EXAMEN EN COMMISSION
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M. François-Noël Buffet , président. - Nous entendons désormais la communication de Françoise Dumont sur les crédits du programme « Sécurité civile » du projet de loi de finances pour 2022.
Mme Françoise Dumont , rapporteure . - Le programme 161 est l'un des quatre programmes de la mission « Sécurités » qui concourt à la stratégie du ministère de l'intérieur visant à protéger et secourir les Français sur l'ensemble du territoire.
Piloté par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), le programme « Sécurité civile » finance les moyens nationaux de la sécurité civile, qu'il s'agisse des outils d'intervention opérationnels mis en oeuvre au quotidien pour le secours à personne, les opérations de déminage ou déclenchées en cas de catastrophes majeures, qu'elles soient naturelles comme les feux de forêt, les inondations, les tempêtes ou les séismes, ou technologiques avec les risques NRBC-E - nucléaire, radiologique, biologique, chimique et explosif.
Cette année, les moyens alloués à ce programme connaissent une hausse tant en autorisations d'engagement (AE) qu'en crédits de paiement (CP). Les AE passent de 413 à 678 millions d'euros, soit une augmentation de 64,1 %. Cette augmentation s'explique principalement par un effet de périmètre puisque les coûts de maintien en condition opérationnelle (MCO) des aéronefs de la sécurité civile ont été réintégrés dans le programme « Sécurité civile », alors qu'ils avaient été basculés, l'année dernière, dans la mission « Plan de relance ».
La réintégration de ces crédits au sein du programme 161 est d'autant plus significative que la reconduction, pour cinq années, du marché de maintenance des avions de la sécurité civile confié à la société Sabena Technics à compter du 1 er octobre 2022 correspond à 184 millions d'euros d'AE.
Le rapatriement des crédits dédiés au MCO des aéronefs dans le programme 161 justifie également, en partie, l'augmentation des CP pour l'année 2022, passant de 518 millions d'euros en loi de finances initiale de 2021 à 568 millions d'euros.
Un des principaux chantiers portés par la DGSCGC au travers du programme 161 concerne les moyens aériens de la sécurité civile. Cette année, il se traduit principalement par la poursuite de l'exécution du marché public notifié en 2018 portant sur l'acquisition de six appareils multi-rôles de type Dash 8 afin de pallier le retrait des sept Tracker que comptait la flotte de la sécurité civile. Ces avions arrivant au terme des 25 000 heures de vol fixées par le constructeur, il était initialement prévu de les retirer progressivement à mesure des livraisons des Dash 8. Toutefois, la perte d'un Tracker et le décès de son pilote pendant la saison des feux 2019 puis la détection d'un problème technique sur les trains d'atterrissage de ces appareils ont conduit la DGSCGC au retrait anticipé de l'ensemble des Tracker au cours de l'année 2020.
Le premier appareil Dash 8 a été livré en 2019 avant qu'un second ne le rejoigne en 2020, conformément au calendrier prévisionnel prévu par le marché. Pour l'année 2021, seul un appareil sur les deux prévus a été effectivement livré, la livraison du second devant intervenir qu'en toute fin d'année.
Le Président de la République a récemment annoncé, lors du congrès de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, que deux hélicoptères supplémentaires devraient être commandés d'ici à l'année prochaine en plus des deux unités en attente de livraison qui ont été commandées l'année dernière. La flotte d'hélicoptères de la sécurité civile devrait donc bientôt compter 37 appareils, bien que la DGSCGC évalue « un besoin cible de 38 appareils ». Les efforts doivent donc être poursuivis dans les années à venir.
Enfin, la présentation de ce budget est, pour moi, l'occasion de partager mes inquiétudes quant au retard du programme NexSIS porté depuis 2016 par l'Agence du numérique de la sécurité civile (ANSC). Ce programme a pour objet d'offrir aux services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) qui le souhaitent une solution permettant le remplacement de leurs systèmes de gestion des alertes et de gestion opérationnelle (SGA-SGO).
Les SGA-SGO sont des systèmes d'information principalement utilisés par les centres de traitement de l'alerte - centres opérationnels départementaux d'incendie et de secours (CTA-CODIS) des SIS. Ils permettent, en temps réel, d'identifier, de localiser et de mobiliser les moyens humains et matériels dont dispose le SIS pour répondre à une alerte donnée. La structuration des moyens humains - sapeurs-pompiers professionnels ou volontaires -, la diversité des moyens matériels et leur répartition au sein des centres de secours du département font du SGA-SGO la moelle épinière des SIS et de leur capacité opérationnelle.
En 2019, l'ANSC a désigné le SDIS de Seine-et-Marne comme SDIS préfigurateur pour la mise en place du système NexSIS et a établi une liste des SDIS primo-accédant pour le déploiement de ce système. Ainsi, sept SIS devaient initialement voir leurs SGA-SGO actuels remplacés par le système NexSIS en 2021, et quatorze SIS supplémentaires ainsi que la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris en 2022. Or, le conseil d'administration de l'ANSC du 7 juillet 2021 a révélé que le calendrier initial ne pourrait être tenu du fait de certaines contraintes induites par la crise sanitaire ainsi que par un manque de personnels qualifiés.
Ce retard est inquiétant à plusieurs titres. Le principal risque concerne la remise en cause des capacités opérationnelles des SIS concernés. Certains SGA-SGO sont devenus particulièrement obsolètes et ne sont plus mis à jour par leurs éditeurs. La maintenance des systèmes devient de moins en moins facile pour les SIS puisque les sociétés historiquement en charge ne disposent parfois plus des compétences pour intervenir sur des systèmes dont le remplacement a, en tout état de cause, été annoncé. La maintenance des matériels informatiques est également problématique puisque les SGA-SGO les plus anciens fonctionnent avec du matériel datant parfois des années 1990 et dont le remplacement total ou partiel peut être difficile. De plus, certains SDIS ont anticipé le lancement de NexSIS en ne renouvelant pas leur contrat de maintenance. C'est notamment le cas pour celui de mon département, le Var, dont le contrat prendra fin l'année prochaine.
