II. OPTIMISER LES RÈGLES DE CIRCULATION ET DE STATIONNEMENT DES VÉHICULES AU SERVICE D'UN MEILLEUR PARTAGE DE LA VOIRIE
A. ADAPTER LA CIRCULATION EN VILLE POUR FLUIDIFIER LE TRANSPORT DE MARCHANDISES
1. Faire évoluer les règles de circulation pour mieux optimiser les flux de marchandises
La logistique urbaine est un secteur porteur d' innovations . Certaines agglomérations mettent en oeuvre des solutions destinées à réduire les externalités négatives (pollution atmosphérique, congestion, bruit...) induites par le transport de marchandises, notamment sous la forme d'expérimentations.
Les règles de circulation des véhicules de livraison peuvent constituer un levier de développement de nouvelles pratiques de livraison . À titre d'illustration, partant du constat que les flux de marchandises se concentrent en grande partie sur les mêmes heures de la journée, certaines agglomérations expérimentent les livraisons en horaires décalés , pour permettre aux véhicules d'accéder plus facilement aux centres urbains et aux aires de livraison, en minimisant la gêne occasionnée sur la circulation.
Expérimentation des livraisons en horaires
décalés
par Bordeaux métropole en 2016 et Paris en
2021
• En partenariat avec le Club Demeter (association de partage entre professionnels sur des problématiques liées à la gestion des flux de transport), la métropole d e Bordeaux , a ainsi expérimenté, entre janvier et juin 2016, les livraisons en horaires de nuit (entre 22h et 7h), afin de favoriser une meilleure répartition des flux ( 40 % des livraisons étaient effectuées aux heures de pointe ). L'expérimentation a ciblé les livraisons concernant de grandes enseignes générant d'importants flux de marchandises.
Vingt points de vente ont été ciblés, notamment en fonction de problématiques d'accès et de conflits d'usage (tramway, voitures...) les concernant et parfois en raison de plaintes déposées par des riverains (stationnements gênants de véhicules de livraison). Dans le cadre de l'expérimentation, les véhicules « gros porteurs » (jusqu'à 26 tonnes) ont été autorisés à accéder au centre-ville, afin de massifier les flux et de réduire le nombre de tournées. L'utilisation de véhicules de livraison en période nocturne peut permettre d'a ugmenter l'efficacité des trajets , les temps d'immobilisation improductifs liés à la congestion étant réduits.
Selon France urbaine , dont le site internet recense plus de 300 projets innovants menés par des collectivités territoriales, le décalage des horaires de livraison aurait permis de réduire de 4 % les émissions de dioxyde de carbone , une baisse qui atteint 38 % en cas d'utilisation d'un véhicule de 26 tonnes en remplacement de plusieurs véhicules de 7,5 tonnes . En outre, l'expérimentation aurait permis de rendre l'environnement de travail des chauffeurs-livreurs plus serein (moins de congestion et de conflits avec les autres usagers de la route et de problématiques de stationnement).
• La ville de Paris , aux côtés du Club Demeter, de Certibruit et Bruiparif a également expérimenté les livraisons à horaires décalés (21h - 7h) dans le 13 e arrondissement d'avril à juillet 2021. Selon les résultats de l'expérimentation, la livraison en horaires décalés aurait permis de réduire la congestion de 18 % 50 ( * ) .
Les rapporteures encouragent ces expérimentations . Toutefois, la livraison de nuit induit des contraintes qu'il importe d'anticiper et de prendre en compte avec vigilance.
D'une part, les livraisons en horaires décalés peuvent avoir des conséquences négatives sur les conditions de travail des livreurs et des personnes chargées de réceptionner les marchandises (pénibilité, risques de somnolence, etc.). S'agissant de la réception des marchandises, la dépose peut par exemple être organisée dans des sas, lorsque le destinataire ne peut être présent dans le point de vente.
