B. LE TÉLÉTRAVAIL : UNE QUESTION CULTURELLE
Si le télétravail était techniquement possible depuis de nombreuses années, avec le développement des réseaux à haut débit, des smartphones, tablettes et autres applications connectées, et n'était pas pratiqué massivement par tous ceux qui auraient pu y recourir, c'est certainement parce que des freins culturels empêchaient d'aller plus loin dans ce type d'expérience .
Avec le confinement, la preuve a été apportée que le télétravail pouvait être mis en oeuvre avec une certaine efficacité, sans mettre en danger l'activité. Ce fut même le contraire, puisque le télétravail était la condition sine qua non d'une continuité d'activité, faute de pouvoir se rendre dans les locaux de l'entreprise.
Une fois la crise passée, la poursuite du télétravail reste une question éminemment culturelle, et la diffusion de cette pratique dépendra largement de son acceptabilité collective .
Du côté des salariés, le désir de télétravail est désormais plus fort qu'avant la crise. Cela se vérifie un peu partout en Europe ou aux États-Unis. Et du côté des responsables des entreprises et des administrations, les réticences sont désormais moins fortes. Mais des disparités significatives pourraient être observées selon les secteurs d'activité ou les pays.
Ainsi, la presse japonaise rapportait les résistances des entreprises et même des salariés vis-à-vis du télétravail 72 ( * ) , du fait d'une culture d'entreprise très conservatrice, caractérisée notamment par le « hanko » 73 ( * ) , par une méfiance vis-à-vis du digital et une soumission à l'autorité hiérarchique se caractérisant par une supervision étroite du travail des subordonnés.
Au demeurant, durant l'épidémie de Covid-19, malgré les demandes du Gouvernement de limiter les déplacements, de nombreuses entreprises ont conservé un fonctionnement en présentiel.
Parce qu'il apporte des changements majeurs dans le rapport au travail, le télétravail ne peut pas s'installer, à l'issue de la crise sanitaire, avec brutalité, sans négociation entre les parties prenantes et sans accompagnement du changement . C'est pourquoi une certaine prudence s'impose dans la marche inéluctable vers un système hybride combinant le meilleur des technologies pour s'affranchir au maximum des contraintes d'espace et de temps dans l'accomplissement des activités professionnelles.
C. LE TÉLÉTRAVAIL : UN DÉFI MANAGÉRIAL
Parce qu'il transforme considérablement le quotidien au travail, les habitudes, les repères, le télétravail oblige à repenser totalement le fonctionnement des organisations là où il est mis en oeuvre . Il a un effet de « destruction créatrice » dans les entreprises, dans les administrations, et d'abord sur les fonctions d'encadrement d'équipes.
Piloter à distance, donner des ordres à travers des ordinateurs, contrôler sans voir, développer la communication asynchrone, sont des défis majeurs qui s'adressent d'abord aux responsables, dont le pouvoir et la place connaissent une remise en cause inédite . La note précitée de La Fabrique de l'industrie rappelle que le télétravail « contraint les managers à sortir du travers culturel consistant à estimer que si je ne vous vois pas travailler, c'est que vous ne travaillez pas ». Mais il ne faut pas désespérer puisque la même note rappelle que la transition managériale était amorcée en France dès avant la crise du Covid-19, notamment du fait de la transformation numérique des entreprises. Le télétravail nécessite donc un accompagnement des managers, une transformation de leurs manières d'animer les équipes sous leur responsabilité, afin de concilier travail à distance et maintien d'un lien de proximité.
L'adaptation au télétravail ne se fera pas partout au même rythme . Un des enjeux d'une transition réussie consiste à accompagner vers le télétravail, en ne laissant pas sur le bord du chemin celles et ceux qui sont moins à l'aise avec les outils du travail à distance, ont moins de capacité à s'auto-organiser, ou peuvent être perdus sans contacts directs avec les autres intervenants. Les personnes ayant besoin d'expérimenter les situations et disposant de moins de capacités de conceptualisation et d'abstraction pourraient en effet être pénalisées par un environnement dépourvu (ou peu pourvu) de contacts humains directs.
C'est pourquoi l'accompagnement au changement paraît indispensable, tant pour les managers que pour les collaborateurs. Un renforcement de la formation professionnelle pour s'adapter à la nouvelle donne risque fort d'être incontournable, constituant la première brique de la transition vers de nouvelles méthodes de travail. Il conviendra de veiller au passage à ce que les télétravailleurs ne soient pas moins formés que les travailleurs restés en présentiel.
TÉLÉTRAVAIL ET SOCIETE
Le télétravail constitue-t-il une perspective universelle ?
Nous disposons d'instruments de plus en plus puissants permettant de travailler, d'étudier, d'échanger à distance. Télétravailler va dans le sens de l'histoire. Pour autant, l'être humain est un animal social qui a besoin d'échanges directs, qui se noueront peut-être moins au travail et devront donc trouver de nouveaux cadres.
Recommandation
La place centrale du travail dans nos parcours de vie risque cependant de pâtir d'une mise à distance croissante. Nous devons transformer les modes de management pour les faire reposer davantage sur la confiance. Un effort de formation de l'encadrement, notamment de l'encadrement intermédiaire sera nécessaire. Nous devons également adapter dès à présent notre système éducatif, pour apprendre à travailler à distance, sans devenir des robots et tirer profit de l'émergence de la noosphère 74 ( * ) .
* 72 https://www.courrierinternational.com/article/monde-dapres-pourquoi-le-japon-resiste-au-teletravail
* 73 Le hanko est un petit tampon traditionnel japonais qui permet de signer des documents.
* 74 La noosphère se définit comme la couche pensante de l'humanité, qui s'enrichit par la mise en réseau des connaissances et l'ensemble des interactions dans le domaine des idées.