B. DES DIFFICULTÉS SPÉCIFIQUES AUX FEMMES DANS L'EXERCICE DE LEUR MANDAT

Au-delà d'une analyse quantitative de la progression et des lacunes de la parité au niveau local, la délégation a souhaité se livrer à une analyse qualitative, plus fine, des obstacles et défis rencontrés par les femmes dans leur engagement politique. Elle a recueilli, via sa consultation en ligne, plus de 1 000 réponses d'élues municipales , permettant de dresser un profil type de ces élues, d'analyser leurs motivations, d'identifier les difficultés auxquelles elles ont été ou sont confrontées et d'imaginer des pistes d'améliorations pour les surmonter.

L'engagement politique s'inscrit souvent dans la suite d'engagements antérieurs (syndicaux, citoyens, associatifs, militants, etc.). Ainsi, 86 % des femmes élues interrogées signalent un engagement antérieur, 62 % des engagements associatifs. Lors des tables rondes consacrées aux femmes élues organisées par la co-rapporteure Marie-Pierre Monier dans son département de la Drôme, les élues locales ont également souvent mis en avant leurs engagements antérieurs et un intérêt global pour l'action publique et la vie locale.

Comme l'a développé Marie-Pierre Badré, présidente du Centre Hubertine Auclert, devant la délégation lors de son audition le 17 décembre 2020, « en milieu rural, les femmes sont très engagées dans les associations, les clubs sportifs, etc. Mais l'engagement en politique reste un pas plus difficile à franchir pour les femmes . »

Celles qui ont franchi ce pas confirment sa difficulté. 91 % des élues ayant participé à la consultation évoquent des difficultés particulières dans leur parcours d'élue .

Difficultés dans leur parcours d'élue mentionnées
par les femmes élues ayant participé à la consultation du Sénat

Source : consultation sénatoriale des élues locales issues des territoires ruraux (juin-juillet 2021)

1. Une difficile conciliation des vies politique, professionnelle et familiale

La conciliation de l'engagement politique avec une vie professionnelle et familiale apparaît à la fois comme le principal frein à l'engagement des femmes et comme la principale difficulté à gérer par les femmes élues.

L'âge moyen des élues locales femmes est légèrement inférieur à celui des élus locaux hommes (51 ans pour les femmes et 54 pour les hommes) et les femmes sont plus nombreuses que les hommes à être encore en activité (76 % contre 72 % s'agissant des élus municipaux, 69 % contre 60 % s'agissant des élus communautaires).

Répartition des élues municipales par catégorie socio-professionnelle

Source : Direction générale des collectivités locales

Or le cumul avec une activité professionnelle est complexe. Certaines élues peinent à obtenir de leur employeur les autorisations d'absences auxquelles elles ont droit pour assister aux séances plénières du conseil municipal, aux réunions des commissions dont elles sont membres et aux réunions des assemblées délibérantes et des bureaux des organismes où elles ont été désignées pour représenter la commune. Ces autorisations d'absence ne couvrent d'ailleurs pas toutes les réunions de travail. En outre, l'employeur n'a pas l'obligation de rémunérer les temps d'absence du salarié et les petites communes rurales n'ont souvent pas le budget suffisant pour compenser les pertes de revenu subies par le salarié élu municipal qui ne bénéficie pas d'indemnités de fonction et utilise ses autorisations d'absence pour participer à des réunions municipales.

De même, les indemnités dans les petites communes rurales ne permettent pas aux maires de renoncer à une activité professionnelle pour se consacrer pleinement à leur mandat, alors même que toutes les élues consultées s'accordent à dire que les fonctions de maire rural exigent une implication considérable.

Pour les élues qui sont en activité et ont une famille, l'articulation des temps de vie est encore plus complexe. Les difficultés à trouver et financer un mode de garde d'enfants sont fréquemment mises en avant.

La capacité des femmes à s'investir en politique en plus de leur vie professionnelle et personnelle suppose un soutien important de leur partenaire, que les femmes semblent rechercher davantage que les hommes.