D'autre part, des précautions doivent être prises afin de limiter les nuisances sonores et de préserver la tranquillité des riverains. À Bordeaux métropole comme à Paris, l'expérimentation a par exemple été arrêtée dans certains secteurs, à la suite de plaintes de riverains. Il importe également :
- de privilégier l'usage d' équipements silencieux (véhicules détenant la certification Piek) ;
- d'assurer la formation des conducteurs aux bonnes pratiques de réduction du bruit, comme le préconise notamment le Groupement des activités de transport et de manutention de la région Île-de-France (GATMARIF) 51 ( * ) ;
- d'effectuer une évaluation détaillée de l'impact du décalage des horaires de livraison sur le bruit et l'environnement, à l'aide de mesures effectuées avant/pendant et après l'expérimentation.
En novembre 2020, l'association Certibruit qui délivre des labels de livraison de nuit silencieuse a mis en place une charte de livraison de nuit respectueuse des riverains reposant sur ces critères, mais aussi sur l'aménagement des éléments de voirie et des aires de livraison et la mise à disposition d'une ligne d'assistance téléphonie à destination des riverains.
Proposition n° 6 - Expérimenter localement des livraisons en horaires décalés dans les grandes agglomérations, avec une méthode d'accompagnement pour garantir le respect de la tranquillité des riverains et des conditions de travail des professionnels de la logistique [collectivités territoriales, État].
2. Faciliter le travail des transporteurs et chargeurs face à l'hétérogénéité des règles de circulation d'une métropole à l'autre
La diversité des réglementations applicables à la circulation des véhicules de livraison d'une métropole à l'autre peut constituer une vraie difficulté pour les acteurs du transport de marchandises. Des dizaines de normes réglementaires peuvent même coexister au sein d'une même métropole s'agissant des horaires de livraison ou encore du gabarit des véhicules autorisés en centre-ville, en particulier dans le cadre de la mise en oeuvre des zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m).
Le Club du dernier kilomètre de livraison (CDKL) , instance de réflexion instituée en 2011 par le Club des véhicules écologiques et le Groupement des autorités responsables de transport (Gart) afin de rassembler industriels, donneurs d'ordre et élus locaux et d'identifier les meilleures solutions de livraison en ville, a d'ailleurs qualifié devant les rapporteures de « véritable casse-tête » cette multitude de règles pour les professionnels du secteur. De même, selon FedEx, du fait de la mise en oeuvre des ZFE-m, « les professionnels sont confrontés à une multitude de projets hétérogènes » , ce qui appelle « des réponses complexes et coûteuses » .
Le pouvoir de police de la circulation et du stationnement constitue une prérogative du maire 52 ( * ) . L'harmonisation de ces règles entre les territoires, même si elle permettrait de faciliter le travail des transporteurs, ne saurait donc être envisagée.
En revanche, renforcer la lisibilité des règles concernant la circulation des véhicules de livraison pour les transporteurs semble opportun. À ce titre, les rapporteures souscrivent à la proposition formulée par le CDKL d'instituer des plateformes recensant les réglementations applicables en matière de transport de marchandises dans les différentes agglomérations . Afin que les sociétés de transport puissent travailler sur la base de données à jour, ces bases devront être alimentées en temps réel. Bien entendu, une attention particulière devrait être portée aux zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) dans lesquelles les véhicules les plus polluants font l'objet de restrictions particulières de circulation. Afin de fournir une information complète aux acteurs de la logistique, ces plateformes devraient également recenser les règles applicables au stationnement des véhicules de livraison.
Le rapport de la mission « Logistique urbaine durable » précité recommande de favoriser plus largement la production de données « statiques » utiles à la logistique urbaine par les collectivités territoriales. Il met en lumière les initiatives prises par certaines collectivités, qui ont déjà commencé à mettre à disposition ce type de données, à travers :
- le recensement des arrêtés de circulation et de stationnement communaux à l'échelle régionale . Deux projets seraient en cours d'élaboration, en Île-de-France et en région Sud (Provence-Alpes-Côte-d'azur) ;
- la cartographie des aires de livraison par les municipalités. Certaines villes, comme Paris ou Cannes, auraient déjà pris cette initiative.
