III. ACCROÎTRE LES CAPACITÉS DE FORMATION UNIVERSITAIRE ET DÉCONCENTRER UNE PARTIE DES DÉCISIONS EN MATIÈRE D'OFFRE MÉDICALE
À long terme, ce sont les capacités de formation qui constituent le levier principal des politiques d'offre de soins . Elles n'affectent toutefois la démographie médicale qu'au terme d'un délai équivalent à la durée des études concernées, au mieux. Pour les professions médicales et pharmaceutiques, il faut ainsi compter un minimum de cinq à dix ans (respectivement pour les sages-femmes et les médecins), avant que les effets des politiques axées sur ce levier ne commencent à produire leurs effets.
C'est la raison pour laquelle la mission d'information s'est d'abord intéressée à des solutions aux effets plus immédiats, pour accroître le temps médical des médecins en exercice et favoriser l'exercice des praticiens dans les zones sous-dotées. Une fois ces solutions instaurées, il est indispensable de les compléter par des mesures permettant d'agir sur le nombre de professionnels de santé formés, afin d'assurer de manière pérenne la couverture des besoins médicaux grandissants du fait de la dynamique démographique et du vieillissement de la population. L'augmentation du nombre de médecins formés ne sera toutefois pas, par elle-même, suffisante pour une meilleure adéquation entre offre et besoins au profit des territoires sous-dotés : c'est un préalable nécessaire, mais non suffisant, qui doit s'accompagner de mesures complémentaires, pour encourager l'installation dans les zones sous tension, voire la réguler temporairement pour corriger les inégalités territoriales d'accès aux soins.
A. ACCROÎTRE DE MANIÈRE SUBSTANTIELLE LES CAPACITÉS DE FORMATION DES FACULTÉS ET DES INSTITUTS DE FORMATION
Afin de tirer pleinement parti des potentialités du desserrement du numerus clausus 40 ( * ) , il est nécessaire d'accroître significativement les capacités de formation des universités. La réforme universitaire des études de médecine a conduit à une évolution significative, le numerus clausus cédant la place au numerus apertus , avec des objectifs pluriannuels de formation, liés désormais aux capacités de formation des différentes universités ainsi qu'aux besoins de santé des territoires.
Les objectifs nationaux pluriannuels de professionnels de santé à former
Les objectifs nationaux pluriannuels relatifs au nombre de professionnels de santé à former, par université, pour chacune des formations de médecine, de pharmacie, d'odontologie et de maïeutique sont aujourd'hui définis par un arrêté conjoint du ministre des solidarités et de la santé et du ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation 41 ( * ) , pour une période quinquennale.
Ces objectifs sont définis pour répondre aux besoins du système de santé, réduire les inégalités d'accès aux soins et permettre l'insertion professionnelle des étudiants , sur proposition d'une conférence nationale réunissant les acteurs du système de santé et des organismes et institutions de formation des professionnels de santé. Ces objectifs nationaux pluriannuels sont encadrés par un seuil minimal et maximal d'évolution possible, qui ne peut être inférieur à 5 % de part et d'autre de l'objectif, ainsi que l'illustre le tableau ci-après.
Source : Journal officiel.
Le desserrement du numerus clausus n'a cependant pas contribué à une augmentation massive du nombre d'étudiants. Au titre de l'année universitaire 2020-2021, dernière année d'application avant la réforme, le nombre maximal d'étudiants autorisés à poursuivre leurs études en médecine en deuxième ou troisième année était fixé à 9 361. L'année suivante, ce chiffre est passé à 10 675, soit une évolution de 14 %, certes importante, mais insuffisante au regard des besoins médicaux de la France. La progression du nombre d'étudiants est contrainte par les capacités de formation des facultés de médecine , à la fois par le nombre des enseignants, mais également par le nombre de salles de cours et de travaux pratiques dédiés aux enseignements, sachant qu'en moyenne 250-300 heures sont dédiées aux travaux pratiques sur le 1 er cycle.
