B. LA NOUVELLE CARTE NATIONALE D'IDENTITÉ, SUPPORT PHYSIQUE D'UNE FUTURE IDENTITÉ NUMÉRIQUE
1. Un déploiement progressif pour des usages limités à court terme
La hausse des demandes de CNI s'explique en partie par les nombreux avantages qu'offre ce nouveau titre en polycarbonate, plus résistant . Son format, plus compact , correspond aux standards internationaux (mentions traduites en anglais, nouvelle piste de lecture automatique dite « MRZ », etc. ), ce qui facilite son utilisation au passage des frontières . De nouvelles fonctionnalités ont également été ajoutées pour lutter contre la fraude telle que la personnalisation du numéro de titre dans le bord transparent .
L'innovation technologique principale de ce titre réside dans l'intégration d' une puce avec deux compartiments : le premier est lu par les autorités compétentes pour permettre le passage de frontières, le second a vocation à permettre une identification numérique par le biais d'un code personnel dont l'activation autorise la lecture des données contenues sur la puce à partir de son smartphone. La nouvelle CNI a ainsi été pensée comme le support physique d'une future identité numérique régalienne . Elle constitue donc la première étape d'un projet au long cours.
L'accord cadre portant sur la réalisation et le maintien en condition opérationnelle et de sécurité du service de garantie de l'identité numérique (SGIN) a été notifié en mai 2021. Il a pour objet le développement de l'application permettant d'exploiter les capacités de ce titre d'identité à des fins d'identification électronique pour un montant de 20 millions d'euros sur trois ans . À ces dépenses s'ajoute le coût de production de la CNI compris entre 26,2 et 45,3 millions d'euros environ par an en fonction du volume de titres produit 6 ( * ) .
Une première version de cette application sera testée au premier trimestre 2022 sous le contrôle complet de l'usager, qui peut choisir d'utiliser son code personnel pour s'identifier, et pour des usages limités comme la génération d'une attestation d'identité ou l'affichage d'une preuve d'âge. Ces attestations, signées par l'État, permettront aux citoyens qui le souhaitent de présenter un document plus sécurisé qu'un scan de leur pièce d'identité et de sélectionner les données qu'ils souhaitent partager.
2. Un nouveau titre d'identité qui ouvre de nombreuses perspectives à moyen terme
La délivrance physique de la carte nationale d'identité offre de solides garanties de sécurisation de l'identité numérique qui y sera associée. Toutefois, les concepteurs de l'application doivent développer un système suffisamment simple et accessible du point de vue du parcours utilisateur tout en garantissant un niveau élevé de sécurité au sens du droit européen, ce qui n'est pas encore le cas .
Identité numérique : les trois
niveaux de sécurité au sens du droit
de l'Union
européenne
Conformément au règlement européen « eIDAS » n° 910/2014 du 23 juillet 2014 7 ( * ) , il convient de distinguer trois niveaux de sécurité :
- faible : le système d'identification vise à réduire le risque d'utilisation abusive ;
- substantiel : le système réduit substantiellement le risque d'utilisation abusive. À titre d'exemple, les données de connexion peuvent être transmises via deux canaux distincts (courrier, courriel, SMS, etc .) ;
- élevé : le système empêche le risque d'utilisation abusive ou l'altération de l'identité. Pour s'assurer de son identité, des efforts particuliers sont fournis lors de l'enregistrement (« enrôlement ») du demandeur. Cette exigence peut notamment être remplie par une rencontre « physique » entre le demandeur et un tiers de confiance (qui atteste de l'identité de la personne) ou par le recours à des techniques biométriques.
Le programme interministériel « France identité numérique » prévoit ainsi que l'application développée sera en mesure de garantir une identification de niveau faible au sens du règlement « eIDAS » sur la plateforme « FranceConnect » au deuxième trimestre 2022 et espère obtenir une qualification au niveau susbtantiel voire élevé par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) à l'été 2022 . La quatrième étape du déploiement de l'identité numérique consistera , à la fin de l'année 2022 , à étendre le champ des documents sources aux passeports et aux titres de séjour , également équipés d'une puce électronique.
Le déploiement de l'identité numérique dépend par ailleurs du rythme de diffusion de la nouvelle CNI. Le règlement européen imposant un renouvellement total du stock de CNI avant août 2031, une proportion importante des citoyens n'aura donc pas accès à l'identité numérique à court ou moyen terme, faute de support physique adapté.
À terme, la qualification au niveau élevé de cette identité numérique devrait permettre aux usagers de substituer un code unique aux multiples identifiants et mots de passe nécessaires pour s'identifier sur Internet. L'identité numérique s'intègre dans le projet de futur portefeuille européen dont le déploiement est prévu dès 2023 et qui permettra d'importer et de stocker sur son mobile des attributs liés à l'identité du porteur (diplômes, droits à conduire, etc.).
Les usages de l'identité numérique sont donc multiples et s'étendront non seulement aux services publics (impôts, sécurité sociale, etc.) mais aussi aux sites privés (banques, notaires, etc. ) et ouvriront sans doute des débats sur la possibilité de dématérialiser l'établissement des procurations de vote , voire, à plus long terme, de mettre en oeuvre le vote par Internet pour des élections politiques.
Or, la fracture numérique demeure importante puisque « 14 millions de Français ne maîtrisent pas le numérique et que près d'un Français sur deux est mal à l'aise avec cet outil 8 ( * ) . » Dans ce contexte, le développement de l'identité numérique risque d'accélérer la dématérialisation des services publics mise en oeuvre depuis plusieurs années. S'il convient d'encourager les avancées technologiques qui permettront de simplifier et de sécuriser les démarches administratives, la rapporteure rappelle que de tels développements ne doivent pas se faire au détriment d'une partie de nos concitoyens qui se sentent de plus en plus marginalisés.
* 6 Lors de son audition, Yann Haguet, vice-président exécutif Identité d'IN Groupe, a indiqué que le prix moyen d'une CNI était compris « entre 5,23 euros toutes taxes comprises (TTC) pour une réalisation annuelle de 5 millions de cartes et 4,77 euros TTC pour une réalisation annuelle de 9,5 millions de cartes ».
* 7 Règlement du Parlement européen et du Conseil sur l'identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur et abrogeant la directive 1999/93/CE.
* 8 « L'illectronisme ne disparaîtra pas d'un coup de tablette magique ! », rapport d'information n° 711 (2019-2020) fait par Raymond Vall au nom de la mission d'information sénatoriale sur l'illectronisme et l'inclusion numérique.