D. LES PRÉREQUIS À UNE BONNE APPLICATION DU PAQUET : L'ÉVALUATION ET LA COMPENSATION FINANCIÈRES, LA STABILITÉ NORMATIVE, LA NEUTRALITÉ TECHNOLOGIQUE ET UNE SUBSIDIARITÉ EFFECTIVE

Les rapporteurs retiennent de leurs travaux plusieurs enseignements généraux , car le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » présente des difficultés de méthode.

Tout d'abord, ce paquet constitue une juxtaposition de textes, très larges et très techniques, dont l'évaluation doit être renforcée . En effet, il intervient dans un contexte de grave crise des prix des énergies, déclenchée par la crise de la Covid-19 et accélérée par la guerre en l'Ukraine. Son impact sur le pouvoir d'achat des ménages, la compétitivité des entreprises et la soutenabilité financière des collectivités doit être mesuré avec attention.

C'est pourquoi les rapporteurs ont soutenu une référence, dans la PPRE, aux « effets potentiels du paquet [...] et à la forte hausse des prix des énergies, qui invitent à réformer le marché européen de l'électricité. »

Deuxièmement, ce paquet manque de stabilité, de lisibilité et de cohérence ; or, les incertitudes juridiques nuisent aux investissements économiques . Environ trois ans après la loi « Énergie-Climat », de 2019, et six mois après la loi « Climat-Résilience », de 2021, le paquet oblige à revoir une grande partie de la transposition du droit européen dans les secteurs de l'énergie et du bâtiment. À titre d'illustration, les normes de performance énergétique applicables aux bâtiments viennent tout juste d'être révisées, qu'il s'agisse de ceux neufs (réglementation environnementale 2020 - RE2020 52 ( * ) ) ou de ceux existants (diagnostic de performance énergétique - DPE 53 ( * ) ).

Aussi les rapporteurs ont-ils plaidé pour une référence dans la PPRE au « besoin d'une stabilité normative et de perspectives claires pour développer les investissements [...] invitant donc la Commission européenne à éviter l'instabilité de la législation européenne en matière d'énergie, notamment. »

Troisièmement, ce paquet ne respecte pas toujours la neutralité technologique entre les énergies décarbonées, renouvelables comme nucléaire . Pourtant, la définition du mix énergétique relève de la compétence exclusive des États membres , en application de l'article 194 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). La France bénéfice d'ailleurs d'un avantage comparatif : parce qu'elle dispose d'un mix énergétique plutôt décarboné (40 % de l'énergie brute pour l'énergie nucléaire et 11 % pour celle renouvelable), elle est moins dépendante aux gaz et pétrole russes (moins de 25 % pour le gaz et de 50 % pour le pétrole, contre plus de 75 % pour la Finlande, la République tchèque, la Hongrie ou la Bulgarie) (voir encadré ci-après) .

C'est la raison pour laquelle les rapporteurs ont soutenu une référence dans la PPRE au fait que « l'Union européenne ne doit se priver d'aucune technologie permettant d'atteindre les objectifs ambitieux qu'elle s'est assignés ».

Enfin, ce paquet induit des surcoûts pour les consommateurs d'énergie, particuliers comme professionnels, qui doivent être limités . Cela suppose de ne pas fixer d'objectifs mal calibrés ou non financés, car la transition énergétique a un coût qui doit être pris en charge, dans un souci de solidarité et de compétitivité, par l'Union européenne et ses États membres. Ainsi, toute nouvelle contrainte normative appelle de nouveaux moyens budgétaires. De plus, si la fiscalité énergétique doit être verdie, elle n'a pas à être pour autant alourdie.

Ainsi, les rapporteurs se sont montrés favorables à une référence dans la PPRE à « la nécessité de préserver et de renforcer encore la compétitivité des entreprises de l'Union [...] en prenant en compte les effets potentiels de recomposition des filières économiques, notamment sur l'emploi. »

L'évaluation et la compensation financières, la stabilité normative, la neutralité technologique et une subsidiarité effective constituent , en définitive, les prérequis indispensables pour réussir la transition énergétique .

C'est la conviction des rapporteurs, dont les recommandations visent à conforter l'ambition du paquet , en veillant à ce que ses modalités d'application soient plus simples et plus neutres, donc plus effectives, car mieux acceptées.

À ces conditions, la transition énergétique ne sera plus perçue comme une obligation juridique, mais comme une opportunité économique , à même de relever les défis auxquels la France et l'Union européenne sont confrontés.

• le premier défi est l'indépendance énergétiqu e, car la guerre en Ukraine démontre la nécessité de réduire notre dépendance au gaz, émissif et importé. Cela suppose de relancer l'énergie nucléaire, mais aussi de développer les énergies renouvelables et leur stockage ;

• le deuxième est l'autonomie minière , puisque la transition énergétique induit une très forte consommation de métaux rares, dont l'approvisionnement doit être sécurisé et les émissions maîtrisées. La fabrication de nos panneaux solaires, de nos pales d'éoliennes, de nos batteries électriques ou de nos électrolyseurs d'hydrogène en dépend.

• le dernier est la relocalisation industrielle , car la décarbonation de notre économie repose sur des industries énergétique, automobile, agroalimentaire ou du bâtiment actives, sources d'emploi, de recherche et d'innovation. Il faut d'urgence relocaliser nos chaînes de valeur et consolider notre autonomie stratégique.

