IV. L'ÉVALUATION ET L'ORGANISATION DE LA RECHERCHE : DEUX PROBLÉMATIQUES QUE LA LOI DE PROGRAMMATION A, POUR L'UNE, TRAITÉ DE MANIÈRE INSATISFAISANTE, POUR L'AUTRE, PAS DU TOUT ABORDÉ

A. UN NOUVEAU CADRE JURIDIQUE POUR L'ÉVALUATION DONT LA MISE EN oeUVRE SE HEURTE À UNE VIVE OPPOSITION SUR LE TERRAIN

1. Une évolution très contestée de la méthodologie d'évaluation

La loi de programmation comporte tout un volet consacré à l'évaluation de la recherche , concentré en un seul article (article 16) :

- le statut du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES) est réformé : jusqu'ici autorité administrative indépendante, celui-ci devient autorité publique indépendante , dotée de la personnalité morale. Sa gouvernance est également modifiée (évolution du mode de désignation du président et de la composition du collège). Ces changements sont intervenus alors que cela faisait près d'un an que le HCERES n'avait pas de président.

Pendant cette année de vacance, les soubresauts de la succession se sont télescopés avec les débats sur la LPR et ont cristallisé une partie des crispations des opposants à la loi. Après son audition au Parlement et le vote des commissions compétentes, le nouveau président, Thierry Coulhon, a été nommé par le président de la République le 30 octobre 2020 ;

- les missions d'évaluation du HCERES sont précisées et enrichies : élargissement du périmètre de l'évaluation à l'ensemble des établissements de l'ESR, principe de motivation des appréciations portées, production d'avis pour aider les établissements, contribution à la définition d'une politique nationale de l'intégrité scientifique, coordination de l'action des instances nationales d'évaluation...

En outre, le rapport annexé de la loi, constatant que le système français d'ESR souffre d'une forme de décrédibilisation des évaluations, prévoit un travail conjoint du HCERES et du Mesri pour parvenir à trois objectifs :

- simplifier les procédures (cohérence des documents émanant de différentes procédures et articulation des différentes instances d'évaluation) ;

- renforcer la crédibilité et la cohérence des évaluations ;

- conforter l'utilité de l'évaluation en rendant celle-ci « plus stratégique et plus homogène ».

Partant du constat que l'évaluation des établissements de l'ESR souffre aujourd'hui de ne pas être suffisamment articulée avec celles des unités de recherche et des formations, le HCERES s'est donné pour défi de faire évoluer ses pratiques vers une méthodologie dite d'« évaluation intégrée » , dans le but de renforcer la cohérence de ses rapports et leur utilité pour l'ensemble des structures évaluées.

Un autre chantier majeur, lancé sous la nouvelle présidence, consiste à rendre les évaluations plus crédibles et plus opérationnelles : « à l'avenir, les évaluations, plus concises, devront mettre en regard les stratégies définies par les établissements, les moyens dont ils disposent, le pilotage qu'ils mettent en oeuvre et les résultats qu'ils obtiennent » , selon le rapport d'activité 2020 du HCERES.

C'est dans ce contexte que les référentiels d'évaluation de la vague C (2022-2023) ont été ajustés à l'automne 2021 , avec deux exigences, « simplification et efficacité » . Les nouveaux référentiels ne sont désormais plus centrés sur les contenus scientifiques et les projets des laboratoires, mais privilégient une approche « ex post » , mettant l'accent sur l'évaluation des résultats obtenus, au moyen de nombreux indicateurs. À cela s'ajoute la fin du recours à la visite systématique des unités de recherche , dans le but de mieux proportionner l'action du HCERES aux enjeux des différentes structures.

Cette nouvelle donne a suscité une vive contestation de la part de représentants de la communauté de recherche (plus de 700 directeurs de structure de recherche) qui ont, le 10 janvier 2022, publié une tribune dans Le Monde , dénonçant un système quantitatif et bureaucratique tableurs et questionnaires contraignants jusqu'à la bêtise, montagnes de données administratives, gestionnaires et financières à compiler et à reformater entièrement... »), s'apparentant à une « usine à gaz » . Les mêmes critiques ont été exprimées aux rapporteurs par les représentants de l'Assemblée des directions de laboratoires (ADL) lors de leur audition.

