C. PISTES POUR CONSOLIDER LA NOUVELLE DYNAMIQUE DE LA RELATION FRANCO-AMÉRICAINE
La France est un partenaire de référence pour les États-Unis , du fait de son statut de puissance nucléaire, de membre permanent au Conseil de sécurité de l'ONU (seul membre permanent de l'UE) et son rôle de catalyseur au plan européen.
Dans le domaine militaire notamment, la France est perçue comme un allié robuste et complet . Dotée d'un outil militaire crédible, reposant sur une trajectoire budgétaire solide qui lui permet de se moderniser, elle a la capacité d'être nation-cadre d'une opération d'envergure (Barkhane) et de produire des effets militaires majeurs (comme les frappes menées en Syrie en 2018 dans le cadre de l'opération Hamilton).
Elle a aussi la capacité de produire un renseignement autonome qu'elle échange au quotidien avec les États-Unis dans le cadre du « comité Lafayette », mis en place à la suite des attentats du 13 novembre 2015 en France. Dans ce cadre, nous contribuons à confirmer le renseignement américain.
A l'inverse, les États-Unis sont pour nous un partenaire essentiel sur le plan militaire .
Nous dépendons des Américains pour la fourniture de capacités stratégiques comme les drones MALE Reaper et certaines technologies rares comme les catapultes électro-magnétiques du porte-avion Charles de Gaulle.
Ils apportent à la France un soutien indispensable au Sahel , en termes de transport logistique et tactique, de ravitaillement aérien, d'ISR 43 ( * ) et de renseignement en matière de lutte contre le terrorisme.
En termes opérationnels, tout engagement significatif est inconcevable sans les États-Unis, qu'il s'agisse de transport logistique, d'imagerie, de ciblage, de renseignement...
Les échanges bilatéraux en matière d'armement
Le montant des exportations vers les États-Unis et celui des acquisitions françaises s'équilibrent en moyenne aux alentours de 300 millions d'euros par an , en dehors de pics liés à des achats dans le cadre des Foreign Military Sales (FMS ) de matériels emblématiques non accessibles en France ni en Europe : drones Reaper (505 millions de dollars en 2015), avions de transport C 130J de l'escadron franco-allemand (820 millions de dollars en 2016), avions de guet aérien E-2D (1,3 milliard de dollars en 2020), ou encore catapultes et système de brins d'arrêt de notre futur porte-avions.
Par ailleurs, la France se procure principalement des équipements destinés à assurer l'interopérabilité avec les Alliés de l'Otan : composants cryptographiques pour les systèmes de liaison MIDS et pour les systèmes de GPS militaires.
À travers ces achats, la France est reconnue comme un client exigeant mais sérieux . La rigueur de son système de conduite de programmes, incarné par la DGA, et l'emploi de ses forces armées sur les théâtres d'opération contribuent grandement à la crédibilité de la France aux yeux des Américains.
Réciproquement, la dernière acquisition de grande ampleur de matériels français par les États-Unis remonte à l'achat, dans les années 2010, de 463 hélicoptères UH-72 Lakota (dérivé militarisé de l'EC145) assemblés aux États-Unis. Les États-Unis ont fait part de leur intérêt pour certains systèmes français (dont le canon CAESAR). L'avion européen MRTT est un candidat potentiel, en association avec l'industriel Lockheed-Martin, pour le remplacement des avions ravitailleurs américains dans les prochaines années.
Les États-Unis acquièrent également auprès d'entreprises françaises divers composants et sous-systèmes, par exemple des sonars Captas de Thales pour leurs frégates ou des viseurs optroniques Paseo de Safran.
Source : Direction générale de l'armement
Certes, notre pays est parfois un peu complexé dans sa relation avec les États-Unis face à la « relation spéciale » revendiquée par le Royaume-Uni et au poids économique et politique de l'Allemagne.
Un sondage conduit dans le cadre d'une étude sur les relations transatlantiques conduite en 2021 par le German Marshall Fund 44 ( * ) révélait de fait que pour les Américains, la puissance la plus influente en Europe est le Royaume-Uni (48 % des personnes interrogées) suivi de l'Allemagne (23%), la France arrivant en troisième position, loin derrière (9%).
Il ressort de nos auditions que l'image que les Américains ont de la France est assez contradictoire. D'une part, elle est perçue comme un partenaire fiable, respecté au plan militaire et écouté au plan international. D'autre part, la France est souvent soupçonnée de jouer sa propre carte et de chercher à affaiblir l'OTAN, en particulier lorsqu'elle plaide pour l'autonomie stratégique et la défense européenne.