Le témoignage de Christine Portevin, maire de Guillestre, lors d'une table ronde organisée par le co-rapporteur Jean-Michel Arnaud dans son département des Hautes-Alpes le 8 mars 2021, est parfaitement révélateur des mécanismes à l'oeuvre : « Quand j'ai formé mon équipe, cela a été plus facile de recruter des hommes que des femmes. Les femmes disaient : « Je vais voir avec mon mari, avec mon compagnon, voir si c'est possible avec ma famille. » Beaucoup de jeunes femmes ont dit non, c'était trop compliqué. Alors je leur ai évoqué mon expérience : « si vous avez un compagnon qui vous aide, cela va aller ». Alors que les hommes disaient oui tout de suite, sans contacter leur compagne . »

PAROLES D'ÉLUES

TÉMOIGNAGES SUR LES DIFFICULTÉS DE CONCILIATION
DES TEMPS DE VIE

« Aujourd'hui je n'ai pas de difficultés particulières car j'ai fait le choix de renoncer à une activité professionnelle pour me consacrer à ma fonction d'élue. Les faibles ressources de la commune contraignent le niveau des indemnités à un niveau inférieur au maximum autorisé. Sans les ressources financières de mon conjoint, je n'aurai probablement pas pu exercer cette fonction car il aurait alors fallu maintenir une activité professionnelle et donc sacrifier le temps pour ma vie personnelle et mes enfants.» Une élue d'Ille-et-Vilaine

« Souvent, dans les petites et moyennes communes, les élus sont des retraités, parce que gérer une commune est un travail à plein temps. Alors une femme qui a des enfants ET une activité professionnelle, c'est d'autant plus compliqué. Et si elle est parent isolé, c'est quasiment impossible de s'impliquer en politique . » Une élue du Doubs

« Impossible de cumuler un emploi dans une commune telle que la mienne : 2 500 habitants, un budget étriqué, donc pas assez d'agents, et par conséquence une implication énorme des élus. » Une maire du Var

« Mon employeur ne m'accorde pas d'autorisation d'absence sans prendre sur mes congés ou RTT ou récupérer mes heures d'absence. » Une élue du Calvados

« Les indemnités dans une commune rurale ne permettent ni de laisser son activité professionnelle, ni de valider les trimestres pour sa retraite. Les communes ne peuvent pas se permettre de verser les indemnités de base. » Une maire de la Drôme

« La totalité de mon indemnité d'élue couvre les frais de garde et d'aide-ménagère. J'ai dû également me mettre en retrait professionnel par un temps partiel et ma perte de revenu n'est pas compensée. Les difficultés pour se dégager du temps sont un frein pour s'investir dans un mandat intercommunal et y exercer des responsabilités. » Une première adjointe dans l'Ain

Source : Consultation des élues locales issues des territoires ruraux - Plateforme participative du Sénat (10 juin - 12 juillet 2021)

2. Un sexisme et des stéréotypes de genre persistants

Les élues interrogées par la délégation dénoncent également le sexisme et les stéréotypes de genre parfois à l'oeuvre au sein des conseils municipaux ou de leur commune en général.

Nombre d'entre elles ont vu leurs compétences questionnées, ont des difficultés à faire entendre leur voix, voire subissent des propos dénigrants, agressifs ou violents. Cet élément ressort également des tables rondes organisées par la co-rapporteure Marie-Pierre Monier dans la Drôme. Des femmes élues qui ont pu être recrutées afin de répondre à des exigences de parité ont indiqué peiner à faire comprendre qu'elles ne sont pas là uniquement pour cette raison mais qu'elles ont également des compétences, des valeurs et des motivations qui leur sont propres. Elles doivent, plus que les hommes, justifier leurs compétences et peinent à se faire entendre. De façon générale, la légitimité des femmes, plus que celle des hommes, semble se faire sur le temps long, au fil des contacts et des dossiers.

Les élues mettent en outre en avant une attribution genrée des délégations , les sujets liés à la petite enfance, à la jeunesse, aux associations et à la culture étant souvent attribués aux femmes tandis que l'urbanisme et les finances le sont le plus souvent à des hommes.

