B. LA PROPOSITION DE CRÉATION D'UN MÉCANISME D'AJUSTEMENT CARBONE AUX FRONTIÈRES : UNE ALTERNATIVE À L'ALLOCATION GRATUITE DE QUOTAS

Pour mieux cibler les quotas gratuits - condition essentielle au respect de l'objectif de baisse des émissions du SEQE-UE de 61 % d'ici 2030 par rapport à 2005 - tout en limitant les risques de fuites de carbone, la Commission européenne propose la mise en place d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) . Dans les secteurs non couverts par ce dispositif, la réduction du nombre de quotas gratuits passerait par d'autres leviers déjà identifiés par le présent rapport 26 ( * ) .

Le règlement MACF proposé par la Commission européenne en 2021 constitue l'aboutissement d'une série d'initiatives européennes , et en particulier françaises, depuis la création du SEQE-UE en 2005.

Mécanisme d'ajustement carbone aux frontières : quinze ans de propositions, notamment à l'initiative de la France

Au niveau européen, les réformes relatives aux différentes phases du SEQE ont fait émerger la question de la mise en place d'un MACF, à trois reprises :

- en 2007 , en vue de la troisième phase du SEQE (2013-2020), la Commission européenne a émis une proposition informelle visant à inclure les importateurs européens de secteurs ciblés dans le marché carbone et à rembourser des exportateurs européens, en prenant en compte la moyenne européenne des émissions de produits considérés ;

- en 2009 , la France proposait que des importateurs soient contraints de prendre part au SEQE, et ce dans le respect des règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) : les pays les moins coopératifs en matière climatique étaient ciblés, et seules les émissions de production étaient retenues ;

- en 2016 , au lendemain de la signature de l'Accord de Paris, la France a de nouveau été force de proposition : l'industrie européenne du ciment devait intégrer un système de tarification des émissions des produits importés, en substitution des allocations de quotas gratuits.

En définitive, ces projets n'ont pas été formellement repris par la Commission européenne, le troisième ayant notamment fait l'objet d'un amendement finalement rejeté par le Parlement européen, lors de l'examen du projet de réforme du SEQE relatif à sa quatrième phase (2021-2030).

Par trois fois, le maintien du système d'allocations gratuites et la plus grande rationalisation dans l'attribution de ces quotas - notamment par la mise en place des référentiels - ont donc été privilégiés à la mise en place d'un MACF, alors jugé fragile eu égard aux bases juridiques de l'OMC.

Le MACF s'envisage, sinon comme une condition nécessaire, du moins comme le corollaire de l'augmentation du prix du carbone européen du SEQE-UE , en ce qu'il permet de préserver l'ambition climatique de l'Union européenne et de garantir des conditions de concurrence équitables , tout en incitant ses partenaires commerciaux à s'aligner sur le signal prix européen du carbone.

Si la finalité du MACF est donc bien identifiée, sa nature juridique, hybride, est quant à elle plus difficile à déterminer (voir encadré).

Un outil hybride de politique publique, entre mécanisme fiscal et droit de douane

A priori , le MACF s'intègre à la famille des ajustements fiscaux à la frontière (AFF). Établie en 1970 par le GATT, confirmée par l'OMC en 1997 et retenue plus largement par l'OCDE, la définition des AFF recouvre « toutes mesures fiscales qui donnent effet, complètement ou partiellement, au principe du pays de destination, c'est-à-dire qui permettent d'exonérer en totalité ou en partie, les produits exportés de la taxe grevant dans les pays exportateurs les produits nationaux similaires vendus aux consommateurs sur le marché intérieur et de prélever, en totalité ou en partie, sur les produits importés vendus aux consommateurs la taxe grevant dans le pays importateur les produits nationaux similaires » .

Pour assimiler le MACF à un AFF, encore faudrait-il considérer le SEQE-UE européen comme un outil fiscal. Or, le SEQE-UE constitue bien un mécanisme de marché décentralisé, et non un prélèvement direct ou indirect appliqué à un produit.

Il apparait que le MACF, tel qu'il est proposé par la Commission européenne, ne peut donc pas être assimilé à un instrument fiscal. Deux options - d'une part, une taxe carbone appliquée aux importations ajustée en fonction de la tarification carbone européenne, et d'autre part, un droit d'accise sur les matériaux particulièrement intensifs en carbone qu'ils soient importés ou consommés au sein de l'Union - sont d'ailleurs présentées par l'étude d'impact comme des alternatives au mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et n'ont pas été retenues par la Commission européenne.