Pour les rapporteurs, les références dans la PPRE à « la résilience de l'économie européenne » , mais aussi à « l'indépendance et la souveraineté énergétiques de l'Union européenne » et à « son autonomie stratégique » sont donc cruciales.

Les États membres de l'Union européenne
face à la transition énergétique et à la dépendance russe : des situations hétérogènes

Les États membres de l'Union européenne présentent une forte hétérogénéité , s'agissant de la composition de leur mix énergétique, de leur dépendance extérieure - notamment vis-à-vis du gaz et du pétrole russes, et de leur transition énergétique - en particulier en matière d'énergies renouvelables et d'efficacité énergétique.

Tout d'abord, le choix du mix énergétique varie nettement entre les États membres.

L'ensemble des États membres recourent encore à des énergies fossiles, notamment au gaz et au pétrole. Pour autant, seuls 5 pays européens ont, en 2019, une part de pétrole dans leur énergie brute disponible supérieure à 50 % : l'Irlande (50,1 %), la Grèce (55 %), le Luxembourg (64,9 %), Malte (87 %) et Chypre (89,9 %). De plus, seuls 3 pays européens ont une part de charbon dans cette énergie supérieure à 25 % : la Bulgarie (27 %), la République tchèque (32,2 %) et la Pologne (41,2 %).

S'agissant de l'énergie nucléaire, près de la moitié des États membres y recourent. Sa part dépasse 20 % de l'énergie brute disponible dans 4 pays : la Bulgarie (22,1 %), la Slovaquie (23,8 %), la Suède (30,1 %) et la France (40,3 %).

Quant aux énergies renouvelables et aux biocarburants, ils représentent en moyenne entre 10 % et 20 % de l'énergie brute disponible des États membres. Pour autant, 5 pays présentent dans ce domaine une part allant au-delà de 30 % : l'Autriche (30 %), le Danemark (33,3 %), la Finlande (35,4 %), la Lettonie (36,8 %) ou la Suède (39,6 %).

Source : Toute l'Europe, janvier 2022

Plus encore, la dépendance énergétique des États membres à l'égard de pays tiers, et singulièrement des importations d'hydrocarbures russes, est aussi variable .

La dépendance au gaz russe est forte dans certains pays , 10 ayant des importations supérieures à 75 % (Finlande, Estonie, Lettonie, Autriche, République tchèque, Slovaquie, Hongrie, Slovénie, Roumanie, Bulgarie). Ces importations s'établissent entre 50 et 75 % dans 3 pays (Allemagne, Pologne, Suède). Cette dépendance est, en revanche, inférieure à 25 % dans 6 pays européens (Irlande, Belgique, Pays-Bas, Portugal, Espagne, Croatie). La France se trouve dans une situation intermédiaire, avec des importations inférieures à 50 %, tout comme l'Italie et la Grèce.

Source : Le Monde , février 2022

La dépendance au pétrole russe est aussi importante dans d'autres pays, 4 ayant des importations supérieures à 75 % (Finlande, Slovaquie, Hongrie, Bulgarie). Ces importations s'élèvent entre 50 % et 75 % dans 2 pays (Pologne, Lituanie) et entre 25 et 50 % dans 4 pays (Pays-Bas, Allemagne, Autriche, Roumanie). Quant à la France, elle présente une proportion inférieure à 25 %, tout comme 11 autres pays (Irlande, Belgique, Danemark, Suède, Estonie, Portugal, Espagne, Italie, Autriche, Croatie, Grèce).

Source : Le Monde , février 2022

Enfin, sur le plan de la transition énergétique, les États membres évoluent dans le même sens, mais à des rythmes différents .

Ce constat est ainsi lisible s'agissant des énergies renouvelables.

Entre 2019 et 2020 , la part des énergies renouvelables a augmenté dans la majorité des États membres ; ces derniers ont atteint ou étaient proches d'atteindre, à l'exception notable de la France, leurs objectifs fixés pour l'année 2020 .

Néanmoins, un écart considérable subsiste entre les États membres dans la part des énergies renouvelables . Tandis qu'en Suède, cette part avoisine les 55 %, elle reste inférieure à 20 % dans 11 pays (France, Croatie, Slovaquie, Chypre, Irlande, Pays-Bas, Hongrie, Belgique, Pologne, Luxembourg, Malte).

Source : Agence européenne pour l'environnement (AEE), mars 2022

Un constat similaire peut être dressé en matière d'efficacité énergétique.

Entre 2005 et 2019, les émissions de GES liées aux bâtiments ont été réduites dans l'ensemble des États membres de l'Union européenne , à l'exception de 3 pays (Luxembourg, Lituanie, Malte).

Cette baisse a atteint entre 30 et 40 % dans 5 pays européens (Autriche, Croatie, Finlande, France, Hongrie) et plus de 40 % dans 5 autres (Danemark, Grèce, Portugal, Slovénie, Suède).

Source : Agence européenne pour l'environnement (AEE), octobre 2021


* 52 Décret n° 2021-1004 du 29 juillet 2021 relatif aux exigences de performance énergétique et environnementale des constructions de bâtiments en France métropolitaine.

* 53 Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (articles 148 à 190).

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