C. UNE INTERPRÉTATION JURIDIQUE CONTESTABLE
La notion d'« opération en cours » a été opposée, au cours de l'année écoulée, tant à la DPR ( cf. supra ) qu'à la CVFS ( cf. chapitre consacré à son rapport général).
Dans sa décision n° 2001-456 DC du 27 décembre 2001, le Conseil constitutionnel avait censuré deux alinéas de l'article 154 de la loi de finances pour 2002 instituant la CVFS : « Elle reçoit communication de l'état des dépenses se rattachant à des opérations en cours. Elle peut déléguer un de ses membres pour procéder à toutes enquêtes et investigations en vue de contrôler les faits retracés dans les documents comptables soumis à sa vérification. »
Le Conseil constitutionnel a donc déclaré inconstitutionnelle la faculté des membres de la CVFS de s'intéresser aux opérations en cours et de mener une enquête sur pièces et sur place les concernant. En pratique, une dépense opérationnelle ne pourrait donc être vérifiée de manière détaillée par la commission que si l'opération qu'elle finance est achevée.
Toutefois, le Conseil n'a pas pris la peine de définir la notion d'« opération en cours », laissant pendante une question juridique déjà ancienne. En effet, si le terme d'« opération » est régulièrement utilisé dans des textes législatifs, il n'existe aucune définition unifiée, et surtout, aucun cadre juridique précis.
Consciente que ce terme peut faire l'objet d'interprétations extensives qui auraient pour effet de priver ses contrôles de toute effectivité, la commission a très tôt estimé qu'il convenait de lui donner une définition stricte. Aussi a-t-elle considéré que la notion d'opération recouvrait un ensemble d'actions menées en vue d'obtenir un résultat opérationnel déterminé ; lorsque ce résultat est atteint, elle estime avoir de jure accès aux pièces relatives à cet ensemble d'actions.
Dans son rapport pour l'année 2015, la DPR avait formulé une recommandation tendant à régler la question : « Inciter les directeurs de service à formaliser par une décision signée de leur main ou de la main de leurs (sous-)directeurs le déclenchement et l'achèvement d'une opération. » D'ailleurs, si la notion d'opération en cours concernait l'ensemble d'un chapitre budgétaire, la CVFS ne pourrait pas exercer son contrôle puisque certains de ces chapitres sont ouverts depuis plusieurs années, et ont vocation à être reconduits - voire pérennisés ; il en va de même pour la DPR.
La DPR avait également proposé d' « abolir, pour la CVFS et la DPR, la restriction des “opérations en cours” au regard des évolutions constitutionnelles survenues en 2008 » , le Parlement étant, depuis, amené à se prononcer sur la reconduction d'une opération extérieure lorsqu'elle excède 4 mois, ce qui n'était pas le cas auparavant. En outre, la loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019 dispose que : « Les opérations extérieures en cours font, chaque année, l'objet d'un débat au Parlement. Le Gouvernement communique, préalablement à ce débat, aux commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat un bilan politique, opérationnel et financier des opérations extérieures en cours. »
Au regard de ces évolutions législatives, la CVFS ne s'estime pas liée par une interdiction générale de prendre connaissance d'une opération en cours. Elle retient cependant la nécessité que son contrôle ne puisse en aucun cas entraver le bon déroulement de l'activité opérationnelle des services - souci évident et légitime du Conseil constitutionnel en 2001.
Le Parlement pourrait donc légitimement s'interroger sur la rédaction de l'article 6 nonies de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qui définit les prérogatives de la DPR, pour tenir compte de cette interprétation.
Par ailleurs, si la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) condamnait la France à encadrer les échanges entre les services de renseignement français et leurs homologues étrangers, l'exclusion portant sur « les échanges avec des services étrangers ou avec des organismes internationaux compétents dans le domaine du renseignement » pourrait également être remise en cause.
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Enfin, la délégation a pris connaissance avec satisfaction du taux de mise en oeuvre des recommandations de ses trois derniers rapports - pour les années 2018, 2019-2020 et 2020-2021 -, qui s'élèvent à 52 sur 126, auxquelles s'ajoutent 18 recommandations partiellement prises en compte et 21 en cours d'examen.
Nonobstant leur souci de répondre aux légitimes attentes de transparence des citoyens, les membres de la DPR ont également conscience que certaines informations portées à leur connaissance doivent être soustraites à la curiosité de nos rivaux comme de nos adversaires. C'est pour parvenir à concilier ces deux impératifs antagonistes qu'il a été décidé de masquer quelques passages sensibles au moyen d'un signe typographique (*****), invariable quelle que soit l'ampleur des informations rendues ainsi illisibles.
Employé par le parlement britannique, ce procédé permet une synthèse entre des logiques ambivalentes. Nos concitoyens pourront ainsi apprécier le raisonnement déployé, sa cohérence, ses principales conclusions, tandis que certains détails resteront protégés sans que l'on puisse critiquer la vacuité du propos ou un « caviardage » excessif.
Réunie le jeudi 24 février 2022 sous la présidence de M. François-Noël Buffet, président, la délégation parlementaire au renseignement a adopté le présent rapport relatif à son activité pour l'année 2021-2022 et l'ensemble des recommandations formulées.