AVANT-PROPOS
Affaire, bombe, déflagration, onde de choc, pavé dans la mare, point de non-retour, scandale, chacun choisira l'expression, les mots, qui lui permettent de nommer les révélations contenues dans l'ouvrage de Victor Castanet 1 ( * ) , et la dénonciation de certains comportements, mais tous s'accorderont pour souligner l'importance de ce livre et la cascade de commentaires et réactions qu'il a provoqués.
L'émotion légitime suscitée par la publication de cet ouvrage a déclenché une réponse institutionnelle. Le Gouvernement a commandé une enquête sur les faits allégués à l'inspection générale des affaires sociales et à l'inspection générale des finances. La commission des affaires sociales du Sénat a décidé de mettre en place une mission d'information dotée des pouvoirs d'une commission d'enquête.
Cette commission d'enquête s'inscrit dans un travail d'analyse des politiques de soutien à l'autonomie poursuivi par la commission des affaires sociales du Sénat depuis plusieurs années.
Les travaux de la commission d'enquête ont dû trouver leur voie entre les missions d'inspection commandées par le Gouvernement et dont le résultat a été rendu public fin mars, d'éventuelles suites judiciaires à ces travaux, ou aux révélations de M. Victor Castanet, et les travaux (auditions et rapports flashs) de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale. L'enquête sur la prise en charge médicale dans les Ehpad réalisée par la Cour des comptes, à l'initiative de la commission des affaires sociales du Sénat, présentée le 23 février 2022 a constitué la première étape du travail de la commission d'enquête.
Dans un registre différent, ce rapport de la Cour des comptes raconte une histoire moins passionnée mais proche du tableau que dresse Victor Castanet de la situation des Ehpad : dégradation de l'état de santé des résidents, niveau d'encadrement insuffisant tant pour le personnel soignant que non soignant, défaut d'attractivité des métiers du grand âge et leur cortège d'effets sur la prise en charge des résidents, flux financiers insuffisamment encadrés, pilotage stratégique insuffisant.
Ces travaux font apparaître les lacunes du contrôle : tant dans leur fréquence, un contrôle tous les 30 ans selon la Cour des comptes que dans leur ciblage. En effet, la priorité accordée aux contrôles portant sur la maltraitance des résidents, si elle est justifiée, a pour effet de reléguer au second plan le contrôle exercé sur les groupes assurant la gestion de plusieurs établissements et sur l'utilisation des fonds publics (section soins et dépendance) et privés (section hébergement).
Aussi la commission d'enquête a-t-elle fait le choix de se placer dans une perspective plus large que l'affaire Orpea pour se consacrer, comme l'enquête de la Cour des comptes l'y engage, à une réflexion plus large et plus approfondie sur les modalités de contrôle et plus largement sur l'exercice de la tutelle afin de contribuer à la détermination des évolutions législatives et réglementaires à mener sur ces points.
Cette contribution s'inscrit dans la continuité du travail d'analyse entamé par la commission depuis plusieurs années, en outre elle ne sera pas limitée par le déclenchement éventuel de poursuites judiciaires.
Ce positionnement permet à la fois de se saisir de problèmes qui connaissent une brûlante actualité (contrôle des groupes et du forfait hébergement) et d'en aborder d'autres qui nécessitent un traitement approfondi comme le déploiement d'une approche pilotée par la qualité, qu'il s'agisse de financements, de management , de formation initiale ou continue.
Ces thèmes, et plus largement celui de l'exercice de la tutelle (voir les critiques formulée par la Cour des comptes sur l'utilisation de contrats d'objectifs pluriannuels ou CPOM) constituent le coeur des travaux de la commission d'enquête.
Une fenêtre d'opportunité s'est ouverte pour venir en soutien des personnels qui prennent en charge les résidents (recrutement, formation, attractivité), répondre aux enjeux de la transition démographique (vieillissement de la population, développement de solutions hybrides de prise en charge), combler les lacunes de la réglementation et examiner, enfin, une loi grand âge attendue depuis trop longtemps.
* 1 Les fossoyeurs, Révélations sur le système qui maltraite nos aînés, Victor Castanet, Fayard, 390 pages