I. LES DERNIÈRES RÉFORMES FERROVIAIRES NE SUFFIRONT PAS À RÉTABLIR LA SITUATION FINANCIÈRE DE LA SNCF
A. 1997-2017 : DES RÉFORMES INSUFFISANTES POUR EMPÊCHER UNE DÉGRADATION CONSTANTE DE LA SITUATION FINANCIÈRE DE LA SNCF
1. La création de réseau ferré de France (RFF) n'a pas enrayé la spirale de la dette ferroviaire
Depuis sa création le 31 août 1937 et jusqu'à la réforme de 1997, la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) est en charge du réseau ferroviaire national et de son exploitation. Elle se constitue en établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) à partir de 1983, avec pour actionnaire majoritaire l'État.
Dans le cadre de la directive européenne 91/440/CEE du 29 juillet 1991 relative au développement des chemins de fer communautaires et dans un contexte d'endettement croissant du groupe SNCF, la loi du 13 février 1997 créée l'EPIC réseau ferré de France (RFF) auquel est transféré la gestion du réseau ferroviaire. Le transfert de la propriété des voies et de la dette ayant servi à leur financement à RFF a permis d'alléger l'endettement de la SNCF de 20,6 milliards d'euros.
Cependant, le cantonnement de la gestion du réseau et de son encours de dette n'a pas permis d'endiguer le mouvement d'endettement constaté depuis la création du groupe. Au contraire, la dette d'infrastructure double entre 1997 et 2014 : elle est évaluée à 39,3 milliards d'euros en 2014 . Cette hausse s'explique principalement par le sous-investissement de l'État dans son réseau ferroviaire dans un contexte de multiplication des lignes à grande vitesse (LGV), de dépendance de RFF aux activités de la branche infrastructure de la SNCF, symptomatique de l'échec de la réforme de 1997, et de dégradation continue du réseau ferroviaire national.
De la fin des années 2000 au milieu de la décennie 2010, le développement de nouvelles lignes à grande vitesse (LGV) s'est fortement accéléré . Le schéma national des infrastructures de transport (SNIT) élaboré en 2011 comportait quatorze projets de nouvelles LGV. Quatre de ces projets ont été réalisés au prix d'un accroissement considérable de la dette du gestionnaire d'infrastructure : la deuxième phase de la LGV Est, la LGV Bretagne-Pays de la Loire, la LGV Tours - Bordeaux, et la LGV Nîmes-Montpellier. Dans un rapport publié en 2014 2 ( * ) , la Cour des comptes a démontré à quel point les coûts de construction des LGV ont augmenté , passant de 4,8 millions d'euros par kilomètre pour la ligne Paris-Lyon à 26 millions d'euros par kilomètre pour la ligne Sud Europe Atlantique (Tours-Bordeaux), dont le coût total s'est élevé à 7,8 milliards d'euros.
Dans ce même rapport, la Cour des comptes constatait que le modèle mis en place en 1997 induisait une relation déséquilibrée entre les deux EPIC et limitait considérablement l'autonomie réelle de RFF . En pratique, RFF devait déléguer nombre de ses principales missions à la SNCF , dont le fonctionnement et l'entretien des infrastructures techniques, la sécurité ou encore la gestion opérationnelle des circulations sur le réseau. Le coût tarifaire de ces activités était régulièrement revalorisé et la délégation de missions ne permettait pas au groupe de gagner en compétitivité . Ainsi, RFF était rendu dépendant des performances de la SNCF. La Cour des comptes notait également que les redevances de la SNCF pour RFF avaient souvent été sous-estimées au regard de sa capacité contributive, une des manifestations de la relation déséquilibrée entre les deux EPIC.
