LISTE DES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS
Gouvernance et performance : l'impérieuse révolution de la SNCF
Recommandation n° 1 : mettre en place une véritable culture de la performance à tous les niveaux de SNCF Réseau ainsi qu'un pilotage par objectif indispensables pour moderniser une organisation encore peu familiarisée avec les enjeux de productivité et diligenter un audit financier externe indépendant (SNCF Réseau).
Recommandation n° 2 : préciser, documenter puis assurer un suivi réel, rigoureux et transparent des objectifs de performance de SNCF Réseau pour réaliser des économies structurelles d'au moins 1,5 milliard d'euros d'ici 2026 (SNCF Réseau).
Recommandation n° 3 : accélérer la modernisation du système d'information de SNCF Réseau, le doter d'une comptabilité analytique et promouvoir avec plus de volontarisme l'innovation et la digitalisation de ses activités (SNCF Réseau).
Recommandation n° 4 : amplifier le rythme de réduction d'effectifs à un niveau de 2 % par an pour économiser au moins un milliard d'euros d'ici 2026 (SNCF).
Recommandation n° 5 : renforcer sensiblement la polyvalence des personnels, promouvoir l'externalisation, développer la rémunération au mérite et décentraliser la négociation collective afin d'optimiser l'organisation du temps de travail, pour des gains potentiels, à terme, supérieurs à 500 millions d'euros par an (SNCF).
Recommandation n° 6 : mettre en place une politique tarifaire résolument orientée vers l'accessibilité et la transparence (SNCF Voyageurs).
Remettre à plat les relations
financières entre l'État,
la SNCF et les
régions
Recommandation n° 7 : sortir SNCF Réseau du groupe SNCF pour que son indépendance soit réellement garantie (État).
Recommandation n° 8 : porter au moins à 3,8 milliards d'euros l'effort de régénération annuel d'ici 2030 afin d'assurer le renouvellement du réseau structurant (État).
Recommandation n° 9 : réaliser une évaluation actualisée des conséquences financières de la crise sanitaire pour la SNCF et, le cas échéant, prévoir un dispositif financier permettant de préserver ses investissements (État).
Recommandation n° 10 : révolutionner le modèle de financement du réseau en réduisant les péages au niveau des principaux pays européens pour favoriser le développement du mode ferroviaire et la baisse du prix des billets (État).
Recommandation n° 11 : programmer le déploiement rapide des projets de modernisation du réseau (la commande centralisée et la technologie de signalisation ERTMS) dont les enjeux financiers cumulés dépassent les 35 milliards d'euros mais qui sont sources d'économies pour SNCF Réseau, notamment en termes de charges de personnel, et de gains socio-économiques considérables (SNCF Réseau et État).
Recommandation n° 12 : dans le cadre de ses relations conventionnelles avec les régions, la SNCF doit réaliser des gains de productivité d'au moins 35 % afin que les coûts de roulage des services conventionnés se rapprochent des standards européens et renoncer aux sur-spécifications aussi superfétatoires que coûteuses en matière d'acquisition du matériel roulant (SNCF Voyageurs).
Recommandation n° 13 : l'engagement stratégique de l'État pour le réseau ne peut pas se réduire à un document comptable mais bien plutôt se traduire dans un contrat de performance, ambitieux, précis et crédible, fondé sur de véritables engagements réciproques lisibles à dix ans et intégrant l'ensemble des enjeux du futur de la mobilité ferroviaire, y compris la modernisation du réseau et le green deal européen (État).
Recommandation n° 14 : l'État doit être moteur pour inciter l'Union européenne à contribuer davantage au financement du secteur ferroviaire, notamment s'agissant de la modernisation des infrastructures, du fret et plus généralement dans le cadre des enjeux portés par le green deal tandis que la SNCF doit saisir toutes les opportunités de financements communautaires existantes (État et SNCF).
Relance du fret et aménagement ferroviaire du
territoire
:
passer de la parole aux actes
Recommandation n° 15 : prévoir le financement des 10 milliards d'euros d'investissements nécessaires dans les infrastructures de fret à horizon 2030 (État et SNCF Réseau).
Recommandation n° 16 : réaliser un bilan de l'efficacité des aides accordées aux opérateurs de fret ferroviaire et, le cas échéant, envisager de renforcer ces concours pour se donner les moyens d'atteindre l'objectif d'un doublement de la part modale d'ici 2030 (État).
Recommandation n° 17 : prévoir et planifier les financements nécessaires à l'exploitation des nouvelles lignes de trains de nuit (État).
Recommandation n° 18 : inverser la tendance au désengagement de l'État dans le financement des petites lignes et augmenter les investissements qui leur sont consacrés pour respecter la trajectoire définie à horizon 2028 par le rapport Philizot (État).
Recommandation n° 19 : clarifier la stratégie de l'État en ce qui concerne le développement des services de trains d'équilibre du territoire (TET) et le modèle de financement qui devra l'accompagner alors que les investissements nécessaires s'élèveraient à plusieurs milliards d'euros (État).