C'est une perception qui nous dessert et que nous devons nous attacher à corriger en insistant et en communiquant davantage sur le fort engagement de la France au sein de l'OTAN (en particulier, la contribution qu'elle a récemment apportée au renforcement du flanc est : présence durable en Estonie, opérations de défense aérienne en Pologne, rôle de nation-cadre en Roumanie...). Nous devons aussi montrer de manière très concrète qu'il est possible de soutenir à la fois celle-ci et la défense européenne.
Après les soubresauts provoqués par l'affaire Aukus, la relation bilatérale entre la France et les États-Unis est repartie sur de bonnes bases , les deux pays s'étant engagés, à travers la Déclaration conjointe de Rome :
- à tenir des consultations systématiques et approfondies sur toutes les politiques et initiatives ayant des implications stratégiques ;
- à développer des coopérations dans des domaines stratégiques (énergies propres, espace, cybersécurité, technologies émergentes et commerce militaire) ;
- à accroître leur coopération au Sahel avec, de la part des États-Unis, le déploiement de nouveaux moyens.
À l'avenir, il nous faut entretenir la dynamique née de la mise en place des groupes de travail bilatéraux sur nos coopérations stratégiques.
Les attentes de la France sont particulièrement fortes à l'égard de c elui consacré au commerce militaire.
En ce qui concerne l'application des réglementations ITAR sur les matériels de guerre et EAR sur les biens à double usage , nous souhaitons une plus grande réactivité de l'instruction des demandes et une plus grande transparence sur les motifs de refus.
Des progrès sont également attendus en matière de contrôle des investissements étrangers , qui entravent significativement la capacité d'accès de nos industriels au marché américain.
Par ailleurs, nous devons développer davantage nos échanges concernant l'interopérabilité , en faisant primer les intérêts opérationnels sur les considérations commerciales. En effet, le maintien de l'interopérabilité avec les matériels américains, particulièrement entre le F35 et le Rafale, conditionne la capacité de la France à participer à des opérations avec ses alliés dans le futur. A l'heure où les États-Unis se lancent dans une course technologique avec la Chine et vont moderniser à grande vitesse leurs systèmes d'armes et centres de commandements, il s'agit d'un enjeu essentiel.
La France souhaiterait poursuivre et approfondir la coopération bilatérale en matière d'innovation de défense , domaine auquel nos deux pays accordent une grande importance. La National Security Strategy met ainsi l'accent sur la captation d'idées innovantes et de technologies de rupture (5G, quantique, micro-électronique, intelligence artificielle, hypersonique).
Dans le domaine spatial, où notre coopération avec les États-Unis est ancienne et fructueuse (suivi des objets et débris en orbite, programmes d'observation de la terre), de nouvelles perspectives viennent d'être ouvertes avec la signature par la France, le 7 juin 2022, des accords Arte mis d'exploration pacifique de l'espace.
La signature par la France des accords Artemis
Lancés le 13 octobre 2020 par les États-Unis, les accords d'Artemis sont un traité international qui vise à établir des règles dans la perspective d'un retour d'astronautes sur la Lune . Ils ont été signés à ce jour par 20 États (dont désormais la France), parmi lesquels ne figurent ni la Chine, ni l'Inde, ni la Russie.
En signant le 7 juin dernier la déclaration des accords d'Artemis, la France réaffirme son attachement au cadre universel établi par le traité sur l'espace de 1967, dont ils se veulent un prolongement, ainsi qu'à l'établissement d'un régime juridique international sur cette question.
Cette démarche devrait offrir de nouvelles opportunités à l'industrie et à la recherche et permettre d'approfondir des coopérations déjà existantes.
Il en est de même s'agissant du spatial militaire , les États-Unis se montrant intéressés par la stratégie spatiale française. Nos deux pays ont récemment signé deux accords permettant l'échange de données relatives à la connaissance de la situation spatiale. En outre, la France a rejoint en 2020 l'initiative de coopération spatiale interalliée, Combined Space Operations , destinée à coordonner les efforts des pays dits « Five Eyes » (États-Unis, Royaume-Uni, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande) et de l'Allemagne.
* 43 ISR : intelligence surveillance et reconnaissance.
* 44 Transatlantic trends, German Marshall Fund, 7 juin 2021.