'attrait autour du Stade de France doit faire partie intégrante de l'événement. Nous devons pleinement intégrer les commerçants ambulants et sédentaires, leur faciliter la vie plutôt que de leur imposer des tracasseries administratives. La préfecture de police a ainsi refusé, pour la finale du Top 14, que les commerces soient ouverts jusqu'à 2 heures du matin.
Le ministre de l'intérieur a annoncé l'ouverture d'une enquête de police, ce qui est une bonne chose. Or cette question ne concerne pas seulement l'image de Saint-Denis, mais celle de la France entière ; il pourrait donc être intéressant que le Sénat recommande que ce travail ne repose pas uniquement sur les enquêteurs locaux, surtout si cette enquête devait avoir des ramifications internationales. La police municipale est évidemment prête à y contribuer ; nous avons d'ailleurs mis à disposition les images de vidéosurveillance dont nous disposions. Il y a des heures et des heures à visionner.
M. François-Noël Buffet , président . - La ville de Saint-Denis, elle, a donc conservé ses images de vidéosurveillance, et les tient à la disposition des enquêteurs ?
M. Mathieu Hanotin . - Oui, nos serveurs nous permettent de conserver nos images de vidéosurveillance pendant trente jours. Notre système de vidéosurveillance est en déploiement constant. Grâce en particulier au soutien de l'État, nous avons pu passer de 60 caméras il y a deux ans à plus de 220 caméras. Nous avons mis en place un centre de supervision urbaine (CSU) depuis un an pour surveiller en direct et conserver les vidéos aussi longtemps que la loi nous le permet. Les images ont ainsi été confiées à qui de droit pour les soins de l'enquête.
M. François-Noël Buffet , président . - Depuis le 28 mai, il y a eu d'autres événements d'organisés au Stade de France. Y a-t-il eu des difficultés ?
M. Mathieu Hanotin . - Non. Avant la finale de la Ligue des champions, il y avait eu quelques problèmes - beaucoup moins graves - à l'occasion de la finale de la Coupe de France ; de nouveaux dispositifs étaient alors en cours d'expérimentation. Il me semble que de telles expérimentations ne doivent pas avoir lieu lors de matchs d'importance, pendant lesquels nous devons faire confiance aux systèmes robustes testés depuis longtemps.
M. François-Noël Buffet , président . - Récemment, le concert d'Indochine a réuni plus de 100 000 personnes dans le stade.
M. Mathieu Hanotin . - Oui, et nous n'avons rencontré aucun problème et aucun phénomène de délinquance comparable. Lors de cette finale de la Ligue des champions, je n'avais jamais vu autant de monde autour du Stade de France. Des gens ont cassé les portes du parking d'une école pour tenter de rentrer dans le stade ; d'autres ont essayé de passer par des espaces privés d'habitation ou par des balcons pour s'infiltrer. Encore une fois, il y avait probablement des Dionysiens, mais la population dépassait très largement le cadre de la population de la commune.
M. Cédric Vial . - Je partage le fait que la sécurité doit être au service de l'événement. L'événement doit rester un moment de fête : l'étape suivante, si la sécurité dirige l'événement, c'est le huis clos !
Cette prise en compte de la psychologie des supporters et de la dimension festive de l'événement a dû manquer, ce qui est compréhensible car cela ne relève pas du travail des forces de sécurité ou d'un préfet.
Certains supporters ont indiqué que des phénomènes de délinquance s'étaient répétés à la sortie du stade, le sentiment d'insécurité étant renforcé par la pénombre, l'éclairage public semblant éteint. Avez-vous constaté cela, et l'extinction de l'éclairage public à la sortie du stade était-elle prévue ?
Vous avez insisté sur la provenance des délinquants, en avançant qu'ils venaient de toute l'Île-de-France et non seulement de votre ville. Sur quoi vous fondez-vous ? Avez-vous eu connaissance de rumeurs entre ces groupes, appelant à venir à Saint-Denis ? Il semble en effet surprenant qu'autant de monde soit venu au même moment d'autant d'endroits différents. S'agirait-il de bandes organisées ? Les forces de l'ordre ont-elles intercepté des communications ?
Mme Céline Brulin . - Plusieurs de nos interlocuteurs ont souligné que certaines infrastructures étaient sous-dimensionnées, en particulier la passerelle au-dessus du canal ou le tunnel sous l'autoroute A1. Les problèmes de circulation sont-ils récurrents, et ces infrastructures doivent-elles être modifiées ? Les dirigeants du consortium du Stade de France ont expliqué qu'autrefois 90 agents de circulation étaient présents autour du stade, alors que les effectifs seraient aujourd'hui réduits à 10 ou 12 personnes. Confirmez-vous cela ?
Lors de la vingtaine de réunions que vous avez évoquées, avez-vous débattu d'un changement de signalisation pour répondre à l'afflux inhabituel de supporters venant du RER D ? Certains ont dit que cette signalisation n'avait pas été faite, d'autres ont dit qu'elle a été empêchée. Si tel est le cas, savez-vous pourquoi ?
