SYNTHÈSE DES 5
RECOMMANDATIONS
À DESTINATION DE L'ÉTAT
Recommandations |
Nature de la recommandation |
Destinataire |
Échéance |
8. Associer les élus locaux à la stratégie nationale de réduction des inégalités territoriales Cette stratégie nécessite l'établissement d'un bilan des installations et des départs des professionnels de santé ainsi qu'une cartographie précise de l'offre de soin. Les outils de pilotage font actuellement défaut (données centralisées et agrégées). |
Législative (code de la santé publique) |
Parlement et Gouvernement (ministère de la santé) |
2 ans |
9. Lancer un débat national sur la formation et la liberté d'installation des médecins |
Bonne pratique |
Ministère de la santé |
1 an |
10. Lancer une réflexion commune État-collectivités territoriales sur les risques de compétition entre les territoires |
Bonne pratique (concertation) |
Ministère de la santé et associations d'élus locaux |
1 an |
11. Renforcer le rôle facilitateur des ARS
(confier aux délégations départementales un
rôle d'interface de
proximité
avec les
élus
|
Circulaire |
Ministère de la santé et ARS |
1 an |
12. Mieux associer les collectivités territoriales à la politique menée par l'ARS dans la lutte contre les inégalités territoriales d'accès aux soins. Cette recommandation suppose : • de renforcer le poids des élus locaux au sein du conseil de surveillance de l'ARS ; • d'élargir les attributions du conseil de surveillance des ARS ; • d'associer les collectivités locales à la détermination des « déserts médicaux ». |
Législative (code de la santé publique) |
Parlement |
Projet de loi dit « 3DS » en cours d'examen au Parlement |
AVANT-PROPOS
Cristallisée autour de la formule choc des « déserts médicaux », la question de l'accès géographique aux soins est devenue, au cours des dix dernières années, de plus en plus prégnante dans le débat public.
Ces zones blanches médicales concernent souvent des espaces ruraux mais aussi certaines villes moyennes ou des zones périurbaines, de sorte que les difficultés d'accès aux soins font l'objet d'une actualité constante et constituent une part significative des interpellations adressées aux élus locaux. Selon un sondage publié le 15 novembre 2019, 63 % des Français ont déjà renoncé ou reporté des soins , en raison notamment de délais d'attente trop longs ou de distances trop importantes à parcourir 1 ( * ) .
Ces « oubliés de la santé » se retrouvent au coeur d'une « fracture territoriale » qui ne peut qu'interpeller la délégation aux collectivités territoriales, au contact permanent des élus de terrain qui manifestent régulièrement auprès d'elle leur désarroi sur ce sujet.
Pourquoi l'État, à qui incombe la responsabilité exclusive de la politique de la santé, semble-t-il éprouver autant de difficultés à réduire les inégalités territoriales d'accès aux soins ? Les agences régionales de santé, créées en 2009, ont-elles permis d'agir plus efficacement dans ce domaine ? Quel rôle les élus locaux peuvent-il jouer pour contribuer à améliorer l'offre de soins sur leurs territoires ? En ont-ils les moyens juridiques, techniques et financiers ? Quelles sont les bonnes pratiques ? Les élus sont-ils aidés par l'État ou, au contraire, entravés dans leurs initiatives ? Quels sont les freins à lever afin de permettre aux élus de porter des projets innovants au service des populations ? Quel est le bon échelon local pour agir efficacement, en application du principe de subsidiarité ?
C'est pour répondre à l'ensemble de ces interrogations que notre délégation a confié à M. Philippe Mouiller et Mme Patricia Schillinger un rapport sur les initiatives des collectivités territoriales en matière d'accès aux soins . Identifier les bonnes pratiques locales constitue en effet l' « ADN de notre délégation » et lui permet de formuler des recommandations propres à encourager ces initiatives et à supprimer ou limiter d'éventuelles entraves à leur expression.
I. LES DIFFICULTÉS DE L'ÉTAT À ASSUMER PLEINEMENT SA RESPONSABILITÉ EXCLUSIVE EN MATIÈRE DE SANTÉ
A. UNE RESPONSABILITÉ EXCLUSIVE DE L'ÉTAT
Selon la définition donnée par l'Organisation mondiale de la santé en 1946, la santé est entendue, lato sensu , comme un « état complet de bien-être physique, mental et social [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité ».
En France, la politique de santé incombe à l'État 2 ( * ) .
Deux motifs justifient cette compétence exclusive .
Le premier est historique . En effet, si durant la période révolutionnaire, les questions sanitaires avaient été confiées aux communes, l'évolution du secteur sanitaire est marquée par une appropriation progressive par l'État des questions sanitaires, notamment à la suite d'épisodes épidémiques .
Le second, d'ordre juridique , n'est pas moins important. En effet, le Conseil constitutionnel a reconnu expressément en 2012 le droit à la protection de la santé comme un objectif de valeur constitutionnelle 3 ( * ) . De même, l'article introductif du code de la santé publique érige la protection de la santé en droit fondamental 4 ( * ) . Le droit à la santé est donc une composante essentielle du pacte républicain. Ce droit implique l'égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé et justifie que l'État, garant de l'égalité et de la solidarité , se trouve en première ligne en matière de santé publique.
L'État a-t-il su répondre à ce défi de l'égalité dans l'accès aux soins sur l'ensemble du territoire de la République ?
