B. QUAND L'ENDETTEMENT FINIT MAL

1. La crainte de l'endettement hors de contrôle

L'endettement public est aujourd'hui souvent considéré comme un actif sans risque mais cette situation est très récente. Et d'ailleurs, si le risque pour un pays de faire défaut est rare, il n'est toutefois pas impossible. En revanche, en remontant dans le temps, de nombreux exemples de défauts souverains peuvent être évoqués. Les conditions dans lesquelles les États font défaut sont souvent les mêmes : la crainte des marchés financiers de ne pas obtenir de remboursement fait augmenter les taux d'intérêt. Le service de la dette pèse alors de plus en plus lourd dans les budgets des États, ce qui augmente encore le risque de défaut et donc les taux d'intérêt. Cette perte de contrôle sur l'endettement, aussi appelée « effet boule de neige » , est redoutée par tous les États.

a) Les défauts souverains à la préhistoire de la dette

Lors de la « préhistoire de la dette » comme la nomme Michel Lutfalla, les défauts souverains étaient fréquents. Les souverains français utilisaient différentes manières pour spolier les créanciers tout en veillant à ne pas les ruiner totalement afin d'éviter le risque qu'il n'y ait plus de préteur. 23 ( * ) Il n'est donc pas rare de voir des créanciers être menacés de mort ou d'emprisonnement sous la monarchie. Ces spoliations récurrentes ont pour conséquence de rendre les taux d'intérêt particulièrement élevés. Sous la surintendance de Fouquet, les taux d'intérêt ont pu atteindre 50%. Sous le règne de Louis XIV, les nombreuses guerres conjuguées aux aléas climatiques et à la construction du château de Versailles ont fait exploser la dette, qui a atteint l'équivalent actuel de 250% du revenu national. Sous Louis XVI, Necker emprunte des sommes considérables, principalement pour financer la guerre d'Amérique. À la veille de la Révolution française, la situation des finances publiques est catastrophique. Après les années d'agitation révolutionnaire, malgré la vente des biens du clergé et la création des assignats, la situation économique et financière continue de se dégrader. Le Directoire vote alors la dernière banqueroute française en 1797: la banqueroute des deux tiers.

b) Les défauts souverains depuis le XXe siècle

Même si depuis le XX e siècle la dette publique est considérée comme un actif plus sûr dans les pays développés, il existe encore de nombreux cas de défauts. Selon Reinghart et Rogoff, au cours du XXe siècle, on ne dénombre pas moins de 320 défauts souverains 24 ( * ) dans le monde. Parmi ces pays il y a l'Allemagne qui, après la Seconde Guerre mondiale, a utilisé une palette variée d'outils pour résorber son endettement. Néanmoins, pour favoriser sa croissance économique alors que la guerre froide se mettait en place et que les États-Unis avaient besoin de pouvoir s'appuyer sur des alliés solides, un accord est signé à Londres en 1953 lui permettant de réduire sa dette de 50 % 25 ( * ) afin de lui laisser la possibilité de se développer économiquement. Un autre exemple de défaut est celui de la Russie en 1998. Les titres à court terme émis par le pays depuis 1993, appelés GKO, étaient très intéressants pour les investisseurs en raison de leur rendement à court terme. Cependant, leurs taux d'intérêt n'ont fait qu'augmenter sur la période 1993 - 1998, obligeant la Russie à emprunter toujours plus cher pour rembourser ses dettes précédentes. 26 ( * ) Le choc économique de la crise asiatique en 1997 ainsi que les déficits excessifs russes ont conduit à la banqueroute en 1998.

2. Mais les crises de dettes ne se soldent pas nécessairement par des banqueroutes.
a) L'utilisation d'outils divers a permis aux États de ne pas connaître de banqueroute

Il existe des cas de surendettement qui ne se sont pas soldés par un défaut souverain. Cela ne veut pas dire que les créanciers n'ont pas été spoliés ou que la situation économique et sociale du pays a été meilleure mais que d'autres issues que la banqueroute ont été trouvées.