M. Jean-Jacques Lozach . - Durant les réunions préparatoires, avez-vous constaté des nuances, voire des divergences, entre les services du préfet de police de Paris et ceux du préfet du département de Seine-Saint-Denis ? Avez-vous constaté des difficultés dans l'articulation du travail entre les forces de l'ordre et les stadiers ? Confirmez-vous que les forces de l'ordre étaient en nombre insuffisant ?
Pourriez-vous compléter votre position concernant la vente d'alcool aux abords du stade ? Il s'agit aussi de l'application de la loi Évin ; or l'UEFA est sponsorisé par Heineken, l'hypocrisie n'est donc pas loin...
M. Alain Richard . - La crise a été déclenchée par la saturation des voies de sortie du RER D et la surfréquentation exceptionnelle de cette ligne.
De manière générale, lors d'un match aussi important, qui est responsable de l'acheminement des flux de spectateurs à la sortie de la station ? S'agit-il du stade, du transporteur ou de la commune ?
J'ai cru comprendre qu'à la sortie du RER D des itinéraires étaient prévus pour diriger ce flux exceptionnel sans provoquer d'entassements. Un préavis de grève avait été déposé plusieurs jours plus tôt sur la ligne B, et il semblait possible de veiller à l'écoulement de ce flux. Comment les choses se passent-elles habituellement, et qui a manqué de vigilance ?
M. Michel Savin . - À vous écouter, les actes d'agression n'auraient aucun lien avec les supporters. Des actes de ce type pourraient-ils se reproduire lors d'autres événements sportifs, notamment lors de la coupe du monde de rugby ou des jeux olympiques et paralympiques de 2024 ? Selon vous, que devrait-on mettre en place pour empêcher ces phénomènes de délinquance ?
M. Mathieu Hanotin . - C'est la première fois que le sujet de la pénombre m'est signalé, et je n'ai pas de réponse. Il faudrait voir à quels endroits ces faits sont situés, dans la couronne du Stade de France ou au-delà.
M. François-Noël Buffet , président . - Apparemment, ces faits ont été rapportés du côté de la sortie des supporters madrilènes.
M. Mathieu Hanotin . - Il s'agit donc de la voie publique. Le dispositif n'avait pas vocation à être éteint. Historiquement, une certaine pénombre régnait à cet endroit, et nous avons mis en place des dispositifs artistiques colorés sous l'autoroute. Aucune panne particulière ne m'a été signalée, mais il est toujours possible qu'il y ait eu de la pénombre, d'autant plus que le match s'est terminé tard.
Au sujet de la provenance des délinquants, nous n'avons jamais connu un tel phénomène. S'il s'agissait d'habitants de Saint-Denis, ces phénomènes existeraient depuis longtemps et se seraient produits plus souvent.
Un point de délinquance extrêmement dur existe autour de Porte de Paris. Il s'agit d'un des hotspots de la vente de cigarettes trafiquées, de médicaments vendus sous le manteau par des personnes souvent en errance.
Je n'ai aucune information concernant des messages envoyés sur les réseaux. Cette question relève de la compétence du service du renseignement territorial. Nous n'avons en tout cas pas reçu d'alerte particulière.
Cela nous ramène à la question du dispositif policier : il est certain qu'il n'y avait pas assez de policiers en civil pour appréhender les délinquants. Certains policiers avaient pour mission la gestion des flux ; ils ne devaient pas bouger, et ils ont vu des délinquants agir devant eux sans pouvoir intervenir, car telle n'était pas leur mission. Je ne leur fais aucun reproche, mais c'est la réalité : le dispositif n'était pas bien calibré.
Le dispositif global a été construit en réponse à une peur de casse sur les Champs-Élysées et de phénomènes de hooliganisme qui n'ont pas eu lieu. De nombreux policiers étaient à Paris, mais les faits de délinquance se sont produits à Saint-Denis, sur les supporters.
Pour moi, le système a vrillé et les délinquants ont pu s'épanouir en raison du nombre de faux billets, qui a créé la désorganisation et le chaos. Les forces de l'ordre et de sécurité privée se sont concentrées autour de certaines portes mises sous pression par cet afflux de spectateurs munis de faux billets, en relâchant leur surveillance sur d'autres points. La goutte d'eau qui a fait déborder le vase dans ce système robuste, ce sont les faux billets. Nous n'avions jamais été confrontés à un tel phénomène au Stade de France. Il y a eu 2 800 faux billets scannés, et l'on peut donc imaginer qu'il y a eu 3 000 ou 4 000 faux billets, concentrés sur trois ou quatre portes, pour 20 000 personnes. On en revient à une proportion d'un faux billet pour cinq.
La faiblesse des infrastructures du côté RER D est évidente et connue de longue date : on y passe par un boyau d'étranglement. Pour cette raison, le RER B est toujours privilégié pour acheminer massivement les supporters, le RER D restant un complément.