Il convient dès à présent d' augmenter le nombre d'enseignants des facultés de médecine pour accompagner la progression de la capacité de formation. La création de 250 postes supplémentaires sur 5 ans annoncée en 2020 est, à cet égard, notoirement insuffisante pour répondre à l'évolution des besoins de formation ; cela représente 50 postes par an, répartis entre les 37 facultés de médecine, 24 de pharmacie et 16 d'odontologie, soit moins d'un poste par an en réalité par faculté . Qui plus est, la médecine générale dispose actuellement de trop peu d'enseignants, avec un ratio d'un enseignant pour 86 étudiants en médecine générale, alors que celui-ci est d'un enseignant pour 10 étudiants en moyenne dans les autres spécialités : l'augmentation des postes en médecine générale est nécessaire pour préserver la qualité des formations dispensées.
Proposition 26 : Accroître significativement les capacités de formation des facultés de médecine pour tirer pleinement parti du desserrement du numerus clausus et recruter des enseignants en médecine générale, trop peu nombreux.
Il est également recommandé d'agir pour accroître de manière plus sensible les capacités de formation des facultés situées dans des régions considérées comme moins attractives . Une étude de la Direction générale du Trésor 42 ( * ) de 2019, en analysant les déterminants du choix des étudiants en médecine, est parvenue à la conclusion que « c'est le choix de la spécialité qui prédomine sur celui de la région. Autrement dit, les spécialités les plus prisées sont attractives dans l'ensemble des lieux de formation. » Cette étude détaille les différents facteurs d'attractivité des spécialités, avec un effet positif des variables « honoraires moyens perçus » et « âge moyen des médecins en exercice ». Autrement dit, « plus le montant des honoraires par médecin est élevé dans une spécialité, plus celle-ci sera prisée dans le choix des étudiants de médecine. De même, plus l'âge moyen des praticiens de cette spécialité est élevé, plus les étudiants souhaiteraient l'exercer, probablement en raison des possibilités de postes que cela peut offrir avec des départs à la retraite ou des reprises de cabinet. » Ces critères exercent une influence plus déterminante que le choix de la région de formation.
Cette conclusion plaide pour rehausser le nombre de places dans les spécialités attractives (radiodiagnostic et imagerie médicale, dermatologie, gastro-entérologie, néphrologie, médecine interne, cardiologie, ophtalmologie, etc . ) afin d'attirer un plus grand nombre d'étudiants dans les régions dont l'attractivité médicale est moindre : l'on sait en effet qu'une part importante des médecins formés dans une région de France métropolitaine décide par la suite de s'y installer pour exercer. Cette mesure peut ainsi contribuer à améliorer la répartition territoriale de l'offre de soins.
Proposition 27 : Rehausser le nombre de places à l'internat dans les spécialités les plus attractives au sein des régions ayant davantage de difficultés à attirer de nouveaux internes.
De même, dans une logique de montée en puissance des structures d'exercice coordonné, il convient dès la rentrée universitaire prochaine d' accroître les capacités de formation des écoles d'infirmiers et de sages-femmes , pour gagner du temps médical nouveau d'ici 5 ans.
Une autre piste intéressante à explorer consiste en l' universitarisation du cursus de masso-kinésithérapie : cette mesure permettrait de mettre fin aux grandes disparités de frais de scolarité et d'augmenter le nombre de professionnels de masso-kinésithérapie formés. Actuellement, les frais de scolarité des instituts de formation en masso-kinésithérapie (IFMK) s'échelonnent de 170 € à 9 250 €, avec une moyenne de 5 200 €. Le président de la fédération nationale des étudiants en kinésithérapie (FNEK) a indiqué au rapporteur que plus de 30 % des étudiants ayant choisi cette spécialité ont contracté un emprunt bancaire et que le coût moyen de la rentrée pour un étudiant en masso-kinésithérapie est de 5 400 € supérieur à celui de la moyenne des étudiants toutes matières confondues. Confier ces formations à l'Université permettra d'harmoniser les frais de scolarité et de lever les contraintes financières qui constituent un obstacle au choix de ce cursus universitaire.
Proposition 28 : Envisager la possibilité que le cursus de masso-kinésithérapie soit universitaire pour lever les contraintes financières pesant sur le choix de cette spécialité.
* 40 Par la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé.
* 41 Arrêté du 13 septembre 2021 définissant les objectifs nationaux pluriannuels de professionnels de santé à former pour la période 2021-2025 ( https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000 044 053 576 ).
* 42 Lettre Trésor-Eco n° 247, Comment lutter contre les déserts médicaux ?, octobre 2019.