Le projet BAC-Île-de-France (BAC-IDF)
Le projet BAC-IDF a pour objet la constitution d'une base de données centralisant les arrêtés de circulation et de stationnement applicables aux livraisons de marchandises sur tout le territoire d' Île-de-France . Il fait suite à un appel à manifestation d'intérêt lancé par la région en 2020.
Il doit se dérouler en trois phases réparties sur trois ans (élaboration de maquettes, déploiement sur un périmètre restreint puis déploiement sur l'ensemble de la région).
A la date du 16 mai 2022, 1 268 communes ont pris part au projet, notamment la ville de Paris, des communes de la petite couronne (Aubervilliers, Saint-Ouen, Saint-Denis, ou encore Vanves et Issy-les-Moulineaux) et d'autres communes de la région (Gonesse, Aulnay-sous-Bois, Cachan, Saclay, ou encore Marly-le-Roi).
Les collectivités territoriales intègrent leurs arrêtés dans une plateforme numérique , qui permet aux utilisateurs - à commencer par les transporteurs - de disposer d'un outil simple de consultation.
L'information ainsi fournie facilite l'optimisation des flux de livraison et favorise la performance économique des transporteurs et la réduction des externalités négatives (bruit, congestion et pollution).
Dans le cadre du projet BAC-IDF, des actions de sensibilisation sont également mises en oeuvre auprès des communes.
Ce projet est de nature à faciliter l'identification des problèmes de congestion et l'adaptation de la réglementation.
À terme, l'information ainsi mise à la disposition des collectivités territoriales pourrait même favoriser, en cas de volonté politique en ce sens, la simplification, voire l'harmonisation, des règles de circulation à l'échelle de l'ensemble de l'agglomération.
Dans le prolongement de ces initiatives, la DGITM a indiqué avoir lancé la création d'une base de données nationale des arrêtés de circulation du transport de marchandises et des aires de livraison. Les rapporteures approuvent pleinement cette initiative.
En complément, ces informations pourraient être transmises aux chauffeurs-livreurs par le biais des services numériques d'assistance au déplacement (GPS), sur le modèle prévu à l'article 122 de la loi « Climat et résilience » 53 ( * ) .
Proposition n° 7 - Constituer rapidement une base de données afin de partager les règles de circulation et de stationnement des véhicules de livraison de marchandises dans les grandes agglomérations et prévoir la transmission de ces informations aux transporteurs par l'intermédiaire des services numériques d'assistance au déplacement [État].
3. Assurer le respect des ZFE-m grâce à la mise en place de contrôles effectifs
La LOM 54 ( * ) a prévu la mise en place obligatoire de zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) avant le 31 décembre 2020 dans les agglomérations qui connaissent des dépassements chroniques des normes de qualité de l'air 55 ( * ) .
Onze agglomérations 56 ( * ) étaient concernées par cette obligation.
La loi « Climat et résilience » l'a étendue à l'ensemble des agglomérations comptant plus de 150 000 habitants, en fixant au 31 décembre 2024 la date-limite pour instituer une ZFE-m.
À l'heure actuelle, selon la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), neuf ZFE-m sont en vigueur sur le territoire métropolitain, dont :
- sept métropoles (Grand Paris, Grenoble, Lyon, Nice, Rouen, Strasbourg et Toulouse) en application de la LOM ;
- deux autres métropoles (Reims et Saint-Étienne) en application de la loi « Climat et résilience ».
Enfin, trois métropoles soumises à l'obligation instituée par la LOM ont prévu une mise en place prochaine de la ZFE-m : Montpellier (juillet 2022), Marseille (septembre 2022) et Toulon (2023).
Si la mise en place des ZFE-m progresse sur le territoire, elle se heurte actuellement à une véritable difficulté à contrôler de manière effective le respect de la réglementation.
Plusieurs solutions existent pour assurer le contrôle des restrictions de circulation dans les ZFE-m :
- la constatation sur site par un agent ;
- la vidéo-verbalisation (un agent utilise les caméras installées sur l'espace public pour constater les infractions aux règles de circulation) ;
- le contrôle automatisé (les éléments relatifs à la constatation sont collectés sans intervention humaine par un appareil de type radar, permettant de lire les plaques d'immatriculation).