Percer un autre tunnel sous l'autoroute serait particulièrement complexe. Le dérivatif testé lors du match suivant, où le flux passait sur le pont au-dessus de l'autoroute devant le complexe sportif Nelson Mandela, et reprenait le cheminement habituel, me semble être la solution la moins coûteuse et la plus immédiatement opérationnelle.
Le problème me semble moins venir de la passerelle elle-même que des barrages de préfiltrage qui ont aussi créé les engorgements. Sont-ils bien positionnés ? Par ailleurs, si tous les supporters arrivent au dernier moment, ils ne peuvent pas passer par cette passerelle, même si elle était élargie. L'enjeu est d'étaler les arrivées sur trois, quatre ou cinq heures, et de ne pas les concentrer dans la dernière heure et demie, à plus forte raison si les gens sont alcoolisés et moins patients.
Les effectifs des agents de circulation doivent être augmentés. Pour les jeux olympiques et paralympiques, nous mettons en place un système de volontaires chargés de l'accueil autour du Stade de France. Si nous avions eu dix-huit mois pour organiser la finale de la Ligue des champions, nous aurions imaginé de tels dispositifs. Lorsque les délais ne permettent pas de faire appel à des volontaires, la charge doit peser sur les organisateurs et être intégrée dans les coûts de l'événement. La commune ne peut pas se permettre de recruter quatre-vingts ou quatre-vingt-dix personnes chaque semaine pour accueillir le public.
La signalétique quotidienne doit être améliorée. Elle est largement sous-dimensionnée, en particulier du côté du RER D. Il n'empêche qu'une signalétique spécifique doit être mise en place lors d'événements de cette nature : elle était manifestement insuffisante, selon le témoignage de nombreux supporters qui ont eu l'impression de se perdre, notamment en sortant du RER D.
Je ne sais pas s'il y avait des nuances entre la position des préfectures. Mon rôle n'est pas d'interpréter les relations au sein de l'État. En revanche, dans la répartition traditionnelle des rôles, la préfecture de Seine-Saint-Denis s'occupe de l'intérieur du stade, tandis que la préfecture de police de Paris est chargée de l'extérieur du stade, notamment des flux de supporters à l'extérieur de la couronne du stade. Les problématiques d'ordre public échappent totalement à la municipalité. Les barrages filtrants et le plan de circulation sont élaborés sous l'autorité du préfet de police.
La coopération entre les forces de l'ordre et les stadiers est l'un des sujets auxquels nous avons été confrontés. De nouveaux dispositifs ont été testés à l'occasion du match entre Nantes et Nice en finale de la Coupe de France. Il faut repenser nos dispositifs et créer de l'attrait pour les personnes qui viennent sans billets aux abords du stade pour vivre l'événement, sans pour autant être des délinquants. Ces personnes, si elles n'ont rien à faire, participent à la montée en pression du système. Il faut développer des logiques d'animation dans l'espace public, pour que ces personnes aient un intérêt à venir sur le site. Cette piste me semble importante.
Nous nous sommes rendu compte que les dispositifs de forces mobiles dont la mission est de tenir un point ne pouvaient pas agilement s'adapter à l'évolution de la situation.
La vente d'alcool, pour moi, n'a pas grand-chose à voir avec l'application de la loi Évin. Le sujet concerne les abords du stade. Ce n'est pas parce qu'on dit aux gens que l'alcool est dangereux pour la santé qu'ils ne vont pas boire. En revanche, interdire aux supporters de consommer de l'alcool aux abords du stade à partir de 18 heures les incite à décaler leur arrivée au dernier moment : les gens ne vont pas « prendre le risque » de ne pas boire avant le match. Cela doit faire partie intégrante de la préparation de l'événement.
Lors de la finale de la Coupe de France, la vente d'alcool avait été interdite à partir de 15 heures, et tous les commerces autour du stade avaient fermé. La consommation d'alcool a été importante dans le centre-ville de Saint-Denis et à La Plaine, et nous avons connu des difficultés. Au lieu que les supporters se retrouvent sous protection policière autour de la couronne du Stade de France, 7 000 personnes se sont réunies devant l'hôtel de ville, dans un espace inadapté. Les choses se sont à peu près bien passées, il n'y a pas eu de casse, mais nous ne sommes pas passés loin de l'accident.
Les phénomènes de délinquance observés autour de ce match peuvent-ils se reproduire ? Oui, mais il faut prendre en compte le fait que ce match était sans commune mesure. Un dirigeant de l'UEFA m'a dit que des centaines de milliers de personnes avaient tenté d'obtenir un billet, alors que quelques milliers de places étaient à vendre. Cet événement a suscité une attente hors norme. Des rumeurs ont probablement circulé dans des réseaux de délinquants, par le bouche-à-oreille ou par le biais d'applications. Notre ville connaît évidemment d'énormes problèmes de délinquance, mais il y avait ce soir-là des dizaines et des dizaines de délinquants de plus que ceux que la police municipale connaît bien.
M. François-Noël Buffet , président . - Nous vous remercions d'avoir répondu à nos questions.