Nombreux sont les travaux du Sénat qui ont répondu négativement à cette question fondamentale. En effet, notre institution a, depuis longtemps, tiré la sonnette d'alarme sur ce sujet . Citons, parmi les rapports récents :
- le rapport d'information intitulé « Accès aux soins : promouvoir l'innovation en santé dans les territoires » de MM. Jean-Noël Cardoux et Yves Daudigny, fait au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale et de la commission des affaires sociales (26 juillet 2017) 5 ( * ) ;
- le rapport d'information intitulé « Déserts médicaux : L'État doit enfin prendre des mesures courageuses ! » de MM. Hervé Maurey et Jean-François Longeot, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (29 janvier 2020) 6 ( * ) .
Malgré ces avertissements lancés par le Sénat, représentant constitutionnel des territoires, un fossé s'est creusé, au fil des ans, entre le droit et le fait : censé, en principe, garantir à tous les citoyens un égal accès aux soins, notre système de santé n'a pourtant pas empêché le développement des inégalités territoriales d'accès aux soins, en termes de qualité, de proximité, de diversité et de délais.
A qui la faute ? Le rapport précité de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable regrette un « manque de volontarisme de l'État, dont l'inaction engendre un sentiment d'abandon et de détresse des élus locaux » .
Certes, le législateur cherche, depuis des années, à oeuvrer en faveur de la résorption des déserts médicaux : la suppression du numerus clausus en est l'illustration 7 ( * ) . Par ailleurs, l'État réfléchit à certaines solutions intéressantes, telles que :
- les partages de compétences entre professionnels de santé (en développant, par exemple, les « pratiques avancées » des infirmiers) ;
- le développement et la rationalisation des dispositifs d'aides financières à l'installation des médecins ;
- le développement de l'exercice coordonné dans le cadre de la loi n° 2019-774 du 26 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé ;
- l'incitation des médecins libéraux situés en zones sous-denses à préparer leur départ en retraite en faisant appel à des stagiaires. Cette mesure figure parmi les propositions de notre collègue Stéphane Sautarel 8 ( * ) ;
- la question, enfin et surtout, de la liberté d'installation des médecins .
L'ensemble de ces solutions méritent un examen très approfondi dans la mesure où de nombreux territoires, ruraux comme urbains, continuent de souffrir d'un accès aux soins insuffisant .
Certes, comme indiqué précédemment, la notion de « désert médical » est difficile à appréhender de manière précise. Elle est simplement définie dans le code de la santé publique comme une zone sous-dense, « caractérisée par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés d'accès aux soins » 9 ( * ) .
Comment peut-on mesurer l'ampleur du phénomène et établir le pourcentage de la population française située dans une telle zone ? Pour répondre à cette question, la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) du ministère de la santé a bâti un indicateur dénommé « indicateur d'accessibilité potentielle localisée (APL). Une offre médicale est considérée comme insuffisante lorsqu'elle est inférieure à 2,5 consultations par habitant, étant précisé qu'un médecin est présumé accessible jusqu'à 20 minutes en voiture. Ces critères comportent naturellement une part d'arbitraire et sont donc contestables . Ainsi, en prenant un seuil à 3 consultations au lieu de 2,5, la DREES considérait que 18,4% de la population habitait dans une commune qualifiée de sous-dense en 2015, contre 8 % si on retient le seuil de 2,5. La notion de « désert médical » est donc particulièrement imprécise. Au-delà des chiffres et des questions méthodologiques, les interpellations permanentes des élus locaux sur la question de l'accès aux soins attestent de la nécessité d'agir .
Or, aucune des pistes envisagées par les gouvernements successifs ne semble, à elle seule , satisfaisante pour remédier durablement et efficacement aux déserts médicaux.
* 1 Sondage BVA pour France Assos Santé publié par le JDD en date du 16 novembre 2019 .
* 2 L'article L. 1411-1 du code de la santé publique énonce que « la politique de santé relève de la responsabilité de l'État ». Cette rédaction résulte de l'article premier de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.
* 3 Décision n° 2012-248 QPC du 16 mai 2012, M. Mathieu E., cons. 6. Cet objectif de protection a été réaffirmé dans la décision n° 2021-824 DC du 5 août 2021 rendu sur la relative à la gestion de la crise sanitaire.
* 4 Article L. 1110-1 du code de la santé publique.
* 5 Rapport n° 686 (2016-2017) : http://www.senat.fr/notice-rapport/2016/r16-686-notice.html
* 6 Rapport n° 282 (2019-2020) : https://www.senat.fr/notice-rapport/2019/r19-282-notice.html
* 7 La loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé a supprimé, à compter du 1 er septembre 2020, le numerus clausus. En application de l'article L 631-1 du code de l'éducation, il appartient désormais à l'État d'établir des objectifs nationaux pluriannuels relatifs au nombre de professionnels à former pour « réduire les inégalités territoriales d'accès aux soins ». Toutefois, non seulement cette réforme ne produira ses effets qu'à partir de 2030 compte tenu de la durée des études de médecine mais elle se heure à un manque de moyens humains et matériels pour accueillir et former les étudiants.
* 8 Texte n° 675 (2020-2021) de M. Stéphane Sautarel , déposé au Sénat le 8 juin 2021.
* 9 Article L. 1434-4 du code de la santé publique.