PAROLES D'ÉLUES

TÉMOIGNAGES D'ATTITUDES SEXISTES
ET DE STÉRÉOTYPES DE GENRE

« Les délégations sont accordées selon le genre : enfance, culture et associations aux femmes ; urbanisme, finances et informatique aux hommes! » Une adjointe au maire, déléguée aux animations et à la vie associative, dans le Gard

« Je constate de la misogynie et un manque de considération des différents services extérieurs : syndicats, techniciens et mêmes administrés et parfois élus (extérieurs à la commune). Il faut deux fois plus d'énergie à une éluE pour se faire entendre sur des sujets techniques tels que les réseaux (eau, électricité, assainissement, pluvial), la voirie, etc.» Une élue municipale en charge de l'urbanisme et de la voirie dans le Tarn-et-Garonne

« J'ai ressenti une forme de corporatisme masculin. J'ai réussi à m'imposer par une parfaite connaissance des dossiers sur lesquels j'interviens avec énormément de boulot et je n'interviens pas sur les sujets que je ne connais pas car je sens que des "erreurs" ou idées “décalées” pourraient me faire considérer comme potiche. En revanche, des élus masculins bien installés dans leurs fauteuils parlent sans inquiétude sur tous les sujets, même ceux qu'ils ne connaissent pas du tout. » Une adjointe au maire dans une commune dans l'Ain

« En tant que femme et, en plus, déléguée sur ce sujet, il est parfois difficile d'aborder, avec les élus mais aussi les services, des sujets tels que le budget genré, les violences sexistes dans le sport, etc. J'arrive cependant, avec patience, grâce à mon expérience humaine, grâce au soutien inconditionnel du maire, à avancer sur ces sujets auprès des élus plus anciens. » Une élue du Doubs

« Je connais des petites difficultés liées à une attitude paternaliste de certains autres élus. Je suis une toute jeune élue, j'ai le droit à des surnoms qui ont l'air anodin mais qui peuvent être dérangeants "mignonne", "ma belle", etc. Ça n'empêche pas d'exercer son mandat dans de bonnes conditions mais il faut prouver qu'on a sa place. » Une jeune adjointe au maire en Seine-et-Marne

Source : Consultation des élues locales issues des territoires ruraux - Plateforme participative du Sénat (10 juin - 12 juillet 2021)

De nombreuses élues ont également pointé les insuffisances du statut de l'élu, le manque de moyens financiers, la complexité des dossiers, le manque de formation ou encore les attentes parfois trop fortes de la population, sans que ces éléments apparaissent comme des difficultés spécifiques aux femmes. 65 % des élues interrogées estiment d'ailleurs que les difficultés qu'elles rencontrent en tant qu'élues sont également rencontrées par leurs collègues masculins. En ce sens, améliorer la situation des élues femmes va de pair avec une revalorisation du statut et des moyens de l'ensemble des élus locaux . La délégation est convaincue que le fait de trouver des solutions pour faciliter l'engagement des femmes bénéficiera également aux hommes.

Les témoignages recueillis dans le cadre de la consultation ont été confirmés par ceux exprimés lors de rencontres organisées par les co-rapporteurs dans leurs départements respectifs et dont les comptes rendus figurent en annexe du présent rapport.

Pour Julia Mouzon, présidente du réseau Élues locales , « ces problèmes recoupent ceux rencontrés par les femmes dans la vie politique en général, dans la ruralité comme en milieu urbain, et ils sont amplifiés par la moindre présence des femmes ».

Ils rendent difficile l'accès des femmes à davantage de responsabilités politiques et alimentent une forme d' autocensure des femmes qui renoncent à s'investir.

Les propos de Marie-Pierre Badré, présidente du Centre Hubertine Auclert, devant la délégation le 17 décembre 2020 l'ont également confirmé : « en zone rurale, il faut aller chercher les femmes, surtout dans les petites communes en dessous de 3 500 habitants. Cela me hérisse lorsqu'une femme se demande si elle va être compétente. Les hommes se posent-ils la question de leurs compétences quand ils partent à la conquête d'une mairie ou d'un mandat ? Depuis quarante ans, je demande aux femmes d'arrêter de se poser cette question, car elles sont aussi compétentes que les hommes. Ce questionnement est de moins en moins vrai dans les zones urbaines mais, en milieu rural, j'ai encore entendu cette interrogation récemment, de la part de jeunes femmes, lorsque nous préparions les élections dans la petite commune où je suis élue . »

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