En France, sous la monarchie, une méthode de spoliation plus élaborée que la banqueroute a été utilisée par les Rois de France : la dévaluation monétaire . La valeur de la monnaie était fixée par le roi car les pièces n'étaient pas frappées d'une valeur faciale, il pouvait ainsi décider qu'une même quantité de métal précieux avait plus de valeur « en monnaie ». Au moment de rembourser, le roi fixait une valeur « en monnaie » très élevée pour une même quantité de métal, il était alors bien plus aisé de rembourser. Après le remboursement de la dette aux créanciers, le roi fixait de nouveau la valeur du métal précieux au niveau initial. Ainsi, entre 1686 et 1709, le Louis d'or a changé de valeur quarante fois dans les deux sens.

La méthode de l'inflation a également été utilisée par la France après la Seconde Guerre mondiale. Alors qu'en 1950, le ratio de dette sur PIB était de 30%, six ans plus tôt, en 1944, il s'élevait à plus de 250%. 27 ( * ) Les prix ont quadruplé entre 1945 et 1948 et les détenteurs de la dette qui étaient très majoritairement des épargnants français, obligés durant la guerre d'acheter des obligations d'État, ont perdu ce que l'État a gagné.

Une autre pratique a été mise en place par François 1er : le système de rente perpétuelle . L'État n'avait pas de date butoir pour rembourser le principal, il devait seulement verser des intérêts aux créanciers.

Une autre méthode, plus vertueuse, est celle qui consiste à dégager des excédents budgétaires, dont la pratique la plus marquante a été celle du Royaume Uni. En 1819 le ratio entre le niveau de dette et le PIB du pays était de 260%. Cet endettement était pour l'essentiel issu des nombreux conflits dans lesquels était engagé le Royaume Uni depuis le milieu du XVIIe siècle. Le pays pouvait difficilement faire défaut car les dettes étaient détenues par l'aristocratie de l'époque qui ne voulait pas voir sa fortune spoliée. Après avoir restructuré certains taux d'intérêt à la baisse ainsi qu'en transformant les titres de court terme en titres de long terme, le pays connut d'abord une période de stabilisation du ratio de la dette. Puis, le ratio a diminué à partir de 1860 pour atteindre 30% du PIB en 1900. La réduction de la dette britannique aura donc pris presque un siècle grâce à deux facteurs principaux : d'une part, une forte croissance démographique (multiplication de la population par 2,4 en un siècle), d'autre part, une forte augmentation de la croissance économique lors de la révolution industrielle. 28 ( * )

b) L'importance de la confiance des créanciers dans le remboursement de la dette

La capacité de financement des États a pour ainsi dire toujours reposé sur la confiance qu'avaient les créanciers dans le remboursement de leur dette. Aussi, les États ont cherché à envoyer des signaux de confiance pour maintenir leur capacité d'endettement. Selon l'économiste Jean-Marc Daniel 29 ( * ) , les États ont depuis longtemps cherché à donner de la crédibilité à leur signature . Charles Quint en Espagne avait juré sur la Bible de ne pas faire défaut et les titres de dettes émis à ce moment s'appelaient des juros. Dans le but de redonner confiance aux investisseurs, Necker était convaincu de l'importance de la transparence des comptes publics et il a publié en 1781 le Compte rendu au Roi, listant toutes les dépenses et créances du royaume. Après la Révolution française, dans la Charte constitutionnelle de 1814 est inscrit à l'article 70 : « La dette est garantie. Toute espèce d'engagement pris par l'État avec ses créanciers est inviolable ».

Aujourd'hui, la logique est toujours la même, la notion de confiance est primordiale dans la capacité des États à s'endetter et à s'endetter à un taux d'intérêt faible. Cette confiance se traduit notamment dans l'appréciation des dettes souveraines faites par les agences de notation.


* 23 Michel Lutfalla, Une histoire de la dette publique en France, Classiques Garnier, Paris, 2017,

p 42

* 24 C.-M. Reinhart et K.-S. Rogoff, This Time is Different. Eight Centuries of Financial Folly , Princeton and Oxford, Princeton University Press, 2009, p. 99 et p. 100.

* 25 1953, la dette allemande est divisée par deux | Alternatives Economiques (alternatives-economiques.fr)

* 26 Boudet, J. (2015). Essai sur le défaut souverain. Revue internationale de droit économique , XXIX, 373- 395. https://doi.org/10.3917/ride.293.0373

* 27 Quand la France remboursait sa dette (lemonde.fr)

* 28 L'après-1815 : un siècle de convalescence pour la dette britannique | Les Échos

* 29 Le cercle Turgot : la dette, potion magique ou poison mortel, Télémaque, 2020

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