Dans un droit de réponse, paru le 15 février 2022 dans le même journal, le président du HCERES a récusé ces accusations , soulignant que les évolutions menées par le HCERES sont « nécessaires pour rendre les évaluations plus claires et plus pertinentes pour toutes les parties intéressées » .

Aux rapporteurs, celui-ci a rappelé que le système d'évaluation avec « trois séries de livrables » (respectivement au sujet des universités, des unités de recherche et des formations), sans véritable lien entre eux, « ne tournait pas » . Interrogé sur la polémique en cours, il a reconnu que le sujet de l'évaluation ex-post était « très sensible » et que l'équilibre proposé méritait d'être « reconsidéré » . Il a toutefois assuré que l'évaluation intégrée s'accompagnait d'un travail de simplification, notamment quant au contenu des référentiels (qui ne font « que deux pages par établissement » et dont les critères ne sont « qu'indicatifs » ). Il a enfin indiqué qu'un travail était en cours, au sein du HCERES, pour faciliter le recueil des données informatiques, à ce jour trop complexe. Celui-ci devrait aboutir pour l'évaluation de la vague D.

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Au regard de ce contexte très tendu, les rapporteurs rappellent que les discussions sur l'article 16 de la loi de programmation, qui réforme le HCERES et le système d'évaluation, se sont elles-mêmes déroulées dans un climat peu serein , marqué par la polémique sur la présidence de l'institution et par une réécriture globale et peu lisible de l'article via un amendement du Gouvernement. Or le traitement du sujet de l'évaluation, très sensible pour la communauté universitaire et de recherche, aurait nécessité davantage de concertation et de pédagogie . C'est donc à une démarche plus à l'écoute des préoccupations du terrain que les rapporteurs appellent pour la suite de la mise en oeuvre de la réforme de l'évaluation .

2. L'intégrité scientifique : la nécessité de faire vivre le socle juridique de la loi de programmation par une démarche d'acculturation

À l'initiative du Sénat, la LPR insère dans le code de la recherche plusieurs dispositions visant à définir et rappeler l'importance de l'intégrité scientifique , considérée comme le pendant, en termes d'obligations, aux droits des enseignants-chercheurs en matière de libertés académiques :

- l'article 16 définit l'intégrité scientifique comme la garantie du caractère honnête et scientifiquement rigoureux des travaux de recherche ;

- ce même article prévoit que les établissements publics de recherche mettent en place les dispositifs nécessaires à la promotion et au respect de l'intégrité scientifique et qu'ils rendent compte des actions mises en oeuvre dans ce domaine au ministre en charge de la recherche et au HCERES ;

- l'article 16 charge aussi le HCERES de contribuer à la définition d'une politique nationale de l'intégrité scientifique et de contribuer, à travers ses évaluations, à la promotion de l'intégrité scientifique ;

- l'article 18 crée, à l'issue de la soutenance de thèse, une prestation de serment au cours de laquelle le docteur s'engage à respecter les principes et les exigences de l'intégrité scientifique.

Lors de son audition, le président du HCERES a indiqué aux rapporteurs que le réseau de référents « intégrité scientifique » était en cours de déploiement et qu'une centaine était actuellement dénombrée. Il a rappelé que l'Office français de l'intégrité scientifique (OFIS) , rattaché au HCERES et notamment chargé d'animer ce réseau de référents, disposait de moyens dédiés et devait prochainement être doté d'un site internet en propre. Thierry Coulhon a toutefois insisté sur le fait que l'intégrité scientifique demeurait un sujet sensible et que certains établissements n'avaient pas encore pleinement conscience de l'importance de ses enjeux .

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Les rapporteurs, qui sont tous deux également membres de l'Office parlementaire des choix scientifique et technologique (OPECST) - instance ayant récemment travaillé sur l'intégrité scientifique, sont très soucieux de l'avancée de cette question qui nécessite, selon eux, une véritable acculturation de la part de l'ensemble des acteurs de la recherche .

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