En pratique, la constatation sur site et la vidéo-verbalisation sont difficiles à mettre en oeuvre pour faire respecter les ZFE-m. La constatation sur site nécessite en effet des moyens humains très lourds pour assurer la surveillance de l'ensemble de la ZFE-m. Quant à la vidéo-verbalisation, elle nécessite également d'importants moyens humains et s'avère peu opérationnelle car très lourde : un agent doit utiliser le système de commande de la caméra pour vérifier l'absence de vignette Crit'air adéquate puis pour lire la plaque d'immatriculation. Il doit ensuite s'assurer que le véhicule ne fait pas partie des véhicules bénéficiant d'une dérogation aux mesures de restriction (liste « blanche ») et, enfin, rédiger le procès-verbal.
En conséquence, la LOM 57 ( * ) a permis le recours au contrôle automatisé des données signalétique des véhicules par les services de police et de gendarmerie nationales ou par les services de police municipale des communes sur le territoire desquelles a été instituée une ZFE-m 58 ( * ) . Aussi appelée « LAPI » (lecture automatisée des plaques d'immatriculation), cette technologie permet de lire les plaques d'immatriculation à partir d'un algorithme de traitement d'image, puis de croiser cette information avec un fichier recensant les véhicules autorisés à circuler. Des contrôles automatisés avec lecture de plaques par caméra se sont développés dans plusieurs pays européens, tels que le Royaume-Uni, le Danemark ou encore l'Espagne 59 ( * ) .
Une mission interministérielle pilotée par la DGITM a été chargée de travailler à la mise au point de cette solution de contrôle automatisé. Selon la DGEC, l'objectif visé serait la mise en oeuvre des premiers tests d'équipements de contrôle automatisé à partir de juillet 2023, dans quelques ZFE-M ciblées.
Les rapporteures estiment essentiel d'accélérer le développement de la LAPI afin de garantir l'efficacité des ZFE-m.
Proposition n° 8 - Accélérer le développement de la LAPI pour permettre l'effectivité du contrôle des règles de circulation en ZFE-m. [État].
* 50 Club Demeter et Ville de Paris - Mairie Paris 13, Communiqué de presse publié le 7 juillet 2021. https://www.certibruit.fr/media/7f9e70a8-55ea-11eb-bbb9-0242ac130 004/9880ca04-e3b5-11eb-b17d-0242ac130 004/202 107-communique-presse-experimentation-livraisons-nocturnes-club-demeter-mairie-de-paris-certibruit.pdf
* 51 GATMARIF, Livre blanc « Pour une logistique urbaine optimisée en Île-de-France à l'horizon 2030 ».
* 52 Articles L. 2213-1 et suivants du CGCT.
* 53 Cet article prévoit que les services numériques d'assistance au déplacement doivent notamment informer les utilisateurs des mesures de restriction de circulation visant les poids lourds prises par les autorités de police de la circulation en application de l'article L. 2213-1 du CGCT ou de l'article L. 411-8 du code de la route et des itinéraires proposés, dans le cas des services numériques d'assistance au déplacement spécifiques aux véhicules lourds.
* 54 Article 86 de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités.
* 55 Les valeurs limites de concentrations de polluants atmosphériques sont définies au niveau européen
et transposées en droit interne (article R. 122-1 du code de l'environnement).
* 56 Métropole de Lyon, Grenoble Alpes Métropole, Ville de Paris, Métropole du Grand Paris, métropole d'Aix Marseille Provence, métropole Nice-Côte d'Azur, Toulouse Métropole, métropole Toulon-Provence-Méditerranée, Montpellier-Méditerranée Métropole, Eurométropole de Strasbourg, métropole Rouen Normandie.
* 57 Article 86 de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités.
* 58 Article L. 2213-4-2 du CGCT.
* 59 Communication de l'Assemblée nationale, Mmes Valérie Beauvais et Camille Galliard-Minier, 29 juin 2021, Mission « flash » visant à comparer les expériences européennes en matière de zones à faibles émissions mobilité.