INTRODUCTION
À la fois critiquée mais aussi aimée de nos concitoyens, qui lui portent un réel attachement, la SNCF occupe une place à part dans la vie et l'imaginaire des français. Elle est également au coeur des préoccupations des pouvoir publics avec lesquels elle entretient des relations étroites. Sa situation financière déficitaire interpelle et agace nos « concitoyens contribuables » qui s'interrogent quant à savoir si la SNCF retrouvera un jour une situation financière équilibrée. Depuis deux ans, la crise sanitaire, aussi violente soit-elle pour le transport de voyageurs, a eu tendance à servir de justificatif aux difficultés récurrentes et structurelles de la société. La réalité est en fait bien différente.
Le coeur de métier de la SNCF reste dans une situation financière très délicate. Les espoirs de retour à l'équilibre financier du groupe dépendent des performances de filiales extérieures à son activité principale, au premier rang desquelles Geodis et Keolis, qui ont tendance à masquer les difficultés financières de la SNCF. La compétitivité de la SNCF reste nettement inférieure à celle de ses concurrents.
Le modèle économique de SNCF Réseau est quand-à-lui dans l'impasse. Sa situation financière est structurellement déséquilibrée et ses objectifs de retour à l'équilibre supposent une augmentation non soutenable des péages acquittés par les opérateurs et les régions ainsi qu'un rationnement de ses investissements dans les infrastructures. Par ailleurs, du fait d'un fonctionnement et d'une organisation encore largement emprunts des lourdeurs du passé, SNCF Réseau souffre de la comparaison avec ses homologues européens. Il n'a toujours pas entrepris de véritables gains de productivité et il fait porter l'essentiel de ses économies sur ses fournisseurs. Sa productivité stagne depuis 20 ans et la circulation d'un train en France requière 3 fois plus d'agents qu'ailleurs. Le déficit de performance de SNCF Réseau, ses profonds déséquilibres financiers, et l'impasse de son modèle économique se répercutent sur l'état très inquiétant des infrastructures ferroviaires françaises. Alors que l'âge moyen du réseau national (29 ans) reste nettement plus élevé qu'ailleurs en Europe (17 ans en Allemagne) et qu'il souffre d'un déficit de performance manifeste, les investissements consacrés à sa régénération sont notoirement insuffisants.
Au-delà de sa régénération, la modernisation du réseau national est un enjeu fondamental. Les rapporteurs spéciaux s'étonnent qu'aucune véritable programmation ni aucun modèle de financement sérieux n'aient été prévus en France pour développer les programmes de commande centralisées du réseau (CCR) et d'ERTMS. Cette situation prive le gestionnaire d'infrastructure de perspectives de gains d'efficience considérables. Elle promet aussi d'accroître le retard déjà phénoménal de la France dans ce domaine. Notre pays devient un frein au développement de l'espace ferroviaire européen. Il est regrettable que l'État place si souvent la SNCF devant des injonctions contradictoires. Le refus de consacrer des financements au déploiement d'un programme tel que la CCR, gisement considérable de gains de productivité, conjugué aux objectifs de performance fixés à SNCF Réseau en est un exemple manifeste.
Face aux difficultés rencontrées par la SNCF et le modèle ferroviaire français en général, l'État a abandonné toute vision stratégique. D'ailleurs, lorsqu'il affiche des objectifs de développement de la mobilité ferroviaire, comme par exemple dans la stratégie nationale bas carbone (SNBC), ceux-ci se retrouvent balayés par des engagements contradictoires. Le projet de nouveau contrat de performance de SNCF Réseau en est la démonstration la plus flagrante. Celui-ci ne porte aucune vision stratégique et industrielle, multiplie les renoncements, prévoit des investissements de renouvellement notoirement insuffisants, fait l'impasse sur la modernisation du réseau et les enjeux du green deal européen, fonde l'hypothétique retour à l'équilibre de SNCF Réseau sur une trajectoire d'augmentation des péages manifestement insoutenable, etc . Ces incohérences desservent profondément la viabilité économique d'un modèle ferroviaire appelé à être le fer de lance de l'effort de décarbonation des transports.
L'État pèche aussi par l'insuffisance de sa politique d'aménagement ferroviaire du territoire. Son désengagement du financement des petites lignes ne permettra pas d'atteindre les objectifs de renouvellement que le rapport Philizot avait fixés à horizon 2028. S'agissant des promesses de développement des trains d'équilibre du territoire de jour comme de nuit, les financements ne suivent toujours pas.
Dépendant de la bonne santé du TGV, fondé sur une logique d'autofinancement du ferroviaire devenue irréaliste compte-tenu notamment de l'ampleur des objectifs de report modal, fait de relations ambivalentes entre le gestionnaire d'infrastructure et l'opérateur historique, reposant sur un système de péages très élevés, le modèle de financement du secteur ferroviaire est dans l'impasse. Le niveau des péages ferroviaires et leurs perspectives d'évolution dans les années à venir est devenu insoutenable pour les régions et constitue une barrière à l'entrée du marché français.
Devant ce constat d'un déficit de performance, de déséquilibres financiers récurrents et alors que la gouvernance et les circuits de financements actuels du secteur sont incompatibles avec une ambition de développement de la mobilité ferroviaire à la hauteur de nos engagements climatiques, les rapporteurs spéciaux ont acquis la conviction qu'il est urgent d'agir pour remettre la SNCF sur rail.