L'audit réalisé par l'école polytechnique de Lausanne et publié en septembre 2005, dit rapport Rivier 3 ( * ) , avait dressé le constat accablant d'une dégradation chronique du réseau ferroviaire depuis les années 1980. Le contrat de performance de RFF pour 2008-2014 et le grand plan de modernisation du réseau (GPMR) de 2013 ont répondu en partie aux enjeux de rénovation des voies en industrialisant la politique de maintenance. Cependant, le besoin de modernisation du réseau a été laissé de côté . Aujourd'hui encore cet enjeu est négligé et le réseau français accumule retard et performance sous-optimale. Sur le plan financier, les travaux de rénovation se révèlent anormalement onéreux puisque le coût de renouvellement des voies a augmenté de 31 % entre 2010 et 2017 contre une hausse moyenne de 5 % de l'indice général des travaux publics. Cette différence s'explique notamment par une mauvaise maitrise des charges de personnel.
Si le transport de voyageurs connaît un regain dans les années 2000, la situation financière de RFF n'est plus tenable . Ses charges ont considérablement augmenté suite au développement des lignes à grande vitesse et dans le cadre des travaux de rénovation des voies, sans qu'il dispose de ressources suffisantes pour les couvrir. L'endettement croissant du gestionnaire d'infrastructure et la hausse de ses frais financiers ont amené les pouvoirs publics à questionner le modèle à deux EPIC .
2. 2014 : SNCF Réseau intègre un groupe ferroviaire unifié dont la situation financière s'aggrave dangereusement
La loi du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire revient sur la réforme de 1997. Elle crée un groupe public ferroviaire unifié avec trois EPIC aux rôles distincts : SNCF à la tête du groupe, SNCF Mobilités, l'opérateur de transports et SNCF Réseau, le gestionnaire d'infrastructure unique et désormais de plein exercice.
Cette réforme structurelle devait permettre de maîtriser la dette du groupe et d' accompagner la SNCF dans la perspective de l'ouverture à la concurrence des espaces ferroviaires européens. Mais malgré un contexte alarmant d'emballement d'une dette devenue colossale (55 milliards d'euros, détenue à 80 % par SNCF Réseau) et de charges d'intérêts proprement insoutenables (1,3 milliard d'euros pour SNCF Réseau à lui seul), les outils de maîtrise de la dette prévus par la loi de 2014 seront rendus effectifs très tardivement .
Ainsi, la règle d'or sensée mettre un terme à l'emballement de la dette du gestionnaire d'infrastructure et désormais codifiée à l'article L. 2111-10-1 du code des transports, n'est-elle instaurée par décret que le 30 mars 2017 . Elle prévoit que l'EPIC SNCF Réseau ne peut pas contribuer à des projets de développement dès lors que le ratio de son endettement net sur sa marge opérationnelle dépasse un seuil fixé par voie réglementaire. La loi du 4 août 2014 entend également renforcer la gouvernance du groupe et le pilotage par l'État du gestionnaire d'infrastructure . Aussi, en application des normes européennes, prévoit-elle l'élaboration d'un contrat de performance pluriannuelle pour SNCF Réseau . Ce contrat, aux insuffisances multiples et dont les trajectoires financières étaient irréalistes (voir infra ) ne sera signé qu'en 2017 pour la période 2017-2026.
La réforme de 2014 porte l'objectif d'un autofinancement de SNCF Réseau par la voie de gains de productivité, de péages ferroviaires élevés et le versement annuel d'une part des bénéfices dégagés par SNCF mobilités 4 ( * ) .
La réforme de 2014 a considérablement élargi les missions et les compétences du régulateur. Elle associe beaucoup plus étroitement l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) au suivi financier du secteur . L'Autorité veille ainsi au respect de la trajectoire financière de la SNCF Réseau , suit les conditions de financement de ses projets d'investissements et émet des avis conformes sur la tarification de l'ensemble des composantes de l'infrastructure. L'Autorité est consultée pour rendre des avis consultatifs sur les contrats conclus entre l'État et la SNCF, les concours financiers apportés à SNCF Réseau ainsi que sur son budget prévisionnel. Enfin, la réforme de 2014 a séparé les fonctions de poursuite et d'instruction au sein de l'Autorité.
* 2 La grande vitesse ferroviaire : un modèle porté au-delà de sa pertinence, Cour des comptes, octobre 2014.
* 3 Audit sur l'état du réseau ferré national français, laboratoire d'intermodalité des transports et de planification de l'école polytechnique fédérale de Lausanne, septembre 2005.
* 4 40 % de son résultat net récurrent.