Il résulte de ces différents facteurs un risque croissant de pannes lourdes pouvant, le cas échéant, aboutir à une perte totale du système qui impliquerait un passage en mode « ultra-dégradé » pour la gestion des appels d'urgence depuis la prise d'appel jusqu'au déclenchement des sapeurs-pompiers dans les casernes - méthode « téléphone-papier-crayon » - alors que les SDIS ont reçu près de 16 millions d'appels en 2020 et que certains d'entre eux, comme ceux du Var ou de la Gironde, procèdent à plus de 100 000 interventions par an.
Une panne lourde de SGO-SGA aurait donc des conséquences dramatiques dans les départements concernés, sans aucune commune mesure avec la panne des numéros d'appels d'urgence connue le 2 juin dernier sur le réseau de l'opérateur Orange.
En outre, ce retard pourrait porter préjudice à l'expérimentation des plateformes communes de réception des appels d'urgence prévue à l'article 31 de la proposition de loi visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers, dite proposition de loi « Matras » définitivement adoptée par le Parlement le 16 novembre dernier. Il semble difficilement envisageable de procéder au regroupement des CTA-CODIS et des centres de réception des appels des services d'aide médicale urgente (SAMU) sans utiliser le système NexSIS, alors qu'il a vocation à être adopté par une part significative des SIS et qu'il a justement été conçu pour rendre possible un tel regroupement.
Enfin, ce retard est particulièrement préjudiciable pour les SIS qui ont d'ores et déjà versé des subventions d'investissement à l'ANSC dont le montant cumulé atteint plus de 12,5 millions d'euros pour les années 2019 et 2020. Il s'agit d'un effort significatif pour les SIS et les collectivités qui contribuent à leur financement et ces dernières sont donc particulièrement inquiètes à la vue du retard que prend le projet.
Le retard de déploiement de NexSIS est difficilement acceptable pour les collectivités contributrices puisque les dotations de l'État à destination de l'agence sont constituées d'une subvention pour charges de service public d'un montant de 5 millions d'euros en AE et en CP et d'une dotation en fonds propres de 2 millions d'euros en AE et en CP au titre de la dotation de soutien aux investissements structurants des SDIS.
Pour rappel, cette dotation avait été créée en 2016 pour redéployer les économies permises par la réforme de la prestation de fidélisation et de reconnaissance (PFR) versée aux sapeurs-pompiers volontaires, qui s'était traduite par une diminution significative du montant de la participation versée à ce titre par l'État aux départements, passée de 32 millions d'euros en 2015 à 3 millions d'euros en 2017.
En 2017, l'engagement de l'État avait été respecté avec une dotation aux investissements structurants atteignant 25 millions d'euros. Mais, depuis lors, l'écart cumulé entre les économies réalisées au titre de la nouvelle prestation de fidélisation et de reconnaissance (NPFR) et les montants redistribués via la dotation aux investissements structurants n'a cessé de croître et était évalué, par Catherine Troendlé, en 2020, à plus de 62 millions d'euros.
À l'heure actuelle, la dotation de soutien aux investissements structurants des SDIS se limitant à la seule dotation à destination de l'ANSC, il est donc regrettable que celle-ci se limite à un montant de 2 millions d'euros.
Ainsi, au regard du caractère vital du programme NexSIS, du retard déjà enregistré pour son déploiement, des engagements financiers significatifs portés par les SIS et de la baisse récurrente de la dotation aux investissements structurants des SDIS depuis 2017, j'appelle à un effort financier conséquent de l'État pour le financement de l'ANSC.
M. Hussein Bourgi . - Le projet NexSIS ayant été annoncé pour être opérationnel lors des jeux Olympiques (JO) de 2024, le retard pris nous inquiète pour des raisons budgétaires, mais aussi dans la préparation des JO ; nous pourrions auditionner le ministre de l'intérieur sur ce point.
Il faut analyser les chiffres de ce budget à l'échelle du quinquennat, puisque les crédits de la sécurité civile ont augmenté puis baissé : sur la durée, ils n'ont pas plus progressé que l'inflation. Dans le détail, sur le programme 161, la seule action qui augmente concerne la gestion des crises majeures tandis que les crédits à la prévention restent stables, de même que le soutien aux acteurs de la sécurité civile. Or, le changement climatique est là, les risques sont là, les catastrophes vont se multiplier : il faut investir en amont et non pas se contenter de renforcer les moyens d'urgence.
Mme Françoise Dumont , rapporteure . - Pour avoir présidé l'ANSC de sa création jusqu'à l'année dernière, je sais combien les SGA-SGO des SDIS sont obsolètes et difficiles à maintenir, certains sont au bord de la rupture et une panne obligerait à passer en mode « ultra-dégradé », avec des risques évidents pour la sécurité civile. Cette situation est effectivement inquiétante dans la perspective des JO. J'ai indiqué il y a quinze jours au cabinet du ministre de l'intérieur, que l'ANSC manquait de 12 équivalents temps plein (ETP) pour aider les SDIS à s'adapter. L'année prochaine sera décisive ; le Gouvernement s'est engagé à combler les vides par redéploiement ; nous avons convenu de nous revoir régulièrement : nous resterons vigilants.
La commission donne acte de sa communication à la rapporteure et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.