À première vue, le MACF présente également des caractéristiques comparables aux droits de douane, dès lors qu'il vise à imposer un droit sur des produits importés. Cette comparaison est néanmoins limitée. Tandis que le droit de douane est conditionné par l'origine des produits importés et a comme fait générateur l'entrée physique d'un produit sur le territoire, aucun de ces critères ne s'applique réellement au mécanisme proposé par la Commission européenne. Contrairement aux droits de douane, le MACF ne peut exister indépendamment des mesures fiscales internes, puisque son objet consiste à assurer une équivalence de traitement entre les produits importés et les produits européens.

1. Le MACF : un « miroir » au SEQE-UE, appliqué aux importations

Le MACF peut être défini comme un dispositif de tarification du carbone sur les importations, à hauteur de la tarification pratiquée sur le marché intérieur . Il constitue à ce titre un mécanisme de protection des industries européennes, contraintes de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre dans le cadre du système d'échange de quotas d'émissions.

Selon la proposition de règlement présentée par la Commission européenne en 2021, les importateurs devraient déclarer les émissions directes réelles associées à la fabrication des produits importés .

Si le contenu carbone d'un produit importé ne peut être déterminé de manière satisfaisante, la valorisation serait alors fondée sur la moyenne des émissions de chaque pays exportateur , et à défaut sur l'intensité moyenne des émissions des 10 % d'installations les moins performantes de l'Union.

Les importateurs devraient, dans un second temps, restituer à l'autorité nationale compétente le nombre de certificats correspondant aux émissions déclarées. Il pourra, le cas échéant, être tenu compte du prix du carbone payé dans le pays d'origine .

Le prix d'achat des certificats serait équivalent à la valeur de clôture des quotas du SEQE-UE pour chaque semaine civile, garantissant ainsi une corrélation entre les prix assignés aux produits intégrés au MACF et les prix fixés sur le système d'échanges de quotas.

En cas de non restitution de tout ou partie des certificats au-delà du délai imparti, le déclarant serait passible d'une amende pouvant être majorée en proportion du nombre de certificats restant à restituer. Les éventuels excédants de certificats MACF pourraient être rachetés par l'autorité compétente, au prix initialement payé par le déclarant.

75 % des revenus générés par le système abonderaient le budget européen - soit 1 milliard d'euros par an en moyenne entre 2026 et 2030 - le reste ayant vocation à couvrir les coûts de fonctionnement du mécanisme.

2. Un mécanisme limité à certains produits de base

En l'état, le périmètre du MACF proposé par la Commission s'applique aux producteurs d'électricité, de fer et d'acier, d'aluminium, de ciment et d'engrais .

Plusieurs critères ont été mobilisés pour déterminer les secteurs assujettis au mécanisme :

- capacité à calculer l'intensité carbone des produits importés. Ce critère se justifie notamment par la volonté d'assurer la conformité du mécanisme aux règles de l'OMC (voir infra ). À ce stade, il conduit de fait à limiter le mécanisme aux produits de base, et à exclure les produits finis ;

- exposition des secteurs à un risque de fuites de carbone . En pratique, seuls les secteurs bénéficiant d'une pleine allocation de quotas gratuits au titre de SEQE-UE peuvent donc être intégrés ;

- niveau d'émissions de gaz à effet de serre des secteurs justifiant la mise en place d'un mécanisme en substitution des quotas gratuits.

Par ailleurs, une analyse du système prévue d'ici à 2026 doit permettre d'envisager l'élargissement du périmètre du MACF à d'autres produits ou encore la prise en compte des émissions indirectes , c'est-à-dire celles issues de la production d'électricité nécessaire à la fabrication des produits, pour l'heure non prises en compte.

3. Une phase transitoire dès 2023, une entrée en vigueur progressive dès 2026, jusqu'à l'extinction totale des quotas gratuits en 2036

Entre 2023 et 2025 , les importateurs seraient simplement soumis à une obligation de déclaration de l'empreinte carbone des produits importés en vue de la mise en place effective du MACF.

Le mécanisme commencerait à s'appliquer en 2026, sans pour autant que les quotas gratuits au titre du SEQE-UE ne disparaissent à cette date.

En effet, à compter de 2026, une période de transition de dix ans permettra de réduire progressivement l'allocation de quotas gratuits dans les secteurs couverts, à hauteur de 10 % par an.

Dans les secteurs concernés, le MACF viendrait donc se substituer pleinement à l'allocation gratuite au titre du SEQE-UE dès 2036.


* 26 Réduction accrue de la valeur des référentiels et allocation gratuite conditionnée à la réalisation d'audits énergétiques ; extinction des quotas gratuits dans le transport aérien d'ici à 2027 ; extinction d'ici 2030 des quotas gratuits dans les industries considérées comme non exposées à un risque de fuites de carbone (disposition déjà prévue par la révision de la directive SEQE-UE en 2018).

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